1-O Mistress Mine 3.05*
2-High Day Two-Step 2.07
3-Alchemical Lightshow 2.30
4-Full Fathom Five 4.14**
5-Hell Is Empty 4.39
6-Brave New World 2.50
7-Admired Miranda 1.29
8-Ariel Swarm 0.52
9-Where the Bee Sucks 1.56***
10-Rough Music 3.10
11-Lava Dogs 0.38
12-Prospera's Coda 7.22+

*Interprété par Reeve Carney
Ecrit par Elliot Goldenthal
Paroles de William Shakespeare
**Interprété par Ben Whishaw
Ecrit par Elliot Goldenthal
Paroles de William Shakespeare
***Interprété par Ben Whishaw
Ecrit par Elliot Goldenthal
Paroles de William Shakespeare
+Interprété par Beth Gibbons
Musique de Elliot Goldenthal
Paroles de William Shakespeare.

Musique  composée par:

Elliot Goldenthal

Editeur:

Zarathustra Music ZAR-7040-2

Album produit par:
Elliot Goldenthal

Artwork and pictures (c) 2010 Miramax Films. All rights reserved.

Note: **1/2
THE TEMPEST
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Elliot Goldenthal
Pour son nouveau long-métrage, la réalisatrice Julie Taymor adapte à nouveau une pièce de William Shakespeare à l’écran, « The Tempest », version 2010. La cinéaste reprend les grandes lignes de l’oeuvre originelle avec quelques modifications, et de nombreux effets spéciaux rendant le récit plus moderne et plus proche de notre époque - à l’instar de l’anachronique et somptueux « Titus » (1999). A l’inverse de la pièce initiale, le héros Prospero devient Prospera dans la version de Julie Taymor, brillamment interprétée par l’excellente Helen Mirren. L’histoire reste quand à elle quasiment inchangée : Prospera, duchesse de Milan, a été trahie par son frère Antonio et bannie avec sa jeune fille Miranda sur un radeau. Mais Prospera et Miranda (Felicity Jones) survivent et débarquent sur une île déserte lointaine, dont l’unique habitant est le monstre Caliban (Djimon Hounsou), qui deviendra rapidement l’esclave de Prospera. 12 ans plus tard, Alonzo (David Strathaim), roi de Naples, navigue sur les eaux alors que son bateau est soudainement la proie d’une terrible tempête déclenchée par les pouvoirs magiques de Prospera, devenue magicienne sur son île déserte. Le navire d’Alonzo s’échoue alors sur les rivages de l’île. Le roi de Naples est accompagné de son fils Ferdinand et d’Antonio (Alfred Molina), le frère qui a trahi Prospera et l’a forcé à s’exiler du royaume pour prendre sa place de façon illégitime. Aidée de l’esprit de l’air, Ariel, et de sa fille Miranda, Prospera va faire subir une série d’épreuves aux survivants du naufrage afin de se venger de ceux qui l’ont trahis autrefois. « The Tempest » reste une adaptation plutôt réussie mais sans grand éclat de la pièce de Shakespeare : si le texte original est entièrement conservé, l’action, elle, est parsemée d’effets spéciaux souvent ratés et d’une certaine laideur assez invraisemblable : voir un film de 2011 d’une telle envergure avec des effets numériques aussi vulgaires et bâclés est plutôt rare de nos jours, mais c’est malheureusement le cas dans « The Tempest ». Julie Taymor réunit un casting prestigieux autour de cette intrigue de vengeance et de rédemption (la superbe Helen Mirren, mais aussi Alfred Molina, Felicity Jones, Russel Brand, Djimon Hounsou, Chris Cooper, Alan Cumming, David Strathairn, Ben Whishaw, etc.), tout en conservant l’approche théâtrale de la pièce d’origine : l’action reste donc mise au retrait, privilégiant davantage les réflexions et les sentiments des personnages, même si la cinéaste réussit à tirer partie des superbes décors sauvages de l’île de Prospera. C’est peut être là que le bat blesse, car à trop vouloir conserver l’approche théâtrale, « The Tempest » hésite constamment entre deux genres et perd finalement tout l’intérêt et le potentiel d’une adaptation cinématographique – en dehors de quelques effets spéciaux parfois spectaculaires (les chiens de lave que lâche Prospera sur ses victimes) et parfois complètement ratés (la scène où Ariel déchaîne ses forces infernales) – Du coup, le film ne décolle vraiment jamais, et ne parvient jamais vraiment à nous captiver, tout le contraire du coup de maître de « Titus » en somme ! Autre problème : le look totalement improbable et bâclé de Caliban, pourtant décrit dans la pièce de Shakespeare comme un monstre représentant la terre, la violence et la mort. Djimon Hounsou manque de crédibilité dans ce rôle-clé de « The Tempest », et son costume en terre cuite ne fonctionne vraiment pas et paraît incroyablement factice et surfait. Au final, on ne retiendra donc pas grand chose de cette adaptation laborieuse et inégale de « The Tempest » (en dehors d’une interprétation solide d’Helen Mirren et du reste du casting), une déception qui, malgré ses quelques touches de fantaisie - une musique volontairement anachronique et décalée, des effets spéciaux modernes, Prospero qui devient Prospera - ne parvient pas à nous captiver véritablement : on attendait pourtant mieux de la part de la talentueuse Julie Taymor, qui nous a pourtant déjà habitué à mieux !

