Musique  composée par:

Jerry Goldsmith

Editeur:


Réalisateur:
Gordon Douglas
Genre:
Policier
Avec:
Frank Sinatra,
Lee Remick.

(c) 1968 20th Century Fox/Arcola Productions.

Note: ***
THE DETECTIVE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jerry Goldsmith
Adapté d'un roman de Roderick Thorp (plus connu pour être l'auteur de 'Nothing Lasts Forever', la suite de 'The Detective' qui sera adapté en 1988 au cinéma par John McTiernan sous le titre de 'Die Hard'), 'The Detective' met en scène Frank Sinatra dans la peau de Joe Leland, un détective cynique mais honnête chargé d'enquêter sur le meurtre d'un homosexuel retrouvé atrocement mutilé chez lui. Son enquête le mène tout droit à un certain Felix Tesla (Tony Musante), un détraqué sexuel psychologiquement instable. Felix passe aux aveux grâce à la patience et la ténacité de Leland et est alors condamné à mort sur la chaise électrique, mettant fin à cette sombre enquête dans le milieu gay. Pour avoir mené à bien son enquête dans les plus brefs délais, Leland obtient de l'avancement de la part de son supérieur et est nommé lieutenant. Il doit alors mener une nouvelle enquête à propos de la mort d'un certain Colin MacIver (William Windom), retrouvé mort après s'être jeté du toit d'un immeuble. La police en a très vite conclu au suicide mais pourtant, un doute subsiste encore. Au cours de révélations finales surprenantes particulièrement choquantes, Leland apprendra que les deux affaires sur lesquelles il a enquêté étaient liées par un sombre secret que tentèrent de cacher certains individus, impliqués dans des affaires de corruption et de magouilles financières.

'The Detective' est un polar très sombre, qui adopte résolument le ton et l'esthétique des films noirs/policiers des années 60 mais qui dépasse largement l'époque par son cynisme et l'évocation d'un sujet largement peu évoqué au cinéma américain à l'époque, l'homosexualité. A vrai dire, il faudra attendre Otto Preminger et un film comme 'Advise and Consent' pour voir l'homosexualité enfin traitée au cinéma malgré la mentalité puritaine américaine et la censure qui sévissait particulièrement à l'époque. 'The Detective' est évidemment un film daté sur plus d'un point, car, en plus de l'aspect technique à proprement parler (scènes un peu vieillottes dans la voiture de Leland, etc.), le film montre les homosexuels comme des marginaux parqués comme des bêtes dans des ruelles sombres où ils forniquent discrètement, ce qui donne ainsi l'occasion au réalisateur Gordon Douglas de nous rappeler à quel point l'homosexualité était un sujet tabou et extrêmement honteux à l'époque (comme quoi, les temps changent!). Loin de vouloir s'arrêter à cette simple évocation de le marginalité des homosexuels, Gordon Douglas nous montre aussi un flic cynique dans une société cynique, dominé par la corruption, l'argent, les vices, etc. C'est aussi ce qui fait de 'The Detective' un polar plutôt sombre et original, décidément très éloigné de la plupart des productions hollywoodiennes de l'époque souvent ultra stéréotypées et pas toujours très réalistes. Ici, Frank Sinatra domine le film en imposant un personnage tourmenté mais juste, un flic dur, cynique mais réglo dans une société décadente. C'est donc ici la complexité du personnage principal qui reste l'atout majeur de 'The Detective', que certaines critiques n'ont pas hésités à qualifier de 'polar nihiliste' à juste titre. A noter pour finir la présence d'excellents acteurs tels que Lee Remick ou Robert Duvall.

Jerry Goldsmith, qui avait déjà collaboré à d'autres films de Gordon Douglas ('Rio Conchos', 'Stagecoach', 'In Like Flint'), n'a écrit qu'à peine 18 minutes de musique pour 'The Detective', musique que l'on pourra d'ailleurs retrouver sur la fameuse compilation 6 CD de 'Jerry Goldsmith at 20th Century Fox' édité par Varèse Sarabande mais aujourd'hui épuisé. Le score de 'The Detective' nous permet de retrouver un Goldsmith jazzy très ancré dans le style polar/film noir des années 60. Effectivement, si le film de Gordon Douglas paraît assez osé et anticonformiste pour l'époque, on ne peut pas en dire autant du score de Goldsmith qui joue à fond la carte de la musique de polar conventionnelle au possible. Basé sur un thème principal jazzy assez mémorable, le score évoquera tout au long du film les sentiments de Joe Leland et les difficultés qu'il rencontre avec sa femme Karen (Lee Remick), sans oublier les moments plus sombres évoquant ses deux enquêtes. Goldsmith nous expose sans surprise son thème principal dès le 'Main Title', que l'on reconnaît à sa rythmique jazzy avec un motif de guitare électrique de 4 notes descendantes (la guitare ayant ici un son très 'sixties') et un thème d'ambiance polar confié aux trompettes, accompagnées par les saxophones puis très vite rejoints par des cordes. Le thème illustre à merveille le côté solitaire de Joe Leland, une idée que le compositeur développera tout au long du film à travers une suite de variations autour du thème jazzy.

