1-Prelude and Rooftop 4.35
2-Scotty Trails Madeline 8.22*
3-Carlotta's Portrait 2.34
4-The Bay 3.08
5-By The Fireside 3.39
6-The Forest 3.25
7-The Beach 3.27
8-The Dream 2.42
9-Farewell and the Tower 6.42
10-The Nightmare and Dawn 4.10
11-The Letter 3.53
12-Goodnight and the Park 3.08
13-Scene d'Amour 5.09
14-The Necklace, The Return
and Finale 7.47

*Including:
Madeline's First Appearance,
Madeline's Car, The Flower Shop,
The Alleyway, The Mission,
The Graveyard and Tombstone.

Musique  composée par:

Bernard Herrmann

Editeur:

Varèse Sarabande
VSD-5600

Conduit par:
Joel McNeely
Interprété par:
The Royal Scottish National Orchestra
Produit par:
Robert Townson

Artwork and pictures (c) 1958 Paramount Pictures. All rights reserved.

Note: ****1/2
VERTIGO
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Bernard Herrmann
‘Vertigo’ (Sueurs froides) reste sans aucun doute l’un des plus grands chef-d’œuvres d’Alfred Hitchcock, souvent cité comme un véritable monument du genre. Et pourtant, à l’origine, la genèse du projet s’annonçait difficile. Déçu par les échecs critiques et commerciaux de ‘The Trouble with Harry’ (1956) et ‘The Wrong Man’ (1957), Hitchcock avait besoin de trouver un projet à sa hauteur pour pouvoir reprendre du poil de la bête. Hélas, le réalisateur connaissait à ce moment là de graves ennuis de santé. Ce ne fut finalement qu’à force de ténacité (et de nombreux scénarios rejetés) qu’Hitchcock trouva enfin l’histoire qui lui convenait avec le scénario de Samuel A. Taylor, adapté du roman français ‘D’entre les morts’ de Pierre Boileau et Thomas Narcejac. Le policier John ‘Scottie’ Ferguson (James Stewart) et l’un de ses collègues poursuivent ensemble un bandit sur les toits des immeubles de San Francisco. Mais pendant la poursuite, Scottie trébuche et est sur le point de tomber, entraînant involontairement par accident son collègue qui fait une chute mortelle depuis le toit de l’immeuble. Traumatisé par cette expérience, Scottie s’est retiré du métier de policier et s’est reconverti dans celui de détective privé. Mais il est dorénavant sujet au vertige qui peut le paralyser lorsqu’il grimpe seulement de quelques mètres en hauteur. Un jour, Gavin Elster (Tom Helmore), un de ses anciens amis, le contacte pour lui proposer un job délicat: faire suivre sa femme Madeleine (Kim Novak), qu’il croit possédée par l’esprit de son aïeule, une certaine Carlotta Valdes, qui aurait vécu à San Francisco à la fin du 19ème siècle. D’abord hésitant, Scottie accepte et prend donc sa femme en filature. Un jour, il sauve la vie de Madeleine, qui avait tenté de se suicider en se jetant dans la baie de San Francisco. Il finit par tomber amoureux de la jeune femme. Mais cette passion va l’amener dans une série d’évènements dramatiques et incontrôlables : visiblement très tourmentée, Madeleine se dit hantée par le souvenir du clocher d’une église espagnole dans laquelle son aïeule Carlotta aurait vécue auparavant. Malgré toute sa détermination, Scottie ne peut réussir à la convaincre qu’elle est bien Madeleine et non la réincarnation d’une revenante surgie d’entre les morts. Ainsi, Madeleine finit par se rendre au clocher de l’église et met fin à ses tourments en se jetant du sommet du clocher où elle trouve la mort. A nouveau harassé par le vertige, Scottie ne peut rien faire pour sauver la femme qu’il aime. Il rentre alors pour annoncer la mort tragique de sa femme à son ami Gavin. Scottie erre dorénavant seul, peu de temps avant de croiser la route d’une jeune femme qui ressemble étrangement à Madeleine, et qui s’appelle Judy Barton. Obsédé par le souvenir de Madeleine, Scottie décide de rentrer en contact avec elle et d’en savoir un peu plus à son sujet.

