1-Humanity (Part I) 6.50
2-Shape 3.16
3-Contamination 1.02
4-Bestiality 2.56
5-Solitude 5.58
6-Eternity 5.35
7-Wait 6.22
8-Humanity (Part II) 7.15
9-Sterilization 5.12
10-Despair 4.58

Musique  composée par:

Ennio Morricone

Editeur:

Varèse Sarabande
VSD-5278

Album produit par:
Ennio Morricone
Superviseur de la musique:
Michael Rogers
Coordinateur de la musique:
Amy Ross
Préparation à l'édition sur Varèse Sarabande:
Tom Null, Robert Townson

Artwork and pictures (c) 1982 Universal City Studios inc. All rights reserved.

Note: ***1/2
THE THING
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Ennio Morricone
Réalisé d'après la nouvelle « Who Goes There? » de John W. Campbell, adapté au cinéma dans « The Thing from Another World », film réalisé par Christian Nyby et produit par Howard Hawks en 1951, « The Thing » de John Carpenter est un film exceptionnel sur plus d’un point. A l'heure où les remakes bâclés et commerciaux font leurs petits numéros de course au box-office, « The Thing » se bonifie avec le temps et reste sans aucun doute le remake le plus réussi de l’histoire du cinéma, tout d'abord parce que le film n'a pas décroché le box-office et a donc eu une vie en soi en dehors de tout aspect purement mercantile (comme en témoigne la très forte popularité que le film a connu bien après sa sortie en salle, en vidéo notamment), « The Thing » reste une oeuvre d'art à part entière, une oeuvre métaphorique, réfléchie, travaillée avec passion et réflexion. Le sujet reprend à peu près l'histoire du film de Nyby et Hawks mais reste beaucoup plus fidèle à la nouvelle de John W. Campbell : au cours de l’hiver 1982, une équipe de scientifiques d’une base située dans l’Antarctique découvrent un corps enfoui dans la neige près d’une base norvégienne entièrement dévastée. Ils décident finalement de ramener le corps et de l’étudier d’un peu plus près. Peu de temps avant, des membres de l’équipage sauvèrent un chien sur le point d’être abattu par deux individus, et décidèrent de le ramener lui aussi à la base. Mais ce que les scientifiques ignorent encore, c’est que le chien se trouve être un extra-terrestre extrêmement dangereux capable d’imiter toutes les formes de vie, ce qui lui permet de prendre l'apparence totale de n'importe quel homme de l'équipage de la station polaire. Dès lors, c'est là qu’intervient brillamment l'intrigue dramatique du film : si le monstre imite les êtres vivants, comment savoir qui est qui ? En filmant ce huis-clos claustrophobique, le réalisateur soulève ainsi le problème du manque de confiance des gens envers leurs semblables, d'où les incertitudes, les paranoïas, les peurs...et les conflits.

En ce sens, « The Thing » s’avère être un récit métaphorique, car il joue sur le thème de l'incertitude de l'homme face à l'homme lui-même. Carpenter décrit « The Thing » comme un film apocalyptique (personnifié par le monstre), la fin du monde qui n'est pas causé par des bombes atomiques mais par ce qui vient de notre intérieur, c'est-à-dire, dans le film, la chose, inexorable, que l'on ne peut éviter, et que l'on ressent comme une tragédie pour l'humanité entière (rappelons simplement que dans le film, l'ordinateur de Blair affirme qu'il faudra moins de 27 heures à la chose pour contaminer le monde entier). La chose serait donc l'antéchrist, l'ange destructeur venu sur terre pour annoncer la fin prochaine du monde, ou ne serait-ce pas tout simplement la part maudite qui est en chacun de nous, caché au plus profond de notre âme, dans notre inconscient ? Toujours est-il que « The Thing » joue admirablement bien sur ces métaphores avec un savoir-faire exemplaire et une mise en scène irréprochable. Le film a ainsi été tourné avec un budget relativement modeste, et l'époque (1982) ne permettait pas d'avoir recours aux techniques modernes comme les images de synthèse par exemple. Ce qui a fait la réussite du film de John Carpenter, comme pour le « Alien » de Ridley Scott, c'est un travail d'équipe absolument remarquable. Carpenter s’est comporté sur ce film en grand perfectionniste. Refusant les mises en scène rapides pour économiser du temps et de l'argent, et réfutant l'idée d'un monstre à l'esthétique trop conventionnelle, le réalisateur a su crée une ambiance unique en son genre pour « The Thing », ce qui expliquerait sans aucun doute l'immense popularité qu'a connu le film bien après sa sortie en salle, les spectateurs n'ayant sûrement pas bien compris au premier abord toutes les subtilités du film et de sa mise en scène. Maintes fois imité par la suite - et plus particulièrement tout au long des années 80/90, « The Thing » ne sera jamais égalé.