Goldsmith développe le style jazzy rétro de son score dans 'Joe', accompagné par une basse de contrebasse avec quelques cordes mystérieuses et une rythmique jazzy légère lorsque Leland mène son enquête. Après ce premier morceau de suspense discret, Goldsmith nous propose une série de variations autour du thème dans 'School Dance' ou 'New Love', le thème étant alors associé à la romance entre Joe et Karen, tout en illustrant le côté solitaire du détective, côté que l'on retrouve par exemple dans 'The Ball Game' où le thème se veut ici plus tendre, plus doux, confié à un piano jazzy du plus bel effet, avec un effet de tourbillonnement sonore pour une séquence de flash-back où Joe se souvient de ses moments passés avec Karen. Dans 'A Family Affair', Goldsmith va même jusqu'à utiliser quelques effets électroniques discrets avec un petit orgue hammond et une instrumentation plus sombre, où l'on retrouve au passage un dérivé du thème avec section rythmique jazzy, saxophone, cordes et piano. On notera ici un nouvel effet de tourbillonnement sonore du vibraphone/vents liés à une autre séquence de flash-back (l'effet musical peut paraître un peu cliché et vieillot aujourd'hui, mais à l'époque, cela marchait complètement à l'écran), comme dans 'Karen's Story' qui oscille ainsi entre romantisme jazzy et mystère, évoquant les difficultés du couple Joe/Karen.

L'action pointe brièvement le bout de son nez dans 'Beach Scene' pour la poursuite avec Felix Testa sur la plage, avec rythmes de xylophones/flûtes syncopés à la Bartok (une marque de fabrique du compositeur), guitare électrique très 'sixties', cordes dissonantes et cuivres agressifs. Le morceau, de par son côté très daté et ses rythmes, annonce très clairement l'ouverture de 'Escape from Planet of The Apes', que Goldsmith composera quelques années plus tard en 1971. On pourra regretter le fait que Goldsmith ne développe pas plus durant le film ce côté action, ceci s'expliquant tout simplement par le simple fait que le film de Gordon Douglas ne s'y prêtait pas vraiment. Le suspense est aussi de la partie avec l'excellent 'The Safe Cracker' dans la scène où Leland se rend chez le Dr. Roberts (Lloyd Bochner) pour y chercher des documents concernant le mystère Colin McIver. Le suspense est ici particulièrement palpable, suggéré par divers éléments tels que les cordes sombres habituelles, les glissements sur des petits tambours à peau, des timbales, une trompette en sourdine, une rythmique jazzy discrète, des flûtes sombres et dissonantes, etc. On retrouve ici l'inventivité orchestrale typique du Jerry Goldsmith des années 60. 'McIver's Story' fait aussi monter la tension au cours des surprenantes révélations finales concernant Colin McIver. On notera ici l'utilisation de la rythmique jazzy avec la walking-bass à laquelle le compositeur ajoute des cordes dissonantes synonymes de tension et de violence. Le film se conclura sur un 'Joe's Decision' plutôt mélancolique, où le thème jazzy revient une dernière fois d'une manière plus amère, révélatrice des sentiments désabusés du flic à la fin de cette sombre histoire.

'The Detective' est donc un sympathique score polar signé Jerry Goldsmith, qui, malgré sa courte durée (environ 18 minutes 23), nous prouve que le compositeur possédait décidément plus d'un tour dans son sac à cette époque et qu'il savait se montrer très à l'aise dans tous les styles - ici, le jazz (d'ailleurs, 'The Detective' annonce par moment le futur score de 'Chinatown'). Comme d'habitude, Goldsmith se montrait particulièrement inventif dans le maniement de ses orchestrations, n'hésitant pas à proposer quelques combinaisons instrumentales toujours aussi inventives et astucieuses. Avec 'The Detective', Jerry Goldsmith a réussi à capter toute l'ambiance à la fois sombre et désabusé du film de Gordon Douglas à travers une partition jazzy où règne une certaine noirceur et une morosité intimiste parfaitement ancrée dans le film.


---Quentin Billard