1-7 Years from Now 1.08
2-Aphids 2.55
3-Swallowed Up in Victory 0.51
4-Strawberry Pie 4.04
5-The Dark World Where I Dwell 2.15
6-Sex, Beer, and Pills 1.53
7-A Farm Nearby the Mountains 1.37
8-Bug-bited Squared 2.28
9-Pose as a Nark 2.34
10-Do You Like Cats? 2.04
11-A Scanner Darkly 2.50
12-Abrasocaine 0.43
13-Part of the Plan 1.07
14-Are You Experiencing
Any Difficulties? 2.16
15-Your Move, Peterbilt 1.25
16-Room 203 2.04
17-Escorted to the Bright Lights 2.56
18-You'll See The Way
You Saw Before 2.57
19-A New Path 1.51
20-Little Blue Flowers 3.05
21-Darkly Mix 3.39*
22-Call Sign/Aleph 4.28**

*Interprété par Jack Dangers
**Interprété par DJ Spooky.

Musique  composée par:

Graham Reynolds

Editeur:

Lakeshore Records LKS 33863

Album produit par:
Graham Reynolds

Artwork and pictures (c) 2006 Warner Independent Pictures WIP. All rights reserved.

Note: ***
A SCANNER DARKLY
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Graham Reynolds
Adaptation cinématographique du roman autobiographique de Philip K. Dick (rebaptisée « Substance Mort » en VF), « A Scanner Darkly » nous propose une incursion troublante dans l’univers de la drogue et des toxicomanes - un sujet que l’auteur de la nouvelle d’origine connaît bien. Réalisé par Richard Linklater, le film met en scène Keanu Reeves dans l’Amérique de 2013. L’acteur y interprète le rôle de Bob Arctor, un policier membre de la brigade des stupéfiants, infiltré dans le milieu des toxicomanes. Bob est chargé d’enquêter et de démanteler un trafic de Substance D, une drogue alors très à la mode, fabriquée à partir d’une fleur bleue, et qui a envahit l’ensemble du territoire américain. Bob Arctor - qui travaille sous le nom de code « Fred » - vit dans une petite maison d’Anaheim en Californie, avec deux colocataires, tous accrocs à la Substance D : Ernie Luckman (Woody Harrelson) et James Barris (Robert Downey Jr.). Le problème pour Bob, c’est qu’il est devenu lui-même accroc à cette drogue, à tel point qu’il finit par perdre la notion de réalité et ne sait plus qui il est réellement : un toxicomane ou un agent infiltré ?

Présenté en 2006 au 59ème Festival de Cannes dans la catégorie « Un Certain Regard », « A Scanner Darkly » a très vite fait une forte impression auprès du public, en particulier grâce à sa photographie originale proche du cinéma d’animation : effectivement, tous les acteurs ont été filmés en numérique, tandis que les prises de vues obtenues ont été entièrement retouchées en rotoscopie (les images sont transformées en dessins) par le biais d’un programme d’animation baptisé Rotoshop. Avec un visuel artistiquement fort et original, « A Scanner Darkly » est une plongée étonnante et quasi psychédélique dans le monde de la drogue, de l’addiction et de la perte identitaire, avec, comble de l’originalité, des tenues de camouflage pour les policiers qui prennent l’apparence de différents êtres humains, un effet de morphing étonnant et assez inédit au cinéma (et qui renforce davantage l’idée de la perte d’identité). Fort de ses trouvailles visuelles, le réalisateur Richard Linklater nous offre une sorte de kaléidoscope visuel troublant et singulier, baignant dans une atmosphère paranoïaque saisissante, surtout lorsque le récit vire au mauvais trip (cf. la séquence du VTT vers le milieu du film). Le film reste aussi très fidèle au roman de Philip K. Dick et nous propose ainsi de partager l’expérience terrifiante de l’enfer de la drogue sans jugement ni parti pris : une photographie aux limites du cinéma d’animation et des mouvements en légère distorsion suffisent à reproduire l’essence même du roman d’origine. Keanu Reeves reste égal à lui-même dans son double rôle de Bob Arctor/Fred, face à un casting plutôt halluciné, Robert Downey Jr. et Woody Harrelson en tête de liste, sans oublier la charmante Winona Ryder, dans un rôle à contre-emploi. Dommage cependant que le scénario s’avère être quelque peu confus, et que le rythme du film reste parfois un peu trop lent - à la limite de l’ennui.

