Sur un thème qui rappelle un peu le fameux roman d'Aldous Huxley Le Meilleur des Mondes', 'Logan's Run' (L'âge de Cristal) de Michael Anderson décrit la vie dans une cité futuriste du 23ème siècle entièrement basée sur le plaisir, les individus dépassant plus de 30 ans étant systématiquement éliminés et recyclés, préservant ainsi continuellement la jeunesse à l'intérieur de la citée entièrement recouverte d'un immense dôme et totalement coupé du monde extérieur. Mais cette cité utopique et tyrannique sera complètement chamboulée par Logan (Michael York), un 'limier' (agent chargé d'éliminer les fugitifs qui tenteraient de s'échapper hors de la cité) qui devra fuir hors de la cité alors que l'ordinateur principal lui aura donné l'ordre de devenir un fugitif afin de rechercher le mythique 'sanctuaire' que recherchent désespérément tous les fugitifs. Seule ombre au tableau, l'ordinateur doit pour cela lui retirer quatre années de son existence et rendre son cristal de vie rouge, le rapprochant ainsi dangereusement de la fin (les 30 ans), alors que Logan, terrifié, sait qu'il ne pourra jamais récupérer ces quatre années de perdues. Au cours de son dangereux périple, le limier est accompagné par Jessica 6 (Jenny Agutter), esprit libre qui recherche elle aussi le mythique sanctuaire et qui va l'aider à s'échapper hors de la cité. Poursuivi par son ancien ami, Francis 7 (Richard Jordan), Logan entame un dangereux voyage à la découverte de l'extérieur de la cité, périple qui l'amènera à rencontrer un vieil homme (Peter Ustinov) qu'il compte bien ramener à la cité pour enfin ouvrir les yeux des gens et expliquer aux habitants de la citée que le recyclage est un massacre et qu'ils peuvent vivre librement, sans la contrainte tyrannique de la mort après 30 ans. Le réalisateur Michael Anderson nous offre un excellent film de science-fiction un peu kitsch et daté mais toujours d'actualité dans la façon dont il traite métaphoriquement du problème du conformisme dans la société contemporaine, qui pousse les gens à accomplir leurs basses besognes sans même prendre le temps de s'interroger sur les faits et les conséquences de leurs actes (en gros, si tout le monde le fait, c'est normal de le faire), postulat clairement mis en évidence dès le début du film par le premier dialogue entre Logan et Francis, ce dernier expliquant à son ami qu'il ne doit pas trop se poser de question à propos du système, forcément 'parfait'. Le film s'inscrit aussi dans un courant 'seventies' évident avec ses costumes 'disco' kitsch, son esthétique futuriste un peu datée et sa description d'un monde fait de libertinage, d'amour et de plaisir, conséquence directe de la libération des moeurs de Mai 68, qui se fait grandement ressentir durant toute la première partie du film (le film pourrait aussi s'analyser comme une satire grinçante d'Hollywood et du côté artificiel du monde du show-business). Puis, très vite, on retrouve l'un des grands thèmes classiques du cinéma de science-fiction, celui de la société totalitaire.

Jerry Goldsmith a composé pour 'Logan's Run' un score à la fois traditionnel et étrange. Etrange parce que la première partie dans la cité est constituée de synthétiseurs kitsch très 'seventies', des sons démodés qui feraient plutôt penser à une musique de jeu vidéo du milieu des années 80. Ainsi, la partition de Goldsmith s'axe autour d'une partie électronique étrange qui évoque le monde futuriste et modernisé de la cité. Ces sons sont introduit dès l'ouverture du film dans 'The City' après une introduction orchestrale sombre dans 'The Dome' où les trompettes annoncent le thème principal de la partition, motif de 6 notes associé tout au long du film à la cité et qui sera véritablement la base de la partition de Goldsmith. Le maestro prolonge ses expérimentations électroniques dans 'Flameout' pour la scène du carrousel au début du film, là où les personnes âgées de 30 ans doivent se rendre pour mourir et être recyclée. Avec ses sons étranges, Goldsmith élabore ce qui pourrait ressembler à une petite musique de manège un peu kitsch et étrange pour la scène du carrousel, le morceau se prolongeant pour la scène où Logan et Francis tuent le fugitif au début du film dans 'Fatal Games'. Mais c'est avec 'On the Circuit' que le compositeur nous fait rentrer dans la seconde partie nettement plus orchestrale de sa partition, avec un morceau où règne une atmosphère de doute et de crainte particulièrement mystérieuse alors que Goldsmith met en avant ici les cordes avec quelques brefs rappels du thème de la cité qui se glisse quasi imperceptiblement tout au long du morceau comme pour rappeler le fait que la citée a une emprise totale et fatale sur ses habitants. Goldsmith en profite aussi pour dévoiler subtilement quelques notes de ce qui deviendra vers la fin du film le 'Love Theme' du score alors que Logan rencontre Jessica pour la première fois et qu'ils échangent quelques mots au sujet de la façon dont le système injuste tue les gens. Ce morceau est un formidable exemple d'un compositeur qui sait installer des atmosphères particulières à l'aide de quelques cordes et un peu de synthétiseur avec ce qui reste incontestablement l'un des premiers morceaux majeurs de la partition de 'Logan's Run'.

