1-Dreaming of the Crash 3.55
2-Cornfield Chase 2.06
3-Dust 5.41
4-Day One 3.19
5-Stay 6.52
6-Message From Home 1.40
7-The Wormhole 1.30
8-Mountains 3.39
9-Afraid Of Time 2.32
10-A Place Among The Stars 3.27
11-Running Out 1.57
12-I'm Going Home 5.48
13-Coward 8.26
14-Detach 6.42
15-S.T.A.Y. 6.23
16-Where We're Going 7.41

Musique  composée par:

Hans Zimmer

Editeur:

WaterTower Music WTM39546

Producteurs:
Christopher Nolan, Hans Zimmer,
Alex Gibson

Producteurs album:
Chris Craker, Hans Zimmer,
Christopher Nolan

Monteur musique superviseur:
Alex Gibson
Monteur musique:
Ryan Rubin
Consultante musicale:
Czarina Russell
Programmation séquenceur:
Andrew Kawczynski, Steve Mazzaro
Services production musicale:
Steven Kofsky
Ingénieur technique score:
Chuck Choi
Ingénieur technique score:
Stephanie McNally
Assistants techniques:
Jacqueline Friedberg, Leland Cox
Design instrument digital:
Mark Wherry
Orchestrateur superviseur:
Bruce Fowler
Orchestre conduit par:
Gavin Greenaway, Richard Harvey
Score mixé par:
Alan Meyerson
Assistant mix:
John Witt Chapman
Assistant d'Hans Zimmer:
Cynthia Park
Manager studio Remote Controls Productions:
Shalini Singh
Sampling team:
Ben Robinson, Taurees Habib,
Raul Vega

Préparation musique:
Booker T. White
Direction de la musique pour
Warner Bros. Pictures:
Paul Broucek
Direction de la musique pour
Paramount Pictures:
Randy Spendlove
Direction de la musique pour
WaterTower Music:
Jason Linn
Direction artistique et
coordination soundtrack:
Sandeep Sriram
Music business affairs:
Lisa Margolis

Artwork and pictures (c) 2014 Paramount Pictures/Warner Bros/Legendary Pictures. All rights reserved.

Note: ****
INTERSTELLAR
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Hans Zimmer
S’il ne fallait retenir qu’une seule grande production hollywoodienne de l’année 2014, « Interstellar » pourrait bien être celle-ci ! Alors que le projet naquit en 2006 sous la forme d’un scénario signé Jonathan Nolan (le frère de Christopher Nolan), inspiré des travaux du physicien américain du Caltech Kip Thorne (un spécialiste des applications de la théorie de la relativité générale d’Einstein) et initialement prévu pour être porté à l’écran par Steven Spielberg, le projet fut abandonné et repris quelques années après par Christopher Nolan qui annonce sa mise en chantier dès 2012. Pour accomplir ce véritable exploit cinématographique et technique, Nolan réussit à obtenir la participation de trois studios habituellement concurrents, la Warner Bros, la Paramount et Legendary Pictures. Le film, tourné en partie en IMAX 70 mm, est un pur régal pour tous les fans de science-fiction, car Nolan a réussit l’exploit de proposer un grand spectacle épique reposant sur des théories scientifiques réalistes et le plus justes possibles (comme dans le récent « Gravity » d’Alfonso Cuaron, il n’y a pas un seul bruit dans l’espace, comme c’est le cas dans la réalité puisque les sons ne peuvent pas se propager en l’absence d’air !). Complexe, philosophique et émouvant, « Interstellar » s’apprécie avant comme une expérience unique, un voyage au-delà des limites terrestres, au-delà des limites même de l’humanité, ou un groupe de scientifiques vont chercher à se dépasser et à traverser l’espace jusqu’à l’autre bout d’une nouvelle galaxie pour offrir à l’espèce humaine une chance de prendre un nouveau départ sur un autre monde, alors que la Terre meurt inexorablement. Nolan s’inspire ici de classiques du genre à commencer par le « 2001 » de Stanley Kubrick, qui l’a visiblement beaucoup inspiré dans le caractère métaphysique du film, alors que le cinéaste cite aussi parmi ses modèles « Blade Runner », « Metropolis », « Star Wars », « Alien » et « The Mirror » d’Andrei Tarkovsky (bien qu’on puisse penser davantage ici à son fameux « Solaris »). Grâce à un casting impeccable, une direction d’acteur remarquable et une mise en scène intense et réfléchie, « Interstellar » est aussi une réflexion poignante sur la quête de survie de l’humanité et l’amour, tout en dévoilant pour le grand public les bases de la théorie de la relativité d’Einstein, les voyages temporels et l’existence de trou de ver et de forces gravitationnelles, chacun de ces éléments étant parfaitement exploités dans le film malgré la grande complexité de certains passages, à la limite de l’intellectualisation pure, qui nécessitera à coup sûr plusieurs visions pour bien en appréhender tous les tenants et les aboutissants – le film repose sur des éléments de physique quantique et d’astrophysique assez abstrait pour les néophytes, et ce grâce aux recherches du physicien Kip Thorne, bien que certains éléments restent moins bien expliqués comme le principe de cohérence de Novikov (explicitant les boucles temporelles du film et la résolution des problèmes de paradoxes temporels) ou le tesseract, ce grand cube cosmique en 4 dimensions aperçus vers la fin du film, aussi appelé « hypercube ».

