1-The COOL WORLD Stomp 1.33
2-The Desert Gamble 2.08
3-Lonette 3.10*
4-A Cool New World 3.54
5-Nails 1.00
6-The Slash Club
(Stavi K.Dub Re-Mix) 5.53*
7-I'm No Dream 2.22
8-Miss Holli Would 4.08
9-A Pen Job! 1.55
10-The Death of Nails 1.00
11-The Bunny and the Poppers 1.03
12-Harris and Lonette 3.08
13-The Legend of Vegas Vinnie 2.00*
14-A Trip Through the Past 1.12
15-A Night Out in COOL WORLD 3.05
16-She Would If She Could 5.25
17-The Spike of Power 7.15
18-He's A Doodle! 2.26
19-The COOL WORLD Stomp
(Reprise) 4.37

*Not Contained in Motion Picture.

Musique  composée par:

Mark Isham

Editeur:

Varèse Sarabande VSD-5382

Album produit par:
Mark Isham
Producteur exécutif de l'album:
Robert Townson
Monteurs musique:
Scott Grusin, Christopher Kennedy
Supervision production musique:
Graham Walker
Co-ordinateur musique:
Jane Bridgeman
Orchestre conduit par:
Allan Wilson
Assistant production CD:
Tom Null

Artwork and pictures (c) 1992 Paramount Pictures. All rights reserved.

Note: ****1/2
COOL WORLD
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Mark Isham
De tous les films sortis à Hollywood durant l’année 1992, « Cool World » est sans aucun doute l’un des plus étranges et des plus insolites dans son genre. Réalisé par Ralph Bakshi (à qui l’on doit le film d’animation culte trash « Fritz the Cat » ou la version animée de « Lord of the Rings »), le long-métrage évoque l’histoire curieuse de Jack Deebs (Gabriel Byrne), un célèbre dessinateur auteur d’un comic à succès nommé « Cool World », qui se déroule dans un univers sombre et décalé à la fois loufoque, grotesque et oppressant. Alors qu’il vient tout juste de sortir de prison après avoir assassiné l’homme qu’il découvrit dans le lit de sa femme, Jack Deebs commence à être victime d’événements étranges aléatoires : réalité se désagrège brusquement pour transporter le dessinateur dans l’univers fictif qu’il a lui-même imaginé, celui de Cool World, une ville sinistre et démesurée plongée dans une nuit continue, peuplée de cartoons désaxés et de personnages loufoques et déjantés. Là bas, Jack est continuellement séduit par Holli Would, une plantureuse jeune femme nymphomane qu’il a lui-même crée et qui cherche à s’accoupler avec le dessinateur pour pouvoir voyager dans le monde des humains. Mais le détective Franck Harris (Brad Pitt), lui aussi prisonnier de ce monde depuis 47 ans, veille au grain à Cool World et est chargé d’empêcher tout contact physique entre les humains et les « crayonnés ». Ainsi donc, « Cool World » se présente au départ comme un étonnant mélange de film live et de séquences animées, un concept plutôt neuf en 1992 bien que déjà expérimenté quelques années auparavant par Robert Zemeckis sur son « Who Framed Roger Rabbit » en 1988. Mais à la différence du film de Zemeckis, celui de Bakshi se veut radicalement plus bizarre et aussi bien moins accessible au public : trop décalé, trop noir ou trop loufoque, « Cool World » ne sait pas sur quel pied danser et ne prend jamais vraiment position : est-ce un drame ? Un polar ? Un film d’épouvante ? Un film animé ? Une comédie ? Totalement inclassable, le film de Ralph Bakshi se casse surtout la figure car ses personnages sont eux aussi trop flous et manquent souvent de profondeur ou de personnalité. Ils semblent agir de façon mécanique tout au long du film sans que l’on puisse ressentir la moindre empathie ni émotion pour eux. Tout est trop froid, tout est trop décalé et tout est trop ambigu pour susciter le moindre enthousiasme. Il faut dire que le fait même que Ralph Bakshi ait conçu à l’origine « Cool World » comme un film d’horreur animé n’a guère arrangé les choses. Remanié en secret à la demande de deux producteurs de chez Paramount, le scénario du film abandonna rapidement le pitch horrifique initial (un humain et une crayonnée s’accouplaient pour donner naissance à une créature hybride qui chercherait à revenir dans le vrai monde pour assassiner son père qui l’a abandonnée), mais certains éléments ont été néanmoins conservés, d’où le caractère sombre et décalé de cette ville étrange et dérangeante, avec des immeubles aux formes incongrues à la limite de l’expressionnisme allemand et des personnages de cartoon totalement survoltés, qui passent une bonne partie de leur temps à courir d’un coin à l’autre de l’écran – sans oublier de nombreuses références à des artistes célèbres de la bande dessinée. Et il y a bien évidemment toute la dimension sexuelle et érotique du film (une constante chez Ralph Bakshi depuis son très controversé « Fritz the Cat » sorti en 1972), très présente et largement véhiculée à l’écran par le personnage de Holli Would, nymphomane déchaînée qui prendra les traits de Kim Basinger dans les scènes se déroulant dans le monde réel. Caricature de la femme fatale des années 40/50, Holli Would cristallise à elle seule tous les fantasmes du dessinateur interprété dans le film par Gabriel Byrne et véhicule un érotisme incroyable à l’écran, sans aucun doute trop décalé pour pouvoir convenir à un film d’animation qui cherche à la fois à conquérir les jeunes comme les adultes. Mal dosés, ces différents éléments ne parviennent pas à cohabiter ens
emble, d’où ce sentiment frustrant d’échec artistique, et cette sensation que devant tant de prouesses techniques, on aurait vraiment pu faire autre chose de ce film ! Peut-être que le concept du film d’horreur prévu à l’origine par Ralph Bakshi était la solution idéale ? On ne le saura jamais !

