1-Theme from The Conversation 3.30
2-The End of the Day 1.36
3-No More Questions/
Phoning the Director 2.16
4-Blues for Harry (Combo) 2.38
5-To The Office/The Elevator 2.37
6-Whatever was Arranged 2.06
7-The Confessional 2.18
8-Amy's Theme 2.48
9-Dream Sequence 2.32
10-Plumbing Problem 2.51
11-Harry Carried 2.44
12-The Girl in the Limo 2.23
13-Finale and End Credits 3.52
14-Theme from The Conversation
(Ensemble) 2.27

Musique  composée par:

David Shire

Editeur:

Intrada Special Collection Vol. 2

Album produit par:
Douglass Fake
Montage son:
Walter Murch
Producteurs associés:
Roger Feigelson, Jeff Johnson
Album séquencé par:
Douglass Fake

Artwork and pictures (c) 1974 Paramount Pictures. All rights reserved.

Note: ***
THE CONVERSATION
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by David Shire
Réalisé par Francis Ford Coppola en 1974, « The Conversation » (Conversation secrète) est un thriller dans la lignée des films à suspense paranoïaques des années 70, un genre alors très à la mode dans le cinéma américain de cette époque. Ecrit à l’origine en 1967, le script de « The Conversation » sera enfin adapté au cinéma en 1974, Coppola ayant dû tourner entre temps « The Godfather » pour le compte de la Paramount. « The Conversation » raconte l’histoire d’Harry Caul (Gene Hackman), un spécialiste de l’écoute surnommé ‘le plombier’, un homme chargé d’enregistrer des conversations sur contrat, sans jamais se soucier de ce qu’il entend ou sans jamais ressentir la moindre envie de s’impliquer dans les histoires des gens qu’il espionne en cachette. Pourtant, l’une de ces conversations aura un jour un impact sur sa vie privée, car le jour où Harry enregistre une conversation dans un parc pour le compte d’un important homme d’affaires, il comprend que quelque chose ne va pas et que le couple espionné est en danger. Prenant de la distance avec ses collègues, Harry tombe dans la paranoïa et se méfie de tout le monde, y compris de ses propres commanditaires, qui commencent à se montrer menaçants. C’est alors qu’Harry refuse de rendre l’enregistrement et suspecte son commanditaire d’organiser le meurtre du couple qu’il a espionné pour son compte. « The Conversation » reste donc un thriller paranoïaque classique pour l’époque, dans la lignée de « Klute », « The Parallax View » ou bien encore « All The President’s Men ». A noter que le film de Coppola est sorti à la même époque que le fameux scandale du Watergate aux Etats-Unis, offrant alors au film une aura particulière, une concordance assez étonnante avec certains faits de la réalité politique américaine de l’époque. Le fait même que toute l’intrigue soit entièrement basée sur une erreur d’interprétation d’une conversation enregistrée par le personnage de Gene Hackman renforce le sentiment de voir un film bien écrit et solidement interprété (à noter ici la présence d’un jeune Harrison Ford encore peu connu à l’époque !), influencé par le cinéma d’Hitchcock, de De Palma et même d’Antonioni. Quand à Gene Hackman, il se voit offrir un rôle fort à la mesure de son talent, dans la peau d’un homme torturé de l’intérieur, jouant ici sur le non-dit et la suggestion (l’acteur a peu de dialogues tout au long du film !) : un rôle qui était fait pour Gene Hackman ! Quand à la mise en scène, elle reste suffisamment sobre, personnelle et suggestive pour éviter tout artifice hollywoodien qui risquerait de briser le réalisme de l’intrigue principale.