« The Tempest » marque encore une fois les retrouvailles entre Julie Taymor et Elliot Goldenthal, après le téléfilm « Fool’s Fire » en 1992, « Titus » (1999), « Frida » (2002) et la récente comédie musicale survitaminée « Across The Universe » (2007) rythmée par les tubes des Beatles. Comme pour « Titus », Elliot Goldenthal délaisse l’approche orchestrale/classique habituelle sur « The Tempest » et nous livre une musique fantaisiste et personnelle inspirée à la fois du théâtre, de la comédie musicale et de ses propres expérimentations musicales passées. A vrai dire, la musique de « The Tempest » vaut surtout pour sa façon dont le musicien joue constamment tout au long du film sur le décalage et l’anachronisme, en faisant appel à un style rock/indus inattendu et totalement non conventionnel dans un long-métrage de ce genre – un peu comme le compositeur le fit dans « Titus ». Dès lors, la musique de « The Tempest » bouscule toutes les habitudes et bascule à plus d’une reprise dans l’expérimental pur et les trouvailles sonores un brin abstraites et anachroniques dans le film : les guitares électriques saturées et les rythmes rock modernes cohabitent ici avec de nombreuses performances vocales éthérées de Ben Whishaw ou de la chanteuse de trip-hop britannique Beth Gibbons pour l’élégie conclusive « Prospera’s Coda ». Le film s’ouvre au son d’une première composition vocale originale de Goldenthal, « O Mistress Mine », servie par la voix éthérée et légère du chanteur/acteur américain Reeve Carney (qui vient tout juste de retrouver Julie Taymor dans sa nouvelle comédie musicale, « Spider-Man : Turn Off The Dark », avec une musique signée Bono et The Edge). La chanson « O Mistress Mine » reprend plusieurs lignes du texte original de Shakespeare que Goldenthal a adapté en musique, une idée intéressante qui renvoie quelque peu à la tradition classique des lieder de Schubert ou des mélodies françaises d’Henri Duparc au 19ème siècle. Elliot Goldenthal a d’ailleurs adapté d’autres passages du texte de la pièce originale dans sa musique de « The Tempest », comme c’est notamment le cas dans « Full Fathom Five », brillamment interprétée par Ben Whishaw (interprète de Ariel dans le film), sur fond de nappes synthétiques sombres et atmosphériques et de notes de guitare saturées et imposantes. Chacune des chansons évoque un sentiment ou un état d’âme d’un des personnages du récit, une approche quasi opératique de la musique probablement inspirée par le passé artistique du compositeur : rappelons qu’il a déjà écrit des opéras et a participé récemment à la comédie musicale « Across the Universe » de sa propre femme, Julie Taymor. La chanson la plus étonnante reste sans aucun doute « Prospera’s Coda », chanson troublante et un peu déconcertante, qui s’étire sur la longueur de façon un peu ennuyeuse, malgré quelques beaux riffs de guitares électriques et la voix élégiaque et plaintive de Beth Gibbons, sans oublier quelques enchaînements harmoniques assez originaux et peu conventionnels.