L’interprétation sans faille des acteurs (avec un Kurt Russell excellent !), les effets spéciaux incroyables de Rob Bottin et la photographie de Dean Cundey ont sans aucun contribué au fait que le film de John Carpenter, véritable aboutissement dans la filmographie du réalisateur, est aujourd’hui considéré comme un film culte, avec ces séquences d’anthologie en pagaille (le test du sang, la scène inoubliable du chenil avec le chien-monstre, l’affrontement final contre la créature, etc.). « The Thing » est aussi un film dramatique, puisqu’avec le monstre, la vie humaine perd son sens et ses valeurs : les corps sont immoralement mutilés, déformés, défigurés et déchiquettes comme de vulgaires poupées de plastique (le film s’avère être extrêmement gore et particulièrement impressionnant pour l’époque). L'homme n'est plus qu'une sorte de « défouloir » pour la chose qui a besoin d’une forme de vie pour se cacher et se reproduire. La fin du film est elle aussi assez tragique, puisqu'il ne reste plus que deux survivants au final, mais on se doute qu'ils vont mourir isolés dans le froid glacial (McReady affirme d'ailleurs à ses camarades que personne ne s’en sortira). Ainsi donc, le désespoir fait aussi partie des thèmes majeurs du film, l'absence complète d'espoir, d'autant plus que le froid glacial de l'Antarctique pourrait bien représenter symboliquement le froid qui envahit l'homme et éteint ses espoirs.

La musique d'Ennio Morricone ne manque pas de souligner à son tour tous les thèmes abordés dans le film de John Carpenter. L'étonnante partition de Morricone ne s'apprécie pas non plus à la première écoute, mais au bout d’une série d'écoutes prolongées. La musique de « The Thing » demande un certain temps d'adaptation. Rappelons pour commencer que c’est l’une des rares fois où John Carpenter n’a pas écrit lui-même la musique de son propre film. Et c’est aussi la seule et unique fois qu’Ennio Morricone participa à un film de Carpenter. Rappelons simplement que le réalisateur a toujours été un fan du maestro italien, et qu’il a très vite su que « The Thing » représenterait un challenge à la hauteur du génie d’Ennio Morricone. Le maestro écrivit alors toute une série de morceaux différents pour le film, Carpenter ayant alors sélectionné plusieurs de ces pièces en mettant d’autres morceaux de côté (non utilisés dans le film mais que l’on pourra retrouver sur l’album publié par Varèse Sarabande !). A noter que, dans le film, certains morceaux entièrement synthétiques ont été écrits par John Carpenter lui-même, qui a cependant décidé de ne pas être crédité dans le film.

La partition de « The Thing » s’avère être extrêmement froide, glaciale, sombre, désespérée voire déprimante, lente, sinistre et terrifiante. La musique de Morricone semble être constamment figée dans la glace, tant elle semble avoir du mal à "bouger" : et pourtant, l'impact de la musique à l’écran est tout bonnement fantastique : « Humanity Part 1 » fait sûrement partie d'une des musiques de film les plus sombres du Morricone des années 80. Il s'agit ici d’un thème lugubre, amer et désespéré, évoquant l’angoisse associée à la fin de l'humanité, l'idée d’un cauchemar humain face à l'apocalypse annoncé. Ce n'est d’ailleurs pas étonnant qu’Humanity Part 1 soit utilisé dans le film lorsque Blair apprend qu'il ne faudra pas moins de 27 heures à la chose pour contaminer la population entière. La musique conserve une certaine lenteur lugubre, les cordes aigues apportant un frisson glacé à une musique déjà très froide, le thème étant un petit motif répété de façon hypnotisante, repris par les trombones de manière extrêmement funèbre - les trombones étant généralement considérés comme les instruments de la mort dans l’histoire de la musique. « Humanity Part 2 » reprend ensuite ce motif thématique, mais à la version John Carpenter, avec les synthétiseurs. On retrouve effectivement ici le style musical habituel de Carpenter dans « Humanity Part 2 ». Effectivement, c’est le réalisateur lui-même qui voulait que ce morceau soit inséré dans le film. Ennio Morricone explique d’ailleurs comment cela s'est passé :

« Carpenter prit l'avion pour Rome et me montra son film. Il était très insistent, et j'adorais son film, alors j’ai décidé de le faire (...). Quand je me rendis à Los Angeles pour enregistrer le score, je pris avec moi une cassette sur laquelle j'avais enregistré de la musique synthétisée, préparée ici en Italie. Ce fut vraiment difficile pour moi de comprendre quelle sorte de score il voulait, alors j'ai composé un étalage de choses complètement différentes, en espérant qu'il trouverait quelque chose là dedans qui lui plairait particulièrement. Cela fait maintenant 30 ans que j'exerce ce métier, et je crois que je sais ce que mes clients veulent, et devinez quoi ? Il (Carpenter) prit une pièce qui ressemblait à peu près à ses propres compositions. C'est le Main Theme, qui peut être entendu tout au long du film. »

Bien sûr, la musique la plus entendue dans le film reste ce fameux « Main Theme ». Beaucoup de morceaux écrits par Ennio Morricone pour le film n'ont pas été retenus, et il y'a finalement assez peu de musique entendue dans le film. Morricone explique :

