1-Birth 2.00
2-Life 6.07
3-Death 3.42
4-Nocturne for Lloyd 2.36
5-Mantra 2.29
6-Drug 2.35
7-Phonescape 4.21
8-The Temptation of Dr Sweet 6.23
9-Aphids 5.13
10-The Theory of Agnes 4.25
11-The Motel in Oklahoma 3.31
12-The Solution of Fire 6.56
13-Millions 3.43
14-Conception 4.50
15-Peterception 3.03

Musique  composée par:

Brian Tyler

Editeur:

Lions Gate Records LGM2-0008

Produit par:
Brian Tyler
Montage musique:
Joe Lisanti

Artwork and pictures (c) 2006 Lionsgate Entertainment. All rights reserved.

Note: ****
BUG
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Brian Tyler
Film totalement atypique signé William Friedkin, « Bug » nous plonge dans un huis-clos dérangeant entièrement filmé à l’intérieur d’une chambre d’un motel poussiéreux. A l’origine, « Bug » est une pièce de théâtre de Tracy Letts montée off-Broadway en 2004. Fasciné par la puissance évocatrice du texte et le caractère déstabilisant de l’histoire, William Friedkin a saisi l’occasion de transposer à l’écran cette histoire de paranoïa et de folie dans un huis-clos angoissant et cauchemardesque. Agnès (Ashley Judd) vit seule dans un motel en plein désert. Hantée par le souvenir de son enfant kidnappé il y a quelques années, la jeune femme solitaire sait que son ex-mari, Jerry (Harry Connick Jr.), un homme violent récemment sorti de prison, risque de lui rendre visite à tout moment. Un jour, Agnès croise la route d’un mystérieux vagabond, Peter (Michael Shannon), un ancien G.I. déserteur et excentrique au comportement étrange. Petit à petit, un amour déraisonné et torturé naîtra entre ces deux personnes, alors que leur relation basculera petit à petit dans la folie : se croyant attaqué par des insectes capables de s’introduire sous la peau, Peter va entraîner Agnès dans ses délires paranoïaques, à moins qu’il ne s’agisse réellement d’une expérience secrète de l’armée américaine qui aurait tourné au cauchemar. « Bug » nous plonge ainsi dans une véritable descente aux enfers pendant plus d’1h40. Le rythme extrêmement lent du film et la sobriété absolue de la mise en scène de Friedkin renforce clairement le côté « pièce de théâtre » du film : tout repose ici sur le jeu des acteurs, avec une Ashley Judd méconnaissable dans le rôle d’une paumée amoureuse d’un paumé, et un Michael Shannon hallucinant et halluciné (l’acteur ayant déjà joué dans la pièce d’origine), complètement submergé par ses délires paranoïaques. « Bug » est une sorte d’étude comportementale sur la folie, un film glacial et dérangeant filmé avec une précision chirurgicale qui, au choix, séduira les amateurs d’un cinéma atypique anti-conventionnel, ou fera fuir à contrario ceux qui s’attendent à voir un thriller hollywoodien habituel. Certes, on pourra toujours reprocher au film son extrême lenteur, une quasi absence de musique (afin de rendre le récit plus réaliste) et le caractère poussif, laborieux et totalement barré de l’interprétation d’Ashley Judd et Michael Shannon qui en font des tonnes sur la fin, mais force est de constater que William Friedkin reste bel et bien le cinéaste anarchiste et innovant que l’on a connu dans les années 70. Il est évident que, à cause de ses nombreux partis pris, « Bug » ne pourra pas faire l’unanimité mais fascinera malgré tout par son atmosphère de huis clos assez unique dans son genre !