Si ‘Vertigo’ a connu un succès relativement modeste à sa sortie en salle en 1958, il reste largement considéré aujourd’hui comme l’un des sommets du 7ème art, un monument de l’histoire du cinéma souvent classé aux côtés du ‘Citizen Kane’ d’Orson Welles (1941). La direction d’acteur est plus que jamais au top avec un James Stewart très convaincant dans la peau de ce flic obsédé et tourmenté par une passion dévorante pour une jeune femme qu’il ne peut oublier. Kim Novak joue quand à elle un personnage féminin fort et trouble comme Hitchcock les affectionne tant (à noter qu’à l’origine, le réalisateur avait choisi Vera Miles pour ce rôle, la comédienne n’ayant finalement pas pu faire le film car elle venait de tomber enceinte). Le climat psychologique et obsessionnel du film est à lui très révélateur du talent et de la personnalité du cinéaste, qui s’éloigne de ses thrillers habituels pour nous offrir une histoire d’amour passionné dans laquelle se cache faux semblants et secrets inavoués. En ce sens, ‘Vertigo’ est souvent considéré à tort comme un thriller alors qu’il est avant tout un drame passionnel dans lequel un homme se retrouve déchiré par une obsession dévorante pour la femme qu’il a aimé. Du coup, le concept du vertige n’est qu’un prétexte à une montée de tension durant certaines scènes climax du film comme la montée dans le clocher où se suicide Madeleine – scène anthologique durant laquelle Hitchcock utilisa un effet de zoom/recul de la caméra dans les cages d’escalier du clocher. Ce plan célèbre révèle le ressenti intérieur du vertige de Scottie, un trucage étonnant pour l’époque et que certains réalisateurs reprendront par la suite. Jouant sur les filtres pour les flash-backs et les couleurs savamment choisies, Hitchcock soigne particulièrement son image et nous entraîne dans une énigme passionnante digne des plus grands romans policiers. Par son mélange entre obsession, traumatisme et romance, ‘Vertigo’ reste un aboutissement dans la carrière du grand Alfred Hitchcock, qui sera enfin reconnu à sa juste valeur dans les années 80, lorsque le film ressortira en salle et sera par la suite entièrement restauré dans son format original.

‘Vertigo’ marque en 1958 les retrouvailles entre Alfred Hitchcock et son compositeur fétiche, Bernard Herrmann, après ‘The Trouble With Harry’ (1955), ‘The Wrong Man’ (1956) et ‘The Man Who Knew Too Much’ (1956). Si l’on retient souvent de cette collaboration trois partitions-clés, ‘Psycho’ (1960) et ‘North by Northwest’ (1959) d’une part, ‘Vertigo’ fait systématiquement parti du trio gagnant. La musique de Bernard Herrmann fait aujourd’hui partie des grands chef-d’œuvres de la musique de film, une musique immédiatement reconnaissable par son célèbre motif principal en forme d’arpèges de quintes augmentées ascendantes puis descendantes symbolisant le mystère et le suspense du film, ainsi que la phobie du vertige qui hante le héros tout au long du film. Dès la célèbre ouverture (‘Prelude and Rooftop’), Herrmann développe ce motif de 3 notes ascendantes puis descendantes en créant un malaise saisissant, une ambiance parfaitement envoûtante, hypnotisante. Cordes, flûtes, harpe, vibraphone et cuivres massifs se mélangent pour former une texture sonore particulière, chère au compositeur. Comme à son habitude, Bernard Herrmann aime jouer sur des orchestrations souvent particulières, disproportionnées, inventives. Avec ce motif qui semble onduler mystérieusement dans l’air avec un léger parfum de malaise voire d’angoisse, le compositeur superpose des coups violents de cuivres graves dissonants qui semblent renforcer la tension de ce motif. Puis, très vite, un nouveau thème apparaît, joué par un orchestre plus ample et massif et qui sera associé par la suite à l’obsession de Scottie pour Madeleine. Herrmann confère ici à son thème un côté quasi funèbre et tragique proprement impressionnant. En l’espace de quelques minutes, le compositeur parvient à capter toute l’essence même du chef-d’oeuvre d’Alfred Hitchcock eu seulement quelques notes, la partie orchestrale massive pour la passion torturée de Scottie pour une femme qu’il n’arrive pas à oublier, et un motif hypnotisant, noir et plus énigmatique pour sa phobie du vertige et son obsession qui lui jouera de nombreux tours tout au long de l’histoire (ce n’est pas pour rien si l’on voit à l’écran une figure circulaire se mouvoir comme un tourbillon hypnotisant, un effet psychologiquement déstabilisant et parfait pour ouvrir le film sur une touche de mystère et d’inquiétude). La seconde partie du morceau (‘Rooftop’) illustre quand à elle la poursuite sur les toits d’immeuble au début du film, à grand renfort de cuivres massifs et dissonants et de traits de cordes/bois frénétiques et agités. Il règne dans cette partie une certaine violence orchestrale et une noirceur typique des musiques thriller habituelles du compositeur. A noter par exemple la façon dont Herrmann évoque la scène où le policier tombe du toit de l’immeuble et la naissance de la phobie du vertige chez Scottie, avec cette utilisation remarquable de clusters de cuivres réellement impressionnante. Bref, avec cette ouverture, Bernard Herrmann a déjà résumé l’essentiel de sa partition avant même que l’histoire ait vraiment commencé, un morceau exceptionnel et inoubliable qui marque l’auditeur longtemps après l’écoute.

