1-Main Title 2.00
2-The Totocks 1.16
3-The Journey Starts I 1.02
4-The Journey Starts II 1.44
5-Black Death 1.43
6-Journey To Jansen 2.14
7-Sleight Of Tooth 1.17
8-Sulking Sultan 3.26
9-Burning Village 3.49
10-P.G. And Sympathy 0.40
11-Anton The Atheist 2.08
12-Betsey's No Better 1.48
13-Night Work 2.01
14-Worth Waiting For 2.13
15-Interrupted Idyll 2.26
16-Domestic Discord 3.58
17-Notes To Anton 1.15
18-Together Again 0.36
19-Jansen On Lepresy 0.56
20-May Lay 1.53
21-Missing River-Master 0.43
22-Frightful Frolick 1.48
23-Forgetting Frolick 1.34
24-Journey To Jano 0.40
25-Some Old Black Magic 1.30
26-Bottled By Burubi 2.12
27-Burubi Trap 3.43
28-Bye Bye Burubi 3.51
29-Back In The Jungle 0.57
30-Emergin' Surgeon 1.59
31-To The Rescue 1.50
32-Drager's Draggin' 3.44
33-Anton 1.30
34-End Title 0.38

Musique  composée par:

Jerry Goldsmith

Editeur:

Varèse Sarabande VCL 0310 1105

Album produit par:
Robert Townson
Musique supervisée et
conduite par:
Joseph Gershenson
Direction de la musique
pour Universal Pictures:
Harry Garfield

Edition limitée à 3000 exemplaires
American Federation of Musicians.

Artwork and pictures (c) 1962/2010 Universal Studios. All rights reserved.

Note: ****
THE SPIRAL ROAD
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jerry Goldsmith
« The Spiral Road » (L’homme de Bornéo) s’inscrit dans la continuité d’une longue série de films en rapport avec la foi et la religion, un sujet récurrent à Hollywood depuis les années 40/50, marquées par l’arrivée des péplums bibliques, des biopics ou des adaptations littéraires en tout genre, sans oublier un style particulièrement privilégié par les cinéastes de l’époque : la rédemption de pêcheur qui finissent par retrouver le chemin de la foi. « The Razor’s Edge » (1946), « The Robe » (1953), « Magnificent Obsession » (1954), ces quelques films sont des exemples typiques de cette intrigue spirituelle de quête personnelle de la rédemption et de l’expiation des pêchés. C’est donc tout naturellement qu’arriva « The Spiral Road », sorti en 1962 et adapté du roman « Godsgeuzen » de Jan de Hartog, avec Rock Hudson dans le rôle-clé d’un ambitieux médecin hollandais nommé Anton Drager, fraîchement débarqué sur l’île de Bornéo en Indonésie en 1936 pour y assister le prestigieux docteur Brits Jansen (Burl Ives), qui travaille avec les indigènes dans la jungle et lutte activement contre la lèpre. Talentueux et arrogant, Drager est très vite rejoint par sa jeune compagne Els (Gena Rowlands) qu’il épouse là bas. Peu de temps après, Drager se rend en pleine jungle pour y secourir un certain Harry Frolick (Philip Abbott), rendu fou par la magie noire d’un sorcier vaudou local nommé Burubi (Reggie Nalder). Drager abat alors Frolick par légitime défense, un geste qui traumatise le jeune médecin. Drager commence alors à se montrer distant, jusqu’au jour où il révèle à Jansen qu’il a étudié ses notes sur la lèpre et envisage de publier un ouvrage sur le travail de Jansen. Déçu, ce dernier comprend enfin la raison pour laquelle Drager est venu le retrouver à Bornéo et le considère alors comme un arriviste arrogant et sans scrupules. Jansen le fait immédiatement remplacer par un autre médecin. Frustré, excédé, Anton voit ses projets tomber à l’eau et commence à délaisser sa femme, sombre dans l’alcool et la tentation de la chair – il se lie avec une jeune indigène nommée Laja (Judy Dan) – Radicalement opposé aux théories religieuses du missionnaire local de l’armée du salut, Willem Wattereus (Geoffrey Keen), Anton rejette formellement Dieu et rappelle à tous, y compris à sa propre femme, qu’il n’a besoin de personne dans sa vie. Mais alors qu’il doit faire face à son tour à la menace de la magie noire du sorcier Burubi, Anton finit par remettre en cause ses propres convictions et son rapport difficile à la foi. « The Spiral Road » est un drame plutôt sombre et immersif qui se déroule dans des décors exotiques totalement dépaysants, servi par l’interprétation solide de Rock Hudson. La réalisation plutôt passe-partout de Robert Mulligan a cependant bien du mal à élever l’intrigue du film, le cinéaste enchaînant les fondus avec un montage très plan-plan plutôt impersonnel et sans génie. Fort heureusement pour lui, il connaîtra un pur triomphe la même année avec le classique « To Kill A Mockingbird » (1962). Quand à « The Spiral Road », malgré tous ses bons points – notamment les interprétations sans faille de Rock Hudson, Gena Rowlands ou de l’impressionnant Burl Ives – on regrettera le caractère inégal d’un script un peu fourre-tout (on débute sur une intrigue médicale qui se prolonge ensuite sur une étrange histoire de magie vaudou), qui donne parfois l’impression de voir plusieurs histoires dans un seul film, tandis que certaines critiques ont reproché au script de n’amener que trop tardivement dans le film la rédemption finale d’Anton Drager (pas assez développée, en somme, alors que le film dure pourtant plus de 2 heures !). Le film fut finalement un échec critique et public tombé par la suite dans l’oubli, même si les fans de Rock Hudson peuvent aujourd’hui redécouvrir « The Spiral Road » dans un coffret DVD consacré aux films de l’acteur américain.

