1-Drag Me To Hell 2.33
2-Mexican Devil Disaster 4.33
3-Tale Of A Haunted Banker 1.52
4-Lamia 4.06
5-Black Rainbows 3.24
6-Ode To Ganush 2.23
7-Familiar Familiars 2.11
8-Loose Teeth 6.31
9-Ordeal By Corpse 4.35
10-Bealing Bells With Trumpet 5.12
11-Brick Dogs Ala Carte 1.46
12-Buddled Brain Strain 2.51
13-Auto-Da-Fe 4.31
14-Concerto To Hell 5.59

Musique  composée par:

Christopher Young

Editeur:

Lakeshore Records LKS 34091

Album produit par:
Christopher Young

Artwork and pictures (c) 2009 Universal Pictures. All rights reserved.

Note: *****
DRAG ME TO HELL
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Christopher Young
Après s’être attardé quelques années dans le registre très hollywoodien du film de super-héros, Sam Raimi revint finalement en 2009 à son genre de prédilection qui fit sa gloire dans les années 80 : le cinéma d’épouvante. Et pas n’importe quel cinéma, celui, plus audacieux, artisanal et plastique de « Evil Dead », une sorte de retour aux sources pour le réalisateur qui signe avec son dernier long-métrage, « Drag Me To Hell » (Jusqu’en enfer) un hymne grandiose à l’horreur dans tout ce qu’il a de plus viscéral. « Drag Me To Hell », c’est l’histoire de Christine Brown (Alison Lohman), une spécialiste en crédit immobilier qui travaille dans une banque de Los Angeles et vit avec son fiancé, le professeur Clay Dalton (Justin Long). Tout allait bien jusqu’au jour où Mme Ganush (Lorna Raver), une mystérieuse vieille femme à l’apparence inquiétante, débarqua dans son bureau pour la supplier de lui accorder un crédit supplémentaire pour sa maison, sur le point d’être hypothéquée. Hésitant longuement entre la compassion et sa propre carrière (son patron exige d’elle qu’elle soit plus tenace avec les clients), Christine décidera finalement d’employer la fermeté en refusant ce crédit à la vieille Mme Ganush, et ce même si elle sait que cette décision mettra la vieille femme à la rue. Furieuse, la vieille sorcière se venge alors en jetant un sort à Christine : la malédiction du Lamia. La vie de la jeune femme se transforme alors en un véritable cauchemar. Christine est hantée par un démon qui la terrifie de différentes façons mais que les autres ne peuvent pas voir. Se heurtant alors à l’incompréhension de son fiancé, Christine décidera finalement de faire appel à un médium, Rham Jas (Dileep Rao), pour l’aider à combattre cet esprit maléfique et à vaincre définitivement la malédiction du Lamia avant qu’il ne soit trop tard, avant que le démon ne l’emmène directement jusqu’en enfer.

A l’heure où le paysage hollywoodien est parsemé de pseudo productions horrifiques toutes plus médiocres les unes que les autres, il est bon de revenir à un cinéma plus subversif et sulfureux, plus artisanal et honnête dans sa démarche. Avec « Drag Me To Hell », Sam Raimi nous rappelle avec brio qu’il a définitivement le don de terroriser le public avec une imagination incroyable - chose qu’il nous prouva déjà des ses débuts avec le succès de « Evil Dead » en 1981. Techniquement, son nouveau long-métrage est un véritable coup de maître, réalisé avec un budget modeste de 20 millions de dollars, enchaînant les séquences d’anthologie à une vitesse ahurissante (impossible de ne pas mentionner la fameuse bagarre dans la voiture vers le début du film, d’une virtuosité et d’une violence ironique extraordinaire : de l’anthologie cinématographique pure, un véritable coup de maître, ou comment réussir à filmer l’affrontement le plus délirant de tous les temps dans une voiture pendant près de 5 minutes d’une intensité incroyable !), le tout mélangé à un humour noir assez grinçant. On retrouve ici la personnalité du réalisateur qui semble transparaître dans chaque plan du film, avec une façon très particulière de filmer l’espace pour simuler l’isolement de Christine dans un cauchemar sans fin. Et comme dans « Evil Dead », « Drag Me To Hell » est parsemé de scènes gores où l’on retrouve quelques thème chers au réalisateur : les corps en putréfaction, les vomissements - et d’une façon générale tout ce qui touche aux zones buccales. Cette fois-ci, il ne s’agit plus seulement de divertir les spectateurs mais de provoquer en eux le dégoût. Rarement aura-t-on vu un film mélanger avec autant d’audace de l’horreur viscérale avec un humour aussi maîtrisé et abouti, car le film n’est pas extrêmement gore en soi mais s’avère être davantage répugnant et joyeusement repoussant dans ses scènes horrifiques (cf. le plan où un homme vomit des cafards dans la bouche de Christine). Et lorsqu’on retrouve le visage difforme et monstrueux de Mme Ganush (qui rappelle les démons de « Evil Dead ») dans l’extraordinaire séquence jubilatoire de l’affrontement à l’intérieur de la voiture de Christine, on sait que l’on a bel et bien à faire ici à un très grand film, une oeuvre plus personnelle et audacieuse qui, malgré un succès relativement modeste au box-office, a été très largement salué par l’ensemble de la profession.