« Interstellar » nous plonge dans un futur proche, alors que la Terre connaît une grave crise alimentaire et est en train d’agoniser lentement mais sûrement. La société s’est organisée autour de l’agriculture alors que les cultivateurs sont l’unique espoir de survie de l’humanité. L’ancien pilote et astronaute de la NASA Joseph Cooper (Matthew McConaughey) dirige une ferme avec son beau-père Donald (John Lithgow), sa fille de 10 ans Murphy (MacKenzie Foy) et son fils de 15 ans Tom (Timothée Chalamet). Murphy est persuadée qu’un fantôme tente de communiquer avec elle dans sa chambre en faisant tomber des livres de sa bibliothèque, mais son père refuse de croire en l’existence de fantôme, jusqu’au jour où, au cours d’une tempête de sable, Cooper découvre dans sa chambre un code en données binaires tracé dans le sable à l’aide de forces gravitationnelles. Après avoir déchiffré le code, Cooper comprend qu’il s’agit de coordonnées l’amenant tout droit à une installation secrète de la NASA. Arrivé sur les lieux, Cooper et sa fille Murphy font la rencontre du Dr. John Brand (Michael Caine), qui a conçu une importante mission spatiale censée sauver l’humanité toute entière. Il y a 48 ans, Brand et son équipe ont découvert l’existence d’un trou de ver qui se situerait dans l’espace à proximité de Saturne. Persuadé que ce trou de ver n’est pas apparu là par hasard mais qu’il est l’oeuvre d’êtres plus évolués que nous, Brand met au point une mission de la dernière chance sous la forme d’un voyage intersidéral à travers ce trou de ver, qui pourrait conduire les astronautes vers la découverte d’autres mondes dans une autre galaxie. Cooper comprend qu’il est arrivé au bon moment et est immédiatement recruté par le Dr. Brand pour piloter l’Endurance, un vaisseau spatial expérimental qui consistera à retrouver les explorateurs partis de la mission Lazare, qui sont partis il y a des années à bord de capsules habitables pour traverser les trous noirs et étudier une douzaine de planètes potentiellement habitables, et qui pourraient assurer la survie de l’espèce humaine. La mission Lazare n’a renvoyé que trois résultats : trois planètes intéressantes – celles des astronautes Miller, Edmunds et Mann - qui pourraient être colonisées mais qui s’avèrent très éloignées l’une de l’autre. C’est la mission de la dernière chance pour Cooper et son équipe, qui savent qu’ils n’ont que très peu de chance de revenir sur terre, et que la traversée du trou noir et l’arrivée sur la planète de Miller provoquera un écoulement du temps plus lent que sur Terre (une heure équivalant à sept années terrestres).