Soucieux de renforcer le caractère réaliste de son film, Francis Ford Coppola a choisi d’utiliser très peu de musique dans « The Conversation ». A vrai dire, l’essentiel de la partition musicale de David Shire se résume ici à quelques morceaux pour piano solo et de très brefs passages électroniques assez modestes. David Shire était le compositeur attitré des thrillers paranoïaques et des polars urbains dans les années 70 : ses travaux sur des films tels que « All The President’s Men » (1976), « The Hindenburg » (1975) et « The Taking of Pelham One Two Three » (1974) ont marqué les esprits et ont rapidement imposé le musicien dans le domaine des musiques à suspense des « seventies », aux côtés de Lalo Schifrin (la série plus musclée des « Dirty Harry »), Jerry Fielding ou Michael Small (« Marathon Man »). Francis Ford Coppola résume lui-même dans le livret de l’album publié par Intrada ce qu’il attendait de la musique de « The Conversation » :

« J’ai insisté auprès de David Shire sur le fait que je ne voulais pas une musique pour un grand ensemble orchestral, mais plutôt quelque chose de simple, d’envoûtant et de solitaire, un peu comme le personnage d’Harry Caul lui-même. David avait bien évidemment tout le matériel nécessaire pour écrire et orchestrer une musique de film aussi grande et réussie que n’importe quel autre compositeur, alors j’ai travaillé avec lui quasiment comme avec un acteur, afin de l’inciter à essayer quelque chose de résolument simple (...). J’ai alors pensé qu’une simple voix serait la solution la plus appropriée pour ce que j’avais en tête, un piano solo, enregistré avec la plus grande simplicité ; quelque chose qui aurait un côté vaguement jazzy, alors qu’Harry est un musicien de jazz raté, mais en évitant les clichés, comme par exemple l’utilisation d’un sax ou d’une trompette. »

Avec « The Conversation », David Shire articule donc l’essentiel de sa partition autour d’un thème principal écrit pour piano solo, introduit dès le début du film. Le « Theme from the Conversation/Main Title » est interprété avec justesse par le compositeur lui-même, sans aucun artifice particulier : seules quelques notes de piano suffisent à personnifier musicalement dans le film le personnage d’Harry Caul, brillamment interprété par Gene Hackman. La mélodie principale possède, comme le souhaitait le réalisateur, un côté vaguement jazzy dans l’âme, une mélodie plutôt agréable et solitaire qui rappelle effectivement l’idée qu’Harry Caul est un musicien de jazz raté qui aurait certainement souhaité être un grand jazzman s’il n’avait pas choisi de travailler dans l’espionnage. A noter que le thème principal est divisé en deux parties, une première partie introductive construite sur un motif de 6 notes descendant en deux groupes « antécédent/conséquent », puis une deuxième phrase plus longue articulée essentiellement autour d’un groupe de plusieurs notes répétées en demi-arc de cercle, le tout sur fond d’harmonies jazzy discrètes et assez touchantes - évoquant l’isolement et la solitude du personnage principal. Le thème est repris dans « The End of the Day », où les notes de piano deviennent plus hésitantes et quelque peu dissonantes, avant d’enchaîner sur une nouvelle reprise du thème. Dans « No More Questions/Phoning The Director », David Shire introduit un nouveau thème au piano, construit sur une phrase mélodique descendante. Il s’agit en fait du « Amy’s Theme », une sorte de Love Theme un peu distant, froid et solitaire, illustrant dans le film la relation entre Harry et sa petite amie Amy (Teri Garr). Ici aussi, David Shire conserve cette approche exclusivement minimaliste et retenue, nuançant chacune de ces notes avec une précision exemplaire. Le thème d’Harry Caul et le « Amy’s Theme » seront donc au centre de la partition de David Shire tout au long du film de Francis Ford Coppola.

