'15 Minutes' est l'une des bonnes surprises cinématographique du moment. Le film de John Herzfeld montre les dangers de la télévision et de ses ravages sur la mentalité de la société américaine à travers la manipulation et le bourrage de crâne des médias (et plus particulièrement dans son obsession de la célébrité). Le film s'interroge au passage sur les limites du système judiciaire américain. '15 Minutes' construit ainsi son scénario autour d'une histoire en apparence anodine pour installer une tension vicieuse: deux émigrants russes débarquent un jour chez un de leur ancien ami pour venir en Amérique récupérer l'argent d'un hold-up. Leur visite surprise se transforme très rapidement en véritable chasse à l'homme et en surenchère de violence lorsqu'ils comprennent qu'en filmant leurs méfaits sanguinaires, ils peuvent eux aussi obtenir leur 'quinze minutes de célébrité' (fameuse expression de l'artiste Andy Warhol). Effectivement, le film reste particulièrement brutal, une violence qui n'est pas gratuite mais bien au contraire nécessaire, afin de soutenir les idées du réalisateur. '15 Minutes' est un film choc. Il montre la société américaine dans sa triste réalité, le genre de film pertinent qui pose les bonnes questions (sans forcément obtenir de réponse---c'est à chacun d'en juger!) et qui fait vraiment froid dans le dos. Robert De Niro est excellent dans le rôle d'Eddie Fleming, un flic célèbre dans sa ville et très respecté, qui doit faire équipe avec Jordy Warsaw (Edward Burns), un jeune détective de la brigade des prompiers qui va suivre de plus en plus près cette sombre affaire d'incendie criminel et d'homicide. La mise en scène est très réussie sans jamais tomber dans la lourdeur que pourrait impliquer de manière sous-jacente un tel sujet. La tension est à son tour particulièrement oppressante dans les moments de suspense, signe d'une mise en scène de qualité. Voilà donc un thriller de qualité, qui ne se contente pas de verser dans le sanguinolent mais propose un véritable regard en amont sur une société accroc à la télévision, où les médias ne cessent de gaver les spectateurs d'images chocs et de scoops sanglants, assurant ainsi leur part d'audimat aux horaires stratégiques.

Anthony Marinelli, compositeur de petite envergure, s'est vu adjoindre sur '15 Minutes' les services de J.Peter Robinson, un autre compositeur de petite envergure (le compositeur a travaillé sur des téléfilms et des productions de seconde catégorie comme 'Highlander 3' pour ne citer que l'un des plus connus). '15 Minutes' est un score irrégulier mais très réussi dans sa partie 'thriller'. Les deux compositeurs rejoignent à leur tour la mise en scène choc du film. Utilisant un orchestre symphonique traditionnel avec du synthétiseur bien placé et la présence plus étonnante d'un violon soliste dans certains passages, la musique de '15 Minutes' reste particulièrement intense dans les moments violents et ceux qui concernent toute la partie suspense du film. La musique devient véritablement frénétique et atonale dès la première scène du meurtre, là où les deux compositeurs utilisent un violon soliste dont le jeu troublant tend à rappeler les travaux avant-gardiste/expérimentaux d'un Ligeti, d'un Nono ou d'un Penderecki. Plus qu'un simple rôle de soliste, le violon propose à son tour sa propre vision musicale de la violence de cette scène chaotique avec un jeu sur les cordes particulièrement tendu et crispant (qui évoque sans trop de difficulté le côté dérangeant de ces scènes de meurtre filmé avec un caméscope).

Frénétique, sombre, macabre, agressive....voilà bien les mots qui pourraient servir à définir le score de '15 Minutes'. Evidemment, les compositeurs n'oublient pas non plus la partie plus intime du film, celle avec Eddie et sa fiancée, scènes qu'ils illustrent à l'aide d'une guitare tendre accompagnée par des cordes ou avec un orchestre plus sombre dans les moments plus dramatiques du film. Le seul problème de la partition de Marinelli et Robinson reste l'absence d'un thème principal fédérateur. Il n'y a hélas aucune structure thématique à laquelle le spectateur/auditeur puisse se raccrocher, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose en soi et renforce la tension et le chaos que tente d'installer la musique dans le film. On regrettera néanmoins l'absence d'un thème qui aurait certainement permit à la musique de s'affirmer plus ambitieusement au sein du film au lieu de se limiter à un rôle souvent fonctionnel. Fort heureusement, la partie suspense est si puissante et intense dans le film qu'elle parvient à nous faire oublier le manque de thème et la qualité irrégulière de cette sombre partition.

On pourra néanmoins apprécier par exemple la musique accompagnant la mort d'Eddie dans le film. Alors que le héros tente de se débattre face aux deux tueurs, les deux compositeurs installent progressivement une atmosphère de terreur pure malsaine, chaotique et agressive, la tension débouchant sur un déchaînement orchestral puissant que l'on retrouve durant les 'pics' de violence du film (scène de la mort du russe au début du film, scène avec la prostituée dans l'hôtel, scène de la fusillade finale). L'atmosphère de suspense est elle aussi particulièrement intense, et ce tout au long du film. On notera par exemple la musique illustrant la scène où Eddie, seul chez lui, attend sa fiancée pour la demander en mariage: au moment où quelqu'un frappe à sa porte, il sort et ne voit personne dans le couloir. La musique installe un climat de suspense intense digne des grands maîtres du genre (on pense plus particulièrement à Christopher Young ici). Le score de '15 Minutes' reste malheureusement inédit à ce jour. Hélas, le peu de succès du film de John Herzfeld a probablement contribué à jeter cette solide partition thriller dans les oubliettes, ce qui est bien dommage étant donné la qualité du travail d'Anthony Marinelli et de J. Peter Robinson qui, à défaut de révolutionner le genre, nous offrent une solide partition thriller dans la plus pure tradition du genre, et qui apporte au film tout son lot de violence et de noirceur. Bref, une modeste réussite qui reste encore à découvrir!



---Quentin Billard