1-Arrival 2.50
2-Heptapod B 3.42
3-Sapir-Whorf 1.16
4-Hydraulic Lift 3.32
5-First Encounter 4.49
6-Transmutation at a Distance 1.34
7-Around the Clock News 1.34
8-Xenolinguistics 3.29
9-Ultimatum 1.52
10-Principle of Least Time 1.20
11-Hazmat 4.48
12-Hammers and Nails 2.31
13-Xenoanthropology 3.08
14-Non-Zero-Sum Game 4.17
15-Properties of Explosive Materials 3.31
16-Escalation 2.02
17-Decyphering 2.05
18-One of Twelve 3.09
19-Rise 1.47
20-Kangaru 2.55

Musique  composée par:

Jóhann Jóhannsson

Editeur:

Deutsche Grammophon B0025830-02

Sound design musique:
Simon Ashdown
Programmation synthétiseur:
Phillip Barth
Montage musique:
Clint Bennett
Orchestre:
The City of Prague Philharmonic Orchestra
Sound design et programmation:
Rutger Hoedemaekers
Assistant du compositeur:
Tim Husom
Arrangements musicaux:
Owen Roberts
Musique additionnelle:
Joan La Barbara
Coordination soundtrack:
Jason Richmond
Sound design:
Will Slater
Orchestrations:
Anthony Weeden
Assistant orchestrations:
Sam Jones

(c) 2016 21 Laps Entertainment/FilmNation Entertainment/Lava Bear Films/Xenolinguistics. All rights reserved.

Note: ***1/2
ARRIVAL
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jóhann Jóhannsson
En l’espace de quelques années, le cinéaste québécois Denis Villeneuve a su s’imposer comme une nouvelle valeur sûre du cinéma américain en signant quelques films mémorables comme « Un 32 août sur Terre » (1998), « Polytechnique » (2009), « Incendies » (2010) ou des thrillers hollywoodiens comme « Prisoners » (2013), « Enemy » (2013) ou « Sicario » (2015). Avec « Arrival » (Premier Contact), Denis Villeneuve s’essaie au genre de la science-fiction en s’inspirant d’une nouvelle de Ted Chiang, « Story of Your Life ». L’histoire débute lorsqu’une douzaine de vaisseaux extraterrestres apparaissent subitement à différents endroits de la Terre et stationnent mystérieusement à quelques mètres au-dessus du sol et des océans. Ces appareils étranges baptisés « coques » à cause de leur forme oblongue et lisse intriguent alors l’armée américaine, qui décide d’établir un contact avec les extraterrestres, dont le vaisseau stationne juste au dessus d’une vallée du Montana. L’armée met en place une équipe dirigée par le colonel Weber (Forest Whitaker) incluant un physicien théoricien Ian Donnelly (Jeremy Renner) et une experte en traduction et en linguistique comparée, Louise Banks (Amy Adams). Toutes les 18 heures, une trappe s’ouvre à la base de la coque, permettant aux humains de pénétrer à l’intérieur du vaisseau et d’entrer en contact avec les extraterrestres qui se trouvent derrière une grande baie vitrée. La mission de Louise et de Ian consiste à établir un contact avec les visiteurs aliens surnommés les heptapodes (à cause de leur forme proche de celle des céphalopodes et de leurs sept membres tentaculaires) afin de clarifier leurs intentions et de découvrir le but de leur visite sur Terre. Surnommés « Abbott » et « Costello » par Louis et Ian, les heptapodes communiquent alors avec un liquide qu’ils expulsent de leurs tentacules et qui forment d’étranges motifs circulaires. Comprenant que la communication verbale est impossible avec les extraterrestres, Louise décide de déchiffrer les mystérieux glyphes inscrits dans les cercles et réussit à décoder le langage verbal des heptapodes. Mais les choses se compliquent lorsqu’un message des aliens est interprété par l’armée comme un échange d’armes. Les chefs des différentes nations décident alors de rompre la communication avec les autres pays, persuadés qu’il s’agit d’une menace envers la Terre. Alors que le monde se retrouve plongé dans une grave crise liée à l’arrivée des heptapodes, Louise tente de comprendre le dernier message des extraterrestres et cherche à élucider la traduction du glyphe complexe interprété comme « arme », persuadée qu’il s’agit probablement du mot « outil ». Au fur et à mesure de ses avancées avec les heptapodes, la paranoïa s’instaure rapidement parmi les militaires et les dirigeants des différentes nations, qui sont sur le point de déclencher les hostilités contre les aliens. Louise tente alors d’empêcher un conflit d’ordre mondial et commence à ressentir d’étranges visions liées à son passé et son avenir, qu’elle tente alors de comprendre par tous les moyens. Se pourrait-il que ses visions aient un lien avec sa rencontre avec les extraterrestres ?

