1-Raising Cain 2.01
2-Tricking Karen 1.50
3-Cain Takes Over 4.47
4-Love Memories 3.12
5-A Blow On The Head 4.16
6-Jenny And Carter Talk 1.21
7-Jenny's Return 2.39
8-The Clock 2.25
9-Father Against Cain 2.25
10-The Sinking 1.35
11-Dr. Walheim Hypnotizes Carter 5.09
12-The Gift Giver 2.23
13-Following Margo 2.00
14-Shadows Of The Past 2.42
15-Jenny Tries To Save Amy 1.44
16-Flying Babies 3.38
17-Carter's Return 1.21
18-The Plan 3.15
19-Love Wins 3.21

Musique  composée par:

Pino Donaggio

Editeur:

Milan records 7313835621-2

Album produit par:
Pino Donaggio
Direction de la musique pour
Universal Pictures:
Burt Berman
Orchestre:
Unione Musicisti
Dirigé par:
Natale Massara
Créations sons électroniques
et interprétations:
Paolo Steffan
Orchestrations:
Pino Donaggio, Natale Massara
Coordinateur production musique:
Frank Fitzpatrick
Coordination album pour Milan:
Ian Hierons
Supervision exécutive pour Milan:
Emmanuel Chamboredon, Toby Pieniek

Artwork and pictures (c) 1992 Universal City Studios, Inc. All rights reserved.

Note: ***1/2
RAISING CAIN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Pino Donaggio
« Raising Cain » (L’esprit de Caïn) est un énième thriller réalisé par Brian De Palma en 1992. Le cinéaste est devenu un spécialiste du genre en l’espace d’une poignée de décennies, signant des classiques du cinéma à suspense comme « Sisters » (1973), « Obsession » (1976), « Carrie » (1976), « The Fury » (1978), « Dressed to Kill » (1980), « Blow Out » (1981) ou « Body Double » (1984). Le choix de « Raising Cain » était risqué pour De Palma qui commençait depuis quelques années à se diversifier à la fin des années 80 en touchant au polar (« The Untouchables »), au film de guerre (« Casualties of War ») ou à la comédie satirique (« The Bonfire of Vanities »). Avec « Raising Cain », De Palma revient donc à ses premiers amours : du cinéma à suspense psychologique très clairement inspiré d’Alfred Hitchcock, influence majeure du réalisateur américain. Le film raconte l’histoire troublante du Dr. Carter Nix (John Lithgow), un pédopsychiatre renommé qui vit avec sa femme Jenny (Lolita Davidovich) et leur fille Amy. Jenny soupçonne d’ailleurs Carter d’étudier Amy comme le sujet de sa nouvelle expérience scientifique sur la psychologie humaine.

Mais ce que Jenny ignore encore, c’est que Carter souffre en réalité d’un trouble dissociatif de l’identité : il devient parfois Cain, une brute épaisse, Josh, un enfant de 10 ans, et Margo, une nounou âgée. Carter et Cain agissent ainsi conjointement en assassinant des jeunes mères à qui ils dérobent les enfants pour mener leurs propres expériences sur le comportement humain. Un jour, Jenny retrouve son ancien compagnon, Jack Dante (Steven Bauer) avec qui elle a une liaison passionnée. Tout bascule le jour où Carter découvre par mégarde le couple en train de faire l’amour dans les bois. Ravagé par cette découverte, Carter bascule dans la folie, assassine une jeune femme et cache le corps dans le coffre de la voiture de Jack pour faire croire à la police qu’il est le véritable assassin. Il cherche ensuite à tuer Jenny en la noyant dans sa propre voiture qu’il jette dans un lac, mais Jenny survit et retrouve Carter, à qui elle demande des comptes de façon fort violente, tandis que leur fille Amy a disparue. Carter lui révèle alors un fait troublant : la petite fille serait en réalité avec le père de Carter, qui est censé être mort depuis des années.