Le reste du score alterne constamment entre passages atmosphériques sombres et rock expérimental comme c’est le cas dans « High Day Two-Step » avec son thème de guitares électriques quasi psychédéliques et sa batterie agressive et déstructurée (alternant les breaks et les silences). Le morceau évoque l’arrivée des naufragés sur l’île et les pouvoirs magiques de Prospera. Elliot Goldenthal délaisse totalement l’orchestre symphonique habituel ici, et opte davantage pour une approche musicale non conventionnelle et hors des sentiers battus, à des années lumières de ses anciennes musiques hollywoodiennes. « Alchemical Lightshow » utilise par exemple tout un ensemble de sound design et sonorités synthétiques étranges et obscures pour évoquer une atmosphère quasi surréaliste, parsemée de notes de guitare électrique saturée – à noter qu’un morceau du film, absent de l’album, réutilise carrément un sample issu du score de « Alien 3 » - on retrouve le jeu un brin psychédélique des guitares électriques dans « Hell Is Empty », accompagné de quelques arpèges virtuoses de cordes et d’harmonies amples typiques d’Elliot Goldenthal. Le compositeur joue ici sur les effets sonores agressifs et chaotiques des guitares électriques, dans un style rarement entendu au cinéma : l’approche anti-conventionnelle de cet instrument pourtant archi utilisé aujourd’hui dans la musique de film moderne est tout bonnement déconcertante, et typique des préoccupations musicales et artistiques de Goldenthal. « Hell Is Empty » apporte dans le film une ambiance surréaliste et décalée, associée aux pouvoirs de Prospera et aux péripéties des survivants sur l’île. A contrario, la musique se veut plus épurée et apaisée dans « Brave New World », avec ses harmoniques mystérieuses et élégantes de cordes, sans oublier le romantisme minimaliste et extrêmement épuré de « Admired Miranda », pour la romance entre Ferdinand et Miranda dans le film. Goldenthal évoque Ariel dans « Ariel Swarm », où il rappelle le thème de quatre notes de « High Day Two-Step » pour la scène où Ariel déchaîne ses pouvoirs aériens pour terrifier et envoûter Alonzo et Antonio : à noter ici l’emploi particulier des percussions sur fond de walking bass et de saxophones déstructurés, dans un style free-jazz frénétique totalement expérimental, qui n’est pas sans rappeler la partition de « Naked Lunch » d’Howard Shore.

Ceux qui s’attendaient à retrouver le Elliot Goldenthal de « Alien 3 », « Interview with the Vampire » ou « Final Fantasy » seront totalement déconcertés et bousculés par les expérimentations musicales audacieuses et étranges de « The Tempest ». Des morceaux totalement expérimentaux comme « Rough Music » ou le délirant et trash « Lava Dogs » sont de purs moments d’abstraction musicale dans lesquels Goldenthal s’exprime librement, sans aucune contrainte. Mais cette absence de contrainte, pourtant fort délectable au départ, finit par desservir le propos du compositeur : loin d’égaler le génie de « Titus », la musique de « The Tempest » ennuie plus qu’autre chose, car, à l’image du film de Julie Taymor, elle ne décolle jamais vraiment, hormis un ou deux passages plus massifs et déchaînés, mais bien souvent trop brefs pour pouvoir susciter le moindre intérêt de notre part, et ce qu’il s’agisse du film ou de l’album, publié par le label récemment fondé par Elliot Goldenthal lui-même, Zarathustra Music. Si l’utilisation d’un style rock/indus apporte un véritable point de vue musical au film, l’ensemble paraît peu enthousiasmant et sans réelle passion. Goldenthal s’affranchit des conventions habituelles de la musique de film hollywoodienne mais ne parvient pas à retrouver le brio de ses oeuvres passées. Du coup, ses travaux sur « Titus » et « Frida » s’avèrent être largement au dessus du lot, alors que l’on ne retiendra finalement pas grand chose de « The Tempest », hormis quelques passages rock très réussi dans le film (un style auquel Goldenthal s’est déjà essayé partiellement lors d’un morceau de « Alien 3 » ou dans le score de « S.W.A.T. »), et surtout très intéressant dans le décalage qu’ils tentent de créer à l’image. Voilà donc une partition tout à fait déconcertante de la part d’Elliot Goldenthal, une oeuvre musicale indépendante, troublante, inattendue, mais aussi fort décevante, surtout quand on connaît le potentiel créatif du génial compositeur de « Alien 3 » et « Interview with the Vampire ».



---Quentin Billard