‘Scottie Trails Madeleine’ dévoile le thème plus romantique et dramatique associé à la passion de Scottie pour Madeleine, qu’il prend en filature au début du film. Confié ici à des cordes, le thème sera développé tout au long du film, associé dans un premier au mystère de Carlotta Valdes puis par la suite à Madeleine. Mais le morceau se distingue plus particulièrement ici par son atmosphère de mystère impressionnante, avec des cordes feutrées et hypnotisantes, des bois sombres et même l’utilisation discrète d’un orgue pour la scène où Madeline s'arrête devant la tombe de Carlotta. On retrouve cette même ambiance énigmatique et sombre dans ‘Carlotta’s Portrait’ où Herrmann maintient pendant plus d’une minute un même ostinato de cordes entêtant avec des harmonies de cordes/bois plus mystérieuses, le genre d’ambiance froide et psychologique comme Bernard Herrmann les affectionne tant dans les films d’Hitchcock (et toujours associé ici à l’énigme de Carlotta Valdes). Le thème romantique revient dans ‘The Bay’ lorsque Scottie sauve Madeleine de la noyade dans la séquence célèbre au bord de la baie de San Francisco. Herrmann maintient ici aussi une certaine tension et un mystère plus prenant avec une utilisation toujours très remarquable de ses différentes sonorités instrumentales, que ce soit les cordes, le vibraphone mystérieux, les bois graves (à noter ces sons particuliers de clarinette basse que Herrmann utilise très souvent dans ses musiques lorsqu’il s’agit d’évoquer le mystère ou le suspense), etc. L’ambiance de ‘The Bay’ est complexe, oscillant entre une certaine douceur et un mystère, un double sens tout à l’image de l’intrigue même du film. Enfin, ‘By The Fireside’ assoit sans équivoque la facette plus romantique du score de ‘Vertigo’ en reprenant le thème romantique dans toute sa splendeur aux cordes, lorsque Scottie est en compagnie de Madeleine après l’avoir sauvé de la noyade. Ceux qui ne connaissent que le Bernard Herrmann des musiques de thriller ou de films d’aventure/science-fiction risquent fort d’être étonnés devant la beauté savoureuse des passages romantiques du score de ‘Vertigo’, d’une très grande qualité ici, inspiré d'ailleurs du 'Tristan & Isolde' de Richard Wagner (et dans un registre similaire, on pourra aussi citer le très beau et passionné ‘The Beach’). ‘The Streets’ reprend ensuite l’ostinato de cordes entêtant de ‘Carlotta’s Portrait’ pour évoquer l’obsession grandissante de Scottie pour Madeleine et son envie d’en savoir plus sur la jeune femme. ‘The Forest’ est lui aussi très représentatif de l’atmosphère plus psychologique et envoûtante de la musique de ‘Vertigo’ avec ses orchestrations très fluides et graves qui imposent un ton noir aux images du film. La dernière partie de ‘The Forest’ nous permet même d’entendre le compositeur expérimenter avec un mélange vibraphone/électronique des plus étonnants afin de renforcer le malaise grandissant de Scottie pour une femme qu’il aime mais qu’il a bien du mal à protéger d’elle-même.

