1-Sand Mandala 4.04
2-Northern Tibet 3.21
3-Dark Kitchen 1.32
4-Choosing 2.13
5-Caravan Moves Out 2.55
6-Reting's Eyes 2.18
7-Potala 1.29
8-Lord Chamberlain 2.43
9-Norbu Plays 2.12
10-Norbulingka 2.17
11-Chinese Invade 7.05
12-Fish 2.10
13-Distraught 2.59
14-Thirteenth Dalai Lama 3.23
15-Move to Dungkar 5.04
16-Projector 2.04
17-Lhasa at Night 1.58
18-Escape to India 10.05

Musique  composée par:

Philip Glass

Editeur:

Nonesuch 7559-79460-2

Produit par:
Kurt Munkacsi

Artwork and pictures (c) 1997 Touchstone pictures. All rights reserved.

Note: ***1/2
KUNDUN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Philip Glass
Deux ans après l’ultra violent « Casino », Martin Scorsese change totalement de registre et évoque dans « Kundun » la jeunesse de Tenzin Gyatso, le 14ème dalaï-lama et chef spirituel du Tibet, né dans une famille paysanne dans les années 30 jusqu’à son arrivée au Tibet et l'invasion des communistes chinois de Mao Zedong vers 1950, aboutissant finalement à l’exil du dalaï-lama vers l’Inde en 1959, où il créera le gouvernement tibétain en exil. Le film de Scorsese se déroule entièrement au Tibet, avec la recherche de la 14e réincarnation du dalaï-lama qui, selon une vision du régent tibétain de l’époque, serait né dans une famille de paysans pauvres nés près de la frontière chinoise. Puis, un jour, les lamas tibétains découvrent l’enfant et le soumettent à un test qu’il réussit avec succès. Les lamas l’emmènent ensuite, lui et sa famille, à Lhassa où il deviendra officiellement le 14e dalaï-lama. C’est au cours de son voyage que Reting Rinpoché, régent principal du monastère de Reting, raconte au jeune enfant l’histoire de « Kundun », le tout 1er dalaï-lama de l’histoire. Les années passent, et le jeune garçon grandit et devient enfin un adulte érudit et mur. Mais après une lutte de pouvoir durant laquelle Reting décèdera, le dalaï-lama, devenu plus actif dans le gouvernement religieux du Tibet, doit désormais affronter une terrible menace : l’arrivée des communistes chinois qui proclament alors le Tibet comme faisant partie intégrante de la Chine. Martin Scorsese nous livre un nouveau film poignant et fascinant sur l’histoire de l’une des personnalités les plus influentes dans le monde du bouddhisme tibétain et aussi un éternel défenseur de la paix et de la non-violence. Tenzin Gyatso reçu d’ailleurs en 1989 le prix Nobel de la paix et effectue encore aujourd’hui de nombreux voyages à travers le monde pour diffuser son message de paix et de non-violence. A noter que suite au film, Martin Scorsese et son équipe ont été interdits de séjour au Tibet par le Gouvernement chinois. Visiblement, « Kundun » aura fait grincer quelques dents en Chine.

Phillip Glass était sans aucun doute l’un des compositeurs les plus appropriés pour écrire la musique du film de Martin Scorsese. Le compositeur américain, spécialiste de la musique répétitive/minimaliste avec ses collègues Steve Reich et Terry Riley, a composé pour « Kundun » une partition dans la veine minimaliste chère au musicien, délaissant tout artifice et tout effets orchestraux trop hollywoodiens. Le style d'écriture de « Kundun » puise clairement ses inspirations dans les musiques de film antérieures du compositeur pour des films tels que « Powaqqatsi » ou « Mishima ». Phillip Glass, qui possède d’ailleurs une très bonne connaissance de la culture tibétaine et bouddhiste, a écrit une musique très intéressante qui épouse parfaitement les différents contours du film de Scorsese. Adoptant une approche quasi ethnomusicologique sur ce film, Phillip Glass a utilisé toute une pléiade d’instruments ethniques aux sonorités locales du Tibet pour construire sa partition. Ainsi, le compositeur construit progressivement sa musique qui converge progressivement un thème principal que l'on retrouvera essentiellement au cours de la dernière partie du film, et qui sera associé au dalaï-lama et à ses idéaux de paix et de spiritualité. A l’instar du personnage dans le film, la musique évolue progressivement et s’épanouit tout au long de l’histoire. Elle résume parfaitement le parcours initiatique de cet homme d’exception dans le monde.

