Douzième épisode des aventures de James Bond alias 007 avec Roger Moore dans le rôle principal, « For Your Eyes Only » (Rien que pour vos yeux) est sorti en 1981, réalisé par le britannique John Glen, à qui l’on doit de nombreux épisodes de la franchise. Dans ce nouvel opus, la nouvelle mission de Bond consiste à retrouver le tueur cubain Hector Gonzalès qui a dérobé l’ATAC à la suite de la destruction d’un bateau espion britannique en eaux albanaises. L’ATAC est un système top secret de lancement de missiles mis au point par le gouvernement britannique. Si le système tombait entre de mauvaises mains, ce serait une catastrophe pour la Grande-Bretagne. Les services secrets de sa majesté déclenchent alors une opération sous-marine discrète pour tenter de récupérer le précieux appareil, mais les responsables de l’opération, le couple d’archéologues Timothy et Lona Havelock, sont assassinés par Gonzalès, sous les yeux de leur fille Mélina. James Bond (Roger Moore) mène alors son enquête et a pour objectif de retrouver Gonzalès et de récupérer le système ATAC avant qu’il ne soit trop tard. Il sera secondé dans sa mission par Mélina (Carole Bouquet), qui va tout faire pour venger la mort de ses parents, et retrouvera la trace de Gonzalès dans sa villa en Espagne. Grâce aux renseignements de Q, Bond découvrira par la suite l’identité d’un redoutable tueur à gage nommé Emile Leopold Locque (Michael Gothard), et se rendra ensuite en Italie où il fera connaissance avec son nouveau contact, l’homme d’affaires grec Aris Kristatos (Julian Glover). Ce dernier lui apprendra que Locque est employé par Milos Columbo (Topol), un bandit notoire à la tête d’une importante organisation criminelle et ancien partenaire de Kristatos. Accompagné par Mélina, Bond ne sera pas au bout de ses surprises et découvrira rapidement qu’il ne pourchasse pas la bonne cible. « For Your Eyes Only » est un 007 plutôt sympathique mais bien loin d’être le meilleur opus de la franchise. Le film de John Glen alterne action et humour de façon parfois très maladroite, à tel point que l’on se demande souvent si le long-métrage n’est pas une simple parodie des films de « James Bond ». La scène de la poursuite en Citroën 2CV est non seulement un grand moment d’absurdité mais aussi l’une des séquences les plus ridicules de la franchise 007. Quand au sempiternel prologue, il n’a aucun rapport avec le reste de l’histoire et n’est qu’un prétexte pour montrer – de dos et visage caché, pour des raisons de copyright – un bad guy célèbre dans l’univers Bond, le redoutable Ernst Stavro Blofeld. On appréciera néanmoins la variété des décors et des lieux visités par Bond au cours de sa mission (l’Italie, la Grèce, etc.) et le caractère spectaculaire de certaines scènes d’action : la descente à ski, l’ascension de la montagne vers la fin du film, la fusillade finale, etc. Quand à Roger Moore, il semble un peu vieux pour jouer le rôle de 007, tandis que la sublime Carole Bouquet – peut être l’une des plus belles James Bond Girl de la saga – paraît bien plus jeune que lui, un problème qui apparaît surtout lors des scènes où Bond est courtisé par la jeune Bibi Dahl (Lynn-Holly Johnson), qui est censée n’avoir que 15 ans dans le film (!). Heureusement, la morale est sauve car Bond repousse ses avances, mais lorsqu’on sait que le célèbre agent secret possède une libido infatigable, il y a de quoi frémir ! En bref, « For Your Eyes Only » est un James Bond efficace mais sans grand relief, un épisode un peu faible et tout à fait dispensable, qui, bien qu’ayant triomphé au box-office en 1981, fut plutôt malmené par les critiques en général.

