1-Variations on and Old
Baptist Hymn 3.05
2-Stump Meets Cobb 1.50
3-Cooperstown Aria (Part 1) 1.43
4-Nevada Nightlight 2.28
5-Reno Ho' (Part I) 2.37
6-Newsreel Mirror 3.26
7-Meant Monk 2.17
8-Cooperstown Aria (Part 2) 2.00
9-Winter Walk 1.11
10-Hart and Hunter 1.16
11-Georgia Peach Rag 2.29
12-The Baptism 1.30
13-Reno Ho' (Part 2) 2.35
14-The Homecoming 6.18
15-Sour Mash Scherzo 1.09
16-Cobb Dies 1.49
17-The Beast Within 2.24*
18-The Ball Game 3.05**

*From Alien 3
**Interprété par Sister Wynona Carr
Ecrit par Wynona Carr.

Musique  composée par:

Elliot Goldenthal

Editeur:

Sony Classical SK 66923

Musique produite par:
Matthias Gohl
Montage musique:
Dan Carlin
Direction musicale pour Warner Bros:
Gary LeMel, Doug Frank
Producteur exécutif de l'album:
Ron Shelton

Artwork and pictures (c) 1994 Warner Bros. Productions Ltd. All rights reserved.

Note: ****1/2
COBB
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Elliot Goldenthal
Réalisé par Ron Shelton en 1994, « Cobb » met en scène l’excellent Tommy Lee Jones dans la peau de Ty Cobb, un joueur de baseball professionnel réputé pour son tempérament colérique, alcoolique, misogyne, misanthrope, violent, raciste et son comportement extrêmement autoritaire avec son entourage. Le journaliste Al Stump (Robert Wuhl) est alors engagé pour écrire la biographie officielle de Ty Cobb et doit se rendre chez lui dans sa maison de Lake Tahoe pour y rencontrer l’ancienne star du baseball. Le journaliste va très vite découvrir la face cachée d’un Ty Cobb vieillissant et agonisant. Al et Cobb prennent alors la route et traversent une bonne partie du pays afin de se rendre à une convention du Baseball Hall of Fame réunissant quelques grands noms du baseball américain à Cooperstown, New York. Cobb en profite aussi pour se rendre en Géorgie afin de revoir une dernière fois sa fille avec laquelle il a perdu tout contact depuis des années. Après avoir passé beaucoup de temps auprès de Cobb durant leur périple, Al Stump se retrouve alors partagé entre l’écriture du livre que Cobb veut et l’envie du journaliste d’y raconter toute la vérité. Le film de Ron Shelton s’inspire ainsi de l’histoire vraie de Ty Cobb, légende du baseball américain, décrit ici sous un angle plutôt subversif et corrosif, avec un Tommy Lee Jones formidable comme à l’accoutumée - qui occupe quasiment toute la place dans le film, tant son personnage est d’une densité rare, un véritable numéro d’acteur. Evidemment, le personnage de Ty Cobb est un être perfide et détestable, et le réalisateur nous le fait clairement comprendre sans équivoque. On regrettera cependant le côté parfois lourdingue et un brin fatiguant de l’interprétation peu nuancée de Tommy Lee Jones, ainsi qu’un parti pris quelque peu curieux, celui de ne quasiment pas évoquer le passé de joueur de baseball de Cobb (en dehors des 10 premières minutes du film !), hormis deux ou trois scènes mineures dans le film. Voilà en tout cas un film d’acteur pur, entièrement porté par la performance parfois extrême de Tommy Lee Jones, qui réussit même à éclipser les autres acteurs du film.

