1-Opening Theme 2.01
2-Souzaburoh 2.04
3-Taboos 2.09
4-In Bed 2.08
5-Execution 2.48
6-Match 3.56
7-Gate 2.09
8-Temple 0.49
9-Suggestion 2.07
10-Affair 2.48
11-Murder 6.17
12-Supper 7.14
13-Funeral 2.13
14-Persuasion 3.46
15-Prostitue 2.44
16-Assassination 1.22
17-Duty 1.38
18-Ugetsu 3.54
19-Killing 3.06
20-End Theme 5.00
21-Gohatto-Piano Version 4.32

Musique  composée par:

Ryuichi Sakamoto

Editeur:

Milan Records 35928-2

Album produit par:
Ryuichi Sakamoto

(c) 1999 Oshima Productions. All rights reserved.

Note: ***
GOHATTO
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Ryuichi Sakamoto
Cinéaste japonais sujet à de nombreuses controverses en raison des messages politiques provocateurs ou transgressif de certains de ses films (« L’empire des sens »), Nagisa Oshima signa en 1999 son dernier long-métrage, « Gohatto » (Tabou), film torturé et troublant évoquant le tabou de l’homosexualité dans le milieu des samouraïs japonais à la fin du 19ème siècle, en pleine ère du bakumatsu. L’histoire suit le parcours de Sozaburo Kano (Ryuhei Matsuda), jeune androgyne qui vient tout juste de faire son entrée dans la milice de samouraïs Shinsen Gumi. L’arrivée de Sozaburo provoquera des réactions tellement vives qu’elle donnera lieu à une série de crimes, de suspicions, de jalousies et de meurtres. « Gohatto » vaut avant tout par sa mise en scène élégante et son casting de qualité, incluant Tadanobu Asano et un Takeshi Kitano parfait dans le rôle du vice-commandant Toshizo Hijikata. Mais la palme revient avant tout au jeune Ryuhei Matsuda, qui campe un androgyne pâle, mélancolique et inquiétant, objet de tous les désirs masculins dans le film. Fidèle à son goût pour les sujets tabous, provocateurs et sulfureux, Nagisa Oshima - réalisateur du célèbre « Furyo » - nous livre ici une véritable enquête policière sur fond de tabou de l’homosexualité masculine dans un univers clos, celui des samouraïs japonais du 19ème siècle. Dommage cependant que le film perde un peu de son intérêt sur la longue, et finisse par devenir assez répétitif et quelque peu hermétique dans sa façon de traiter son sujet - hormis une séquence finale quasi onirique filmée avec une certaine beauté.

Nagisa Oshima a de nouveau fait appel aux services du célèbre compositeur japonais Ryuichi Sakamoto pour « Gohatto », le musicien ayant déjà signé la partition d’un ancien film célèbre du réalisateur, « Furyo » (1983). Pour « Gohatto », Sakamoto nous livre une partition orchestrale à la fois sombre, mystérieuse et sensuelle. Fidèle à son goût pour la musique électronique, le compositeur nippon incorpore à sa partition une série de synthétiseurs et autres loops électro en tout genre et utilise une petite formation à cordes avec un piano pour parvenir à ses fins. L’approche résolument minimaliste de la musique est l’atout majeur de la composition de Sakamoto. Son score repose avant tout sur un thème principal mystérieux et envoûtant associé à Sozaburo dans le film, un thème qui évoque à la fois le côté inquiétant du jeune androgyne et l’attirance qu’il provoque chez les autres hommes. Dans « Gohatto-Opening Theme », le compositeur dévoile ce thème sur fond de synthétiseurs étranges et un brin abstraits, avec un piano et quelques cordes. A noter ici l’utilisation d’un sample électro évoquant le son d’une horloge, renforçant le côté entêtant et obsédant de la musique. Dans « Souzaburoh », Sakamoto réutilise le thème sur fond de sonorités électroniques évoquant ici le son d’une fontaine. C’est dans cette utilisation de bruitages que la partition de Sakamoto marque un point, l’approche résolument bruitiste du compositeur apportant quelque chose de particulier à sa partition. Le thème reste quand à lui très présent, mystérieux, lent et inquiétant à la fois. A noter ici l’utilisation de quelques sonorités rappelant l’univers des samouraïs (flûtes en bambou, percussions boisées, etc.).

