1-The Search Party 1.29
2-Over the Edge 0.32
3-Flight to Maine 1.51
4-Road Block 2.05
5-Forest Fight/Water Journey 3.46
6-Dead Duck/Rabid Racoon/
M'Rai's Camp 1.43
7-Secret Pond 3.21
8-Mercury/Attack on the Family 1.25
9-Mary's Bend 2.30
10-The Babies/Back to Camp 1.33
11-Monster Medicine 2.10
12-The Monster Attack 3.12
13-Clobbered Cop 0.47
14-Trip to the Tower 2.04
15-Isley's End 1.06
16-Monster Mash 6.32
17-Blub Blub 1.01
18-Cabin Fever 1.05
19-Instant Skylight/
Bye, Bye Beast 2.06
20-End Credits 2.19

Musique  composée par:

Leonard Rosenman

Editeur:

Film Score Monthly FSM Vol.13 No.1

CD produit par:
Lukas Kendall
Producteur exécutif CD:
Craig Spaulding
Direction de la musique pour
Paramount Pictures:
Randy Spendlove
Monteur musique:
Jim Henrikson
Assistant production CD:
Jeff Eldridge

American Federation of Musicians
Edition limitée à 3000 exemplaires.

Artwork and pictures (c) 1979 Paramount Pictures. All rights reserved.

Note: ****
PROPHECY
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Leonard Rosenman
Suivant la mode du « monster movie » de la fin des années 70 revenu au goût du jour avec le succès monumental du « Alien » de Ridley Scott en 1979, John Frankenheimer s’essaya à son tour au genre en tournant la même année que « Alien » un film de monstre dans la plus pure tradition du genre : « Prophecy ». Le film se déroule dans la grande forêt de la rivière Androscoggin dans le Maine aux Etats-Unis. Le Dr. Robert Verne (Robert Foxworth), médecin exerçant dans un quartier pauvre de Washington, se retrouve engagé par l’Agence de Protection Gouvernementale pour enquêter sur les éventuelles conséquences écologiques d’une usine de fabrication de papier située aux bords de la rivière d’Androscoggin. Le Dr. Verne est accompagné de sa femme Maggie (Talia Shire), qui est enceinte mais n’a toujours pas osé l’avouer à son mari, qui ne souhaite pas avoir d’enfant pour le moment. A leur arrivée, le Dr. Verne fait la connaissance de Bethel Isely (Richard A. Dysart), le patron de l’usine, qui lui assure que toute l’usine respecte les règles écologiques et ne déverse aucun produit chimique dans la rivière. Peu de temps après, Robert assiste à une violente dispute opposant les employés de l’usine à un groupe d’amérindiens locaux de la tribu des Opies, qui vivent dans la forêt et tentent de lutter contre la dégradation de leur environnement par les hommes blancs. Le groupe des Opies est dirigé par John Hawks (Armand Assante) et sa femme Ramona (Victoria Racimo), qui luttent à leur façon pour empêcher les ouvriers de l’usine de saccager la forêt. C’est alors que le Dr. Verne apprend qu’il y a beaucoup de bébés morts nés, de souci d’ivresse et de malformations chez les Opies. Le grand-père de Ramona, Hector M’Rai (George Clutesi), lui apprend que des légendes locales parlent d’une créature baptisée « Katahdin », qui aurait la taille d’un dragon, les yeux d’un chat, et protégerait la forêt des agressions extérieures. Soupçonnant l’environnement d’être responsable de tous ces maux, Robert découvre avec effroi que la rivière est contaminée par du mercure éthylique, une substance chimique puissamment toxique et un agent mutagène, qui serait responsable des malformations congénitales des nouveaux-nés. Verne et les autres se retrouvent alors soudainement attaqués par un énorme ours mutant qui sème la dévastation et la mort dans toute la forêt, et qui n’est autre que le fameux Katahdin dont parlent les légendes indiennes locales. « Prophecy » reste au final une série-B horrifique plutôt correcte bien que réalisée avec des moyens modestes, soutenue par un bon casting et une mise en scène correcte. Mais les scènes d’attaques du monstre tardent à venir, et la première partie du film rabâche son thème écologique et finit par s’essouffler. Mais le plus gênant reste le monstre lui-même : plutôt bien conçu, son animation est malheureusement très kitsch et certains plans où il apparaît manquent cruellement de crédibilité (on se croirait revenu au temps des monster movies des années 50). Hélas, certaines scènes censées être terrifiantes ont provoqué davantage d’hilarité que de frissons, un comble pour ce type de film, comme c’est le cas pour la scène très critiquée où la créature attaque les campeurs dans la forêt. Il faut dire que Frankenheimer a fait lui-même des choix discutables sur son film, coupant volontairement certaines scènes qu’il jugeait trop violente ou trop gore. On raconte aussi que la créature devait être plus terrifiante à l’origine, mais que c’est le réalisateur lui-même qui décida de la faire ressembler davantage à un ours géant mutant, un choix là aussi tout à fait discutable (on est loin de la créature angoissante montrée sur l’affiche du film !). Hélas, certains choix douteux du réalisateur empêchèrent « Prophecy » d’atteindre pleinement son potentiel, car malgré ses bons points et ses scènes d’attaque parfois intenses (notamment la violente attaque finale dans la cabane), le film de John Frankenheimer échoue au final dans la catégorie des séries-B horrifiques modestes et sans prétention.