« J'ai écris une heure de musique sur « The Thing », et je n'arrive pas à croire comment tout cela a pu être autant ignoré. Alors quand ils me demandèrent ce que je mettrai sur l'album, je leur répondis que j'inclurai toutes les musiques non enregistrées à l'origine pour le film. Vous ne pouvez quand même pas acheter une BO avec un thème seulement (...)!!! »

De la musique inédite, il y'en a beaucoup sur le CD. Le seul problème, c'est qu'il manque plusieurs morceaux du film, notamment le « Main Title » écrit par Carpenter, et les passages où la chose apparait (scène des chiens, scène finale avec la créature-Blair). La musique inédite entendue sur le CD est assez déroutante. « Contamination » utilise une série de gargouillis aléatoires de pizzicati de cordes imitant la chose en train de contaminer et de se répandre sur les êtres vivants (le morceau est utilisé dans le film pour la confrontation finale contre la créature, mais avec une nappe synthétique en plus !), tandis que « Sterilization » et « Eternity », entièrement électroniques, semblent bien plus froid mais aussi totalement dénués d'intérêt par rapport au film (ce qui explique que John Carpenter n'ait pas retenu ces morceaux pour ce film). « Bestiality » est un canon pour cordes, construit en crescendo avec l'arrivée progressive de l'orchestre en tutti avec le piano. Dommage que ce morceau ait un petit côté grotesque pas très sérieux pour le film. En revanche, « Shape » s’avère être plus lugubre et lent et aurait pu faire partie du film. Le titre de cette pièce (« Shape » = forme) semble rejoindre l’idée du morceau lui-même, décrivant une forme, une masse musicale lourde et sombre, d'abord entamée par une "esquisse" de la contrebasse, auquel vont se rajouter progressivement les autres instruments et le piano, qui apporte un côté très froid au morceau. On retrouve cette musique plus atmosphérique dans « Solitude », dont la section finale pour cordes glaciales et piano est utilisée lors de la scène où McReady découvre le cadavre à la gorge tranchée dans le camp norvégien, au début du film. Morricone crée ici une ambiance froide et sinistre, toujours très lente.

« Wait » est pratiquement inusité dans le film, à part la partie aigue de cordes vers le début, que l'on entend lorsque McReady découvre le bloc de glace dans le camp de norvégiens. Cette partie aigue de cordes grimpant jusqu'à des sons stridents apporte de véritables frissons au spectateur, de manière certes conventionnelle mais très efficace. Le reste du morceau conserve un côté plus pesant et extrêmement lugubre. Enfin, « Despair » est utilisé dans le film pour les scènes où l'équipage découvre l'OVNI enfouit dans un cratère, et lorsque Blair ausculte le cadavre de la chose. La musique est ici plus pesante et plus imposante, débutant sur un début envoûtant pour aboutir de façon plus massive sur une partie grondante de cuivres, lorsque l'équipage découvre le trou dans la glace duquel la chose semble s'être échappée. Le morceau retombe ensuite dans un style orchestral plus froid et lent. Morricone crée ici une ambiance particulièrement mystérieuse, une musique parfaite pour une scène où les hommes de la station découvrent pour la première fois de leur vie une créature capable d'imiter une autre forme de vie.

On ne pourra donc pas passer à côté du morceau-clé de la partition de Morricone, « Humanity Part 2 », pièce répétitive entièrement écrite pour synthétiseur, et dans lequel un motif répété de manière hypnotisante sur un ostinato rythmique entêtant instaure une ambiance de désespoir dans le film, le désespoir des hommes face à leur mort prochaine. Cette musique apporte donc un éclairage psychologique saisissant à la musique du film. Rarement aura-t-on entendu un thème musical coller aussi parfaitement à l’ambiance générale d’un film. Certes, ce morceau qui répète constamment la même phrase musicale en augmentant à chaque fois d’une octave peut paraître répétitif et lassant, mais c'est tout ce qui fait son charme. En tout cas, à l'écran, cela fonctionne à merveille ! L'apparition soudaine de l'orgue synthétique suggère l'aspect humain de la musique, comme si l'homme recherchait un mince espoir, suggéré par le timbre religieux de l'orgue (la prière de l'homme pour l'espoir d’un avenir meilleur ?). Ce thème à la Carpenter colle parfaitement aux images, le film devant ainsi beaucoup à ce thème sinistre et répétitif qui apporte une atmosphère particulière, totalement indissociable de l’univers de « The Thing ».

Bref, sans faire partie des chefs-d’oeuvre d’Ennio Morricone, « The Thing » permet à Ennio Morricone de renouer avec un style atonal et brumeux qui rappelle certaines de ses expérimentations musicales sur les giallos italiens des années 70, en moins audacieux cependant. Si la partition de « The Thing » s’avère être assez modeste, sobre et minimaliste sur un plan purement compositionnel, sa puissance sur les images est tout bonnement incontestable, créant une atmosphère sombre, lugubre et déprimante pour le film de John Carpenter. Voilà en tout cas une oeuvre à connaître, un score assez difficile d'accès pour les oreilles inexpérimentées, mais finalement bien plus accessible que d’anciennes partitions plus expérimentales du maestro italien. En tout cas, « The Thing » est une expérience musicale à faire : frissons garantis !



---Quentin Billard