UN THRILLER TROUBLANT MAIS INÉGAL


C’est en tournant « The Bonfire of the Vanities » en 1990 que Brian De Palma eut l’idée de « Raising Cain ». Le cinéaste américain, déçu par le flop de sa précédente comédie satirique avec Bruce Willis et Melanie Griffith, souhaitait se refaire une santé en revenant à son genre de prédilection : le thriller. Bien lui en a pris puisque le film a plutôt bien marché au cinéma à sa sortie en 1992, et ce malgré des critiques globalement très mitigées. « Raising Cain » repose avant tout sur les épaules de John Lithgow, acteur fétiche de De Palma qui avait déjà tourné dans « Obsession » et « Blow Out ». Comme à son habitude, l’acteur est magistral lorsqu’il s’agit de camper des rôles de psychopathe ou d’individu mentalement torturé. Ici, Lithgow réussit l’exploit d’interpréter pas moins de 5 personnages à la fois : Carter, Cain, Josh, Margo et le Dr. Nix Sr. En jouant sur le thème du trouble dissociatif de l’identité, De Palma rend ici un hommage évident à Alfred Hitchcock et plus particulièrement à « Psycho » (1960), comme il le fit précédemment dans le non moins troublant « Body Double » en 1984. Manipulant ses influences à grand coup de citation (le film fait parfois penser au dérangeant « Don’t Look Now » de Nicolas Roeg en 1973), De Palma élabore une intrigue torturée selon le point de vue d’un époux préoccupé et tourmenté, qui doit vivre avec ses multiples personnalités tout en affrontant la terrible découverte de l’adultère de sa femme.

En nous plongeant dans l’esprit d’un psychiatre dérangé, De Palma s’assure que les spectateurs soient bousculés de manière viscérale par tout ce qu’il montre à l’écran, comme le fit Hitchcock en plaçant le point de vue de « Psycho » à travers l’esprit torturé d’un tueur en série, Norman Bates. Le procédé n’est donc pas nouveau, et c’est bien là tout le problème : De Palma fait tout ce qu’il sait faire de mieux mais sans jamais briller d’une façon ou d’une autre. D’autre part, il faut mentionner que le montage de la version cinéma a complètement modifié l’ordre des scènes du montage initial, à tel point que le sens de la narration s’en est retrouvé radicalement métamorphosé. Pour remédier à cela, De Palma sortira vers 2012 un « director’s cut » conçu par le réalisateur néerlandais Peet Gelderblom, un fan du cinéaste qui remontera entièrement le film dans l’ordre d’après la version initiale du script (cette version est finalement sortie chez nous en vidéo vers mars 2017). Mais, dans les deux cas, le film reste très inégal : on regrettera une certaine tendance du réalisateur à accumuler les scènes grotesques ou étranges, notamment à travers l’interprétation parfois caricaturale de John Lithgow qui en fait parfois des caisses (à la limite du méchant de dessin animé!), le tout renforcé par des gros plans sur le visage de l’acteur qui frôlent parfois le burlesque. Certaines scènes, comme le moment où le médecin légiste dévoile le visage d’une jeune femme victime de Carter, sombre lui aussi dans le grotesque pur, tant le faciès volontairement déformé et l’expression invraisemblable du cadavre paraît totalement exagérée et un brin kitsch.

Néanmoins, De Palma est suffisamment intelligent pour manipuler tous ces éléments un peu contradictoires, reflétant davantage un commentaire acide sur la bourgeoisie américaine des années 90 et la vie de famille de ces couples hypocrites. A ce sujet, le film dévoile quelques scènes intéressantes comme lorsque Carter se promène avec sa petite fille dans le parc et rencontre une maman et ses enfants. Malgré le caractère anodin de la scène, De Palma semble vouloir en dire bien plus à travers le bref échange verbal, non sans un certain second degré sous-jacent. Chez De Palma, il y a toujours une critique amère de la vie de famille – le réalisateur lui-même a souffert dans sa jeunesse des nombreuses disputes de ses parents qui l’incitèrent à s’enfermer dans sa chambre pour oublier les tracas d’une vie très tendue à la maison - Fait troublant : la mère de Brian De Palma tenta de se suicider vers la fin des années 50 avant de révéler à son fils que son père la trompait depuis un moment. Le jeune Brian ira même jusqu’à chercher des preuves de l’infidélité de son père en le traquant avec un appareil photo, ce qui aboutira au divorce de ses parents en 1958. Depuis, on sait que De Palma a toujours considéré la vie de famille comme un « exercice de manipulation et de destruction de l’individu ». Il y a donc un peu d’autobiographie dans « Raising Cain », et lorsqu’on connaît les détails de la jeunesse du réalisateur, il y a de quoi frémir au détour de certaines scènes lourdes de sens dans le film.