La musique d’Elliot Goldenthal reste, avec l’interprétation hallucinée de Tommy Lee Jones, un autre élément majeur du film de Ron Shelton. Le caractère complexe et tendu du film a permis à Goldenthal de nous offrir une partition à la fois complexe, subtile et nuancée, à la fois sombre et mélodique, pour mieux retranscrire à l’écran la personnalité volcanique et torturée de Ty Cobb. Elliot Goldenthal explique comment il a envisagé l’approche musicale du score de « Cobb » : « L’approche classique et scientifique de Ty Cobb pour le baseball cohabitait et s’opposait en même temps avec la manière irrationnelle et quasiment transcendantale avec laquelle il s’abandonnait pleinement dans le jeu. Ces forces qui s’opposaient en lui m’ont offert la clé pour composer le score : une composition comme une collision. »

C’est ainsi que Goldenthal a eu l’idée d’inclure dans sa musique des variations autour d’un vieil hymne baptise que Cobb entendit dans sa jeunesse, et que le compositeur incorpore ici dans sa partition afin de mieux retranscrire la dualité complexe du personnage : ainsi donc, Goldenthal lui-même interprète le début des paroles de l’hymne religieux en forçant quasiment la voix à la limite du crié, une manière peu naturelle d’interpréter un chant religieux de ce répertoire du gospel, s’opposant à l’accompagnement orchestral plus classique d’esprit, et qui coïncidence à la perfection avec la personnalité violente et explosive de Cobb dans le film. Ainsi donc, comme l’expliquait le compositeur un peu plus haut, la clé de la partition de « Cobb » réside avant tout dans cette idée de forces qui s’opposent constamment, des contraires qui se mélangent de façon tumultueuse et quasi anarchique, comme le suggère d’emblée « Variations on an Old Baptist Hymn », sans aucun doute le morceau-clé de la partition de « Cobb ». Autre élément majeur du score d’Elliot Goldenthal, le superbe « Georgia Peach Rag », qui nous propose un ragtime traditionnel et modéré mixé de façon lointaine, auquel vient se greffer par-dessus un orchestre avant-gardiste plus violent et anarchique. On entend d’ailleurs clairement dans le film ce style de morceau pour la séquence où Cobb fonce à toute vitesse en voiture dans la neige vers le début du film, n’hésitant pas à mettre sa vie en danger et celle de son passager, Al Stump. Il règne dans « Georgia Peach Rag » une espèce de folie orchestrale enragée et agressive typique des musiques plus avant-gardistes de Goldenthal (on pense ici à certains passages dissonants et agressifs de « Interview With The Vampire »). Fidèle à son goût pour des orchestrations extrêmement complexes et des effets instrumentaux avant-gardistes très recherchés (inspirés de la musique savante contemporaine du 20ème siècle), Goldenthal révèle dans des morceaux comme « Georgia Peach Rag » toute la violence et la passion qui hante le personnage de Tommy Lee Jones dans le film, avec ici aussi cette idée de forces qui s’opposent, de choc des esthétiques musicales, de clash des styles, avec le vieux ragtime lointain (souvenir de jeunesse de ce natif de Géorgie) et la puissance atonale et chaotique de l’orchestre (l’homme violent et agonisant que Cobb est aujourd’hui devenu), une esthétique de superposition complexe que n’aurait certainement pas renié un Charles Ives.

Dans « Stump Meets Cobb », Goldenthal évoque la première rencontre entre Cobb et Stump avec un développement du thème baptiste au sein d’orchestrations plus mouvantes et plus rythmées. Goldenthal inclut ici un violon soliste dont les traits rapides et virtuoses évoquent clairement le répertoire de la musique baroque, un effet déjà entendu vers la fin de « Alien 3 » et dans certaines mesures de « Interview With The Vampire ». Soucieux de nuancer constamment son propos pour mieux refléter la personnalité labyrinthique et complexe de Ty Cobb, Goldenthal change totalement de registre dans « Cooperstown Aria (Part I) » où il nous offre un morceau poignant et déchirant pour cordes, servi par un romantisme wagnérien de toute beauté, un lyrisme classique et crépusculaire clairement influencé par le répertoire des derniers opéras de Wagner (on pense ici au fameux final du « Tristan & Isolde »). Avec cet adagio pour cordes d’une grande beauté, Goldenthal offre une autre facette saisissante de son portrait musical du personnage de Ty Cobb, révélant la partie plus humaine du personnage derrière son côté ordurier et détestable. Le thème de cet adagio (inspiré de l’hymne baptiste) est d’ailleurs repris dans « Nevada Nightlight » pour une très belle version jazzy assez savoureuse (cf. le bref mais excellent « Meant Monk »), et c’est dans « Reno Ho’ (Part I) » et « Reno Ho’ (Part II) » que l’on retrouve un Goldenthal plus familier, un scherzo frénétique proche d’un certain néo-classicisme orchestral (des traits de cordes à la Beethoven) agrémenté de cuivres massifs et de percussions frénétiques et violentes typiques du compositeur - une autre évocation saisissante de la violence tumultueuse qui hante le personnage de Tommy Lee Jones, toujours au bord de la folie. La musique bascule même dans le suspense glauque et atmosphérique pour l’atonal et oppressant « Newsreel Mirror » que l’on croirait sorti tout droit du score de « Alien 3 » - et qui mélange orchestre dissonant avant-gardiste et ragtime rétro dans la lignée de « Georgia Peach Rag ».