Le compositeur s’est fait plaisir en nous offrant un peu de jazz dans la source music du morceau « Blues for Harry (combo) », faisant intervenir une petite formation jazzy réunie spécifiquement pour les besoins du film. Mais si ces quelques rares touches jazz sont ici très discrètes (« Harry Carried »), ce sont surtout les passages pour piano qui occupent une place prépondérante au cours des 37 minutes de musique écrites par le compositeur pour « The Conversation ». Ainsi donc, un morceau comme « To The Office/The Elevator » nous propose une nouvelle reprise du thème principal entrecoupé ici de sonorités électroniques manipulées et élaborées par Walter Murch pour les besoins de la musique. L’autre bonne idée de la musique de David Shire vient donc de l’intrusion de quelques rares éléments électroniques qui, en plus d’apporter un peu de relief à un score somme toute très répétitif, renforcent le sentiment de malaise et de paranoïa véhiculé par le film. Enfin, autre idée importante introduite dans ce morceau, une utilisation plus intéressante d’un piano préparé, avec notamment un jeu percussif sur les cordes du piano - à la manière des expérimentations savantes contemporaines de John Cage au 20ème siècle. Ces quelques passages plus expérimentaux restent discrets mais apportent néanmoins une tension appréciable à la musique dans le film.

Mais nul besoin de frapper les cordes d’un piano pour susciter le suspense ou la tension dans le film. Un morceau comme « The Confessional » suffit à suggérer les doutes et les inquiétudes du personnage de Gene Hackman, avec des reprises fractionnées de la première phrase de piano du « Theme from the Conversation », le tout saupoudré néanmoins de quelques touches de piano préparé (et notamment d’effets de clusters dissonants dans le registre grave de l’instrument). Plus intéressant, « Dream Sequence » nous propose - pour la scène du rêve d’Harry Caul - une utilisation très appréciable de l’électronique, et notamment dans l’apparition de sonorités synthétiques étranges et abstraites, évoquant l’idée du cauchemar. A noter que ces sonorités ont été créées à partir d’enregistrements du piano, détourné et déformé ensuite par Walter Murch pour le mixage final. Dans le film, l’idée est on ne peut plus clair : le thème d’Harry Caul devient plus sombre et plus torturé, comme si quelque ne tournait pas rond et que la folie guettait le personnage à chaque instant (comme le confirme la séquence finale où Harry détruit tout chez lui afin de retrouver un soi-disant micro qui serait caché chez lui). Tout comme le personnage de Gene Hackman dans le film, le thème d’Harry Caul bascule progressivement dans la folie. Les sonorités industrielles chaotiques et torturées de « Plumbing Problem » confirment en tout cas cela : ici, le piano de David Shire devient quasi méconnaissable, et se mue progressivement en une sorte de magma sonore chaotique et abstrait, à la limite de l’expérimental. La tension atteint d’ailleurs son paroxysme dans le sombre « The Girl In The Limo », où la musique bascule enfin dans l’atonal et le suspense pur.

Le thème principal revient une dernière fois pour le générique de fin (« The Conversation Finale/End Title »), le compositeur nous proposant en guise de bonus un très bel arrangement du dit thème pour un ensemble jazzy (sax, trombones, batterie, piano, vibraphone) dans l’excellent « Theme from the Conversation (ensemble) », nous offrant enfin l’opportunité d’entendre ce que la mélodie principale de « The Conversation » aurait pu devenir si Coppola avait offert l’opportunité à David Shire d’orchestrer son thème pour le film. A noter que le morceau développe aussi le motif de suspense de « The End of the Day » avec l’ensemble des instruments. Au final, « The Conversation » reste une partition minimaliste et sobre très réussie, un score longtemps réclamé par les amateurs de musique de film, et qui a enfin eu l’honneur d’être édité pour la première fois en CD par le label Intrada en 2001 après plus de 30 ans d’attente ! David Shire nous prouve donc avec « The Conversation » que l’on peut écrire une musique de film à suspense avec très peu de moyens : juste un instrument et quelques effets électroniques modestes suffisent à évoquer dans le film les tourments et la crise de conscience d’Harry Caul dans cette sombre histoire d’écoute, de suspicion et de paranoïa ! Parti pris réussi donc pour le compositeur qui signe là un score d’une sobriété extrême (quoique très répétitif et un peu lassant), dominé par un piano solo et un thème principal agréable indissociable de l’atmosphère paranoïaque et psychologique du film de Francis Ford Coppola : un score à redécouvrir, grâce à l’excellente édition d’Intrada !



---Quentin Billard