1-Main Titles 1.32
2-Little Psycho 1.49
3-Unknown Caller 1.37
4-I Stopped Lying 1.29
5-Parole Denied 1.55
6-Primal Scream 2.45
7-A Woman Your Age 1.53
8-It Was Necessary 2.38
9-The Book, The Bell, The Candle 1.59
10-Ash Girl 1.36
11-Just Good Friends 2.10
12-A Tortured Soul 3.58
13-The Shutters 3.33
14-In Control 2.31
15-A Prowler 3.44
16-Fresh Paint 2.01
17-A Different Ending 3.01

Musique  composée par:

Anne Dudley

Editeur:

Sony Classical 88985361012

Album produit par:
Anne Dudley
Assistant compositeur:
Arran Price
Supervision musique:
Elise Luguern
Agent compositeur:
Chris Gutch

(c) 2016 SBS Productions/France 2 Cinéma/Twenty Twenty Vision Filmproduktion GmbH/Entre Chien et Loup/Canal +/France Télévisions/OCS/CNC. All rights reserved.

Note: ***1/2
ELLE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Anne Dudley
Depuis son retour en Europe avec « Black Book » en 2006, Paul Verhoeven s’est fait plus discret au cinéma, laissant s’écouler quelques années entre chaque film, puisqu’il faudra attendre 2012 pour voir sortir sur les écrans son nouveau film néerlandais « Tricked », suivi 4 ans plus tard de « Elle » sorti en salles en 2016. Le film, première production française de Paul Verhoeven, est une adaptation sulfureuse du roman « Oh… » de Philippe Djian publié en 2012. « Elle » raconte ainsi l’histoire mouvementée de Michèle Leblanc (Isabelle Huppert), ambitieuse et intransigeante PDG d’une entreprise de jeu vidéo qui gère ses affaires d’une main de fer. Un jour, tout bascule lorsque Michèle est subitement attaquée chez elle par un mystérieux inconnu qui la viole et s’enfuit en la laissant sur place. Bien décidée à ne rien laisser paraître, Michèle tente de reprendre sa vie en main et semble inébranlable, comme si rien ne s’était passé. Elle couche ponctuellement avec le mari de sa meilleure amie et associée Anna (Anne Consigny), se dispute avec sa mère, une cougar qui sort avec un jeune homme qui pourrait avoir l’âge de son fils, tente de raisonner son fils Vincent (Jonas Bloquet) qui se laisse dominer par sa fiancée tyrannique Josie (Alice Isaaz) et doit gérer des problèmes récurrents sur son lieu de travail, à savoir qu’un inconnu lui a envoyé un montage vidéo d’elle dans un jeu vidéo érotique. Et de fil en aiguille, Michèle va retrouver son mystérieux agresseur et commencera à entamer un jeu dangereux avec lui, un jeu de fantasme et de séduction perverse où chacun manipule l’autre, et dont l’issue semble plus qu’imprévisible.

Le film est entièrement porté par les épaules d’Isabelle Huppert, grande admiratrice de l’oeuvre de Paul Verhoeven, qui s’intéresse cette fois-ci à la bourgeoisie parisienne dans un contexte contemporain (le marché du jeu vidéo, un parallèle évident entre la réalité et la fiction, puisque le jeu sur lequel travaille Michèle est particulièrement violent, avec notamment des scènes érotiques très crues et fantasmées). Mais le vrai thème du scénario, c’est avant tout celui des fantasmes sexuels inavoués, et lorsque Michèle se fait violer par un mystérieux inconnu, cela déclenche chez elle une sorte de réaction en chaîne imprévisible, libérant ses pulsions, ses désirs sexuels les plus indicibles. A ce sujet, le film se passe de commentaire et permet à Huppert de camper une femme d’affaire froide que rien ne semble atteindre, même la pire des situations. Tout le film repose par ailleurs sur ce postulat de l’incommunicabilité des émotions et des sentiments, remplacés ici par des pulsions animales – un thème récurrent dans l’univers de Verhoeven – Mais bien plus qu’un drame personnel, « Elle » est avant tout un thriller, un registre que Verhoeven connaît bien (« Basic Instinct »), et qu’il exploite à travers ce jeu pervers entre l’agresseur et l’agressée, où tout peut basculer à chaque instant. Et comme toujours, Verhoeven reste fidèle à son goût pour la subversion en montrant par exemple une scène où Michèle se masturbe cachée derrière un rideau en observant l’homme qu’elle désire par la fenêtre (habituellement, c’est plutôt l’inverse !).