La partition symphonique de Leonard Rosenman est de loin l’un des éléments les plus impressionnants de « Prophecy ». C’est la seconde fois que John Frankenheimer travaillait avec Rosenman après un premier score écrit pour le tout premier film du réalisateur, « The Young Stranger » en 1957. A la fin des années 70, Leonard Rosenman, compositeur d’avant-garde influencé de Schoenberg et de la musique avant-gardiste des années 50, était devenu une valeur sûre à Hollywood, réputé pour ses travaux dans le domaine des films fantastiques et de science-fiction (« Beneath the Planet of the Apes », « Battle for the Planet of the Apes », « Fantastic Voyage », « The Lord of the Rings », « The Car », etc.). Rosenman avait aussi connu un certain succès en dirigeant les adaptations musicales sur « Barry Lyndon » en 1975 et « Bound for Glory » en 1976. C’est donc tout naturellement que Leonard Rosenman se retrouva sur la musique de « Prophecy » en 1979, livrant une partition très riche et éclectique, mélangeant différentes approches musicales : mélodique/tonale, atonale/dissonante, avant-gardiste et parfois plus lyrique et conventionnelle. Ce choix déroutant s’explique avant tout par la pluralité des sujets évoqués dans le film de Frankenheimer : un drame marital entre un mari et une épouse enceinte qui n’ose pas avouer sa grossesse à son mari, un film d’épouvante dans lequel un monstre mutant sème la terreur dans une forêt, un film au sujet écologique/polémique probablement inspiré de faits divers, etc. Combinant tous ces éléments, Rosenman élabore une partition ample, dense et extrêmement complexe, qu’il s’agisse des orchestrations, des nombreux passages dissonants/avant-gardistes ou de l’écriture instrumentale générale. On commence d’ailleurs très fort avec « The Search Party », premier passage d’action et de terreur pure dans lequel dominent les vents, à commencer par une écriture très complexe et extrêmement syncopée des cuivres (les effets de trémolos de trompettes antiphoniques qui se répondent en stéréo gauche/droite), des harmonies dissonantes et des rythmes savamment élaborés sur fond de trilles, de dissonances des cordes et de martèlements rythmiques syncopés. La traque de l’équipe de sauvetage massacré par le monstre au début du film permet donc à Rosenman de poser d’emblée le ton sinistre et agressif de sa partition, tout en valorisant une écriture orchestrale savante et incroyablement complexe.