La musique de « Cool World » reste malgré tout l’élément le plus apprécié du film par le public en général, que ce soit dans son mélange détonnant de tubes 80’s rock/électro (My Life with the Thrill Kill Kult, Moby, Ministry, The Future Sound of London, etc.) ou de passages jazzy/orchestraux/synthétiques crées par Mark Isham. C’est aussi l’occasion pour Isham de revenir à son genre de prédilection, le jazz, le compositeur étant à la base trompettiste de jazz. Confiée aux soins du Munich Symphony Orchestra, la partition de « Cool World » est un mélange détonnant entre jazz sensuel et débridé, passages électro-techno et pièces symphoniques plus classiques d’esprit, illustrant ainsi les différents lieux et aspects de l’histoire : le monde délirant de Cool World mais aussi le monde réel des humains. « The Cool World Stomp » ouvre ainsi les hostilités avec un pur morceau de swing/big-band rétro que n’auraient guère renié Glenn Miller ou Benny Goodman. Le morceau évoque aussi par son rythme rapide tout l’univers coloré et fantaisiste du film de Ralph Bakshi tout en imposant un ton rétro suggérant les musiques de polars/films noirs des années 40/50, un peu comme le fit Alan Silvestri lui-même sur « Who Framed Roger Rabbit ? » de Robert Zemeckis en 1988. Suivant le même ordre d’idée, « The Desert Gamble » développe l’aspect jazz de la partition avec un ensemble instrumental traditionnel composé de la section rythmique habituelle avec trompette en sourdine, clarinette, tuba, contrebasse, vibraphone, saxophone, cuivres, etc. On n’est guère loin par moment ici des musiques jazzy composées par Henry Mancini dans les années 60, avec ce caractère festif et insouciant typique d’une époque musicale américaine déjà bien lointaine. Cette nostalgie apparente, on la retrouve dans le poignant « Lonette », thème de saxophone jazzy mélancolique et sensuel qui, derrière son apparence de slow ordinaire, dénote d’une grâce et d’une élégance harmonique dans les accords des cordes et des vents. « Lonette » accompagne dans le film le personnage de Lonette, la fiancée crayonnée de Franck Harris qui officie en tant que serveuse dans le bar de Cool World. Le caractère suave et chaud du saxophone, et les harmonies touchantes des cordes soulignent clairement la frustration et la tristesse de Lonette, incapable de vivre pleinement sa relation avec Franck du fait qu’ils proviennent tous deux de deux univers totalement différents et inconciliables (Harris empêche tout au long du film que les humains aient des relations sexuelles avec les crayonnés de Cool World).

