1-George Smiley 5.19
2-Treasure 1.47
3-Withcraft 1.28
4-Islay Hotel 0.56
5-Control 2.10
6-Polyakov 1.50
7-Alleline and Bland on the Roof 2.25
8-Safe House 1.36
9-Tarr and Irina 5.11
10-Anything Else? 3.28
11-Jim Prideaux 2.09
12-Thursgood 2.45
13-Karla 2.53
14-Esterhase 4.57
15-Guillam 1.26
16-Control and Westerby 4.02
17-Circus 5.26
18-One's Gone 3.36
19-Tinker Tailor Soldier Spy 5.57

Musique  composée par:

Alberto Iglesias

Editeur:

Silva Screen Records SILCD-1369

Album produit par:
Alberto Iglesias

(c) 2011 Working Films/StudioCanal. All rights reserved.

Note: ***1/2
TINKER TAILOR SOLDIER SPY
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Alberto Iglesias
« Tinker Tailor Soldier Spy » (La taupe) est l’adaptation cinématographique du roman d’espionnage de John le Carré, grand spécialiste britannique du genre. On lui doit notamment le célèbre roman « The Spy Who Came in from the Cold », publié en 1963 et devenu un classique incontournable. « Tinker Tailor Soldier Spy » a été publié en 1974 et fait partie d’une trilogie littéraire qui fut suivie de « The Honourable Schoolboy » (1977) et de « Smiley’s People » (1979). Pour la version cinématographique 2011, c’est au tour du cinéaste suédois Tomas Alfredson de porter à nouveau à l’écran les aventures de George Smiley. Rappelons qu’Alfredson s’est fait connaître du public grâce au très populaire « Morse » en 2008, film d’horreur racontant l’amitié improbable entre un garçon de 12 ans et une jeune vampire du même âge. Pour son premier long-métrage hollywoodien, Tomas Alfredson signe dans « Tinker Tailor Soldier Spy » un film d’espionnage lent, sombre et réaliste, porté par un casting solide et une mise en scène sobre et sans artifice, privilégiant une atmosphère dense et une photographie aux couleurs grises et bleutées. Gary Oldman interprète un George Smiley vieillissant et très convaincant, au regard désabusé mais qui n’a rien perdu de son instinct d’espion enquêteur. Face à lui : l’énigme de la taupe russe implantée au coeur même du MI6 britannique (surnommé « le cirque ») par Karla, célèbre maître espion soviétique. Suite à l’échec retentissant d’une opération à Budapest en Octobre 1973, le chef du MI6, Control (John Hurt), est obligé de démissionner, tandis que George Smiley est mis à la retraite. Percy Alleline (Toby Jones) remplace alors Control à la tête du service. Peu de temps après, les soupçons de Control concernant la taupe infiltrée dans les services secrets britanniques se confirment : l’agent britannique Ricki Tarr (Tom Hardy) refait surface et affirme qu’il y a bien une taupe russe au MI6 depuis de nombreuses années déjà. C’est alors qu’un ministre du gouvernement recrute George Smiley pour enquêter sur les allégations de Ricki Tarr. Réunissant un groupe d’hommes pour mener son enquête, Smiley interroge plusieurs membres du cirque et commence à établir une liste de suspects potentiels, en s’inspirant d’une liste de 5 noms établie à l’époque par Control (et sur laquelle se trouvait d’ailleurs le nom de George Smiley !). Enquêtant à la fois sur l’affaire du fiasco de Budapest et celle de Ricki Tarr, Smiley va chercher à découvrir qui est la taupe infiltrée parmi les quatre noms de la liste : Percy Alleline, Roy Bland (Ciaran Hinds), Toby Esterhase (David Dencik) ou Bill Haydon (Colin Firth). « Tinker Tailor Soldier Spy » s’affirme donc comme un thriller d’espionnage lent et sobre, dans une atmosphère tendue où règnent paranoïa, conspiration et manipulation. Tomas Alfredson parvient à renouer ici avec les films d’espionnage paranoïaques des années 70, ceux de Sydney Pollack ou d’Alan J. Pakula, auxquels le cinéaste suédois semble rendre un hommage évident à travers son film (qui se déroule d’ailleurs dans les seventies !). L’histoire est menée d’une main de fer par un Gary Oldman sobre et tout en retenue, dans un récit peuplé de non-dits et de faux-semblants, et une intrigue alambiquée et tordue, bien qu’en réalité moins compliquée qu’elle en a l’air. Dans cette guerre d’espionnage et de chasse à l’homme implacable, Alfredson rappelle la complexité des relations américaines/soviétiques durant la Guerre Froide et notamment dans le monde très clos des services secrets britanniques. Seule ombre au tableau : le film s’avère être très lent et risque fort d’en rebuter plus d’un, le cinéaste privilégiant ici l’atmosphère immersive et le jeu des acteurs en s’éloignant radicalement du rythme speed des blockbusters hollywoodiens actuels. Du coup, « Tinker Tailor Soldier Spy » réclame une attention permanente de la part du spectateur, et ce malgré sa longueur assez éprouvante (2h07 !). Le film, très exigent, se suit comme un bon roman dans lequel on resterait plongé jusqu’au dénouement final. Pari réussi donc pour le premier
long-métrage américain de Tomas Alfredson, en attendant l’adaptation ciné des deux tomes suivants de la trilogie Karla de John le Carré !

