1-Pre-Title Sequence 0.49
2-Main Title 2.05
3-Animal Mutilations 3.21
4-Preston's Memories 3.47
5-Abduction 3.11
6-There is Something Out There 4.24
7-Monster Vision 6.39
8-Preston and Amanda 2.41
9-The Cave 5.02
10-Squatch Revealed 2.31
11-Rampage 2.48
12-Setting the Trap 4.33
13-Rappelling 3.22
14-Escape Attempt 1.46
15-Off-Road Rage/Final Battle 3.03
16-The Survivors 1.58
17-Searching the Woods 1.30
18-One Blade of Grass 2.27*

Bonus Tracks

19-Girls Next Door 1.47
20-Otis Leaves 0.46
21-Rampage-Alternate Version 2.30

*Interprété par
Pat Windsor Mitchell
Ecrit par Roy Bennet et Sid Tepper.

Musique  composée par:

Lalo Schifrin

Editeur:

Aleph Records 036

Produit par:
Nick Redman
Producteur exécutif:
Donna Schifrin
Montage:
Daniel Hersch, Gustavo Borner
Mastering:
Daniel Hersch
Orchestre:
The Czech National Symphony Orchestra
Musique électronique additionnelle:
Ruy Folguera

Artwork and pictures (c) 2006 Red Circle Productions. All rights reserved.

Note: ***
ABOMINABLE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Lalo Schifrin
Le mythe du Bigfoot semble avoir la peau dure au cinéma. Créature célèbre du folklore populaire américain – connue aussi sous le nom de Sasquatch – le Bigfoot a inspiré des générations entières de cinéastes et de fans d’épouvante et de films fantastiques. Outre la fameuse vidéo documentaire tournée par Roger Patterson et Robert Gimlin en 1967, on a vu débarquer sur nos écrans toute une série de productions en tout genre incluant « Sasquatch : The Legend of Bigfoot » d’Ed Ragozzino (1977), « The Legend of Boggy Creek » de Charles B. Pierce (1972) et sa suite « Return to Boggy Creek » (1977) ou le classique de la comédie familiale 80’s « Harry and the Hendersons » de William Dear (1986). Revenu au goût du jour depuis les années 2000, les films mettant en scène le Bigfoot et ses dérivés (Yétis, Yowie, créatures sauvages, etc.) n’ont cessé de se multiplier depuis une quinzaine d’années, incluant quelques séries-B récentes comme « Sasquatch Mountain » (2006), « Curse of the Snow Demon » (2008), « Sasquatch Assault » (2009) ou le DTV « Bigfoot » (2006), des titres évocateurs d’un cinéma d’exploitation oscillant régulièrement entre le B et le Z, pour un résultat rarement satisfaisant – on pourrait aussi citer le récent film en ‘found footage’, « Exists » d’Eduardo Sanchez, sorti en 2014 – Dès lors, difficile de se passionner vraiment pour une créature dont les apparitions à la télé ou sur grand écran ont souvent été associées à des nanars ou des productions fauchées bien médiocres (« Exists » étant l’un des rares films réussis sur le Bigfoot !).

Face à ces multiples tentatives ratées, le jeune cinéaste Ryan Schifrin – dont c’est là le second-métrage pour le cinéma - propose à son tour sa vision du célèbre monstre dans « Abominable », film d’épouvante au budget modeste dont le scénario, plutôt malin, emprunte autant à l’imagerie conventionnelle des films de Bigfoots qu’aux thrillers hitchcockiens classiques. L’histoire se déroule dans une région rurale en Amérique près des montagnes. Preston Rogers (Matt McCoy) est devenu paraplégique suite à un terrible accident d’alpinisme ayant coûté la vie de sa femme. Il sort enfin de l’hôpital au bout de six mois, en fauteuil roulant, accompagné par son aide-soignant Otis Wilhelm (Christien Tinsley), et s’installe dans son ancien chalet au bord de la forêt. Cinq jeunes femmes arrivent alors et s’installent dans le chalet d’à côté pour y passer un week-end sympa à la montagne. Tout semble aller pour le mieux jusqu’au jour où Preston, observant ses voisines à travers sa paire de jumelles, remarque la soudaine disparition de l’une d’entre elle. Inquiet, Preston est convaincu que quelque chose se cache dans les bois et vient d’attaquer la jeune femme, mais Otis refuse de le croire et les jeunes femmes restent sourdes aux signes de Preston à sa fenêtre, persuadées qu’il s’agit d’un voyeur pervers. Le cauchemar commence alors lorsqu’une gigantesque créature surgit des bois et attaque un groupe de chasseurs locaux, avant de s’en prendre aux jeunes femmes du chalet. Bloqué chez lui, Preston observe tout par la fenêtre et décide d’agir coûte que coûte.

