1-Ouverture 3.50
2-Histoire d'Ambrosio 2.03
3-Veni Creator 2.25
4-Je suis inquiet 4.23
5-Exorcisme et funérailles 5.40
6-Scolopendre 2.59
7-Nuit noire 3.02
8-Le fleuve 1.54
9-Matin du miracle/Cimentiere 6.53
10-Le rêve devient réalité 2.30
11-La mort de Iago 1.19
12-Ambrosio et Elvire 2.35
13-Antonia 2.14
14-Sermon 2.30
15-Procession 4.41
16-Jugement 2.14
17-Désert 3.52
18-Sérénade 1.38
19-Finale 2.43

Musique  composée par:

Alberto Iglesias

Editeur:

Quartet Records QR009

Musique produite par:
Alberto Iglesias

(c) 2011

Note: ***1/2
LE MOINE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Alberto Iglesias
Grand classique de la littérature gothique anglaise du XVIIIème siècle, « The Monk » (Le Moine) est un roman écrit par Matthew Gregory Lewis en 1796, et qui fut adapté une première fois au cinéma par Ado Kyrou en 1972, sur un scénario de Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière. C’est au tour du réalisateur français Dominik Moll de porter à l’écran le lugubre roman de Matthew G. Lewis dans un tout nouveau long-métrage sorti en 2011. L’histoire reste similaire à celle du livre d’origine : le prieur capucin Ambrosio (Vincent Cassel) mène une existence saine dans un monastère catholique en Espagne au XVIIe siècle. Ambrosio fut recueilli orphelin au monastère et devint très vite un moine modèle et un prédicateur admiré de tous, vivant dans une vertu irréprochable. Mais un jour, il découvre que Valerio, un nouveau moine fraîchement arrivé au monastère, s’avère être en réalité une femme déguisée et amoureuse de lui, et qui se prénomme en réalité Mathilde (Déborah François). En proie aux tentations terrestres et aux pêchés de la chair, Ambrosio finit par céder à Mathilde, qui possède de sombres pouvoirs sataniques. Le moine, autrefois vertueux, accumule aujourd’hui des pêchés de plus en plus graves, jusqu’à commettre la faute ultime et irrévocable : violer une jeune femme qui s’avère être sa propre soeur. « Le Moine » s’avère donc être un film plutôt sombre, lent et immersif, reflétant l’atmosphère gothique et torturée du roman d’origine. Le film doit évidemment beaucoup à l’excellente performance de Vincent Cassel, parfait dans le rôle-clé d’Ambrosio, un moine torturé qui va vivre une véritable descente aux enfers dans tous les sens du terme : face à lui, la jeune comédienne belge Déborah François (révélation des films « La Tourneuse de pages » et « Le premier jour du reste de ta vite ») s’impose dans le rôle difficile de la tentatrice diabolique, usant de son charme pour amener le moine vertueux à commettre l’irréparable. Parmi les seconds rôles, on retrouve quelques noms connus comme Sergi Lopez (acteur fétiche du réalisateur Dominik Moll), Catherine Mouchet ou Geraldine Chaplin. Le film reste assez lent et immersif, jouant sur une atmosphère psychologique sombre et torturée, à l’image du personnage de Vincent Cassel. On retrouve ici la patte de Dominik Moll, spécialiste des thrillers et des films à suspense psychologique, comme « Harry, un ami qui vous veut du bien » ou « Lemming », avec une mise en scène extrêmement sobre jouant sur une photographie très contrastée (les décors lumineux et ensoleillés de l’Espagne, les atmosphères nocturnes et claustrophobiques du monastère) et une direction d’acteur très précise. Evidemment, on pourra toujours reprocher au film son côté lent et son austérité parfois proche d’un téléfilm, une mise en scène un peu trop sage pour un sujet somme toute assez dérangeant et qui provoque un malaise constant. Avec cette énième variante du mythe de Faust, le réalisateur s’en tire plutôt bien même si son film manque parfois d’envergure et d’ambition : « Le Moine » manque surtout d’un soupçon de folie qui aurait pourtant été fort utile, car si les thèmes abordés ici s’avèrent être forts et intenses (la tentation, les déviances humaines, la part sombre de tout individu, la corruption de l’âme humaine par le mal, etc.), la réalisation un peu fade et (trop) sobre de Dominik Moll ne parvient pas à rendre totalement hommage au livre d’origine. Néanmoins, le film est à recommander à ceux qui apprécient le livre de Matthew G. Lewis et aux fans de Vincent Cassel, qui s’offre ici un nouveau rôle fait sur mesure !