A contrario, « Flight to the Maine » annonce l’arrivée du Dr. Verne et de son épouse Maggie dans le Maine, envoyé par l’Environmental Protection Agency pour enquêter sur les agissements d’une usine de papier près de la rivière d’Androscoggin. Rosenman fait alors appel ici à un style plus lyrique et tonal, développant une atmosphère résolument pastorale et majestueuse, et surtout indéniablement mélodique. Avec ses harmonies élégantes et raffinées, Rosenman se rapproche ici du Romantisme allemand, soutenu par la grandeur de ses accords de cuivres évoquant la beauté de l’immense forêt, ou la chaleur pastorale des bois (flûte, hautbois, clarinette, etc.) ou des cordes lyriques. La musique frôle même l’impressionnisme façon Ravel dans la très belle mélodie de hautbois entre 0:54 et 1:04. A noter que chaque plan où l’on aperçoit la forêt vue d’avion est illustré par une fanfare de cuivres dans un esprit plus ‘americana’ façon Aaron Copland, les fanfares étant juxtaposées ici aux passages plus lyriques/impressionnistes assez savoureux. A noter que Rosenman évite de développer un thème intégralement, construisant essentiellement « Flight to Maine » à base de différentes cellules mélodiques sans réels aboutissements. L’aspect thématique est d’ailleurs restreint au maximum dans la partition de « Prophecy », car si des motifs sont bel et bien présents dans le score, ils restent volontairement discrets et plutôt mis en retrait. On retrouve l’ambiance pastorale de « Flight to Maine » dans « Road Block », dominé par des cordes lyriques et majestueuses évoquant la beauté et la grandeur de la nature sauvage. Mais très vite, « Forest Fight/Water Journey » vient rappeler ce pourquoi on est là : la musique de Rosenman re-bascule très vite dans un style plus atonal, dissonant et agressif, à base de cuivres musclés, de ponctuations rythmiques extrêmement syncopées ou d’un contrepoint particulièrement complexe, notamment dans le jeu des vents. La scène accompagne la violente bagarre opposant John Hawks avec un employé de l’usine armé d’une tronçonneuse. A la violence de l’affrontement, Rosenman répond par une musique délibérément agressive et complexe dans son écriture, jusqu’à un crescendo de tension durant lequel les notes dissonantes s’amoncellent progressivement au moment critique à partir de 1:40 (Hawks qui se retrouve menacé par la tronçonneuse de l’employé placée sous son cou), un passage d’ailleurs typique des musiques plus atonales/dissonantes de Rosenman (résurgence de sa musique avant-gardiste pour « The Cobweb »).

La seconde partie du morceau, « Water Journey », nous permet de retrouver le matériau mélodique impressionniste de la nature, à base d’orchestrations plus pastorales et nuancées, avec une trompette soliste très ‘americana’, des cordes lyriques et des bois plus fluides. « Dead Duck/Rabid Raccoon » (scène de l’attaque du raton laveur enragé) réintroduit quand à lui les sonorités dissonantes du début en glissant rapidement dans un style plus avant-gardiste assez intense, à base de clusters terrifiants et d’un retour des empilements en crescendo agressif des dissonances, élément-clé du score de « Prophecy ». Le final de « Rabid Raccoon » introduit par la même occasion le motif principal associé à Katahdin, la créature du film, un motif de trois notes descendantes de cordes, introduit aux contrebasses à 1:18. Dans « Secret Pond », Rosenman nous fait clairement comprendre que quelque chose ne tourne pas rond dans cette forêt en apparence idyllique : cette idée de trouble sous-jacent est largement suggérée ici par le retour des empilements de dissonances, par des effets de vibratos lents en quarts de ton des vents (technique d’avant-garde typique des musiques savantes atonales du XXe siècle), comme c’est le cas notamment dans le jeu des cors vers 1:47. Les dissonances deviennent ici plus extrêmes, avec une citation évidente au « Atmosphères » de György Ligeti dans les mesures entre 1:27 et 1:42. La musique bascule ici dans un registre réellement sinistre et glauque, annonçant la menace de la pollution des eaux et de la créature qui rôde dans les environs. Cette menace explose concrètement dans « Mercury/Attack on the Family », alors que Katahdin décime une famille partie en randonnée dans la forêt en pleine nuit. On retrouve ici le motif de 3 notes du monstre, partagé ici entre les cordes et les bois. A noter que l’attaque du monstre est accompagnée ici d’une utilisation inventive du fameux blaster beam crée par le musicien Craig Huxley à la fin des années 70, et notamment utilisé par Jerry Goldsmith dans « Star Trek the Motion Picture » (1979), John Barry dans « The Black Hole » (1979) ou par Laurence Rosenthal dans le film « Meteor » (1979). Les sonorités métalliques/électroniques étranges du blaster beam contribuent clairement ici à renforcer la terreur et la violence des attaques du monstre, avec la particularité et l’étrangeté de cet instrument totalement conceptuel.