« Abominable » parvient ainsi à se distinguer de la masse en empruntant son scénario au fameux « Rear Window » (1954) d’Alfred Hitchcock, l’histoire étant cette fois-ci vue à travers les yeux d’un paraplégique qui assiste horrifié depuis la fenêtre de sa maison à des scènes d’attaques sanguinaires perpétrées par un terrible Bigfoot dans le voisinage. Le concept n’est donc pas neuf – le DTV « Mimic 3 » de J.T. Petty (2003) se déroulait exactement de la même façon – Mais l’idée de choisir un héros paraplégique est plutôt intéressante et assez inédite dans le cinéma d’épouvante, permettant à Ryan Schifrin d’intensifier le suspense et la sensation de claustrophobie alors que Preston Rogers se retrouve bloqué chez lui en fauteuil roulant, aux prises avec un aide-soignant irascible qui refuse d’écouter les élucubrations romanesques de son patient. Et lorsque le Bigfoot se dévoile enfin, le film plonge tête baissée dans l’épouvante pure avec son lot de scènes gores et de scare jumps. Seulement voilà, Schifrin est un jeune réalisateur qui manque encore d’expérience et le film est réalisé platement, à la manière d’un téléfilm vieillot, qui semble surgir tout droit des années 70. Malgré quelques décors ruraux de qualité, « Abominable » prend des airs de vieille série-B fauchée, qui se rattrape grâce à un script assez malin et une créature relativement crédible et impressionnante, malgré la maigreur du budget – l’affrontement final est somme toute très réussi - Niveau casting, le film nous permet de retrouver quelques caméos de vétérans comme Rex Linn, Lance Henriksen ou Jeffrey Combs, incluant par ailleurs une scène où les trois acteurs sont réunis, une séquence inutile où Ziegler Dane (Lance Henriksen) raconte une histoire absurde à un Jeffrey Combs particulièrement hilare. On retrouve aussi Dee Wallace Stone (vue dans « The Howling ») et Tiffany Shepis, des habituées du cinéma d’épouvante, au même titre que Jeffrey Combs (« Re-Animator ») et Lance Henrisken (« Aliens », « Pumpkinhead »).

« Abominable » permet au maestro Lalo Schifrin de nous offrir une nouvelle partition horrifique dans la continuité de ses musiques avant-gardistes/expérimentales des années 70. Le compositeur est par ailleurs le père du réalisateur du film, Ryan Schifrin, ce qui explique sans aucun doute la participation de son paternel sur « Abominable » (probablement une première dans l’histoire du cinéma !). Dans une note du livret de l’album, le réalisateur explique le privilège d’être le fils d’un grand compositeur du cinéma, et notamment d’avoir eu la chance d’assister aux sessions d’enregistrement de nombreux scores de son père par le passé. Dès la première écoute, on est frappé ici par le classicisme d’écriture du score de Lalo Schifrin : le musicien revient 30 ans en arrière et renoue non sans nostalgie avec une époque révolue de la musique de film. Enregistrée à Prague avec les 90 musiciens du Czech National Symphony Orchestra, le score de « Abominable » débute sous les meilleures auspices avec une ouverture clairement expérimentale à base de sonorités électroniques macabres et de FX empruntées à la bande son du film. Dès « Main Title », Schifrin pose les bases du score à l’aide de cordes mystérieuses et inquiétantes sur fond de percussions acoustiques/électroniques et de bois graves et menaçants. Les cordes annoncent le thème principal dès 0:54 associé au Bigfoot sur fond de contrepoint agité des cordes. « Animal Mutations » nous plonge ensuite dans l’horreur avec les premières cordes dissonantes et stridentes du score, incluant d’étranges effets de glissandi et de clusters avant-gardistes. On retrouve clairement ici le Schifrin de « Amityville Horror » (1979) ou de sa musique rejetée pour « The Exorcist » (1973), avec son écriture radicale et dissonante résolument kitsch, typique des musiques d’épouvante orchestrales des années 70 – il faut quand même reconnaître que plus personne n’écrit de cette façon aujourd’hui ! - Schifrin joue ici la carte de la nostalgie et aborde « Abominable » comme s’il était encore dans les seventies. Le classicisme d’écriture et les effets avant-gardistes de l’orchestre traduisent une science évidente et apporte un style étonnamment baroque au film de Schifrin junior.

