1-Open Spaces 4.00
2-Future Markets 2.44
3-Prospectors Arrive 4.40
4-Eat Him By His Own Light 3.36
5-Henry Plainview 4.14
6-There Will Be Blood 2.08
7-Oil 3.04
8-Proven Lands 4.49
9-HW/Hope Of New Fields 2.29
10-Stranded The Line 2.20
11-Prospectors Quartet 2.56

Musique  composée par:

Jonny Greenwood

Editeur:

Nonesuch Records 369020-2

Album produit par:
Jonny Greenwood

Artwork and pictures (c) 2007 Paramount Pictures/Miramax Films. All rights reserved.

Note: ****
THERE WILL BE BLOOD
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jonny Greenwood
Drame historique signé du toujours aussi inspiré Paul Thomas Anderson, « There Will Be Blood » est l’adaptation cinématographique du roman « Oil ! » écrit par Upton Sinclair en 1927. Le film raconte l’histoire de Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis), un prospecteur misanthrope à la recherche de pétrole dans l’Amérique de 1902, qui apprend un jour que le sous-sol californien en contient en grande quantité. Plainview se rend alors en Californie en compagnie de son jeune fils et décide d’acheter les terres des fermiers de la région à bas prix. Il doit alors négocier avec la famille Sunday qui habite justement sur ces terres, et plus particulièrement avec le fils, Eli (Paul Dano), jeune prédicateur qui prétend être habité par la voix de Dieu. Les immenses derricks de Plainview tournent alors à plein régime et l’or noir finit par couler à flot, mais les relations entre le prospecteur déterminé et le jeune prophète fanatique de l’église de la « troisième révélation » deviennent particulièrement tendues, alors qu’Eli commence à réclamer l’argent promis par Plainview et qu’il n’a toujours pas reçu. Film complexe et passionnant, « There Will Be Blood » est de toute évidence l’un des meilleurs films réalisé à ce jour par le jeune surdoué Paul Thomas Anderson. Cinq ans après « Punch-Drunk-Love », le cinéaste américain nous livre un film dur, fort et tourmenté entièrement servi par l’interprétation exceptionnelle de Daniel Day-Lewis, qui obtint d’ailleurs l’Oscar du meilleur acteur en 2008 pour sa performance incroyable de Daniel Plainview, un être nauséabond et antipathique aussi égoïste que cruel, un véritable monstre prêt à tout pour parvenir à ses fins, totalement dénué du moindre remord. Face à lui, le jeune Paul Dano convainc tout autant dans le rôle du prédicateur Eli, convaincu d’avoir été investi d’une mission divine. Les deux hommes s’affronteront tout au long du film, entre humiliation, manipulation et charisme dévastateur. Plus qu’un simple film d’acteurs, « There Will Be Blood » (dont le titre annonce clairement la couleur : « il va y avoir du sang ! ») est avant tout l’oeuvre d’un cinéaste passionnant, Paul Thomas Anderson, qui nous offre une mise en scène virtuose et artistiquement forte, un film cruel, démesuré, ambitieux et atypique qui aboutit à quinze dernières minutes de folie pure. L’esthétique visuelle du film et le parti-pris jusqu’auboutiste de la mise en scène et du scénario font de « There Will Be Blood » un grand classique du genre, un long-métrage âpre et dur sur la quête de pétrole et les dérives de la religion, deux armes meurtrières placées entre les mains de personnes sans scrupules, opposant ainsi Daniel Day-Lewis et Paul Dano dans un combat symbolique entre le matériel et le spirituel sur fond de critique grinçante du capitalisme américain et de la quête avide de pouvoir. Rarement aura-t-on vu un film aussi cinglant et virulent dans sa façon - brute - de traiter son sujet sans aucune concession : c’est le pari risqué qu’a su relever haut la main le génial Paul Thomas Anderson. Résultat : « There Will Be Blood » a remporté 2 Oscars en 2008, un Golden Globe, un Ours d’Argent et est très vite devenu le film le plus important de la décennie pour beaucoup de critiques et d’internautes du monde entier.