« Mary’s Bend » développe à nouveau le motif de Katahdin, avec le retour des pyramides de dissonances, des effets de vibratos en quarts de ton extrêmement avant-gardistes à partir de 0 :58, doublés par des arpèges rapides des violoncelles en sul ponticello (jeu de l’archet près du chevalet de l’instrument), alors que le Dr. Verne aperçoit les gigantesques traces de griffures sur les arbres, et comprend qu’une créature hors du commun hante les bois. Le motif de Katahdin est aussi très présent dans le dissonant « The Babies/Back to Camp » durant la terrible découverte des oursons mutants dans la rivière. « Monster Medicine » oscille quand à lui entre les dissonances à la Ligeti et les passages plus lyriques et impressionnistes pour les scènes entre Robert et Maggie. Et c’est sans surprise que la terreur reprend le dessus dans l’intense « The Monster Attack », morceau d’action d’une complexité redoutable, développant pleinement le motif de Katahdin, l’utilisation du blaster beam et les pyramides de dissonances typiques de Leonard Rosenman. A noter que le motif du monstre est ici développé dans son intégralité, passant d’un instrument à un autre avec une fluidité remarquable, renforcé par les sonorités lugubres et étranges du blaster beam. On nage clairement ici en pleine musique avant-gardiste expérimentale, la musique s’imposant ici par la puissance et la violence impressionnante de l’orchestre et le caractère extrême des dissonances (à la limite de la cacophonie). On notera d’ailleurs l’agilité avec laquelle Rosenman développe constamment cet entêtant motif du monstre, passant d’un instrument à un autre scène après scène, comme c’est aussi le cas dans l’agressif « Isley’s End » (impressionnante reprise massive du motif de Katahdin au contrebasson, tuba et blaster beam à 0:53). Mais le plus gros reste encore à venir, avec en particulier le monstrueux « Monster Mash », 6 minutes de terreur et d’action pure, d’une complexité et d’une puissance orchestrale ahurissante pour une nouvelle traque entre les héros et le monstre, sans oublier le terrible climax final qui débute avec le sinistre « Blub Blub » et « Cabin Fever » pour l’affrontement final dans la cabane, sans oublier la défaite de Katahdin dans « Instant Skylight/Bye, Bye Beast » : ultime morceau d’action/terreur d’une sauvagerie incroyable, qui reprend quelques éléments clé du score : les pyramides de dissonances, le blaster beam, les ponctuations rythmiques syncopées et complexes, et bien évidemment l’entêtant motif du monstre aux cordes, notamment lorsque Rob continue de s’acharner sur le cadavre de la créature qu’il transperce continuellement avec sa flèche.

Et si vous pensiez respirer avec le « End Credits », détrompez-vous, car Rosenman renforce davantage les dissonances pour la conclusion (raccourcie pour les besoins du film), dans une véritable coda horrifique et agressive assez impressionnante, marquée bien évidemment par une ultime reprise du motif de Katahdin. On ressort donc lessivé de l’écoute de « Prophecy », une partition avant-gardiste et dissonante incroyablement complexe et intense, mais qui manque cruellement de respiration (un défaut récurrent chez Leonard Rosenman). Le manque d’aération de la partition risque fort d’en rebuter plus d’un, étant donné le caractère extrêmement dissonant, atonal et brutal de cette superbe composition orchestrale virtuose. La musique apporte une vraie force aux images, parfois même plus intense que les scènes elles-mêmes, à tel point que l’écoute de la musique sur l’album se transforme en une véritable expérience musicale proche d’un concert de musique contemporaine. Et ceux qui ne sont pas familiers avec les musiques dissonantes pourront toujours se rabattre sur les premiers morceaux plus lyriques, mélodiques et pastoraux du début du film, malheureusement non repris par la suite (même pour le générique de fin !). Il va de soi qu’un score comme « Prophecy » ne peut pas être écouté ni apprécie par tout le monde. Il s’agit d’une partition savante et complexe qui nécessite des oreilles averties et une bonne compréhension du langage atonal contemporain, à mi-chemin entre Ligeti, Schoenberg, Penderecki ou Scelsi. Mais pour ceux qui restent réceptifs à ce style de musique très particulier, l’écoute de « Prophecy » les comblera à coup sûr, une vraie redécouverte que l’on pourra enfin apprécier à sa juste valeur et en intégralité dans l’excellent album publié par FSM en 2010, réclamé par les fans de Leonard Rosenman depuis des décennies : un petit bijou du compositeur, à consommer néanmoins avec modération !




---Quentin Billard