« Preston’s Memories » confirme l’orientation classique du score, en introduisant un autre grand thème du score, le thème de Preston Rogers. La mélodie associée au héros du film évoque avec une douce mélancolie les souvenirs de Preston concernant sa femme décédée. On retrouve dans la mélodie une tristesse un brin nostalgique largement accentuée ici par des orchestrations et une esthétique musicale qui rappelle le Golden Age hollywoodien, notamment dans l’écriture des cordes et des bois – quasi Herrmannienne – Ceux qui ignorent que ce score a été écrit en 2006 auront par ailleurs bien du mal à le croire ! – La mélodie de Preston est reprise de manière poignante au piano et à la harpe sur fond de trémolos de cordes à la fin de « Preston’s Memories », pour l’un des moments les plus touchants du score de « Abominable », d’une grande délicatesse et d’une élégance magistrale. Dans « Abduction », Schifrin souligne la disparition de l’une des jeunes voisines de Preston, à l’aide d’étranges arpèges aigus de piano et de contrebasses menaçantes. On notera ici le caractère extrêmement classique des orchestrations, Schifrin allant même jusqu’à ponctuer sa musique d’harmonies quasi impressionnistes évoquant la musique symphonique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. « Abduction » se conclut par ailleurs dans le chaos pur avec un sursaut orchestral extrêmement brutal et strident. Dès lors, le ton est donné, et la musique s’évertuera essentiellement à faire monter la tension en installant un climat anxiogène permanent à l’écran. Dans « There is Something Out There », Schifrin applique à la lettre toutes les recettes des musiques avant-gardistes du XXe siècle, imitant l’esthétique musicale contemporaine de Xenakis, Penderecki ou Ligeti à l’aide de clusters stridents, glissandi, trilles et nuages sonores multiples. Ici aussi, impossible de ne pas apprécier l’inventivité des couleurs orchestrales, d’une richesse épatante, digne des plus grands maîtres – à noter les effets sonores du piano préparé ou du célesta – Le compositeur développe par ailleurs un motif de 4 notes associé à la menace du Bigfoot dans le film, très présent vers la fin de « There is Something Out There ».