La partition de « Kundun » ne possède pas véritablement de thématique à proprement parler - du moins dans le sens classique du thème, et ce même si l'on retrouve plusieurs fois ce motif final vers la fin du film, durant l’exil de Kundun vers l'Inde à la fin des années 50. « Sand Mandala », qui accompagne le générique de début, s’impose par son approche ethnique saisissante, avec ses motifs répétitifs cycliques qui évoquent les images d’un mandala dessiné dans le sable. Le compositeur utilise ici les cymbales tibétaines, les cors tibétains et aussi les fameux chants gutturaux inimitables des moines tibétains, chantés avec la gorge durant la plupart des cérémonies religieuses, chose que l’on aperçoit d’ailleurs dans le film lors du couronnement de Kudun et de sa montée sur le trône. Phillip Glass nous démontre dès le début du film qu'il connaît parfaitement la culture musicale tibétaine et ses caractéristiques. Curieusement, la musique possède un côté parfois un peu latent et inquiétant, tout en reflétant pour autant toute l’essence même de l’âme et de la spiritualité tibétaine. Ce côté assez sombre reste d’ailleurs très présent tout au long du score, mais sans jamais tomber dans la noirceur réelle. A contrario, la musique laisse planer tout au long du film cette espèce de grâce et de spiritualité qui convient parfaitement aux images du long-métrage de Martin Scorsese. Phillip Glass mélange aussi ses différents instrumentales ethniques avec un petit orchestre à cordes qui se fait plus discret, afin d’amener une touche plus occidentale, un regard extérieur sur la musique de ce grand pays à la culture assez unique en son genre.

La musique de la première partie du film est en fait constituée de pièces diverses s'enchaînant avec un certain éclectisme, utilisant les instruments ethniques tout en faisant intervenir par la même occasion des instruments à vent comme le basson ou la flûte, et notamment dans « Choosing », pièce constituée de nombreux arpèges rapides de flûte. L’objectif de Phillip Glass, dans un premier temps, est donc de suivre la jeunesse du futur dalaï-Lama, jusqu'à la seconde partie du film, celle qui concerne l'invasion des communistes chinois. C’est au cours de cette seconde partie du film que l’on retrouve ce fameux motif principal, une phrase ascendante constamment répétée durant la scène de l’exil dans « Escape to India » et la tentative de négociation de Kundun avec les chinois, dans un but non-violent. Le thème possède quelque chose de réellement touchant, d'autant plus touchant qu'il est répété durant la scène pendant près de huit minutes, évoquant la détermination inébranlable du dalaï-lama à rétablir la paix et à résoudre le conflit sans violence. A noter que l’on retrouve l'empreinte musicale de Glass dans ce thème, alors que le compositeur fait intervenir quelques synthétiseurs, et notamment dans les sonorités de cuivres qui sont clairement des samples synthétiques, un élément récurrent dans les partitions du musicien.

Les mélomanes non initiés au style répétitif cher à Phillip Glass risquent fort d’être pas mal rebutés par la musique de « Kundun ». Mais c’est cette répétitivité conceptuelle qui témoigne ici d'une certaine forme de folklore musicale, d'une culture étrangère basée sur le respect, la paix, la compréhension des êtres et la spiritualité. Il ne fait nul doute que lorsqu’on écoute une musique aussi particulière que celle de « Kundun », il faut impérativement oublier ses propres repères culturels et accepter de plonger dans une atmosphère parfois un peu étrange et parfois peu accessible. Et pourtant, la musique de Glass n’est pas une pièce religieuse tibétaine à proprement parler mais s’inspire néanmoins de quelques caractéristiques musicales essentielles de cette culture, tout en permettant au compositeur américain d’y apporter sa propre vision des choses, sa propre personnalité de musicien. Cette répétitivité - qui renvoie ici aux idées religieuses des cycles de la vie - la réincarnation, l’interconnexion de toutes les incarnations du dalaï-lama par le passé - crée une certaine magie à l'écran. Le compositeur a donc parfaitement su retranscrire dans sa musique toute la spiritualité de la pensée bouddhiste. « Spiritualité » serait donc le premier mot qui nous viendrait à l'esprit à l’écoute de cette musique, aussi bien dans le film que sur l’album. L’œuvre de Phillip Glass possède ce côté impalpable, ce côté « immatériel » dans le sens occidental du terme. L'aspect répétitif de la partition de « Kundun » apporte parfois un caractère plus aérien voire un peu hypnotisant à la musique dans le film.

Quoiqu'il en soit, « Kundun » est une partition très réussie à l'écran (le score a été nominé pour un Golden Globe et aux Academy Awards en 1997). Phillip Glass a parfaitement cerné l’esprit du film de Martin Scorsese à travers ses propres notes et sa propre vision musicale du dalaï-lama et de son oeuvre de paix. Certes, le score n'est pas toujours très facile d’accès. Ceux qui ne sont allergiques à la musique répétitive/minimaliste américaine auront certainement beaucoup de mal à apprécier cette très belle partition à sa juste valeur. Et pourtant, il s'agit bel et bien d'une véritable réussite artistique dans son genre, un score totalement indissociable du film de Scorese, une oeuvre vibrante à la culture bouddhiste tibétaine, à découvrir en même temps que le film !


---Quentin Billard