« A Cool New World » impose un ton plus sombre et étrange lorsque Jack Deebs se retrouve propulsé dans son propre univers fictif, celui de Cool World. Le morceau oscille entre orchestre, synthétiseurs et touches mickey-mousing jazzy évoquant clairement le monde des cartoons. L’apport des synthétiseurs renforce ici le côté sombre et décalé de la musique à l’écran, à l’image de cet univers étrange aussi loufoque qu’inquiétant. Le morceau fait alors appel à un tuba sautillant sur fond de synthétiseurs, de saxophone, de piano et de claviers après une introduction orchestrale plutôt sombre et inquiétante. Mark Isham mélange parfaitement les différents sentiments et émotions suggérées tout au long du film dans cet univers barré et incongru, car même ses touches de mickey-mousing à la Carl Stalling paraissent ambiguës et toujours décalées, ne sachant jamais sur quel pied danser. Plutôt original dans sa conception, « A Cool New World » est un premier essai orchestral audacieux et intéressant de la part d’Isham, annonçant clairement le reste de la partition du film de Ralph Bakshi. Dans « Nails », on retrouve les rythmes swing du début, alors que « Slash Club » accompagne la scène dans le club et la rencontre entre Jack et Holli Would pour un pur morceau de techno clairement expérimental, avec son thème lancinant et répétitif de saxophone sur fond de boîte à rythme très années 80 et de synthétiseurs obsessionnels. Ce passage électronique 80’s dominé par son saxophone aux limites du free-jazz correspond clairement dans le film à l’univers plus érotique et charnel d’Holli Would, soulignant par la même occasion les fantasmes profonds de Jack Deebs. Les parties électroniques dominent à nouveau dans « I’m No Dream », qui évoque clairement la sensuelle Holli Would avec des synthétiseurs toujours très expérimentaux, des rythmiques électro/techno entêtantes et quelques cordes plus sombres et ambiguës. Les connaisseurs de Mark Isham reconnaîtront d’ailleurs certains samples électroniques qu’utilisait souvent Isham dans ses scores de la fin des années 80 et du début des années 90 (on retrouve ici des sons similaires dans sa fameuse partition pour le film « Fire in the Sky » composée en 1993). « Miss Holli Would » prolonge le climat érotique et électronique de la musique en développant à nouveau l’univers musical plus contemporain et moderne d’Holli avec son lot de loop techno, de cordes et de samples vocaux féminins dont les quelques bribes de paroles traduisent clairement le contexte des scènes en question : prétendre que « Miss Holli Would » pourrait faire partie de la bande son d’un porno tiendrait du pur euphémisme, tant la musique d’Isham pour cette scène paraît à la fois très suggestive et clairement explicite, un pur moment d’érotisme musical et de fantaisie pour un Mark Isham que l’on a rarement connu aussi libre dans sa musique, bien éloigné des conventions hollywoodiennes habituelles. « Miss Holli Would » témoigne aussi d’un charme mélodique/harmonique dans sa coda plus touchante, avec piano/cordes et synthé, le morceau risquant simplement d’en rebuter plus d’un à cause de son côté années 80 très assumé et son caractère très érotique et sensuel.