Prétendre que « Interstellar » est un chef-d’oeuvre relève du pur euphémisme ! Malgré la longueur du film (environ 2h50), Christopher Nolan réussit l’exploit de nous tenir en haleine jusqu’au bout grâce à une histoire grandiose au-delà de notre monde et du temps, et une galerie de personnages touchants qui rappellent l’humanité du propos et les thèmes comme l’amour familial plus fort que tout. Les réfractaires à l’émotion pourront toujours trouver le film larmoyant à plusieurs reprises, mais ce serait sans compter sur le génie de Nolan pour nous offrir des spectacles intelligents où l’intellect se mêle au divertissement sans fausse modestie, le cinéaste nous offrant un blockbuster malin où les effets spéciaux monumentaux côtoient l’intelligence du propos, chose que l’on n’avait quasiment pas revu à Hollywood depuis le « Matrix » des frères Wachowski en 1999. Visuellement, le film est absolument stupéfiant et se drape même à quelques reprises d’une poésie étrange au détour de certains plans mémorables dans l’espace, uniquement accompagnés d’une musique douce (c’est là où le film rappelle le « 2001 » de Kubrick), sans oublier une très belle citation au poème gallois de Dylan Thomas, « Do not go gentle into that good night » (N’entre pas apaisé dans cette douce nuit), récité par le Dr. Brand comme une sorte d’encouragement aux astronautes qui partent rechercher les trois mondes explorés au cours de la mission Lazare. Le public ne s’y est pas trompé et malgré la densité du propos et la complexité des thèmes scientifiques abordés avec réalisme dans le film, « Interstellar » a été un énorme succès au cinéma, aussi bien que critique que commercial, rapportant plus de 672 millions de dollars à travers le monde, preuve que l’espace et les voyages temporels n’ont pas fini de faire rêver le public !

Le film de Christopher Nolan doit aussi beaucoup à l’épatante partition musicale concoctée par Hans Zimmer, qui retrouve ainsi le cinéaste pour la cinquième fois après « Batman Begins » (2005), « The Dark Knight » (2008), « Inception » (2010) et « The Dark Knight Rises » (2012) (les deux hommes se sont aussi croisés en 2013 sur « Man of Steel » pour lequel Nolan officiait en tant que producteur). Pour « Inception », la conception de la musique fut assez particulière, car Nolan comme Zimmer souhaitaient renouveler l’approche musicale sur le film et trouver des sons différents de ce que l’on entend très souvent dans ce type de blockbuster hollywoodien moderne musicalement ultra formaté – un comble étant donné que Zimmer et son studio Remote Control sont en partie responsable de ce son formaté actuel qu’il cherche maintenant à éviter ! – Pour se faire, il fallait donc procéder différemment. Ainsi, le réalisateur décida de ne montrer aucune image à Hans Zimmer ni même de lui fournir le script détaillé. A la place, Nolan rédigea un texte sur une feuille censé résumer un bout de l’histoire en quelques lignes (Zimmer ne connaissait même pas l’histoire du film !) et demanda ensuite à son compositeur d’écrire une musique censée représenter ses impressions à la lecture du texte. Désireux d’obtenir une musique à fleur de peau qui viennent des tripes et non du cerveau, Nolan savait qu’en procédant ainsi, il obtiendrait un son plus spontané, moins hollywoodien et donc plus personnel. Objectif réussi puisque le score de « Interstellar » s’avère être très particulier à l’image du film, posé assez librement sur les images et s’épanouissant tout au long du récit avec une intensité émotionnelle constante. Exit ici les ostinatos de cordes, les loops basiques et les percussions abrutissantes de « Inception » ou de « The Dark Knight », place à une musique plus intime, mystérieuse et mystique, censée représenter le voyage temporel, la traversée de l’espace et la quête pour la survie de l’humanité. En complément du caractère métaphysique de cette aventure spatiale unique, Zimmer eut ainsi l’idée d’utiliser l’orgue comme principal instrument de sa bande originale pour « Interstellar », un instrument injustement sous-employé au cinéma mais qui trouve ici une résonance toute particulière sur les images, une résonance à la fois liturgique et cosmique.