Voilà bien un choix audacieux et inattendu que celui d’avoir choisi le compositeur espagnol Alberto Iglesias sur la musique de « Tinker Tailor Soldier Spy ». Le musicien attitré de Pedro Almodovar n’en est pas à son premier coup d’essai, puisqu’il avait déjà écrit en la musique d’une autre adaptation ciné d’un roman de John le Carré, « The Constant Gardener » en 2005 et fut ensuite remarqué pour ses partitions de « The Kite Runner » de Marc Forster (2007) et « Che » (2008) de Steven Soderbergh. Récemment, ses retrouvailles avec Almodovar sur « La Piel que habito » en 2011 ont remis à nouveau le travail d’Alberto Iglesias sur le devant de la scène cinématographique internationale. Pour « Tinker Tailor Soldier Spy », le compositeur espagnol nous livre une partition orchestrale dont les accents jazzy évoquent clairement l’univers musical très codifié des films noirs d’antan, soutenu par son classicisme d’écriture habituel (rappelons qu’Iglesias a appris le piano, l’harmonie et le contrepoint au Conservatoire de musique de Saint-Sébastien auprès du compositeur basque espagnol Fransisco Escudero). Ainsi donc, dès les premiers instants de l’ouverture du film, « George Smiley » et son thème de trompette soulignent clairement le monde de l’espionnage britannique avec ses accents musicaux jazzy empruntés aux films noirs des années 40/50. Une batterie et une basse accompagnent la trompette soliste sur fond de cordes. A noter ici le rôle des différents instruments solistes, qu’il s’agisse du piano, du hautbois, de la trompette (utilisant parfois la sourdine), de la harpe et de quelques synthétiseurs discrets. Le thème de trompette de George Smiley évoque clairement le personnage de Gary Oldman dans le film et souligne son côté solitaire et vétéran de l’espionnage, avec une élégance dans l’écriture et le jeu des solistes typique d’Alberto Iglesias. Le morceau développe d’ailleurs son thème pendant près de 5 minutes à travers une ambiance plutôt minimaliste et tout en retenue, particulièrement réussie dans le film et adaptée au ton du long-métrage de Tomas Alfredson. A vrai dire, l’ensemble même de la partition de « Tinker Tailor Soldier Spy » sera du même acabit, avec très rarement une note plus haute ou plus forte que l’autre. Délaissant les envolées d’action tonitruantes propres au monde musical hollywoodien, Alberto Iglesias privilégie une musique plus intime et chaleureuse, avec un jeu particulier des différents instruments solistes. L’approche jazzy du début revient dans « Treasure » dans lequel le compositeur crée une ambiance à la fois mélancolique et un brin mystérieuse, partagée entre le basson, le piano, la clarinette, les cordes, la guitare et des petites percussions discrètes. Ici aussi, la musique se distingue par son climat de velours tout en retenue, évoquant le monde de l’espionnage britannique vu de l’intérieur.

La musique d’Alberto Iglesias demeure constamment élégante et minimaliste, privilégiant l’approche mélodique au détriment de l’action ou du suspense. Et pourtant, la musique sait se faire plus sombre et menaçante quand l’occasion s’en présente dans le film, comme c’est le cas dans « Witchcraft », qui évoque le fiasco de l’opération à Budapest au début du film : quelques cordes dissonantes et stridentes suffisent ici à souligner le climat de conspiration et de paranoïa du film, le tout sur fond de harpe. On appréciera aussi le dialogue entre le piano et les deux clarinettes dans « Islay Hotel », dans lequel Iglesias conserve là aussi un classicisme d’écriture raffiné et élégant, qui rappellera bon nombre de ses partitions pour le cinéma européen (et plus particulièrement celui d’Almodovar). Le thème de George Smiley est repris à la harpe dans « Control », évoquant l’ancien chef déchu du MI6, avec encore une fois ce ton subtilement mélancolique (prédominance des tonalités mineures et des accords plus fournis, à base de septièmes, etc.) et ce jeu sur les solistes, avec quelques touches discrètes d’électronique en arrière-fond sonore. Les accords hésitants des cordes suggèrent dans « Control » une atmosphère plus mystérieuse qui rappellerait presque Jerry Goldsmith, dans un mélange entre « The Russia House » et « Basic Instinct ». Cette influence de Goldsmith, on la retrouve dans « Polyakov », où les arpèges rapides des cordes et les notes plus longues des violons suggèrent un climat de paranoïa et de mystère assez fascinant, mais avec un minimalisme toujours constant : ici aussi, pas d’agressivité dans l’écriture orchestrale d’Alberto Iglesias : qu’il s’agisse des ennuis au coeur même du MI6 ou de la conspiration associée à la taupe russe de Karla, la musique conserve une discrétion exemplaire dans le jeu des instruments, avec un attrait évident du compositeur pour des harmonies proches de la musique symphonique du début du 20ème siècle. La paranoïa est au cœur de « Alleline and Bland on the Roof » dans lequel les différents instruments se relaient pour créer un climat d’incertitude certain : à noter ici le jeu de la flûte, qu’Iglesias utilise en duo avec la harpe et les bois pour créer une atmosphère sonore latente assez intéressante. A vrai dire, on n’est guère loin par moment des travaux de David Shire ou Michael Small sur les thrillers paranoïaques des années 70, le côté funky/groovy en moins ! Autre élément intéressant : le final de « Alleline and Bland on the Roof » permet à Iglesias d’utiliser quelques percussions discrètes (notamment quelques toms et un jeu discret sur les cymbales de la batterie) et des effets sonores plutôt originaux produits par le souffle de la flûte. La musique devient un brin plus nerveuse dans « Safehouse » avec l’emploi intéressant de synthétiseurs étranges au milieu des solistes (on notera le retour de la trompette jazzy). L’électronique apporte ici une atmosphère quasi mystique assez impressionnante, tout en demeurant très discrète, comme tapie dans l’ombre, à l’instar de la menace d’une taupe parfaitement insaisissable dans le film.