Le film de Robert Mulligan est davantage connu pour avoir permis à un jeune Jerry Goldsmith de nous offrir l’une de ses premières grandes partitions pour le cinéma, composée la même année que deux autres scores majeurs : « Lonely Are The Brave » et le somptueux « Freud », pour lequel Goldsmith fut nominé pour la première fois aux Academy Awards en 1962. Pour « The Spiral Road », le jeune Jerry Goldsmith, tout juste âgé de 33 ans, a écrit une partition à la fois exotique, dramatique, sombre et torturée, à l’image du personnage de Rock Hudson dans le film. Pour parvenir à ses fins, Goldsmith a fait appel au Hollywood Studio Symphony agrémenté d’un important ensemble de percussions évoquant les gamelans traditionnels de la musique javanaise et sundanaise. Rappelons qu’un gamelan est un ensemble d’instruments à percussions incluant gong, métallophones divers, xylophones, tambours divers avec des cordes frottées (rebab), pincées (kacapi) et des instruments à vents comme la flûte suling et les parties chantées. Dans la musique javanaise, le gamelan est au coeur même des traditions, avec une musique cyclique qui correspond parfaitement à l’idée de la ‘route en spirale’, métaphore du parcours d’Anton Drager qui tourne en rond dans l’arrogance et le pêché avant de trouver enfin la rédemption à quelques minutes de la fin du film. Cette idée de cycle est d’ailleurs particulièrement présente tout au long de la partition de Jerry Goldsmith : une note du livret de l’album compare même cette approche ‘cyclique’ a ce qu’avait fait Bernard Herrmann sur « Vertigo », dans lequel le compositeur attitré d’Alfred Hitchcock créa une sensation de malaise et de vertige avec des motifs cycliques et répétitifs qui tournent sur eux-mêmes. Concernant les orchestrations, on est frappé d’emblée par l’authenticité des sonorités exotiques/asiatiques du score et par le pupitre imposant des percussions, censées reproduire les gamelans traditionnels : Goldsmith projetait à l’origine de faire appel aux collections de gamelans de l’ULC en Californie, mais leur coût d’utilisation était tellement élevé qu’il fut impossible de les utiliser. Goldsmith feinta alors en reproduisant le son des gamelans avec ses propres musiciens, un fait particulièrement notable lorsque l’on observe la liste des musiciens à la fin du livret de l’album, mentionnant ainsi pas moins de 11 percussionnistes (fait plutôt rare pour la musique d’un film de 1962 !) et plus d’une quinzaine de musiciens sous l’appellation « Other/Unknown » avec des noms de musiciens bien connus des îles du pacifique (Prince Kawohi, Alfred Baang, Norman Mahuka, etc.). De toute évidence, Goldsmith a manifesté une réelle volonté d’établir un son asiatique/exotique authentique sur « The Spiral Road », faisant appel à des célébrités locales ou des musiciens reproduisant le plus fidèlement possible le son et l’esthétique musicale des gamelans javanais.