« Arrival » reprend ainsi les recettes de films similaires comme « Contact » de Robert Zemeckis ou « Close Encounters of the Third Kind » de Steven Spielberg. Denis Villeneuve nous présente une intrigue captivante à base de rencontre du troisième type et détourne les codes du genre pour partir sur une intrigue plus philosophique et métaphysique assez saisissante. « Arrival » se présente ainsi comme l’antithèse parfaite des « Independence Day » et autre « War of the Worlds » en représentant symboliquement les extraterrestres comme porteurs d’un mystérieux message dédié à l’humanité. Au-delà de son aspect fantastique et futuriste, le film de Denis Villeneuve est surtout une réflexion passionnante sur la complexité du langage et de la communication, un élément emblématique de toute vie sur Terre qui se retrouve cristallisé ici dans un scénario minutieux et sophistiqué où se mêle science-fiction, réflexions philosophiques et intrigues géopolitiques plus banales – les crises politiques déclenchées par l’arrivée des extraterrestres sur Terre, sous la forme d’enjeux mondiaux qui s’inspirent de la réalité du monde des années 2000, de manière parfois caricaturale – Le film rappelle la nécessité de s’ouvrir à l’autre, d’écouter ceux qui nous sont étrangers et de laisser du temps pour découvrir cet autre qui nous est inconnu, et dont on peut s’enrichir à son contact. C’est dans ce postulat philosophique fondamental qu’« Arrival » réussit à s’imposer comme une fable humaniste saisissante. Heureusement, Villeneuve est un cinéaste intelligent et le film parvient à dépasser les attentes en détournant les codes du film d’extraterrestre pour s’orienter vers des directions inattendues.

Ainsi, l’histoire se double d’un sous-texte plus métaphysique au cours d’étranges séquences oniriques où l’héroïne – superbement interprétée par l’omniprésente Amy Adams – ressent des visions de son existence qui rappelle un fait fondamental, à savoir que l’histoire de l’humanité est un cercle ininterrompu – d’où la symbolique des cercles que les extraterrestres utilisent pour communiquer avec les humains – et que l’histoire se répète sans cesse dans un mouvement perpétuel (la naissance, la vie et la mort). Dévoilant chaque élément de son intrigue avec une remarquable ingéniosité, le film évite toute surenchère visuelle et opte au contraire pour une esthétique plus sobre et quasi européenne dans sa conception. Les séquences où Louise et Ian communiquent avec les extraterrestres apportent un sentiment d’émerveillement assez grisant, fait plutôt rare dans ce type de film, et même si l’on pourra toujours regretter le caractère très sentimental et un peu facile de certaines idées du scénario (les dirigeants humains qui sombrent très vite dans la paranoïa, les stéréotypes humiliants associés aux extraterrestres affublés des noms de deux humoristes américains célèbres, les militaires prêts à déclencher une guerre contre les heptapodes), la boucle est bouclée lorsque le twist final tombe. Dès lors, tout devient limpide dans le dernier acte du film. Ainsi, Denis Villeneuve signe un film de science-fiction au propos humaniste bouleversant, un film remarquable, d’une rare intelligence, sans aucun doute l’un des meilleurs films américains de l’année 2016.