A ce sujet, l’influence du chef-d’oeuvre de Goldenthal est on ne peut plus évidente dans le film de Ron Shelton, puisque ce dernier a carrément demandé au compositeur de réadapter un morceau du score de « Alien 3 », « The Beast Within », que le musicien transpose ici dans l’univers sombre et violent de la musique de « Cobb » - si l’on ne savait pas que le morceau provient d’un précédent score d’Elliot Goldenthal, l’illusion serait vraiment parfaite, tant cette pièce semble être particulièrement à sa place dans la partition de « Cobb » et du film de Ron Shelton. Quelques passages plus apaisés comme « Winter Walk » et « Hart and Hunter » tentent d’apporter un peu de calme à la musique de Goldenthal, mais ce sont des passages comme « The Baptism » (qui reprend le thème principal religieux dans une très belle version orchestrale) qui s’imposent ici par leur puissance orchestrale et leur évocation complexe et passionnante de la personnalité complexe de Cobb. Difficile aussi de ne pas succomber à la poésie lyrique et au charme du somptueux « The Homecoming », à mi-chemin entre le lyrisme de Wagner et le romantisme de Mahler, pour la séquence où Cobb revient en Géorgie pour y retrouver sa fille. On appréciera aussi l’excellent mais trop bref « Sour Mash Scherzo » avec ses traits de cordes rapides pour une scène de baseball au début du film, sans oublier le poignant « Cobb Dies » évoquant la mort du vieux grincheux à la fin de l’histoire, une sorte d’adagio émouvant reprenant une dernière fois le thème principal à la trompette sur fond de cordes chaleureuses et latentes - le tout ponctué de quelques coups lointain des percussions, pour rappeler une dernière fois l’impact de Cobb sur son entourage, un impact qui se fera même encore ressentir après sa mort, lorsque Al Stump décidera enfin d’écrire la biographie à la hauteur de l’homme et du mythe.

« Cobb » reste au final une partition riche et complexe d’Elliot Goldenthal, une musique qui, bien que n’apportant rien de neuf à l’univers musical du compositeur de « Alien 3 », témoigne encore une fois de l’immense savoir-faire de l’un des plus talentueux musicien américain d’aujourd’hui - grand héritier de la musique de John Corigliano. Alternant les styles et les ambiances avec une aisance rare, Goldenthal illustre avec brio ce portrait sans concession d’une légende du baseball américain devenu une sorte de monstre violent et anarchique. La musique est d’ailleurs à l’image même du personnage de Tommy Lee Jones dans le film : agressive, torturée, profonde, complexe, ambiguë, et finalement plutôt attachante, surtout dans ces quelques passages au lyrisme wagnérien plus poignant, révélant la nature humaine enfouie au plus profond du vieil alcoolique misanthrope et colérique. En jouant la carte des forces qui s’opposent et du clash des styles (le ragtime contre la musique atonale et violente de « Georgia Peach Rag »), Elliot Goldenthal nous offre au final une partition extrêmement intense et audacieuse, une oeuvre à la fois classique et avant-gardiste d’une grande richesse, un score virtuose et profond parfaitement adapté au film de Ron Shelton, à ne rater sous aucun prétexte !




---Quentin Billard