La musique illustre alors un sentiment de doute et d’inquiétude dans « Taboos », avec son mélange de bruits et de sonorités électroniques étranges. Ici aussi, l’approche minimaliste voulue par le compositeur crée une sensation très particulière à l’écran, une sensation de temps suspendu, une sorte d’inquiétude sous-jacente, largement véhiculée ici par des sonorités synthétiques étranges - à la limite du répertoire de la musique concrète des années 50. Le thème est à nouveau joué par un violon mystérieux dans « In Bed », où l’idée de l’attirance fatale transparaît plus clairement à travers le son froid et totalement dépourvu de vibrato du violon - idéal pour illustrer le visage extrêmement pâle et mélancolique du jeune Sozaburo dans le film. Dans « Execution », Ryuichi Sakamoto évoque les dégâts que cause la beauté envoûtante de Sozaburo autour de lui avec un travail de sonorités électroniques et de bruitages assez étrange et dérangeant. Quelques sonorités métalliques pourraient ici faire penser à l’univers de la musique japonaise traditionnelle, mais fort heureusement, le compositeur a été suffisamment malin pour éviter le cliché facile de la shakuhachi et autres instruments nippons d’usage. En optant pour une certaine abstraction sonore proche de l’expérimentation, Sakamoto apporte une atmosphère très particulière aux images du film de Nagisa Oshima (avec « Execution », on n’est guère loin par moment du travail du compositeur Akira Yamaoka sur la série de jeux vidéos « Silent Hill »).

Plus l’histoire avance, et plus la musique révèle son caractère sombre, entêtant et mystérieux, qu’il s’agisse du sombre « Match », d’un « Gate » plus obscur (teinté de bruitages divers) ou de l’inquiétant « Suggestion » et ses expérimentations sonores intéressantes autour des sonorités de la musique japonaise traditionnelle. Dans « Affair », Sakamoto évoque les premières liaisons charnelles entre le jeune Sozaburo et d’autres hommes de la milice de samouraïs. Le thème de piano devient ici particulièrement obsédant, envoûtant et inquiétant - soutenu par ces sonorités proches du son d’une fontaine. Et dans « Murder », la folie des hommes se révèle enfin avec une série d’expérimentations sonores totalement abstraites et chaotiques, une sorte d’anarchie sonore angoissante qui devrait ravir les amateurs de musiques expérimentales atypiques qui sortent un peu de l’ordinaire. Dans « Supper », Sakamoto fait référence à la musique vocale japonaise traditionnelle tandis que son mystérieux « Funeral » joue sur les sonorités métalliques avec brio. Le score devient même plus dissonant dans l’étrange « Prostitute » où naît un sentiment de trouble et de malaise profond, tout comme le sinistre « Assassination » ou l’inquiétant « Duty », porteur d’un véritable suspense glacial à l’écran. Sakamoto poursuit alors ses abstractions sonores dans « Ugetsu » et le chaotique « Killing » pour une autre scène de meurtre vers la fin du film, avant de conclure le film sur une ultime reprise du thème principal dans « Gohatto- End Theme » pour cordes et piano, dans une version similaire à l’ouverture du film, la boucle étant bouclée.

Ryuichi Sakamoto signe donc une partition sombre, obsédante, viscérale et expérimentale pour « Gohatto », une musique assez difficile d’accès qui risquera de se révéler assez hermétique pour plus d’un auditeur. Néanmoins, la musique crée une atmosphère très particulière dans le film et apporte un sentiment de malaise et de trouble avec cette sensualité inquiétante qui pèse sur les reprises entêtantes du thème principal tout au long du film. Mais ce sont les passages plus expérimentaux et bruitistes qui attireront ici notre attention, Sakamoto faisant ici référence aux expérimentations du répertoire de la musique concrète et électro-acoustique du 20 ème siècle. Le compositeur japonais développe ainsi une série d’atmosphères sonores un peu surréalistes et extrêmement étranges, une musique particulièrement abstraite et difficile d’accès, mais qui devrait séduire les inconditionnels de musiques atypiques et anti-conventionnelles.



---Quentin Billard