Si l'on retrouve pendant un temps les expérimentations électroniques sur le mystérieux 'The Assignment' alors que Logan se fait remettre sa nouvelle mission par l'ordinateur principal, 'She'll Do It' nous fait repartir dans la partie plus orchestrale tandis que la partie électronique s'estompe progressivement délaissée au profit d'une écriture symphonique atonale et avant-gardiste typique du Goldsmith des années 70. Logan et Jessica entame leur fuite hors de la cité, personnifié ici par des cordes sombres et dissonantes, un rappel constant et menaçant du motif de la cité et quelques touches électroniques plus discrètes, ambiance que l'on retrouve dans 'Crazy Ideas' (scène de l'arrivée à la cathédrale où se cachent des jeunes bandits surnommés les louveteaux), avec au passage une excellente reprise contrapuntique centrale du motif de la cité par un trio de cordes mystérieux, débouchant sur 'A Little Muscle' (scène de l'affrontement entre Logan et les louveteaux) où la musique puise clairement son inspiration dans la musique 'contemporaine' du 20ème siècle, quelque part entre les rythmes chers à Stravinsky et Bartok (à noter ici une excellente écriture cordes/piano) et les effets de cordes dissonantes/rythmiques qui rappellent par moment maints musiques d'Alfred Schnittke, dans un style tout à fait typique du Goldsmith atonal/avant-gardiste des années 70. 'Terminated in Cathedral' prolonge cette atmosphère atonale lugubre en mettant en avant les cordes stridentes et dissonantes et les obsédants rappels du motif de la citée, repris ici par le piano, lorsqu'une fugitive se fait abattre dans la cathédrale par Francis.

On ressent ici un certain sentiment d'oppression voire de malaise, impression très nettement confirmée par 'Intensive Care' pour la scène où Logan est sur le point de se faire tuer par le chirurgien esthétique (Michael Anderson Jr.) et réussit à s'échapper. Après une montée de cordes dissonantes à la Penderecki, le morceau se transforme en passage d'action brutal par dessus lequel se greffe subtilement le motif de la citée sous la forme de multiples variantes, avec les éléments habituels aux musiques d'action de Goldsmith, des rythmes syncopés et des changements de mesure fréquents. Dès lors, le ton est donné, 'Logan's Run' sera une musique sombre et oppressante qui oscillera entre passages électroniques expérimentaux (l'étrange 'Love Shop' pour la scène de la traversée de la pièce des amours, entièrement filmée au ralenti sans dialogues et bruitages), morceaux d'action frénétiques ou pièces atonales angoissantes comme le sinistre 'They're Watching' alors que Logan continue son évasion avec Jessica jusqu'à ce qu'ils se retrouvent coincés par les amis de Jessica qui sont sur le point de supprimer le limier avant que Jessica ne prenne sa défense et qui précise qu'il est lui-même devenu un fugitif et qu'il faut l'aider. On appréciera ici le climat d'oppression et de malaise intense qu'installe Goldsmith tout au long du morceau à l'aide d'effets de cordes avant-gardistes, de clusters et de sonorités électroniques inquiétantes. Le motif de la cité, toujours obstinément présent est repris dans 'The Key' pour la scène où les deux fugitifs s'échappent dans les couloirs souterrains de la cité, nous proposant quelques brillantes variations autour du thème de la cité. La dernière partie, plus mystérieuse et calme, utilise un petit ostinato rythmique d'effets de col legno de contrebasses tout à fait inattendue alors que Logan et Jessica découvrent la caverne de glace du robot Box (Roscoe Lee Browne), soutenant une mélodie de type orientale jouée par des altos et des harmoniques de violons, le rendu sonore étant très particulier, preuve du savoir-faire d'un compositeur passé maître dans l'écriture orchestrale et la manipulation de ses différentes couleurs sonores.