Malgré cela, « Raising Cain » reste un thriller moyen : le montage du director’s cut semble plus cohérent, mais le film reste globalement inégal d’un bout à l’autre. John Lithgow en fait des tonnes, certaines scènes sont étrangement décalées, l’interprétation des seconds rôles est inégale (Steven Bauer a un regard bovin, Frances Sternhagen semble peu convaincue) et les quelques éléments grotesques du récit sont foncièrement maladroits. Mais que ne serait un film de Brian De Palma sans ses traditionnels plans séquences fétiches ? Ainsi, le film se conclut sur une longue séquence devant un motel quasi entièrement filmée au ralenti, intensifiant le suspense après une révélation assez inhabituelle, séquence qui rappelle celle, plus mythique, de la gare à la fin de « The Untouchables » (1987). Au final, « Raising Cain » est donc un thriller mineur dans la filmographie de Brian De Palma, car malgré toutes ses bonnes intentions, le film déçoit et semble être tombé dans l’oubli durant toutes ces années, jusqu’à ce qu’un director’s cut ressurgisse sur internet dès 2012. Seuls les inconditionnels de De Palma y trouveront leur compte, pour les autres, on préférera revoir des classiques bien plus satisfaisants comme « Blow Out », « Body Double » ou « Obsession ».


UNE PARTITION SOMBRE ET MÉLANCOLIQUE


« Raising Cain » marque les retrouvailles entre Brian De Palma et le compositeur italien Pino Donaggio pour la sixième fois après « Carrie » (1976), « Home Movies » (1980), « Dressed to Kill » (1980), « Blow Out » (1981) et « Body Double » (1984). Pour les besoins du film, Donaggio a enregistré sa partition avec un orchestre d’une soixantaine de musiciens limité aux cordes, aux bois et aux percussions mais avec un pupitre de cuivres plus restreint, incluant les trombones mais sans les trompettes, le tout écrit dans un délai plus court que d’habitude, un mois seulement (généralement, le compositeur disposait de 2 mois sur les anciens films de De Palma). Le score de « Raising Cain » repose avant tout sur un thème principal mémorable, une berceuse dévoilée au célesta dès l’ouverture du film (« Raising Cain »). Cette mélodie douce et mélancolique est en réalité associée au son de la berceuse que l’on entend lorsque Jenny récupère la montre/boîte à musique dans un magasin vers le début du film. Elle évoque non seulement Jenny mais aussi la personnalité troublée de Carter et le traumatisme liée à son enfance – d’où le rapport intéressant au son de la berceuse enfantine -


ANALYSE DE LA MUSIQUE


Richement orchestrée et éminemment classique d’esprit, la partition de Pino Donaggio nous permet de retrouver l’élégance et la richesse musicale habituelle du compositeur italien, que ce soit sur le plan harmonique, mélodique ou contrapuntique. On appréciera notamment la façon dont le musicien développe son thème principal aux cordes, au piano, aux cors et aux bois dans « Raising Cain » avec un savoir-faire reflétant sa longue expérience de la musique au cinéma. Dès « Tricking Karen », la musique bascule soudainement dans un registre thriller plus horrifique avec des cordes dissonantes et des cuivres agressifs, pour la scène où Carter empoisonne la jeune Karen dans la voiture au début du film. On retrouve ici le style avant-gardiste et atonal plus typique des musiques à suspense habituelles du compositeur de « Dressed to Kill », « Blow Out » et « Carrie ». Dans « Cain Takes Over », Donaggio évoque l’arrivée de Cain, l’alter-ego de Carter. Le musicien nous plonge ici dans une ambiance psychologique plus torturée à l’aide de l’emploi remarquable de synthétiseurs brillamment incorporés à l’orchestre, avec des sforzandos de cors/trombones, des bois herrmanniens et des cordes glaciales et tendues.

A 1:56, la musique évolue vers un style plus érotique et sensuel assez remarquable, à l’aide d’un saxophone soliste et de vocalises féminines planantes et envoûtantes. Donaggio crée ici une ambiance troublante et assez surréaliste, quasi onirique, en partie dû aux voix féminines et aux improvisations du saxophoniste. Le morceau accompagne la scène où Carter s’apprête à faire l’amour à sa femme de manière bestiale, tout en gardant un oeil sur leur petite fille Amy, qu’il étudie comme une cobaye à ses expériences. Dans « Love Memories », on retrouve le thème de la berceuse alors que Jenny se remémore alors ses instants passés avec Jack, qui fut le mari d’une ancienne patiente décédée à l’hôpital, et auprès duquel le jeune homme put trouver un peu de réconfort – d’où une scène assez dérangeante moralement où le couple s’embrasse alors que la propre femme de Jack se trouve derrière en train d’agoniser d’un douloureux cancer – Donaggio développe ici un climat romantique avec ses cordes passionnés évoquant les grandes musiques romantiques classiques d’antan.