La musique d’Alberto Iglesias se veut même plus romantique et mélancolique comme c’est les cas dans « Tarr and Irina », Love Theme du score de « Tinker Tailor Soldier Spy » avec son très beau duo pour piano et violoncelle sur fond de cordes et de harpe. On notera ici le jeu concertant du piano au classicisme d’écriture évident (et plutôt rare de nos jours au cinéma !), tandis que les synthétiseurs reviennent au milieu de « Tarr and Irina » dans un style plus expérimental, discret et atmosphérique, un style que n’aurait certainement pas renié un Thomas Newman. Le Love Theme de « Tarr and Irina » conserve ainsi ce climat doux et intime typique de la partition du musicien espagnol, apportant une émotion subtile et discrète à l’image, mais néanmoins touchante. A noter les rythmes plus rapides de la fin de « Anything Else » sur fond d’électronique, élément que l’on retrouve dans le sombre « Jim Prideaux », pour lequel l’approche mélancolique du score culmine dans un très beau passage pour quatuor à cordes et piano, dans l’esprit d’une véritable page de musique de chambre du 19ème siècle. Seul « Esterhase » vient rompre dans le film ce climat minimaliste et retenu avec son lot de cordes staccatos agitées et dissonantes, un excellent morceau plus rythmé et agressif qui conserve néanmoins l’approche mélodique (notamment dans le jeu très classique du piano) sur fond de dissonances des cordes et des bois. « Guillam » développe quand à lui les quelques touches électroniques discrètes du score sur fond de piano et de violoncelle, avant de céder la place à « Control and Westerby », avec ses cordes mystérieuses plus amples à la « Basic Instinct ». La musique devient enfin plus dissonante et sombre dans « Circus », alors que George Smiley se rapproche enfin de la vérité et découvre l’identité de la taupe infiltrée dans le Cirque. La tension et le suspense de « Circus » débouchent d’ailleurs sur le nerveux « One’s Gone », l’un des rares morceaux d’action du score avec ses rythmes électroniques plus modernes, ses nappes synthétiques étranges et son emploi constant des solistes et des cordes dissonantes. Le compositeur espagnol résume d’ailleurs ses principales idées mélodiques/instrumentales dans « Tinker Tailor Soldier Spy », suite finale de plus de 5 minutes accompagnant le générique de fin du film. Comme pour la plupart des précédentes partitions d’Alberto Iglesias pour le cinéma, la musique de « Tinker Tailor Soldier Spy » est une merveille de minimalisme et de subtilité, que ce soit dans le jeu et l’écriture des instruments solistes ou dans le soin tout particulier apporté aux orchestrations, aux mélodies et aux harmonies. Iglesias réfléchit surtout comme un musicien et privilégie une musique élégante, subtile et raffinée, tour à tour classique, académique, jazzy et parfois plus moderne, électronique et rythmée, avec cette chaleur et ce raffinement plus typique des musiques européennes, sans aucune concession au formatage hollywoodien ambiant. Reste que si la musique fonctionne parfaitement à l’écran, apportant son lot de mystère, de mélancolie et de tension aux images, elle demeure moins convaincante sur l’album, où elle peine parfois à décoller réellement, quitte à lasser sur la longueur à cause de son caractère monotone et, peut-être, un brin trop retenu. Mais que l’on ne s’y trompe, cela reste du travail de haut niveau pour un polar de ce genre, une partition mystérieuse et immersive à réserver surtout aux amateurs d’Alberto Iglesias et à ceux qui suivent régulièrement ses oeuvres depuis plus de 2 décennies déjà !




---Quentin Billard