Sam Raimi retrouve ainsi son nouveau compositeur fétiche Christopher Young, avec qui il avait déjà travaillé sur « The Gift » et « Spiderman 3 ». Pour « Drag Me To Hell », Young va encore plus loin et nous offre carrément son nouveau chef-d’oeuvre indispensable, une partition symphonique absolument ténébreuse, macabre et gothique, d’une puissance renversante et d’une grande inventivité. Dès l’ouverture du film, la musique annonce d’emblée la couleur : grande section orchestrale, choeurs grandioses, violon soliste, orgue gothique, tout est mis en oeuvre pour nous plonger ici dans une atmosphère dans une atmosphère gothique et infernale avec le thème principal, « Drag Me To Hell », qui s’apparente à un superbe concerto pour violon et orchestre (« Concerto To Hell »). Ce concerto fait la part belle au violon qui évoque clairement les sonorités de la musique tzigane/gitane (en rapport avec Mme Ganush et sa famille dans le film), accompagné de choeurs puissants associés aux enfers à la façon de « Hellraiser II ». Christopher Young nous offre ici un thème absolument grandiose et monumentale, à la fois ténébreux et lyrique, reflétant parfaitement l’univers si particulier du film de Sam Raimi. Cela faisait même depuis bien longtemps que Christopher Young ne nous avait pas offert un thème d’une telle envergure pour un film d’horreur, et force est de constater qu’il a su trouver l’inspiration dans les images maléfiques et démoniaques du film, avec ce formidable concerto des enfers et son violon tzigane tout simplement inoubliable ! La musique prend très vite une tournure clairement horrifique et cauchemardesque avec « Mexican Devil Disaster », pour le prologue du film. Le violon est de nouveau présent, avec ses intervalles de triton caractéristiques, symbole incontournable du mal dans la musique. A ce violon aux notes grinçantes et inquiétantes s’ajoute une voix féminine lointaine rappelant la mélodie du thème principal de façon toute aussi mystérieuse et inquiétante. Puis, l’orchestre devient plus sombre, plus inquiétant, avec ses sonorités instrumentales furtives et menaçantes, débouchant sur un climax atonal enragé et gothique à souhait : clusters de cuivres, percussions extrêmement agressives, cordes dissonantes, glissandi de cuivres stridents, effets électroniques étranges et choeurs ténébreux : une mise en bouche absolument savoureuse avant de rentrer dans le vif du sujet.

Christopher Young se montre très inventif tout au long de sa partition en utilisation ses différentes sonorités instrumentales de différentes façons - parfois retravaillées sur ordinateur. Le second thème de la partition est associé quand à lui à Christine Brown dans le film, et se distingue du reste du score par son côté plus intime et résolument mélancolique. On retrouve ce très beau thème de piano plus fragile et délicat dans « Tale Of A Haunted Banker ». Il évoque de façon plus émouvante le drame de Christine, dont la vie bascule finalement dans le cauchemar après que la jeune femme se soit fait jeter un sort par la vieille Mme Ganush. On retrouve ce thème dans « Familiar Familiars » et « Brick Dogs Ala Carte », des morceaux qui semblent d’ailleurs annoncer de façon plus subtile l’issue tragique du film (et aussi la relation entre Christine et son fiancé Clay). Mais ce ne sont évidemment pas ces passages intimes que l’on retiendra ici mais bien les grandes envolées gothiques de terreur pure comme le délirant « Lamia », le sinistre « Ode To Ganush », l’enragé « Lose Teeth » ou le climax de terreur total dans « Auto Da-Fe » (sans aucun doute l’un des morceaux les plus chaotiques et les plus impressionnants de toute la carrière du compositeur !). « Lamia » accompagne ainsi la délirante séquence de l’exorcisme vers le milieu du film, dans un style qui rappelle clairement les expérimentations atonales et avant-gardistes de « The Exorcism of Emily Rose ». Ici, Christopher Young - en maître incontesté des musiques de film d’horreur - nous rappelle qu’il manipule les symphonies de l’épouvante avec une maestria incontestable. Tous les ingrédients indissociables des musiques horrifiques du compositeur sont passées ici en revue avec une virtuosité et une excitation incroyable : effets instrumentaux avant-gardistes (glissandi, clusters, vibrato sur les quarts de ton, etc.), sonorités d’orgue retravaillées sur ordinateur (son déjà entendu dans « Emily Rose » par exemple), effets aléatoires des choeurs (cris, glissandi, etc.) et même touche d’humour noire avec la danse centrale totalement déjantée, une sorte de polka des enfers accompagnée d’un violon tzigane tout bonnement savoureux. A noter que cette danse infernale est basée sur une version accélérée du thème principal : un grand moment dans la partition de « Drag Me To Hell », preuve incontestable que le compositeur possède aussi un certain sens de l’humour que l’on retrouve aussi traditionnellement dans les titres des pistes de ses albums (à ce sujet, « Drag Me To Hell » ne déroge pas à la règle !).