La musique de « There Will Be Blood » a été confiée à Jonny Greenwood, plus connu pour être le guitariste du groupe Radiohead. Paul Thomas Anderson est un fan de la première heure du célèbre groupe de rock alternatif anglais, et le cinéaste avoue avoir été particulièrement marqué par la musique de Greenwood pour le documentaire « Bodysong » réalisé en 2003 par Simon Pummel. C’est après avoir entendu la pièce symphonique avant-gardiste « Popcorn Superhet Receiver » écrite par Jonny Greenwood en 2004 (pièce écrite pour orchestre, piano et Ondes Martenot) que Paul Thomas Anderson décida de faire appel au compositeur/multi-instrumentiste qui, en plus de son travail en tant que guitariste sur Radiohead, joue aussi du clavier, de l’alto, du xylophone, du glockenspiel, des Ondes Martenot, du banjo, de l’harmonica, de la flûte à bec, de l’orgue et des percussions. Chose rare dans le milieu du rock, Jonny Greenwood a reçu une formation classique qui lui permit de toucher à toute une multitude d’instruments et de s’orienter très vite vers la composition d’oeuvres musicales plus avant-gardistes, un style qu’il aura enfin l’occasion de mettre en pratique dans un film grâce à « There Will Be Blood ». D’abord hésitant, Greenwood finira par se laisser convaincre et signera en l’espace de quelques semaines la musique du long-métrage de Paul Thomas Anderson. La partition orchestrale de « There Will Be Blood » utilise ainsi l’orchestre symphonique traditionnel dans un style hérité de la musique orchestrale savante du 20ème siècle, et plus particulièrement - pour le début du film - de Krzysztof Penderecki, compositeur fétiche de Jonny Greenwood, qui l’inspirera tout particulièrement pour le morceau introductif, « Henry Plainview », impressionnante pièce atonale de 4 minutes entièrement écrite pour cordes, utilisant de lents crescendos et vibratos dissonants inspirés du célèbre « Thrène pour les victimes d’Hiroshima » de Penderecki.

Dans le film, le morceau apporte une tension assez surréaliste à la séquence introductive dans laquelle Plainview prospecte à la recherche de pétrole. La musique crée un suspense inattendu pour un plan introductif de montage déserte, installant très rapidement dans le film une atmosphère âpre, sombre et incisive, constituée de cordes dissonantes et atonales qui s’entrecroisent et semblent même se désaccorder : il se dégage très vite à l’écran ce sentiment de malaise, celui d’être envahi par la chaleur, la sécheresse d’un désert immense et démesuré. Cette approche atonale/avant-gardiste se retrouve aussi dans l’excellent « There Will Be Blood », avec son jeu de cordes aléatoires lui aussi très inspiré de Penderecki mais aussi de Xenakis ou même Gorecki et Messiaen. La musique traduit alors parfaitement à l’écran la détermination aveugle et effrayante de Daniel Plainview et sa quête inexorable de pouvoir, une approche musicale quasi psychologique assez exceptionnelle pour un film de ce genre. Jonny Greenwood étonne donc en faisant preuve ici d’un savoir-faire indiscutable, d’un goût sûr pour l’esthétique savante/contemporaine de la musique symphonique du 20ème siècle. Dans « Open Spaces », Greenwood évoque les grandes études désertiques américaines de 1902 en utilisant les cordes de façon froide, envoûtante et mystérieuse. Il règne ici une certaine singularité dans la composition de Jonny Greenwood qui ne peut être que le fruit d’un artiste engagé, bien éloigné ici du style musical hollywoodien s’usage et plus proche de la musique contemporaine - « Open Spaces » évoque par son côté froid et planant la musique d’Arvo Pärt ou de Bartók - ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si un morceau de Pärt a justement été utilisé dans le film, le fameux « Fratres ».