Alors que John Barry était indisponible pour composer la musique de « For Your Eyes Only », la production du film décida de confier la partition à Bill Conti, qui signa une partition assez moderne et plutôt funky pour l’époque, dans un style assez atypique pour une musique de la franchise « James Bond ». Le score de Bill Conti repose essentiellement sur un somptueux Love Theme adapté sous la forme de la chanson-titre du générique brillamment interprétée par Sheena Easton. A noter que la chanteuse apparaît même à l’écran lors du générique de début, une première dans la franchise 007. Signalons d’ailleurs qu’à l’origine, la chanson du film devait être confiée au groupe de rock américain Blondie, offre que le groupe déclina lorsqu’ils découvrirent que la production souhaitait mettre à la place une chanson écrite par Bill Conti lui-même. La chanson « For Your Eyes Only » reste sans aucun doute l’une des plus belles compositions écrites pour la franchise 007 dans les années 80 et fut nominée dans la catégorie « meilleure chanson originale » lors des 39ème Golden Globes et aux Academy Awards de 1981. Le score de Bill Conti reste quand à lui typique du style 80’s kitsch et rétro voulu par le compositeur sur le film de John Glen. « A Drive In The Country » pose d’emblée le ton de la musique avec un orchestre dominé par les cuivres et les cordes sur fond de batterie, basse et riffs de guitare électrique funky/disco et de synthés rétro, à mi-chemin entre les années 70 et 80. Le style est plutôt moderne pour l’époque (bien qu’affreusement daté aujourd’hui) et assez atypique pour un James Bond, John Barry et les autres compositeurs des précédents épisodes nous ayant bien souvent habitués à un style plus jazzy et ‘sixties’. A noter que le célèbre « James Bond Theme » de Monty Norman est repris à la fin de « A Drive In The Country » dans une version funky là aussi assez atypique pour cette mélodie bien connue. Le thème de 007 sera d’ailleurs assez peu présent dans le film, mais ses quelques apparitions resteront malgré tout assez appréciables bien que pas toujours bien trouvées – les variations funky/disco empêchant souvent le thème de prendre son envol comme dans les précédents films de la saga. La reprise orchestrale la plus réussie et la plus énergique du célèbre thème reste encore celle de « Gunbarrel/Flowers for Teresa/Sinking the St. Georges », dans lequel Conti superpose au thème de 007 le motif de 2 notes qui sert d’accompagnement à la chanson « For Your Eyes Only », motif bref que l’on retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises dans le score. Dans « Take Me Home », Bill Conti développe la partie plus romantique de sa partition pour la romance entre Bond et Mélina, avec une trompette jazz savoureuse sur fond de cordes, guitare et de batterie. Dans « Melina’s Revenge », Conti évoque la vengeance de Carole Bouquet avec un thème de cordes aux consonances hispanisantes assez réussi, avant de renouer à nouveau dans le style action funky rétro très années 70, notamment dans l’emploi de la batterie, de la section de cuivres et des synthétiseurs kitsch (on croirait parfois entendre certaines musiques des films de la blaxploitation des ‘seventies’ tendance Isaac Hayes).

Conti évoque aussi les différents lieux visités par Bond tout au long de son aventure, comme le rappelle « Gonzales Takes A Dive » avec ses accents hispanisants et ses castagnettes dansantes sur fond de guitare et de trompettes tendance musique de mariachi mexicain. La musique revient néanmoins régulièrement dans le style disco kitsch du début lors des scènes d’action du film, avec un emploi souvent très virtuose et quasi improvisé des claviers. « Runaway » illustre ainsi la scène de l’improbable fuite de Bond en 2CV avec ses rythmes disco qui satisferont les nostalgiques de ce style musical indissociable des ‘seventies’, avec son utilisation caractéristique d’un thème confié à une section de cuivres (certains diront « ringard »...). Le résultat, toujours aussi étonnant à l’écran, finit par devenir assez attachant et apporte une personnalité à la musique du film de John Glen, bien que l’on soit ici à des années lumières du style plus « 007 » de John Barry. Le Love Theme revient dans une très belle version orchestrale pour trompette jazzy et cordes dans « For Your Eyes Only », illustrant ici aussi la romance entre Bond et Mélina avec une nostalgie et une émotion remarquable (bien que là aussi un brin datée) : le morceau rappelle d’ailleurs beaucoup le style musical très daté de certains soap-opéras des années 70/80 : la nostalgie est donc au rendez-vous avec cette reprise savoureuse du thème romantique (cf. dans le même ordre d’idée « The P.M. Gets the Bird »). « Ski...Shoot...Jump » illustre la scène de la fuite à ski avec un ensemble de percussions (bongos, batterie, claves) et de synthétiseurs assez particuliers et inventifs. La musique s’avère être parfois plus orchestrale, délaissant à quelques reprises les sonorités disco/funky, comme c’est le cas dans « Goodbye Countess/No Head For Heights/Dining Alone » ou le sombre et tendu « Recovering the ATAC », excellent passage à suspense rappelant le style thriller habituel de Bill Conti. L’action culmine dans « Sub Vs. Sub » avec son écriture vigoureuse des cordes sur fond de cuivres et de rythmes martiaux lors de la scène de l’affrontement aquatique en sous-marins. Elément notable : une scène se déroulant dans le monastère de St. Cyril vers la fin du film permet à Conti d’évoquer les décors du monastère en ayant recours à des harmonies et des sonorités quasi médiévales, une bonne trouvaille plutôt agréable et là aussi atypique pour un Bond, qui réussit même à ne pas jurer avec le reste de la musique. Bill Conti signe donc un score disco/funky/orchestral plutôt particulier pour « For Your Eyes Only », servi par une très belle chanson-titre. Le rapport de la musique à l’image est parfois assez particulier, accentuant d’une certaine façon l’humour du film, avec un style funky/disco rythmant la plupart des scènes de poursuite d’une manière totalement improbable et désinvolte, un peu à l’image de la fameuse poursuite en 2CV vers le milieu du film, un grand sommet de n’importe quoi. Le score de « For Your Eyes Only » accumule finalement un bon capital sympathie, mais reste finalement très éloigné de l’univers musical James Bond. Pour les fans, uniquement !



---Quentin Billard