La partition atteint un premier climax avec ‘Farewell and the Tower’ pour la scène du suicide de Madeleine dans le clocher de l’église vers le milieu du film. Le thème romantique prend ici un envol remarquable, plus passionné, ample et dramatique que jamais. Il traduit à l’écran le côté désespéré de l’acte de Madeleine, bien décidé à mettre fin à ses tourments qui ne cessent de la harceler. C’est aussi l’occasion pour le compositeur de reprendre les sonorités hypnotisantes de ‘Prelude and Rooftop’. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si la scène où Scottie monte dans les escaliers du clocher avant d’être à nouveau immobilisé par son vertige est accompagné par des bouts de ‘Rooftop’, qui évoquait déjà la scène du policier tombant du toit de l’immeuble au début du film et la naissance du vertige du héros. Herrmann construit ainsi sa partition de façon parfaitement cohérente, ne faisant jamais rien au hasard. ‘The Past and the Girl’ résonne ensuite de façon plus mélancolique avec le retour du thème romantique aux cordes alors que Scottie rencontre Judy par la suite et voit en elle le souvenir de Madeleine. Le motif mystérieux de ‘Carlotta’s Portrait’ revient au début de ‘The Letter’, tout comme le motif de cordes frénétiques de ‘Rooftop’. A l’instar de l’intrigue même du film d’Hitchcock, la musique de Bernard Herrmann s’amuse à accumuler des pistes et autres indices musicaux qui finissent par se regrouper et former un tout cohérent au fur et à mesure que le récit se déroule et que les révélations nous sont délivrées. Le romantisme passionné et mélancolique du savoureux ‘Goodnight and The Park’ fait écho au raffinement extrême (et un brin daté) de ‘Scène d’Amour’ où le thème romantique est développé par des cordes feutrées toute en douceur. Dans ‘The Necklace/The Return and Finale’, Herrmann nous propose une formidable conclusion regroupant les principales idées de la partition pour un final tragique et inoubliable. Motif de suspense et thème romantique forment désormais un tout parfaitement cohérent durant la scène finale dans le clocher de l’église, la boucle étant bouclée, à l’instar de la boucle que semble former le motif du vertige du ‘Prelude’. Seule ombre au tableau : la quasi absence du motif du vertige/obsession qui a fait la célébrité du prélude du film, que Herrmann ne réutilise qu’une seule fois vers la fin du film. Dommage, un motif aussi puissant aurait mérité d’être plus présent et développé davantage dans la partition du film.

‘Vertigo’ demeure bien des décennies plus tard un chef-d’oeuvre immortel de la musique de film. Très inspiré par son sujet, Bernard Herrmann signe une partition symphonique à la fois romantique, envoûtante, sombre et passionnées, dont le lyrisme torturé rappelle inévitabement le 'Liebestod' du 'Tristant & Isolde' de Richard Wagner, une partition qui résume les sentiments divers du personnage principal, entre obsession, passion et confusion. Rares sont les compositeurs de musique de film de cette époque à avoir su mettre autant en avant le caractère psychologique de l’intrigue principale à travers des notes de musique. C’est le pari fou qu’a su relever avec panache Bernard Herrmann, nous livrant une musique absolument indissociable de l’ambiance intense du film d’Hitchcock, véhiculant toutes les émotions et sentiments avec une maîtrise technique proprement ahurissante. En plus d’être un parfait condensé du style du compositeur, la BO de ‘Vertigo’ offre aussi quelques moments anthologiques inoubliables avec entre autre le ‘Prelude’, ‘The Bay’ ou bien encore ‘Farewell and The Tower’ ou ‘Scène d’Amour’, des morceaux d’une grande richesse qui ont fait le succès de cette partition mythique de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Au final, ‘Vertigo’ demeure un score passionnant et maîtrisé de bout en bout, un énième chef-d’oeuvre du grand Bernard Herrmann que tout bon béophile se doit de posséder absolument dans sa collection!


---Quentin Billard