On sent une brève touche d'espoir dans 'Ice Sculpture' alors que Logan et Jessica commencent à réaliser leurs sentiments l'un pour l'autre, Goldsmith réutilisant le 'Love Theme' aux cordes, parasités par d'incessants rappels de l'obsédant motif de la cité qui empêche bien évidemment à la très belle mélodie romantique du 'Love Theme' de s'épanouir complètement, à l'image du danger constant qui guette les deux fugitifs tout au long du film, tant qu'ils se trouvent à l'intérieur de la cité. Mais ce morceau n'est en fait qu'une introduction au superbe 'The Sun' lorsque les deux fugitifs découvrent enfin le monde de l'extérieur lors d'une reprise triomphante et libératrice du 'Love Theme' par des cuivres majestueux avec l'apparition d'un soleil radieux et d'un monde extérieur revitalisant. Dans 'The Sun', l'atmosphère de la musique change complètement, la musique prenant soudainement une connotation plus optimiste et tonale avec l'apparition d'un nouveau motif plus léger et sautillant associé à la joie de la découverte du monde extérieur, et amené par des vents légers et virevoltants aux sonorités 'impressionnistes', et qui ne sont pas sans rappeler la scène du lever de soleil dans le 'Daphnis et Chloé' de Maurice Ravel (Goldsmith a toujours été très influencé par la musique impressionniste française de la fin du 19ème siècle comme le confirmeront par la suite des partitions telles que 'Islands in the Stream' ou 'Legend'). Entre temps, le morceau est brusquement interrompu par des rappels particulièrement menaçants du motif de la cité alors que l'on aperçoit à l'écran Francis, toujours sur les traces de Logan et bien décidé à l'arrêter une bonne fois pour toute. L'orchestre semble ici plus épanoui, libéré d'une forme de contrainte, à l'instar des deux personnages principaux du film. Cette atmosphère plus chaleureuse, humaine et optimiste se développent dans ce qui reste le plus long morceau de toute la partition de Goldsmith, 'The Monument', dans lequel Goldsmith développe enfin son très beau 'Love Theme' dans son intégralité, joué ici par une flûte, des cordes chaleureuses et une harpe. On a véritablement l'impression d'être libéré d'un poids, d'être soulagé des angoisses du début du score, surtout lorsque le score s'élance au bout de quelques minutes dans une ambiance joviale et pastorale reprenant le motif du monde extérieur dans un style enjoué, alors que Logan et Jessica comprennent qu'ils sont enfin libres. En parallèle de ce travail autour du 'Love Theme' et du thème de l'extérieur, Goldsmith développe un motif plus 'impressionniste' associé à la découverte des immenses monuments abandonnés, ultimes vestiges d'une ancienne civilisation disparue mais autrefois prospère. Ce motif, développé régulièrement aux vents (clarinettes, flûtes, etc.), sera repris par Goldsmith un an plus tard dans sa partition pour 'Islands in The Stream' de Franklin J. Schaffner. Dans 'The Monument', plus de trace du motif de la cité. La musique navigue entre sentiment de libération, jovialité, romantisme, chaleur humaine et aussi extase alors que la musique prend une tournure plus grandiose et majestueuse lors de la découverte de la statue abandonnée de Lincoln dans ce qu'on devine être l'ancien 'Capitol Building' de Washington. C'est le 'Love Theme' attire alors toute notre attention dans ce superbe morceau incontournable de la partition de 'Logan's Run', un thème qui évoque non seulement l'amour entre Logan et Jessica mais la joie de vivre librement hors des contraintes despotiques de la cité, l'humanité en réponse à la froideur cauchemardesque de la musique associée à la cité tout au long de la première partie du film.