Toujours aussi libre dans son écriture musicale, Isham prolonge ses expériences dans « A Pen Job ! » où il mélange les synthés et les loops électro 80’s avec un accompagnement instrumental plus jazzy, la fusion électro/jazz opérant ici magnifiquement pour un résultat musical toujours aussi intéressant, que ce soit à l’écran comme sur l’album ! Dans « The Bunny and the Poppers », Isham alterne entre musique de cartoon déjantée pastichant Carl Stalling et passages plus synthétiques. A noter ici la virtuosité du Munich Symphony Orchestra, l’orchestre allemand s’en donnant véritablement à coeur joie dans ce pur passage cartoonesque délirant et très amusant ! Et si vous avez aimé le thème de saxophone mélancolique de Lonette, vous apprécierez sans aucun doute sa reprise dans « A Trip Through the Past » ou le sensuel « Harris and Lonette », pur moment de romantisme sexy qui frôle ici aussi la musique érotique pour un autre passage mémorable de la partition de « Cool World ». On retrouve le ton ambigu du score dans « The Legend of Vegas Vinnie », où les synthétiseurs et le saxophone se mélangent pour un résultat hybride à l’image du film, qui raconte la rencontre improbable entre le monde des cartoons et celui des hommes. Ici aussi, les synthétiseurs s’avèrent très connotés « années 80 » et nécessitent d’être à l’aise avec ce style musical électronique non dénué de charme mais représentatif d’une époque déjà lointaine. La musique possède aussi un humour noir plus particulier, comme c’est le cas au début de « A Night Out in Cool World » qui démarre sur un pastiche chaotique et totalement déjanté de la célèbre « Chevauchée des Walkyries » de Richard Wagner en version dissonante/anarchique, tandis que l’orchestre se lance dans une nouvelle sarabande cartoonesque barrée et un bref passage jazzy rétro dominé par ses trompettes en sourdine. Isham alterne les styles les uns à la suite des autres à la manière des bandes sons des cartoons d’antan, la musique changeant continuellement de rythmes et d’idées tout en conservant une instrumentation cohérente d’un bout à l’autre de la pièce. Ici aussi, le résultat est époustouflant, Mark Isham témoignant d’une maîtrise incroyable de l’orchestre, de l’électronique et des différents instruments solistes (incluant le marimba, la clarinette basse, le tuba et le saxophone). Même chose dans « She Would if She Could » dont les rythmes plus agressifs des percussions et le caractère parfois dissonant des parties jazzy rappelle Lalo Schifrin, pour les scènes où Holli est dans le monde humain et s’apprête à ouvrir la porte de Cool World sur terre. L’action culmine d’ailleurs dans les 7 minutes sombres, épiques et jazzy de « The Spike of Power », pour l’ascension finale d’Holli sur le toit de l’immeuble et la confrontation avec la crayonnée devenue humaine, véritable climax musclé de « Cool World » et pur tour de force orchestral intense de la part du compositeur ! Enfin, le thème poignant de Lonette revient dans « He’s a Doodle ! » tandis qu’Isham se fait plaisir une dernière fois en reprenant le « Cool World Stomp » introductif dans une version longue 100% swing ! Vous l’aurez donc compris, c’est un Mark Isham virtuose et inspiré que nous retrouvons sur le score du film « Cool World », dans lequel chaque trait de l’histoire, chaque élément de l’univers délirant, décalé et inquiétant imaginé par Ralph Bakshi prend forme à travers les notes de musique du compositeur. Tour à tour colorée, ambiguë, jazzy, sexy et agressive, la musique de « Cool World » est tout simplement impressionnante du début jusqu’à la fin, une véritable odyssée musicale fascinante dans un univers qui ne ressemble à aucun autre, et pour lequel Isham semble s’être investi à fond, car, que l’on ne s’y trompe pas, « Cool World » est à ce jour l’un des meilleurs travaux du compositeur pour le cinéma : rien que ça !



---Quentin Billard