On sait que le compositeur teuton – très critiqué par ses détracteurs depuis plusieurs années déjà - a toujours été enclin à la conceptualisation dans ses musiques, parfois avec plus ou moins de bonheur, mais fort heureusement, « Interstellar » fait partie cette fois des grandes réussites d’un compositeur que l’on n’avait pas entendu aussi inspiré depuis des années ! Pour concevoir sa partition, Zimmer a disposé d’un délai exceptionnel puisqu’il débuta son travail sur la musique deux ans avant la sortie du film. Dans une récente interview, le compositeur expliqua que « cette histoire, cette fable, ces bouts de dialogue qu’il a écrit (Nolan) pour moi furent pleine d’informations personnelles qu’il connaissait sur moi et mes enfants. » Pour refléter l’isolement des personnages de la NASA partis dans l’espace pour une ultime mission de la dernière chance, Zimmer s’enferma dans son appartement de Londres pendant un mois, vivant comme un ermite afin de trouver l’inspiration particulière pour le film. Dès lors, une fois le concept musical mis en place, Zimmer enregistra ses différents musiciens dans plusieurs endroits : tout d’abord, l’orgue, interprété par le directeur musical du London’s Temple Church Roger Sayer. Vint ensuite l’enregistrement de la partie orchestrale avec 34 cordes, 24 instruments à vent et 4 pianos enregistrés au AIR Lyndhurst Hall Studios. Ensuite, Zimmer enregistra les parties de piano qu’il interpréta lui-même pour quelques scènes comme le passage près de Saturne, sans oublier l’ensemble vocal de 60 choristes, enregistrés de manière expérimentale, éloignés des microphones, puis utilisés comme des effets de réverbération pour les pianos, l’idée étant d’obtenir un son humain déformé, éloigné du monde terrestre, une abstraction sonore reflétant l’idée du voyage dans l’espace et dans le temps, hors du monde. Pour finir, Zimmer conçu des sonorités particulières à l’aide d’un groupe d’une dizaine d’instruments à vent soufflant ou produisant des effets sonores atypiques et particuliers pour le film. « Interstellar » s’ouvre au son de bruitages imitant le souffle du vent et de la pluie dans un champ dans « Dreaming of the Crash », qui développe une première phrase mélodique planante, lente et minimaliste, partagée entre un orgue feutré et quelques nappes synthétiques discrètes. La douceur presque infime de « Dreaming of the Crash » nous plonge d’emblée dans une atmosphère onirique assez surréaliste, sans artifice, simplement mais avec une poésie presque irréelle.

« Cornfield Chase » dévoile alors le thème principal de la partition, un motif harmonique constitué d’une succession d’accords émouvants dominés par des arpèges d’orgue qui montent crescendo et quelques effets sonores particuliers de piano en écho avec harpe et synthés. Esthétiquement parlant, la musique de « Interstellar » révèle très rapidement des influences évidentes, et notamment celle de l’américain Philip Glass, à qui Zimmer emprunte son caractère minimaliste et étrangement répétitif - le score semble très inspiré du style des musiques de Glass pour « Koyaanisqatsi » (1982) – C’est d’autant plus flagrant dans la manière dont Zimmer utilise l’orgue de manière répétitive, apportant une ambiance très particulière aux images et plutôt anti-conventionnelle. « Dust » évoque l’agonie de la Terre avec une nouvelle phrase mélodique des cordes et des bois créant ici une ambiance planante sur un tempo lent et méditatif, mais non dénué d’une certaine mélancolie rêveuse et douce largement portée ici par les nappes sonores de cordes, des vents, des voix lointaines et des synthés. L’écriture de l’orgue vers la fin de la deuxième minute évoque, par ses arpèges quasi baroques, une écriture proche des grands maîtres de cet instrument et des toccatas pour orgue comme ont pu en écrire des musiciens comme Jean-Sébastien Bach, Dietrich Buxtehude ou Girolamo Frescobaldi. Si le thème principal, repris dès 1:50 dans « Day One », évoque l’idée du sacrifice et de l’amour au-delà des frontières de notre monde, le second thème du score, largement développé au piano durant une partie de « Day One » évoque l’équipage de la mission envoyée dans l’espace pour explorer les mondes pouvant abriter les survivants humains. On notera ici l’apport indispensable du sound design autour des instruments, et notamment de la réverbération profonde apportée au piano, à l’orgue ou aux voix, pour refléter une certaine spatialisation sonore évoquant l’immensité de l’espace et des galaxies. Dans « Stay », on retrouve le thème planant de la Terre de « Dreaming of the Crash », alors que Cooper a pris sa décision de quitter sa famille pour partir dans l’espace, et ce malgré les pleurs de sa fille Murphy. Le thème est de nouveau développé ici par l’orgue sur un tempo toujours très lent et méditatif, typique de la partition de « Interstellar », ponctué ici de quelques harmonies majeures/mineures simples évoluant sur une pédale basique de DO.