Le compositeur islandais Jóhann Jóhannsson n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’il a déjà signé les partitions de deux films précédents de Denis Villeneuve, « Prisoners » et « Sicario ». Pour sa troisième collaboration à un film de Villeneuve, Jóhannsson signe pour « Arrival » une partition expérimentale, étrange et énigmatique qui apporte un vrai poids dramatique aux images sans jamais en faire de trop. Dans une interview récente, Jóhannsson a révélé que Denis Villeneuve lui avait laissé carte blanche pour expérimenter sur « Arrival », un fait confirmé dès l’ouverture « Arrival », alors que l’on découvre l’étrange coque au début du film. Pour les besoins du film, le compositeur a collaboré avec Theatre of Voices, un groupe vocal fondé par Paul Hillier en 1990 et qui s’est spécialisé dans les musiques anciennes et contemporaines. Utilisant les musiciens du City of Prague Philharmonic Orchestra et une large palette de sons électroniques très particuliers, Jóhannsson crée une ambiance assez unique pour le film de Villeneuve, mélangeant des sons déformés et traités avec les étranges effets vocaux du groupe Theatre of Voices. « Arrival » dévoile ainsi le premier thème du score qui débute sur un pad crée à partir d’une note inversée et modifiée de piano. Vient ensuite un premier motif énigmatique à 0:55 conçu à partir de voix manipulées et resamplées, rendues ici méconnaissables – pour évoquer les origines aliens et inconnues du vaisseau – A noter ici l’utilisation d’un orchestre à cordes et de quelques cuivres, surtout limités à des notes vaporeuses et dissonantes. On nage clairement ici en pleine atmosphère avant-gardiste/expérimentale avec une inventivité évidente et une vraie recherche sonore. Dans « Heptapod B », Jóhannsson utilise d’étranges voix en onomatopées qui rappellent par moment des pièces de musique répétitive de Steve Reich ou John Cage, des compositeurs contemporains habitués eux aussi à travailler avec Theatre of Voices. Le compositeur avoue par ailleurs avoir songé au fameux « Stimmung » de Karlheinz Stockhausen pour ses expérimentations vocales, ainsi qu’à des auteurs de musique spectrale comme Gérard Grisey ou Horatiu Radulescu.

Très vite, l’étrangeté de la musique cède la place à des harmonies plus consonantes de cordes et de bois sur fond de pulsations électroniques mécaniques. Dans « Sapir-Whorf » , les voix sont au centre de la musique de Jóhannsson, une façon astucieuse pour le compositeur de rappeler le rôle de la voix comme moyen de communication et d’expression des émotions pour les humains, qui tentent alors de déchiffrer le langage des heptapodes dans le film. Jóhannsson choisit par ailleurs de ne pas avoir recours à des paroles conventionnelles mais joue plutôt sur des assemblages de mots étranges et d’onomatopées diverses pour concevoir une ambiance assez unique en son genre, très éloignée de ce que l’on entend habituellement à Hollywood. Dans « Hydraulic Lift », Louise, Ian et ses collègues pénètrent l’ascenseur les menant à l’intérieur de la coque extra-terrestre, avec le retour des sonorités sombres de « Arrival » et des sons manipulés et traités. La première rencontre avec les heptapodes est illustrée dans « First Encounter », où la musique devient un assemblage de bruitages associés dans le film aux aliens. Jóhannsson joue habilement ici sur la frontière entre le son et la musique, concevant des sonorités étranges et méconnaissables pour les extra-terrestres. Le compositeur expérimente ici, utilisant des cordes dissonantes à la manière des pièces contemporaines du milieu du XXe siècle, l’accent étant largement mis ici sur l’électronique et les sons modifiés, avec quelques parties orchestrales limitées à des pizz répétitifs, des cordes dissonantes et quelques bois plus graves (notamment clarinette basse et contrebasson). Il règne ici une atmosphère étrange et inquiétante mais jamais agressive.