A l’origine, Brian Tyler a écrit plus d’une heure de musique pour le film de William Friedkin, avec lequel Tyler travailla en 2003 sur « The Hunted ». Mais le réalisateur décida au dernier moment de ne conserver qu’à peine 5 ou 6 minutes de musique dans son film, le reste ayant été entièrement rejeté et conservé pour l’album publié par Lionsgate Records, qui permet d’avoir une vue d’ensemble du travail effectué par le compositeur sur « Bug ». Autre élément notable, le score de Brian Tyler délaisse toute approche orchestrale conventionnelle et préfère opter pour une esthétique plus bruitiste, expérimentale et résolument avant-gardiste (à l’image même du film de Friedkin). Voilà une musique qui s’impose d’entrée comme une oeuvre atonale exigeante et abstraite, abscond, difficile d’accès, essentiellement basée sur l’idée du bruit détourné comme composant musical fondamental. Brian Tyler s’exprime à ce sujet lors d’une interview accordé à des journalistes en 2009 :

« Cette musique a été la plus expérimentale que j’ai composée à ce jour. J’ai voulu expérimenter avec des sons, des instruments, exprimer un certain minimalisme et joeur sur la dissonance. L’utilisation de modules d’air conditionné, d’alarmes, et de violoncelle, n’étaient qu’une partie du canevas musical du score, mais ce n’était pas pour des raisons autres qu’ils me semblaient apporter du sens à l’oeuvre. Les fréquences courtes d’ondes radio et les aboiements sombres ont été combinés avec des mélodies au piano. La musique a été très contrastée d’une manière telle, que je ne l’avais jamais fait auparavant. »

Dès « Birth » et « Life », Brian Tyler utilise une série de sonorités étranges et autres bourdonnements sonores bizarres crées à partir de différentes sources : effets sur les cordes d’un violoncelle, synthétiseurs atmosphériques, ondes radio déformées, effets larsen, percussions aléatoires, sonorités enregistrées et déformées (et notamment à partir du violon), le tout agrémenté de multiples effets sonores, sans oublier ces bourdonnements sonores continus qui évoquent les insectes décrits dans le film. Totalement abstrait, ce premier morceau nous plonge dans une atmosphère surréaliste où guète la folie à chaque instant - idéal pour évoquer l’idée de la paranoïa du film. Brian Tyler adopte ainsi une approche anti-conventionnelle et nous renvoie par moment au caractère bruitiste et expérimental du travail du compositeur Gil Mellé sur « The Andromeda Strain » en 1971. Dans « Death », l’auditeur pourra apprécier le travail de sonorités effectué par le compositeur autour de ses différents matériaux sonores, qu’il s’agisse d’effets électroniques ou de sons enregistrés et manipulés sur un logiciel de traitement de son. Dans « Death », Brian Tyler joue sur les effets d’arrêt, de grésillements, d’effets parasites filtrés et décalés, une sorte de magma sonore chaotique et aléatoire qui évoque clairement la musique électroacoustique contemporaine - et plus particulièrement le courant de la musique concrète, représentée par Pierre Henry, Pierre Schaeffer ou Luc Ferrari - comme si la musique se mettait à « buger ». C’est d’ailleurs là toute l’astuce de la musique de Tyler : évoquer une série de « bugs » sonores qui renvoient aux ‘bugs’ du film - les insectes. On notera d’ailleurs la façon dont la musique est mixée de façon très discrète dans le film, quasi imperceptible - elle devient parfois difficile à percevoir pour le spectateur, tant elle se confond bien souvent avec les bruitages du film. Le but du compositeur semble clair : il s’agit d’évoquer avant tout une ambiance discrète mais néanmoins présente, lointaine, comme pour suggérer la folie sous-jacente des deux personnages principaux - idée qui renvoie clairement au fait qu’à aucun moment on aperçoit des insectes dans le film : tout comme la musique de Tyler, ils ne sont que suggérés à travers les propos des personnages ou les effets sonores musicaux. Ici aussi, il s’agit d’évoquer l’esprit humain dérangé d’Agnès et Peter, les deux principaux protagonistes du film, un esprit qui « buge », assurément.