Dans « Blow On The Head », le compositeur nous ramène dans le suspense et la tension psychologique en brouillant les pistes : les variations autour du thème de la berceuse deviennent ici plus torturées, avec l’apport des synthétiseurs évoquant le trouble dissociatif de l’identité de Carter et le retour de Cain. Le morceau est traversé de sursauts agressifs et violents reflétant les multiples personnalités torturées du Dr. Nix. « Jenny and Carter Talk » tente de calmer le jeu avec un style plus intimiste et romantique où les harmonies de cordes paraissent plus apaisées, plus chaleureuses (à noter par ailleurs ici la richesse du langage harmonique employé par le maestro italien!) avec quelques bois solistes, mais « Jenny’s Return » nous renvoie à la facette thriller/horrifique du film avec un énième morceau à suspense dissonant alors que Carter a tenté de se débarrasser de Jenny et que cette dernière réapparaît brutalement pour demander des comptes à son mari devenu fou. On appréciera ici la façon dont Pino Donaggio crée une ambiance glaciale et pesante à l’aide de cordes en harmoniques aiguës ou de clusters agressifs des cuivres. Le compositeur évoque clairement ici le langage avant-gardiste de la musique contemporaine du milieu du XXe siècle pour parvenir à ses fins. Le son de la boîte à musique/montre revient dans « Clock » qui reprend le très joli thème de la berceuse dans une variation orchestrale romantique et délicate, mais « Father Against Cain » brouille à nouveau les pistes comme le fait continuellement Donaggio depuis le début du film.


UNE CODA BRUTALE ET AGRESSIVE


Derrière l’innocence apparente de Carter se cache une réalité plus sombre : c’est ce que nous fait clairement comprendre « Father Against Cain » au détour d’une scène assez étrange et troublante où réapparaît le père de Carter, le Dr. Nix Senior. Impossible aussi de passer à côté des déchaînements orchestraux comme « Sinking » ou du suspense surréaliste de « Dr. Walheim Hypnotizes Carter » avec ses synthétiseurs étranges. Dans « Following Margo », Donaggio fait un clin d’oeil musical évident au « Psycho » de Bernard Herrmann pour évoquer la traque entre Jenny et Margo/Carter en voiture lors du dernier acte du film. « Shadows of the Past » reprend le thème de la berceuse par un piano mélancolique, reflétant l’enfance torturée de Carter, tandis que « Jenny Tries To Save Amy » illustre le climax final avec ses montées de tension impressionnantes débouchant sur l’intense « Flying Babies », « Carter’s Return » et le final « Plan », particulièrement lugubre et agressif. Le film se termine par ailleurs sur une ultime reprise du thème principal dans « Love Wins ».

Ainsi donc, Pino Donaggio signe une partition de grande qualité pour « Raising Cain », un score orchestral éminemment classique, écrit à la manière des grandes musiques à suspense d’antan. Il y a évidemment un peu de Bernard Herrmann dans cette partition, mais la touche plus européenne de la personnalité musicale de Pino Donaggio transparaît ici plus clairement, avec ses orchestration très riches et son écriture harmonique et mélodique sophistiquée. « Raising Cain » apporte un mélange troublant de suspense, de tension, de romantisme et de mélancolie au film de Brian De Palma avec un savoir-faire et un professionnalisme évident. Le score n’est guère original en soi et s’avère finalement assez prévisible et sans surprise, mais le tout reste suffisamment convaincant et parfaitement maîtrisé pour séduire les fans du compositeur italien et ceux qui apprécient la longue collaboration entre Donaggio et De Palma sur les polars et les thrillers sur lesquels ils travaillent ensemble depuis le milieu des années 70. « Raising Cain » n’a peut être pas l’aura de « Carrie », « Blow Out » ou « Body Double », mais cela n’en demeure pas moins une partition de grande qualité qui mérite d’être redécouverte et appréciée à sa juste valeur !




---Quentin Billard