Les détracteurs d’Hans Zimmer reprocheront la trop grande simplicité de ces passages sans artifice et finalement très épurés, bien que le concept du score soit justement d’épurer le son au maximum afin d’aller à l’essentiel et de créer une atmosphère originale à l’écran, presque unique pour ce film. Malgré la lenteur de la partition, l’émotion évolue et n’est pas en reste, notamment lorsque le thème de la terre grandit dans « Stay » alors que Cooper quitte sa famille, jusqu’à un crescendo puissant des cordes accompagnées d’arpèges baroques et quasi liturgiques de l’orgue et de trémolos grandioses des cordes. Encore plus minimaliste, le piano solitaire de Zimmer flotte mystérieusement dans l’espace dans « Message from Home », pour la fameuse traversée devant la planète Saturne. Cette scène, quasi ‘muette’, est entièrement portée par les notes hésitantes et solitaires du piano, avec une série d’accords mineurs très classiques d’esprit (c’est là où l’on ressent l’influence évidente du « 2001 » de Kubrick), faisant par ailleurs référence au thème de la terre, qui n’est plus qu’un lointain souvenir pour les membres de l’équipage, alors que Cooper reçoit des messages de ses proches restés sur Terre, un pur moment de poésie particulièrement touchant dans le film, avec une musique simple et épurée, mais jamais simpliste ! Dans « The Wormhole », Zimmer entame la seconde partie de sa partition avec une ambiance plus expérimentale pour évoquer le trou noir de ver du film. Pour créer l’atmosphère sonore étrange et surréaliste du trou de ver, Zimmer combine ici les sons abstraits/expérimentaux enregistrés avec les bois, les voix et bien évidemment l’orgue, utilisé ici dans un crescendo magistral saisissant. Les sons très particuliers de « The Wormhole » apportent une ambiance étrange aux images, à mi-chemin entre l’onirique et le réel, le tout accompagné de petites percussions métronomiques évoquant l’idée d’un compte à rebours, d’une montre ou d’une pendule. Cet élément, anodin en apparence, a pourtant son importance au niveau narratif et dramaturgique, puisqu’il s’agit d’évoquer l’idée du temps qui s’écoule de manière différente dans l’espace et sur Terre (une heure sur le monde exploré équivalant à 7 ans dans notre monde). L’exploration du monde dans « Mountains » prolonge cette utilisation de ponctuations métronomiques avec des col legnos de cordes et une certaine grandeur dramatique et tragique de l’orgue, du choeur (méconnaissable, car utilisé de manière abstraite à la fin du morceau) et du reste de l’orchestre, avec des allusions au thème principal baignant dans une atmosphère répétitive à la Philip Glass.