La musique redevient plus conventionnelle dans « Nocturne for Lloyd », où Tyler nous livre un morceau pour piano seul, une nocturne fragile, subtile, froide et solitaire qui deviendra une sorte de thème récurrent dans le score. On retrouve le dit thème dans « The Temptation of Dr. Sweet » qui deviendra le thème d’Agnès et Peter dans le film, illustrant leur romance torturée et déraisonnée. On notera d’ailleurs qu’il s’agit du passage musical qui ressort le plus dans le film, puisqu’il apparaît à plusieurs reprises de façon bien distincte - et ce à l’inverse du reste du score, non utilisé ou alors mixé de façon extrêmement discrète sur les images. Dans « Aphids », Tyler utilise quelques samples électro étranges pour un autre passage 100% expérimental et assez dérangeant. Même chose pour « The Theory of Agnes » où l’on retrouve le thème de piano, ainsi que dans « The Motel in Oklahoma », où l’on alterne entre les sonorités étranges et expérimentales pour évoquer le motel poussiéreux dans lequel vit Agnès, et le Love Theme froid et solitaire au piano. Cette mélodie obsédante et omniprésente revient au début de « The Solution of Fire », où l’ambiance devient plus glauque et pesante. Dans « Millions », Tyler change de registre et s’essaie au rock-électro trash, un genre qu’il maîtrise particulièrement comme en témoigne une bonne partie de sa filmographie (on pense ainsi à « Fast & Furious » troisième et quatrième de nom). Dans « Millions », il règne aussi une espèce de folie à travers le jeu agressif des guitares électriques saturées et de la batterie, idée que l'on retrouve dans le rock trash déjanté et épileptique de « Drug ». Enfin, on replonge dans le chaos sonore le plus abstrait possible dans « Conception », suivi d’une ultime reprise du thème de piano dans « Peterception ».

Brian Tyler parvient enfin à nous étonner en nous livrant pour « Bug » ce que l’on pourrait considérer comme l’une de ses plus brillantes partitions et aussi l’une de ses musiques les plus abstraites et les plus expérimentales qu’il lui ait été donné d’écrire pour un film hollywoodien. Exit les conventions symphoniques habituelles et les gros rythmes modernes chers au compositeur, ici, tout semble avoir été mis en oeuvre afin de créer l’atmosphère musicale la plus étrange et la plus insolite qu’il soit, une musique plutôt atypique et iconoclaste, à l’instar même du film de William Friedkin. Certes, l’approche n’est pas révolutionnaire dans le fond (on pense aux grandes pages de la musique concrète ou électroacoustique de Pierre Henry ou de Luc Ferrari) mais plus sur la forme, car il est devenu très rare de nos jours d’entendre une oeuvre musicale aussi étrange et insolite pour un film hollywoodien, le tout étant réalisé avec une inventivité rare et un talent sûr. Si vous pensiez que Brian Tyler n’était qu’un faiseur de plus à Hollywood, détrompez-vous, car avec « Bug », le compositeur repousse les limites de son art et nous offre une partition débridée, étrange, expérimentale et totalement abstraite. Malgré cela, Tyler parvient à insuffler une certaine émotion à travers ce magma sonore de sons torturés qui respirent la souffrance, celle des âmes tourmentées de deux êtres en pleine autodestruction : avec son thème froid et solitaire de piano, Tyler évoque un amour impossible et désespéré avec une subtilité inattendue et étonnante de sa part - le compositeur étant plus connu pour ses partitions massives et rentre-dedans. Ainsi donc, si vous êtes de ceux qui recherchent les musiques de film atypiques qui repoussent les limites et qui osent aborder les thèmes de la folie et du désespoir sous une forme la plus abstraite possible, « Bug » est fait pour vous, une partition somme toute assez éclectique et variée, une musique très difficile d’accès, dérangeante, suffocante, étrange et dérangée, probablement l’un des meilleurs travaux de Brian Tyler pour un film hollywoodien !



---Quentin Billard