Soucieux d’éviter le scoring conventionnel image par image, Jonny Greenwood préfère opter ici pour une approche plus libre et globale des images plutôt qu’une synchronisation, composant son score comme une véritable oeuvre musicale à part entière, tout à fait appréciable et écoutable en dehors des images. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le compositeur a parfaitement gagné son pari ici puisque la musique de « There Will Be Blood » s’écoute aussi bien avec que sans les images, chose extrêmement rare pour une musique de film. Le compositeur joue donc ici la carte de la surprise et nous propose une composition étonnamment authentique, comme c’est le cas pour « Future Markets » et son utilisation impressionnante de staccatos de cordes et de pizzicati aux rythmes syncopés, rappelant clairement Béla Bartók, avec un motif récurrent dans le film évoquant l’idée de la prospection et de la quête de nouveaux marchés, tout en suggérant clairement la rage intérieure et mégalomane qui hante le personnage de Daniel Day-Lewis dans le film. A noter que « Open Spaces » utilise quelques notes d’Onde Martenot, instrument fétiche du compositeur, et qui apporte ici une couleur particulière et discrète à ce morceau dominé par un motif entêtant de deux notes ascendantes de cordes (le tout sur fond d’harmonies de cordes rappelant là aussi Messiaen et Bartók). Dans « Prospectors Arrive », Greenwood utilise le piano, l’alto et les Ondes Martenot pour parvenir à ses fins, un morceau à la fin sombre, étrange et mélancolique, incroyablement réussi. Dans « Eat Him By His Own Light », la musique devient alors plus libre et possède sa propre vie intérieure, avec son esthétique empruntée au répertoire de la musique de chambre du 20ème siècle, rappelant les quatuors de Ligeti ou ceux d’Alfred Schnittke, avec son quatuor à cordes et son piano ici aussi très proche des modes de Bartók ou de Messiaen, autant de références qui servent le propos du compositeur sur le film de Paul Thomas Anderson. Les auditeurs plus attentifs reconnaîtront dans « Eat Him By His Own Light » une reprise plus lente du thème de cordes de la prospection de « Future Markets ».

A l’écran, la musique véhicule cette ambiance à la fois étrange et originale, une approche assez libre et inattendue de l’image, prouvant ainsi que la composition pour le cinéma peut être aussi s’affranchir des conventions lorsque deux grands artistes sont sur la même longueur d’onde. La quête du pétrole devient alors le sujet de l’étrange et envoûtant « Oil », qui fait référence lui aussi à la musique de chambre du 20ème siècle avec son quatuor à cordes froid et distant aux notes langoureuses, mélancoliques et froides, à l’image du personnage de Daniel Day-Lewis, qui semble avoir perdu son âme au cours de sa quête de pouvoir et de suprématie. « Oil » véhicule par la même occasion une sorte de lyrisme étonnant qui vient contrebalancer la noirceur du reste de la partition. A ce sujet, impossible de passer sous silence le superbe « Proven Lands », avec son utilisation remarquable de pizzicati et d’effets de col legno de cordes (on frappe les cordes de l’instrument avec le bois de l’archet). Ici aussi, Jonny Greenwood évoque la personnalité bouillonnante et furieuse de Daniel Plainview dans le film avec une utilisation plus agressive, percussive et répétitive des cordes qui deviennent alors ici des instruments à percussions à part entière en s’affranchissant de tout élément mélodique ou même harmonique : astucieux et très recherché ! Le lyrisme de « Oil » revient dans « Hope Of New Fields », où les harmonies du quatuor à cordes deviennent plus ambigües, à l’image des deux protagonistes principaux du film. Il règne dans la musique de Greenwood cette même fascination et cette même ambigüité que l’on ressent pour les deux charismatiques protagonistes de l’histoire : le pionnier de l’or noir et le fanatique religieux. Dans « Stranded The Line », Greenwood étonne encore et utilise des cordes en harmonique suraigües pour un résultat plutôt étrange et surprenant, avec des harmonies tourmentées et torturées héritées là aussi de la musique de chambre atonale du 20ème siècle. Enfin, le quatuor à cordes revient une dernière fois dans l’impressionnant « Prospector’s Quartet » qui reprend une dernière fois le thème plus mélancolique et lyrique de la prospection pour une coda plus agitée.

« There Will Be Blood » est donc au final une partition tout bonnement inattendue et assez exceptionnelle pour un film de ce genre. Sans être révolutionnaire dans la forme, l’approche musicale de Jonny Greenwood est plus intéressante sur le fond, optant pour un parti pris assez unique, celui de composer relativement librement sur les images du film de Paul Thomas Anderson. Le résultat est extrêmement surprenant et déroutant : la musique possède sa propre vie sur les images et apporte une atmosphère étrange et décalée au film d’Anderson sans jamais trahir pour autant les ambitions artistiques et musicales du compositeur. Eprouvante dans le film comme sur l’album, la musique de « There Will Be Blood » a tout pour être l’une des plus belles musiques de film de l’année 2008, une formidable découverte pour un compositeur talentueux et plein de promesse, qui, on l’espère, continuera d’oeuvrer pour le cinéma avec ce même souci d’authenticité et cette même ambition musicale passionnante et passionnée !



---Quentin Billard