On y retrouve aussi l’un des autres thèmes clés de la filmo de Verhoeven : la religion, thème incarné dans le film par Virginie Effira, qui campe une voisine, Rebecca, super catho et pratiquante convaincue, et dont le compagnon, Patrick (Laurent Lafitte), semble incarner le gendre idéal, du moins en apparence. Le fait même que la scène de masturbation se déroule au moment où Rebecca et Patrick déplacent des décorations religieuses dans leur maison en dit long sur l’état d’esprit de Verhoeven, toujours plus corrosif que jamais. Etrange, violent, satirique, décalé, excitant ou frustrant, « Elle » est un peu tout cela à la fois. On regrette néanmoins le jeu parfois trop théâtral des acteurs français qui ont parfois tendance à trop en faire ou alors pas assez (curieusement, ils ne savent plus articuler correctement, car il faut parfois tendre un peu plus l’oreille pour comprendre certaines répliques du film, notamment les premières phrases d’Huppert vers le début du film !), sans oublier une accumulation d’intrigues secondaires pas toujours très utiles. Néanmoins, force est de constater que malgré un cahier des charges évident et des moyens limités, Verhoeven réussit à livrer un film personnel sur le thème des fantasmes sexuels qui évoluent constamment chez l’héroïne au contact d’un homme louche et pervers, et qui doit beaucoup à la présence impressionnante d’Isabelle Huppert et de ses collègues (Charles Berling, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Virginie Efira, Judith Magre, Alice Isaaz). Alors oui, « Elle » est un film bizarre, un film qui remue et qui dérange, très inégal et presque incompréhensible – car il ne faut pas chercher à le comprendre ! - mais en pleine période de vache maigre dans un cinéma français qui s’essouffle artistiquement parlant, on aurait tort de passer à côté d’un film aussi personnel et particulier que « Elle », véritable OVNI cinématographique rafraîchissant, qui ne ressemble à aucun autre film !

Anne Dudley retrouve à nouveau Paul Verhoeven après « Black Book » en 2006. La compositrice anglaise signe pour « Elle » une partition plutôt discrète et minimaliste, éminemment classique dans son approche musicale et ses orchestrations. La musicienne, connue pour ses musiques de film telles que « The Full Monty », « The Crying Game », « American History X », « Monkeybone » ou « Tristan & Isolde », renouvelle sa collaboration avec Verhoeven et signe pour « Elle » une partition minimaliste, essentiellement destinée à un ensemble de cordes avec une harpe et quelques bois. Très classique d’esprit, la musique, enregistrée avec l’orchestre de chambre de Londres, représenta un certain challenge pour Anne Dudley, qui explique dans une note de son site internet : « j’ai essayé de donner du coeur au personnage de Michèle et de refléter sa complexité ». Le problème, c’est que Michèle semble froide et inatteignable malgré tout ce qui arrive dans sa vie. Du coup, la musique semble refléter cette distance en conservant une certaine retenue tout en accentuant les tonalités mineures et le jeu des cordes, parfois de manière très herrmannienne (c’est un thriller avant tout !). Le thème principal associé à Michèle est dévoilé dès le générique de début du film dans le « Main Titles », par des violons accompagnés du reste des cordes, de la harpe, des bois et d’un cor. Elégante et un brin mélancolique, la mélodie de cordes associée à Michèle dans le film évoque aussi bien ses sentiments intérieurs tourmentés que le drame qu’elle vit en secret. On devine par ailleurs une certaine mélancolie sous-jacente dans la musique de Dudley que les images du film peinent à traduire vraiment, Verhoeven ayant choisi de refouler les sentiments et les émotions de l’héroïne du film.

Dès lors, le ton est donné, et la musique s’évertue essentiellement à évoquer cette ambiance discrète, un peu morose et toute en retenue, comme dans « Little Psycho » et son cor soliste sur fond de cordes. Dans « Unknown Caller », la musique prend une autre tournure avec l’apparition d’une basse synthétique et de cordes plus sombres évoquant le mystérieux agresseur du film. Dudley dévoile ici un second thème aux cordes, thème mystérieux dont les premières notes ne sont pas sans rappeler curieusement le début de « Neptune » des « Planètes » de Holst. Un brin répétitive, la musique est heureusement utilisée avec parcimonie, apparaissant dans les moments clé du film et relativement discrète sur les images. « I Stopped Lying » confirme l’orientation musicale voulue par la compositrice sur « Elle », tandis que « Parole Denied » semble plus dramatique avec ses cordes tragiques et tourmentées, et l’omniprésence de tonalités mineures qui renforcent la morosité ambiante de la musique. A noter ici l’emploi très réussi du violon soliste et des bois qui apportent une couleur supplémentaire à la partition. Le thème de Michèle revient ensuite dans « Primal Scream » avant de basculer dans l’horreur dès 0:50 lors d’un sursaut terrifiant pour une autre scène d’agression dans le film. La musique bascule soudainement dans l’épouvante pure à l’aide de sonorités électroniques dissonantes, de percussions synthétiques meurtrières et de clusters terrifiants des cordes. Dudley suggère ici la violence de l’agression de manière évidente, la dernière partie de « Primal Scream » rappelant quasiment le « Basic Instinct » de Jerry Goldsmith – bien qu’on retrouve ici un style agressif qu’on entendait déjà dans la musique de « Black Book » -

