Après deux épisodes à succès signés Tim Burton, la saga « Batman » s’offrait un nouveau souffle avec « Batman Forever », réalisé par Joel Schumacher et sorti en 1995. Après l'excellent Michael Keaton dans les deux précédents opus, c'est au tour de Val Kilmer d’endosser le costume de l'homme chauve-souris. Cette fois-ci, Bruce Wayne alias Batman doit affronter deux nouvelles menaces qui planent sur Gotham City : Harvey Double-Face (Tommy Lee Jones) et l’homme mystère (Jim Carrey), deux génies du crime qui décident de s’unir pour détruire définitivement Batman. Double-Face s’est échappé de l’asile d’Arkham et accuse Batman de sa défiguration. Quand à Edward Nygma alias « L’homme mystère », ce dernier n’a qu’une idée en tête : se venger de Bruce Wayne qui a refusé de financer une expérience proposée par l’excentrique scientifique sur la manipulation des cellules cérébrales. Avec un tout nouveau réalisateur et une équipe totalement différente, ce « Batman Forever » (troisième film de la saga après « Batman » en 1989 et « Batman Returns » en 1992) se veut beaucoup plus coloré, plus proche d’un univers de bande dessinée pour enfants. A l’atmosphère sombre et gothique de Tim Burton, le « Batman Forever » de Joel Schumacher répond par une véritable surenchère de couleurs vives et criardes (rouge, dégradés de vert, violet, etc.), orientant très clairement son film vers un divertissement familial plus accessible et moins sombre que « Batman Returns ». Hélas, malgré un casting de qualité (Val Kilmer, Tommy Lee Jones, Jim Carrey, Chris O’Donnell et Nicole Kidman), la mayonnaise ne prend pas. Tout semble ici trop artificiel pour pouvoir réellement convaincre : les effets spéciaux sont passables, certains acteurs surjouent à l’extrême (mention spéciale à Jim Carrey dans le rôle de « L’homme mystère », probablement le méchant le plus agaçant de toute la saga des « Batman » !) et Val Kilmer déçoit par sa fadeur et son manque de charisme, ne parvenant pas à faire oublier aux spectateurs Michael Keaton sur les deux précédents films. Certes, « Batman Forever » s’avère être un film très divertissant avec ses scènes d’action spectaculaires, ses grands moments de bravoure et ses méchants échappés d’un cartoon, mais on regrettera vivement l’ambiance plus noire et gothique des films de Tim Burton ! Par ailleurs, le public ne s’est pas trompé puisque le film s’est très vite mis à dos une bonne partie des fans de la saga, qui n’ont véritablement pas apprécié le changement de ton de ce nouvel opus ! Une solide déception en somme, qui donnera d’ailleurs naissance à une suite totalement catastrophique sortie en 1997, « Batman & Robin », toujours réalisée par Joel Schumacher !

Elliot Goldenthal prend finalement la succession de Danny Elfman sur la musique de « Batman Forever ». Le compositeur de « Alien 3 » et de « Interview with the Vampire » signe pour le film de Joel Schumacher une partition symphonique riche et colorée. Evidemment, qui dit nouvelle musique dit nouveaux thèmes. Exit ici la célèbre chevauchée gothique imaginée par Danny Elfman dans « Batman » et « Batman Returns » ! Elliot Goldenthal annonce dès le début du film son nouveau thème associé à Batman, une mélodie ample et cuivrée bien plus majestueuse que réellement héroïque, avec son côté sombre qui permet de restituer l'ambiance si particulière que l'on retrouve tout au long de cette nouvelle aventure de l’homme chauve-souris. Ce thème que l'on entend parfois dans le film sous forme de marche est donc mis en valeur tout au long de la partition symphonique de Goldenthal. L'atout de cette musique réside principalement dans le fait que le compositeur semble s'être particulièrement bien amusé avec « Batman Forever ». Les orchestrations demeurent comme toujours chez Goldenthal particulièrement inventives et soignées, avec quelques effets instruments avant-gardistes typiques du compositeur et d’autres passages plus classiques d’esprit. Le compositeur nous offre à plusieurs reprises de grands moments de fantaisie pure dans le film.

Le second thème de la partition de « Batman Forever » est associé au personnage de Double-Face dans le film, reconnaissable grâce à ses rythmes caractéristiques, thème que l'on peut aussi entendre au début du film lors de la scène de l'hélicoptère de Double-Face avec le coffre fort dans lequel sont enfermés Batman et un gardien, suspendus dans le vide. Quand au personnage déjanté d’Edward Nygma, Goldenthal lui offre lui aussi un thème reconnaissable, moins mélodique mais plus facilement identifiable grâce à ses couleurs sonores particulièrement excentriques et fantaisistes, utilisant pour l’occasion le fameux théremin et sa sonorité assez unique - un instrument électronique plutôt kitsch, que Bernard Herrmann utilisa avec brio dans « The Day The Earth Stood Still » ou Miklos Rozsa dans sa partition mythique pour « Spellbound » ! Le théremin de Nygma est parfois associé dans la musique à une voix féminine mystérieuse et un orgue aux sonorités plus gothiques, le mariage des trois instruments conférant au thème un côté énigmatique parfaitement indissociable du méchant campé par un Jim Carrey en roue libre total dans le film.