Dans « Monster Vision », Schifrin évoque le point de vue de la créature à l’aide de notes aiguës de flûtes, de violons et de piano sur fond de pizzicati. La musique est ici étrangement fantaisiste, presque minimaliste, avec l’ajout de ses deux clarinettes énigmatiques et le retour du motif de 4 notes du Bigfoot à la harpe (vers 1:37) et ses glissandi dissonants repris de « Animal Mutations ». Hormis le retour du thème mélancolique de Preston dans « Preston and Amanda », Schifrin cède la place aux effets électroniques de son collègue argentin Ruy Folguera dans « The Cave », pour la séquence où les chasseurs découvrent la caverne du Bigfoot. Essentiellement atonal, le morceau est dominé par des FX de cordes et de percussions empruntés à la banque de son EWQLSO de chez East-West (dommage par ailleurs que l’ensemble sonne curieusement cheap au milieu d’un score somme toute très sophistiqué et richement orchestré). « Squatch Revealed » accompagne quand à lui la séquence où l’on aperçoit enfin le monstrueux Bigfoot. Le morceau se termine par ailleurs sur une coda étrangement grandiose et héroïque du plus haut niveau. Les FX électroniques reviennent dans « Rampage », alors que le Sasquatch sème le chaos là où il passe et s’attaque aux voisines de Preston. Le morceau est un pur tour de force orchestral d’une rare virtuosité, Schifrin privilégiant chaque pupitre de l’orchestre avec brio, malgré l’utilisation de percussions électroniques ratées et maladroitement surmixées par dessus l’orchestre (notamment pour les samples de toms et de bass drum). « Setting the Trap » évoque la séquence où Preston et Amanda (Haley Joel) préparent les pièges destinés au Bigfoot. L’ambiance est ici étrangement mystérieuse avec un soupçon d’ironie dans le jeu des duos de bois en tierces (notamment les 2 flûtes) qui rappellent curieusement le second mouvement du « Concerto pour orchestre » de Bartok, sans oublier un motif rythmique central de piano plutôt intrigant et insistant.

L’affrontement avec la créature surgit soudainement dans l’impressionnant « Rappelling » et ses rythmes agressifs. De la même façon, « Escape Attempt » est un autre morceau d’action tonitruant et éclatant où Schifrin développe le thème du monstre avec ses cordes survoltées et ses bois grimpants, mais sans jamais verser dans la cacophonie pure. La confrontation finale est illustrée dans les 3 minutes intenses de « Off-Road Rage/Final Battle » où la musique prend une dimension quasi épique et monumentale. On retrouve les clusters stridents de « Animal Mutilations » avec des bois et des cuivres dissonants qui font parfois penser à Jerry Goldsmith. Le thème du Bigfoot est ici largement développé, entrecoupé d’allusions aux trois premières notes descendantes de la mélodie de Preston. Sa mélodie élégante est ensuite entièrement reprise au cor dans le mélancolique « The Survivors » à la fin du film. Quand à « Searching the Woods », il s’agit d’une ultime touche de noirceur qui clôt le film avec l’idée d’une hypothétique suite. A noter que l’album se conclut avec des pistes bonus assez particulières, et notamment « Girls Next Door » qui semble surgir tout droit d’une comédie, « Otis Leaves » et ses accents pseudo mystérieux mais pas très sérieux, ou « Rampage-Alternate Version » qui semble surgir d’un film de Godzilla des années 50. Ainsi s’achève l’écoute de « Abominable », l’ultime hommage d’un grand maître de la musique de film des années 60/70 qui renoue une dernière fois avec une esthétique musicale aujourd’hui révolue par le biais du film de son jeune fils Ryan.

Sans être une partition d’exception dans l’immense filmographie de Lalo Schifrin, « Abominable » a de quoi en étonner plus d’un, tant le score est diamétralement opposé à tout ce qui se fait aujourd’hui dans le cinéma des années 2000. Véritable plongée nostalgique dans l’ère de la musique de film des années 70, « Abominable » est un score d’épouvante élégant, classique et sophistiqué, dans lequel le compositeur semble porter un regard tendre sur son oeuvre, sans jamais trop se prendre au sérieux (cf. le début étrangement sautillant de « Monster Vision » ou l’ironie de « Setting the Trap »), une sorte de cadeau musical d’un père à son fils, parfois très touchant – le très beau thème mélancolique de Preston – et très particulier sur les images du film. Il y a effectivement un décalage entre l’image typique des années 2000 et une musique qui semble avoir été écrite 30 ans plus tôt, et c’est ce décalage qui fait ici toute la particularité de « Abominable », un score d’épouvante finalement assez attachant, que les fans de Lalo Schifrin auraient tort de bouder, tant il procure un plaisir d’écoute évident, même s’il reste un effort mineur dans la carrière du maestro argentin.



---Quentin Billard