Ainsi donc, Anne Dudley a la bonne idée d’apporter un peu de mouvement à un score relativement statique, d’autant qu’après « Primal Scream », la musique de « Elle » semble évoluer lentement vers quelque chose de plus torturé, de plus noir. On note aussi dans certaines pistes l’emploi discret d’un harmonica de verre, dont les sonorités étranges et envoûtantes illustrent parfaitement cette atmosphère de séduction et de mystère. Dès « A Woman Your Age », la musique semble plus orientée vers le suspense, les dissonances commencent à envahir progressivement la partition, la tension montant crescendo. Si le score hésitait encore dans les premières minutes du film, aucun doute possible : dès « It Was Necessary », on rentre très clairement dans l’ambiance oppressante et violente de l’histoire. Dudley reprend dans « It Was Necessary » le matériau de « Primal Scream » pour évoquer une autre scène d’agression à l’aide de synthétiseurs, de cordes dissonantes et de percussions synthétiques brutales. Le rappel au thème de Michèle dans « The Book, The Bell, The Candle » est là pour rappeler la partie plus émotionnelle de l’histoire, même si là aussi, le suspense et la tension reprennent très vite le dessus. « Just Good Friends » tente quand à lui de calmer le jeu avec un bref passage de piano intimiste plus serein (et pour une fois en majeur !), qui n’est pas sans rappeler Thomas Newman, alors que « A Tortured Soul » évoque les fantasmes sexuels de l’agresseur et de Michèle sur un ton menaçant et oppressant. La musicienne développe ici un motif de 7 notes de cordes associé à l’agresseur, déjà entendu dans « A Woman Your Age », à 1:11 dans « The Book, The Bell, The Candle », à 1:00 dans « The Shutters » ou à 1:25 dans « In Control ». Le thème de l’agresseur devient omniprésent durant la dernière partie de la musique et du film, et ce dès que Michèle découvre qui est l’homme qui l’a agressé à plusieurs reprises.

« A Prowler » nous ramène dans l’ambiance de suspense violent du début et fait monter la tension d’un cran avec des cordes torturées, tragiques et sinistres lors de l’affrontement final. Dudley ramène ensuite le calme dans sa partition avec « Fresh Paint » qui évoque une sensation de libération et de soulagement (avec harmonies en majeur), suivi d’une ultime reprise du thème principal dans « A Different Ending ». Anne Dudley livre donc pour « Elle » une partition en demi teintes, entre mélancolie toute en retenue et explosions de violence, à l’image d’une héroïne complexe, torturée et inatteignable, qui gère sa vie comme ses affaires, avec une poigne d’acier. Si le film s’évertue à suggérer l’emprise de ses fantasmes sexuels indicibles sur son existence – et sa relation étrange avec son agresseur – la musique contribue quant à elle à apporter un support émotionnel indispensable à des images bien sèches et froides, accentuées par des couleurs mornes et une mise en scène somme toute assez minimaliste. Un peu répétitive et monotone à la première écoute, la musique grandit au fil des écoutes, révélant la justesse de ton de l’approche musicale voulue par Anne Dudley sur « Elle ». Un peu comme dans « Black Book », nous sommes là face à une partition peu originale et sans surprise, mais qui finit par révéler toutes ses subtilités et ses détails sur la longueur, le tout baignant dans une ambiance psychologique douce-amère, entre retenue et violence pure. « Elle » est donc un score très classique qui ne laissera pas un souvenir immuable mais qui satisfera à coup sûr les amateurs des musiques d’Anne Dudley et des fans de Paul Verhoeven, même si l’on est loin, très loin, du brio des musiques de Jerry Goldsmith ou de Basil Poledouris – c’était une autre époque et un tout autre contexte ! –



---Quentin Billard