Après le sombre et mystérieux 'The Truth', qui rappelle le motif de la cité associé cette fois-ci à Francis, la partition atteint son apogée dans le frénétique 'You're Renewed', pour lequel Jerry Goldsmith nous livre un morceau d'action bref mais exemplaire. 'The Truth' prépare une excellente montée de tension débouchant sur l'enragé 'You're Renewed' lorsque Francis affronte Logan. Avec une série de rythmes syncopés et martelés, Goldsmith laisse se déchaîner l'orchestre reprenant au passage le motif d'action de 'Intensive Care' et 'The Key' dans un point culminant où la violence orchestrale renvoyant à la violence de l'affrontement entre les deux ennemis. Une fois encore, Goldsmith nous prouve avec ce formidable déchaînement orchestral qu'il est un grand maître de la musique d'action. La seconde partie du morceau, plus calme, réutilise le motif de la cité dans une version plus apaisée alors que Logan enterre son ami. Le retour à la cité se veut lui aussi plus calme dans 'The Journey Back' tandis que 'Return to the City' repart de nouveau sur les chapeaux de roue pour l'entrée dans la cité, avec un rappel du motif de la cité aux synthétiseurs et des cordes frénétiques et sombres qui semblent caractériser un certain danger alors que les deux fugitifs savent qu'ils prennent un risque en revenant à la cité. Le 'Love Theme' réapparaît de façon brève et fragmentée mais c'est très vite l'obsédant thème de la cité qui reprend le dessus, joué alors par un piano. Après l'électronique et stressant 'The Interrogation' (destruction de l'ordinateur principal), 'End of City' ramène finalement le calme et la paix avec la reprise finale salvatrice du 'Love Theme' annoncé par des cuivres solennels alors que les habitants de la cité découvrent le vieil homme et comprennent que l'on peut vivre librement au-delà de 30 ans. Confié aux cordes, le 'Love Theme' libère finalement l'auditeur de toute la tension précédente et conclut la partition (et le film) sur une ultime touche d'humanité et de romantisme qui évoque bien plus la victoire de Logan et Jessica sur un système tyrannique et injuste que leur histoire d'amour à proprement parler. La coda de la partition est donc à la fois majestueuse, grandiose et pleine d'espoir, évoquant l'idée du départ vers une nouvelle société plus juste et équitable. En guise de bonus, l'album nous propose pour finir une reprise pop sympathique du 'Love Theme', pour une version album qui n'a pas été utilisée dans le film.

Jerry Goldsmith a donc abordé sa composition pour 'Logan's Run' comme un véritable thriller plus qu'un film de science-fiction à proprement parler - c'est d'ailleurs cette double facette science-fiction/thriller qui domine ici dans le score de 'Logan's Run'. Ainsi, une grosse partie de la BO demeure imperturbablement atonale, sinistre, oppressante, avant-gardiste et extrêmement dissonante. On retrouve comme toujours le style si personnel du maestro californien, la partie la plus intéressante de sa partition restant sans aucun doute les passages d'action qui font déjà penser dès 1976 au style 'action' du Goldsmith des années 80/90. C'est le cas notamment pour les scènes de course poursuite ou pour l'affrontement entre Logan et Francis vers la fin du film. Avec son lot d'effets de cordes, de clusters, d'ostinati divers, de cuivres rageurs, de blocs de dissonances, de synthétiseurs expérimentaux et de thèmes mémorables, 'Logan's Run' a tout pour être un grand classique dans la filmographie de Jerry Goldsmith. En définitive, 'Logan's Run' est une oeuvre-clé dans l'immense carrière du maître, une BO sombre à la fois complexe et très recherchée, difficile d'accès pour les non initiés, un score monumental qui colle à merveille au film de Michael Anderson, apportant son lot de noirceur, de brutalité mais aussi de poésie et d'humanité. Pour finir, on ne pourra qu'adresser nos plus sincères félicitations à l'équipe de Lukas Kendall chez FSM pour avoir redonné une seconde vie à cette superbe partition par le biais d'une réédition intégrale impeccable de bout en bout!


---Quentin Billard