C’est le compositeur Graham Reynolds qui signe la musique de ce film au visuel quelque peu atypique. Le musicien est plus connu pour son groupe « Golden Arm Trio » (en réalité, un faux groupe, car Reynolds y est en solo !), ses compositions classiques (cinq symphonies, des quatuors à cordes, etc.) ainsi que son travail pour le théâtre. Sa musique pour le film « A Scanner Darkly » révèle d’emblée une inventivité étonnante et un sens de l’expérimentation qui ne pouvait que convenir au film de Richard Linklater. Ainsi donc, dès l’introduction du film, la musique s’impose par son côté atmosphérique, abstrait et troublant dans « 7 Years From Now », mélangeant ainsi nappes synthétiques sombres et thème de violoncelle soliste. Dans « Aphids », Graham Reynolds illustre une première scène d’hallucination liée à la drogue au début du film par le biais d’un fourmillement sonore extrêmement étrange et dérangeant (évoquant le grouillement des insectes fictifs sur le personnage de Rory Cochrane au début du film), et d’un rythme de batterie pop/électro assez détonnant. A vrai dire, la musique évolue clairement vers une certaine abstraction expérimentale illustrant parfaitement à l’écran le climat troublant et inquiétant du film. Même dans ces moments plus calmes, la musique conserve ce côté expérimental et déjanté assez troublant, comme dans « Swallowed Up in Victory » ou les accents hawaïens décalés de « Strawberry Pie ». La musique évoque clairement ici l’idée du « bad trip » des drogués et semble s’affranchir des conventions musicales hollywoodiennes habituelles avec une malice et une inventivité constante.

Dans « The Dark World Where I Dwell », la musique devient plus nuancée en utilisant des cordes sombres avec un vibraphone et des sonorités électroniques plus pesantes. Le morceau reprend ici le thème principal au vibraphone et au violoncelle avec une certaine chaleur humaine très rapidement tempérée par l’intrusion soudaine de l’électronique. La musique conserve ce caractère instable et déstabilisant, comme si elle semblait vouloir exploser à n’importe quel moment, de manière imprévisible. Impossible de ne pas ressentir le malaise suggéré par le film dans l’expérimental « Sex, Beer and Pills » et son utilisation très étrange de la batterie et des textures électroniques étranges sur fond de guitares électriques et de cordes. Les sonorités semblent totalement désaxés, quasi désordonnés, même si Graham Reynolds conserve malgré tout une structure musicale claire et précise - évitant ainsi toute forme de cacophonie avec une certaine justesse ! Le piano et le violoncelle de « A Farm Near the Mountains » apportent un peu de chaleur et d’intimité, tandis que « Bug-Bite Squared » rappelle l’univers de folie et d’hallucinations des toxicomanes du film avec des sonorités décalées et déjantée : les amateurs de bizarrerie musicale seront aux anges avec ce genre de morceau psychédélique qui semblent avoir été composés sous influence de stupéfiants ! Cette impression se confirme largement dans l’étrange « Do You Like Cats », « Part of the Plan » et « Abrasocaine », alors qu’un morceau comme « A Scanner Darkly » reprend le thème principal associé au personnage de Keanu Reeves dans le film avec une certaine inimité plus sobre et touchante, évoquant les doutes et les tourments intérieurs de Bob Arctor/Fred.

Amateurs de musiques psychédéliques étranges, grotesques et déjantées, attendez d’écouter le magma sonore troublant de « Are You Experiencing Any Difficulties ? » ou les accents free-jazz/rock/électro complètement abstraits de « Your Move, Peterbilt » ! Graham Reynolds refuse donc les conventions hollywoodiennes habituelles et opte définitivement pour une musique oscillant entre expérimentations psychédéliques déjantées et passages plus intimistes et nuancés, reflétant à la fois les pensées intérieures du personnage principal de Keanu Reeves et l’idée de la paranoïa et de la perte d’identité. Les expérimentations sonores étranges de « Escorted to the Bright Lights » ou le lyrisme inattendu de « Little Blue Flowers » apportent une force remarquable à la musique de Graham Reynolds sur les images de Richard Linklater. La musique reflète parfaitement les conséquences désastreuses de la drogue sur le psychisme humain et illustre avec brio les péripéties de Bob Arctor et de ses compagnons de mésaventure. Partition abstraite et audacieuse mélangeant différents styles musicaux avec une certaine complexité (électro expérimental, classique, free jazz, rock, etc.), la musique de « A Scanner Darkly » est une bien belle réussite qui, sans laisser pour autant un souvenir impérissable, devrait ravir les amateurs de musiques atypiques hors normes, à la limite de l’inclassable. Graham Reynolds manipule les sonorités avec une inventivité telle qu’il parvient à retranscrire parfaitement l’univers si particulier du film de Richard Linklater. Voilà en tout cas un score assez original et audacieux, une curiosité à découvrir en même temps que le film !



---Quentin Billard