Le score de « The Spiral Road » est bâtit sur une série de thèmes musicaux évoquant les différents aspects du récit : le thème principal, un motif ascendant/descendant de 7 notes est introduit dès le début du « Main Title » à 0:15 par des cuivres puissants ponctués de timbales, de cordes/bois aigus en contrepoint et de percussions imitant les gamelans. Ce thème évoque clairement la ‘route en spirale’ que prendra Drager dans son existence, bloqué par son athéisme forcené et son arrogance. Goldsmith introduit aussi un motif associé à Bornéo aux timbales/piano dès les premières secondes du « Main Title », motif asiatique qui reviendra à plusieurs reprises dans le film pour évoquer l’Indonésie et ses îles. Le compositeur développe des harmonies modales en utilisant des échelles traditionnelles de la musique asiatique et javanaise, comme c’est d’ailleurs le cas dans le motif de Bornéo qui n’est rien d’autre qu’une simple échelle pentatonique traditionnelle. A 0:54, Goldsmith introduit un autre thème majeur du score, le Love Theme illustrant la relation entre Anton et sa femme Els dans le film, un thème de cordes romantique et passionné d’une grande beauté – on sait à quel point Goldsmith a toujours eu un talent sûr pour écrire des grandes mélodies romantiques et raffinées – Dans « Journey to Jansen », le maestro dévoile un autre thème de « The Spiral Road », thème plus espiègle et malicieux associé à Jansen dans le film (à 0:35 aux cordes). Cette mélodie sera reprise à chaque apparition du personnage de Burl Ives dans le film, comme dans « P.G. and Sympathy », « Betsey’s No Better », « Night Work », « Notes to Anton » ou dans « Jansen On Lepresy », pour lequel Goldsmith apporte une connotation plus humoristique à la mélodie de Jansen pour retranscrire le côté débonnaire et roublard du médecin. Certains morceaux comme « The Totocks », « Sulking Sultan » ou « The Journey Starts » sont de réelles invitations au voyage et au dépaysement avec leurs sonorités asiatiques/exotiques suaves et élégantes, omniprésentes tout au long du score (on appréciera par exemple le jeu du marimba ou de la cithare vers la fin de « The Totocks »). « Black Death » introduit quand à lui les premières dissonances du score avec quelques percussions plus mystérieuses et des cordes stridentes et tendues, suggérant la présence de la peste dans le village. La musique fait preuve d’une énergie sans retenue dans l’ironique « Journey to Jansen » avec son tuba roublard et son trombone soliste sur fond de rythmes orchestraux survoltés à la limite du mickey-mousing. L’action n’est pas en reste avec un premier moment dramatique et imposant dans « Burning Village », séquence tragique durant laquelle Jansen et Drager font brûler un village atteint de la peste et envahi par des rats contaminés. Goldsmith évoque ici la destruction du village rasé par les flammes avec des cuivres imposants et des percussions exotiques agressives et chaotiques. Les orchestrations sont ici extrêmement solides et l’écriture orchestrale incroyablement virtuose pour un jeune musicien de 33 ans, « Burning Village » étant le premier morceau-clé du score de « The Spiral Road ».