Jóhannsson suggère la rencontre avec une nouvelle forme de vie en expérimentant à loisir, plaçant sa musique librement sur les images. Les voix reviennent dans « Transmutation At A Distance », Jóhannsson manipulant des voix d’hommes sur fond de pulsations électroniques et de cordes plus dramatiques – associées à Louise et ses collègues dans le film – On devine ici que quelque chose est en train de se passer, alors que Louise commence à ressentir d’étranges visions qu’elle ne parvient pas à comprendre. La tension monte dans le dramatique « Around the Clock News », mais c’est surtout « Xenolinguistics » qui attire ici notre attention, avec ses cordes dissonantes et ses nappes sonores pesantes. « Ultimatum » reprend les voix féminines du début et crée un climat plus urgent avec une pulsation synthétique tendue et des cordes suggérant une menace imminente. On appréciera l’apport des voix masculines au début de « Principle of Least Time » accompagné ici de quelques percussions plus minimaliste, tandis que « Hazmat » met l’accent sur des clusters et glissandi dissonants des cordes. « Xenoanthropology » continue de faire monter la tension alors que Louise tente de comprendre les derniers mots des heptapodes afin d’empêcher un conflit imminent avec l’armée. « Non-Zero-Sum Game » prolonge cette tension en jouant sur un sentiment d’attente, mais sans jamais en faire de trop. Jóhannsson souhaitait ainsi éviter toute surenchère dramatique sur les images en alternant les montées de tension et les silences, contrairement à la plupart des musiques de blockbuster hollywoodiens. Dans « Properties of Explosive Materials », le compositeur utilise les voix de manière plus éthérée tandis que le groupe vocal résonne de façon plus étrange dans « Escalation » et ses harmonies à base de gamme par tons.

« Decyphering » reprend le principe des voix déformées et manipulées avec une énième montée de tension, tandis que « One of Twelve » semble apporter un sentiment d’éclaircie et de lumière à un ensemble bien sombre. Les voix dominent alors « Rise » dans une véritable polyphonie vocale répétitive et étrange s’achevant sur le superbe « Kangaru ». Le film se conclut par ailleurs sur la pièce « On the Nature of Daylight » du compositeur Max Richter, enregistrée en 2004 et extraite de son album « The Blue Notebooks », morceau aussi utilisé en ouverture du film. Ainsi donc, Jóhann Jóhannsson saisit l’opportunité rarissime d’expérimenter sur un film d’une grande ampleur en mélangeant différentes techniques avant-gardistes avec des polyphonies vocales rappelant les travaux de Stockhausen ou des orchestrations qui s’inscrivent dans la continuité de musiciens contemporains comme Penderecki. Plutôt cérébrale dans sa conception, la musique de « Arrival » évoque clairement l’idée du langage et de l’expression à travers les nombreux phonèmes et jeux de syllabes interprétés par les voix de Theatre of Voices. Rares sont les scores à avoir su tirer autant partie du postulat scénaristique d’un film, et Jóhann Jóhannsson retranscrit à travers sa musique tout ce qui fait la richesse du film de Denis Villeneuve, en s’interrogeant à sa manière sur l’importance de la communication entre les êtres vivants. Partition tour à tour minimaliste et abstraite, « Arrival » est à réserver en priorité aux aficionados des musiques expérimentales et ceux qui préfèrent les approches musicales d’avant-garde, hors des sentiers battus. On attend maintenant avec impatience le prochain travail de Jóhann Jóhannsson sur « Blade Runner 2049 », le nouveau film de Denis Villeneuve prévu courant 2017 !




---Quentin Billard