La partition orchestrale du musicien espagnol Alberto Iglesias est à coup sûr l’atout clé de « Le Moine ». Le compositeur attitré de Pedro Almodóvar s’est fait remarquer ces dernières années avec des musiques pour des films aussi divers que « Hable con ella » (2002), « The Constant Gardener » (2005), « Volver » (2006), « The Kite Runner » (2007), « Che » (2008) ou les récents « La Piel que habito » (2011) et « Tinker Tailor Soldier Spy » (2011), des oeuvres de qualité qui font preuve régulièrement d’une certaine sensibilité et d’une passion musicale évidente (rappelons d’ailleurs qu’Alberto Iglesias a quand même remporté 10 fois le Prix Goya de la meilleure musique originale depuis « La ardilla roja » en 1995 jusqu’à « La Piel que habito » en 2012 !). Le travail d’Iglesias sur « Le Moine » est tout à fait impressionnant et nous permet d’entendre le compositeur espagnol dans un registre un peu différent de ce qu’il fait d’ha : le thriller psychologique. Le film nécessitait beaucoup de musique, de façon parfois quasi opératique. Ainsi donc, le film s’ouvre sur une « Ouverture » à la fois sombre et agitée, débutant sur une série d’agrégats dissonants qui rappellent d’emblée Ligeti ou Penderecki. Très orienté vers la musique atonale/avant-gardiste du XXe siècle, Alberto Iglesias évoque ici l’idée du mal et de la perversion en ayant recours à des orchestrations riches et un langage musical résolument avant-gardiste, le tout brillamment interprétée avec justesse par les musiciens du London Session Orchestra avec les choeurs du Metro Voices. Débutant par les cordes, le milieu de « Ouverture » valorise ensuite les bois, à commencer par un hautbois soliste mystérieux et envoûtant accompagné de piccolo, trompette, cordes et quelques roulements de tambours mystérieux. La coda se termine sur un rythme plus agité et nerveux des cordes traduisant un sentiment de panique. Voilà en tout cas une ouverture prenante et réussie, qui semble déjà en dire long sur le contenu même du film. Plus mélancolique, « Histoire d’Ambrosio » évoque le personnage principal campé par Vincent Cassel dans le film avec un thème de cordes plus dramatique et élégiaque, le thème d’Ambrosio. A noter ici l’emploi réussi d’un alto soliste, instrument-clé du score du « Moine », le tout baignant dans une atmosphère classique et élégante typique du compositeur espagnol. Dans « Veni Creator », Iglesias évoque le monastère avec une pièce chorale religieuse en latin qui se résume à un contrepoint pour deux voix d’hommes, aux harmonies dissonantes comme pour mieux personnifier l’idée de la foi confrontée au malin.

Mais alors que l’histoire avance, la musique devient plus sombre, plus torturée, à l’image de la descente aux enfers d’Ambrosio dans le film. Ainsi, « Je suis inquiet » tente de souligner les sentiments du personnage avec une musique plus mélancolique et nuancée dans un magnifique mélange de violoncelle, alto et piano aux notes hésitantes. On retrouve ici le thème principal confié au hautbois soliste avec des harmonies sombres et inquiétantes (notamment dans le jeu des bois, des cordes ou de la harpe) qui traduisent clairement cette crainte troublante, avec le retour des agrégats dissonants introductifs de l’Ouverture aux vents. Iglesias parvient à utiliser tous les pupitres de l’orchestre (y compris les timbales, de façon très discrète) pour ponctuer le récit de touches sombres et d’un sentiment discret mais efficace d’inquiétude, de doute, de trouble. Le crescendo final des cordes en trémolos de « Je suis inquiet » achève de faire basculer la musique dans un registre thriller que n’aurait certainement pas renié Bernard Herrmann. Dès lors, la musique conserve ce ton sombre et torturé dans « Exorcisme et Funérailles », où l’on retrouve le thème de hautbois avec une écriture plus sporadique de l’orchestre, et le retour des agrégats dissonants amplifiés et rendus ici terrifiants, avec un jeu plus prononcé des cuivres, des cordes et des bois. Alberto Iglesias parvient ici aussi à personnifier la présence du mal sans jamais en faire de trop, mais en conservant une retenue angoissante et étonnamment intense dans le film, d’une noirceur absolue. Malgré cela, le compositeur conserve le côté classique et élégant de son écriture orchestrale, utilisant aussi les choeurs religieux pour rappeler l’univers du monastère lors d’un passage élégiaque puissant et poignant durant la scène des funérailles. On bascule ensuite clairement dans un suspense haletant avec « Scolopendre » et ses accords graves de piano avec cordes dissonantes et hautbois mystérieux. A 2:02, la musique explose enfin avec un premier sursaut de terreur pure à base de cordes agressives et d’accords menaçants de cuivres. Dès lors, la tension devient plus intense dans le sinistre « Nuit Noire » alors que la musique conserve un ton élégant et classique dans le superbe « Le Fleuve », brillamment écrit pour alto, piano et orchestre.