Et si « Lamia » ne vous a pas encore convaincu, attendez d’écouter les expérimentations avant-gardistes macabres de « Black Rainbows » avec ses gargouillis stridents de cordes ou ses chuchotements de choeur évoquant la présence de l’esprit maléfique dans la vie de Christine Brown (le morceau rappelle parfois certaines sonorités du « Dimensions du temps et du silence » de Penderecki). Comme toujours chez Christopher Young, ces mesures atonales et avant-gardistes sont clairement inspirées de la musique de Penderecki, Lutoslawski ou Ligeti, et d’une façon générale de l’école polonaise/d’Europe de l’est du milieu du 20ème siècle. Christopher Young nous démontre encore une fois sa maîtrise absolue de l’esthétique avant-gardiste/aléatoire des années 50/60 et s’en sert comme d’un outil lui permettant de véhiculer un sentiment d’angoisse, de terreur et de malaise tout au long du film (le tout non dénué d’un certain humour noir). Encore plus puissant et plus redoutable que « Lamia », « Lose Teeth » s’impose par ses élans de terreur pure et son caractère absolument chaotiques pour l’extraordinaire séquence de l’affrontement dans la voiture vers le début du film (un grand moment de cinéma made in Sam Raimi !). Young laisse son orchestre exploser dans une véritable sarabande de terreur pure, retranscrivant à l’écran la violence fantaisiste de la scène, non sens un certain humour noir ici aussi. On retrouve ici aussi de nombreux effets instrumentaux avant-gardistes, la bonne idée provenant de l’utilisation vers le milieu du morceau de pizz frénétiques de contrebasses qui évoqueraient presque par moment une walking bass de jazz - un élément que l’on trouvait déjà dans le « De Natura Sonoris N°1 » de Penderecki. Autre élément insolite dans le surpuissant « Lose Teeth » : une utilisation d’un cri étrange entendu vers le milieu du morceau, cri particulièrement dérangeant car réalisé de telle sorte à ce qu’il ne soit pas identifiable par l’auditeur. Et pour le plan où l’on aperçoit Mme Ganush jeter un sort sur le bouton de la manche à Christine, Young utilise ici une voix trafiquée par ordinateur et dont la fréquence a été altérée afin d’obtenir ici un timbre plus grave et surréaliste : du grand art, tout simplement, et aussi une grande démonstration de virtuosité et d’humour noir.

La terreur se prolonge dans les effets orchestraux enragés de « Bealing Bells With Trumpet » avec ses trompettes en sourdine étranges et décalées, sans oublier le violon tzigane frénétique de « Buddled Brain Strain », mais c’est avec « Auto Da-Fe » que la partition atteint son climax de terreur, sans aucun doute l’un des morceaux les plus massifs et les plus chaotiques de toute la partition de « Drag Me To Hell » : un véritable apocalypse musical d’une puissance incroyable - et aussi très éprouvant à l’écoute. La musique apporte une puissance incroyable à la scène finale avec, au passage, la présence d’un orgue gothique et ténébreux associés ici aussi au monde des enfers (« Auto Da-Fe » atteint d’ailleurs des sommets de cacophonie contrôlée et éprouvante !). Enfin, la partition aboutit au magistral « Concerto To Hell » qui développe le thème du concerto des enfers dans son intégralité pour le générique de fin du film : un autre grand moment de musique dans la partition de « Drag Me To Hell » ! Au final, Christopher Young nous rappelle encore une fois qu’il est plus que jamais le maître incontesté des musiques de film d’horreur et qu’il voue une passion sans borne pour ce style de partitions qui ont fait sa gloire depuis le début des années 80. Au cours du festival « Soncinemad » à Madrid en 2007, Christopher Young déclarait qu’il se considérait comme quelqu’un d’extrêmement chanceux, étant donné qu’il vit de sa propre passion, écrire des musiques de film, et qu’il s’agit avant pour lui d’une passion plus que d’un simple travail. Cette passion, le compositeur nous la retranscrit à merveille à travers les pages ténébreuses et infernales de la musique de « Drag Me To Hell » : une véritable symphonie des enfers, une oeuvre gothique de terreur pure, un chef-d’œuvre de la musique de film contemporaine, tout simplement, à découvrir de toute urgence ! Les chefs-d’oeuvre sont rares de nos jours, mais « Drag Me To Hell » fait incontestablement partie de cette catégorie de partition complexe, riche, inspirée et passionnante, un grand moment de musique de film !



---Quentin Billard