Soucieux de varier les ambiances tout au long du film, Jerry Goldsmith se voit offrir l’occasion grâce au film de Robert Mulligan de changer d’atmosphère d’un morceau à un autre, car après l’exotisme javanais/asiatique, l’ironie de Jansen ou le chaos d’un village entièrement brûlé et dévasté par la peste noire, Goldsmith nous offre un brin de romantisme élégant dans « Anton the Atheist » et le poignant « Worth Waiting For » pour les scènes d’amour entre Anton et Els. L’élégance et le lyrisme du Love Theme dans « Worth Waiting For » renvoie clairement au romantisme rétro du Golden Age hollywoodien des années 40/50, celles de Miklos Rozsa, Alfred Newman ou Erich Wolfgang Korngold, à ceci près que Goldsmith réussit à y apporter sa propre personnalité et à éviter le cliché des envolées mélodramatiques de cordes en privilégiant bien souvent les instruments solistes, un petit ensemble à cordes ou même un joli duo harpe/célesta dans le style d’une boîte à musique. Ce magnifique Love Theme est repris par un alto soliste dans « Together Again » avec une élégance toujours constante et jamais mièvre. En écoutant l’insouciant et tendre « Interrupted Idyll », on a du mal à croire que la suite va se corser et basculer irrémédiablement dans l’agressivité, la dissonance et la noirceur pure. C’est pourtant le cas à partir de « Domestic Discord », qui introduit des harmonies plus complexes, dissonantes et tourmentées, annonçant dans le caractère plus moderne de l’écriture le style de « Freud » composé la même année (1962). Dans le terrifiant « Frightful Frolick », Goldsmith confirme l’orientation plus sombre de sa partition avec un morceau dissonant, atonal et chaotique résolument avant-gardiste dans son écriture – et aussi assez moderne pour une musique de film hollywoodien de 1962 – Avec ses cordes agitées, ses percussions agressives et ses cors tragiques, « Frightful Frolick » évoque la folie et la mort de Frolick avec une intensité et une noirceur sans concession, tout en suggérant par la même occasion les pêchés d’Anton et sa descente aux enfers. Dès lors, les dix morceaux suivants vont s’attacher à développer cette atmosphère sombre et ténébreuse avec un mordant et une agressivité impressionnante. Il est par exemple question de magie noire dans « Some Old Black Magic », qui reprend le thème cyclique d’Anton sur fond d’orchestrations agressives, sinistres et brutales, tout comme dans les inquiétants et dissonants « Bottled by Burubi », « Burubi Trap », le chaotique « Back in the Jungle », le brutal « Emergin’ Surgeon », le terrifiant « To The Rescue » (avec quelques touches électroniques discrètes entre 0:28 et 0:31) et le climax de terreur de « Drager’s Draggin », alors que Drager a basculé dans la folie aux bords du gouffre, devenu méconnaissable. « Drager’s Draggin » et « To The Rescue » annoncent clairement le style plus sombre, complexe et torturé de « Freud » - notamment avec l’utilisation discrète d’éléments électroniques dans « To The Rescue » - tout en amorçant avec une intensité incroyable le style des futures partitions suspense/horreur du maestro.

Aucun doute possible, avec « The Spiral Road », le jeune Jerry Goldsmith pose clairement les bases de ce qui deviendra par la suite un style et une esthétique musicale récurrente : entre les sonorités asiatiques qui influenceront quelques années plus tard des scores tels que « The Sand Pebbles » ou « The Chairman », et des passages de terreur pure d’une complexité incroyable qui annoncent de futurs chefs-d’oeuvre avant-gardistes tels que « Poltergeist », « Alien » ou « The Omen », « The Spiral Road » a de quoi réjouir les passionnés du maestro californien, car malgré son jeune âgé lorsqu’il compose cette musique, tout l’univers musical de Jerry Goldsmith y est déjà : une esthétique avant-gardiste peu conventionnelle, une complexité incroyable, une structure thématique forte et personnelle, des orchestrations d’une richesse impressionnante (jusqu’à l’imitation des gamelans javanais), autant d’éléments qui font de « The Spiral Road » un premier score de choix dans les débuts de Jerry Goldsmith, composé la même année que deux autres scores majeurs, « Lonely Are The Brave » et « Freud », qui furent à leur tour important dans la consolidation d’un style et d’une pensée artistique qui dominera les recherches sonores et musicales du maestro tout au long des années 60/70, jusqu’à une période plus électronique et contemporaine dans les années 80/90. Avec « The Spiral Road », le jeune Jerry Goldsmith s’est vu offrir l’opportunité d’écrire une première partition dramatique et ambitieuse avec des moyens importants et un savoir-faire plus qu’évident, forgé pendant près d’une dizaine d’années passées à travailler pour la télévision américaine et les productions de la CBS. Sa musique apporte une intensité et une émotion certaine aux images, sans jamais tomber dans le mélodrame ou le sirupeux, mais en conservant une approche ethnique authentique, un souci de la mélodie, des harmonies, de la complexité et des détails sonores en tout genre. Malgré l’échec du film de Robert Mulligan et le fait qu’il soit par la suite tombé dans l’oubli, le score de Jerry Goldsmith demeure une valeur sûre dans les débuts du maestro californien, un score de choix à redécouvrir enfin grâce à l’édition CD de Varèse Sarabande !




---Quentin Billard