Une pièce comme « Matin du miracle/Cimentiere » résume parfaitement en 6 minutes 45 toute la noirceur envoûtante et intense de la partition du « Moine » : cordes amères, mélancoliques et lugubres, bois dissonants, cuivres agressifs, et même bref passage synthétique atmosphérique (vers la troisième minute). La musique évoque clairement ici l’idée qu’Ambrosio est rentré dans la spirale infernale du mal, tenté par le diable ayant pris l’apparence d’une jeune femme venue pour le soumettre à la tentation. Cette idée de séduction, on la retrouve dans le jeu souvent classique et nuancé des cordes, partagés entre un lyrisme classique résigné et des dissonances plus lugubres et inquiétantes. Les choeurs religieux en latin ont eux aussi un rôle majeur, comme à la fin de « Cimentiere », où ils personnifient les tourments d’Ambrosio et la victoire du mal. Dans « Le rêve devient réalité », Iglesias développe une atmosphère plus mélancolique et poignante des cordes qui ne laisse aucun espoir pour le personnage de Vincent Cassel, avec le retour du thème mystérieux de hautbois et du thème d’Ambrosio à l’alto (à 1:34), et une émotion plus grandissante et tout en finesse. On bascule ensuite dans une atmosphère maléfique avec l’agressif « La Mort de Iago » et son crescendo choral/orchestral terrifiant. « Antonia » reprend le thème avec ses agrégats dissonants aux cuivres et ses cordes plus paniquées, tout comme « Procession », avec son écriture plus dense et oppressante, à base de percussions martelées inlassablement, un morceau intense qui ne peut que déboucher sur la terreur du « Jugement ». A noter l’emploi des synthétiseurs au début de « Désert » pour la scène finale du film dans le désert, et alors qu’Ambrosio retrouve une dernière fois le jeune débauché interprété par Sergi Lopez. Initialement prévue comme une musique sombre et dissonante, Iglesias a choisi la carte de la subtilité pour cette séquence en optant pour une approche chambriste parfaitement étonnante : un duo pour alto et piano très classique d’esprit, à mi-chemin entre Brahms et Schumann, qui apporte une émotion remarquable à cette scène finale, teintée de désespoir, de résignation, d’abandon : Ambrosio sait qu’il a tout perdu et qu’il est damné à jamais pour ce qu’il a fait. Réussissant le difficile équilibre entre suspense psychologique et moments plus intimes et retenus, Alberto Iglesias nous livre pour « Le Moine » une composition symphonique classique, belle, sombre et élégante, avec ses choeurs religieux dramatiques, ses cordes amères, ses vents dissonants et cette atmosphère globalement mystérieuse, noire et envoûtante. A mi-chemin entre l’atonalité de Ligeti (flagrant au début de « La mort de Iago »), le suspense d’un Bernard Herrmann ou le romantisme mélancolique d’un Brahms, la musique du « Moine » est une nouvelle grande réussite de la part d’Alberto Iglesias, qui apportent une atmosphère impressionnante au film de Dominik Moll. Sorti de ses films pour Pedro Almodóvar, le compositeur espagnol parvient à trouver un second souffle chez d’autres réalisateurs tout en conservant son approche musicale résolument classique et toujours incroyablement élégante et pleine de finesse.




---Quentin Billard