Elliot Goldenthal semble s'être amusé tout au long du film en multipliant les morceaux de danse comme le « Boogie » de Gotham City, la « Rhumba », le « Foxtrot », la « Valse » et le « Tango » (une majorité de ces pièces sont jouées dans le film lors de la cérémonie organisée par Nygma), sans oublier la « Nocturne » plus classique et romantique entre Bruce et Chase (magnifique Nicole Kidman) dans le film. Goldenthal multiplie les ambiances avec une inventivité déconcertante, abordant parfois sa musique comme une sorte de ballets en plusieurs actes - d’où les nombreuses références à l’univers de la danse dans sa musique (rappelons d’ailleurs que Goldenthal a déjà écrit des ballets par le passé !). A noter que le track list de l’album contient quelques petites touches d'humour tout à fait appréciables, avec entre autre un « Nygma Variations » dont le titre fait référence à une célèbre pièce de musique classique du compositeur anglais Sir Edward Elgar (« Enigma Variations ») ou « Batterdammerung » et son allusion à un opéra de Richard Wagner. Pourtant, il serait injuste de ne se limiter qu’au caractère ludique et léger de la musique de Goldenthal, tant sa partition pour « Batman Forever » recèle de vrais moments de fantaisie pure teintés de touches plus sombres. On retrouve d’ailleurs le grand Elliot Goldenthal des musiques d'action complexes dans lesquels le compositeur cède la place à un orchestre virtuose totalement déchaîné - notons d’ailleurs la reprise quasi-texto du morceau « The Rape » de « Alien 3 » pour la scène où Robin affronte un gang de voyous dans le film. Ces passages d’action ultra massifs et percutants permettent au compositeur de développer quelques touches électroniques discrètes qui rappellent parfois le score de « Demolition Man ». Sa musique apporte donc un souffle orchestral parfois très intense sur les images, Elliot Goldenthal étant passé maître depuis belle lurette dans l’art de faire exploser un orchestre avec un savoir-faire à toute épreuve et une grande maîtrise des orchestrations et des techniques instrumentales plus modernes et avant-gardistes.

Si la musique évoque la folie d’Edward Nygma dans le film, elle renforce aussi le caractère menaçant et enragé d’Harvey Double-Face. Une bonne partie de la composition de Goldenthal se focalise d’ailleurs beaucoup sur l’illustration musicale des méfaits des deux bad guys du film. On notera par exemple les incursions plus ironiques et fantaisistes de quelques solos de violon dans la séquence où Nygma, débarrassé de son directeur qu'il balance par une fenêtre, fait semblant d'être attristé par la mort de ce dernier auprès d'un policier venu l’interroger- on retrouve d’ailleurs ici un style d'écriture plus proche de la musique de chambre classique. On notera aussi un passage plus intime/romantique dans un style clairement 19èmiste lorsque Bruce Wayne vient se présenter à la très belle Chase sous le balcon de sa fenêtre. Le score de « Batman Forever » nous offre donc un panel très diversifié d’ambiances très différentes dans le film, mais avec une vraie cohésion d’ensemble, incluant par exemple des moments de pur délire comme « Nygma Variations » qui rappelle les musiques des films d'épouvante des années 40/50, sans oublier les quelques touches jazzy au sein de l'écriture orchestrale avec ces attaques de trompettes tout à fait caractéristiques et bien souvent entendues dans les fins de phrases de certaines des pièces les plus agitées de la musique de Goldenthal.

La partition d’Elliot Goldenthal pour « Batman Forever » pourra donc paraître plus accessible et moins intéressante que ce que le compositeur a fait précédemment sur des films tels que « Alien 3 » ou « Interview with the Vampire », mais pourtant, on appréciera malgré tout la qualité des morceaux d'action du score et l’utilisation assez habile des différents thèmes que Goldenthal associe tout au long du film aux principaux protagonistes du film. Certes, le nouveau thème héroïque de Batman n’a peut être pas la classe de celui de Danny Elfman, mais il n’en demeure pas moins très réussi et parfaitement adapté à l’univers plus coloré du film de Joel Schumacher. Moins sombre et mystérieuse que les précédents travaux d’Elfman, la nouvelle musique d’Elliot Goldenthal pour « Batman Forever » apporte un certain charme fantaisiste et une énergie considérable à cette troisième aventure haute en couleurs, qui, sans être le nouveau chef-d’oeuvre d’Elliot Goldenthal, n’en demeure pas moins une partition réussie, qui devrait pleinement satisfaire les fans du compositeur, moins habitué à travailler sur des films au registre plus léger et familial !


---Quentin Billard