« Afraid of Time » contrecarre le drame de l’écoulement du temps en reprenant le thème de l’équipage (dès 0:46) dans une ambiance particulière avec une combinaison de bois aigus (un piccolo et une flûte en octaves) dès 1:33, sur fond de notes vaporeuses de piano. Ici aussi, on appréciera le minimalisme de la partition, fait rare pour un blockbuster hollywoodien d’une telle ampleur, tandis que « A Place Among the Stars » évolue quand à lui vers une ambiance plus sombre et pesante alors que les choses se gâtent et que l’espoir de survie de l’humanité et de la mission s’évapore peu à peu, idée qui aboutit à l’intense « Running Out », dans lequel Zimmer utilise des notes graves et dissonantes des 4 pianos, sur fond de notes répétitives et de reprises touchantes et éthérées du thème mélancolique de l’équipage et de Cooper (curieusement, les premières notes du thème rappellent la chanson « Oh Marie ! » de Johnny Hallyday !). Dans « I’m Going Home », on retrouve les sonorités et le thème de la Terre entendu au début du film, alors que Cooper comprend que la mission va être un fiasco et qu’il souhaite retourner sur Terre afin de retrouver ses proches. L’affrontement surprise avec le Dr. Mann (Matt Damon) dans « Coward » est l’un des morceaux les plus longs du score et l’un des plus intenses. Sombre et pesant, « Coward » personnifie le danger et la tension à l’aide des percussions métronomiques (comme dans « Journey to the Line » de « Thin Red Line ») et une utilisation particulière des bois, incluant ici un groupe de clarinettes et un orgue gothique spectaculaire dont les notes rapides, doublées par les pianos, sont l’objet d’un sound design particulier rendant quasi surréalistes les notes d’orgue. L’affrontement se prolonge dans « Detach », 6 minutes 42 particulièrement sombres, dramatiques et intenses, où le thème de la terre prend un écho incroyablement puissant et apocalyptique, avec un tutti orchestral démesuré sur fond de percussions métronomiques, sans aucun doute l’un des passages les plus spectaculaires de la partition de « Interstellar », incluant un final grandiose et rêveur aux harmonies planantes des cordes et de l’orgue, éminemment classiques et très wagnériennes d’esprit (influence habituelle chez Zimmer), bien que l’utilisation de l’orgue fait parfois penser ici à certaines mesures du « Requiem » de Gabriel Fauré.

« S.T.A.Y. » accompagne toute la partie finale dans le cube en 5 dimensions où Cooper tente de communiquer avec sa fille sur Terre. C’est l’occasion pour Hans Zimmer de reprendre son magnifique thème principal émouvant d’orgue de façon planante et rêveuse, tandis que « Where We’re Going » conclut le film et la partition avec le retour du thème de la terre et du thème principal, 7 minutes parfaites pour refermer une partition épatante, émouvante et assez particulière. Au final, on ressort donc complètement emballé par l’émotion et l’ambiance si singulière de la musique de « Interstellar », probablement l’un des meilleurs travaux qu’Hans Zimmer ait écrit pour un film au cours de ces 10 dernières années. Simple et répétitive en apparence, la musique risque fort d’en décevoir quelques uns à la première écoute, mais une vision attentive du film nous permettra d’apprécier pleinement le caractère onirique si spécial de cette musique, une oeuvre portée par des notes rêveuses et répétitives qui semblent nous inciter au voyage, à la méditation, à la redécouverte de soi, du monde qui nous entoure et de l’espace infini, car « Interstellar », c’est un peu tout cela à la fois. Certes, on pourra toujours reprocher le manque de sophistication d’un score très simple, sans grand contrepoint, sans harmonie ni mélodie géniale ou très inspirée, mais ce serait négliger injustement le pouvoir d’une partition qui se nourrit du film et existe en elle-même (l’album est très écoutable du long de ses 71 minutes) comme une expérience à part entière, quasi religieuse, quasi mystique. L’orgue est évidemment la clé de voûte de cette oeuvre assez spéciale qui risque d’en décontenancer plus d’un, bien que les racines de cette musique ne sont pas à chercher très loin (Philip Glass, Vangelis, et même un peu du « Mission to Mars » d’Ennio Morricone). Parfois spectaculaire et parfois résolument dramatique, la musique de « Interstellar » refuse pourtant tout artifice hollywoodien et opte au contraire pour une palette instrumentale et sonore assez spéciale, utilisant des groupes d’instruments de façon peu habituelle pour un résultat impeccable à l’écran, la musique étant posée librement sur les images afin de créer une ambiance immersive nécessaire à la compréhension du récit et des émotions – rarement une musique aura eu un tel impact émotionnel sur les images depuis ces 20 dernières années ! - Bilan final plus que positif donc pour le nouvel opus musical d’Hans Zimmer pour « Interstellar », probablement l’une des plus belles surprises musicales de cette année 2014 !




---Quentin Billard