La bonne idée de ce petit film de guerre ('Le Crépuscule des aigles' en VF) de John Guillermin est de nous montrer la première guerre mondiale du point de vue des aviateurs allemands et plus particulièrement du héros Bruno Stachel campé par un excellent George Peppard parfait dans ce rôle. En réalité, Stachel est un véritable antihéros qui se fiche complètement de la guerre et des autres et qui n'a qu'un seul but: obtenir coûte que coûte la très convoitée médaille du mérite ('The Blue Max' en anglais) en abattant plus d'une vingtaine d'appareils ennemis. Et Stachel compte bien obtenir se nombre afin d'assouvir son désir. En entretenant une liaison soi-disant amoureuse avec la comtesse Kaeti Von Klugermann (Ursula Andress, qui s'est révélé avec son rôle de grosse bimbo de service dans 'Dr.No' en 1962 de Terence Young), Stachel compte bien défier son rival, Willi Von Klugermann, défi qui se soldera par la mort tragique de Willi lors d'un défi aérien. Entouré de nombreux aviateurs allemands venant du monde de l'aristocratie, Stachel est le seul à venir d'une famille modeste et son ambition va le pousser à aller jusqu'au bout quitte à se mettre son supérieur sur le dos. Le général Von Klugermann (James Mason) va découvrir en lui un immense potentiel et va décider de faire de lui un véritable héros du peuple allemand en cette période troublée où le pays est au bord de la révolution alors que l'issue de la guerre semble devenue de plus en plus inévitable pour l'Allemagne. Pendant ce temps, Stachel continue à faire des victimes afin de ramener son nombre d'appareils abattus à 20 pour qu'il puisse obtenir la médaille du mérite se prouver à lui même et aux autres qu'il est le plus fort malgré ses origines sociales. Orgueilleux, prétentieux et égoïste, Stachel accumule tous les défauts pour faire de lui un véritable antihéros pour qui l'on ne ressentira aucune sympathie même pas pour sa mort à la fin du film pendant que ce dernier teste un nouveau prototype d'avion jugé pourtant très dangereux. Le film de Guillermin vaut surtout pour ses nombreuses séquences de combat aérien spectaculaires au possible et vraiment très réussi techniquement. George Peppard arrive quand à lui à insuffler une personnalité forte à son personnage d'antihéros obsédé par sa quête de la médaille du mérite et le tout se laisse regarder avec facilité même si le film apparaît un peu longuet au final.

Jerry Goldsmith n'est pas encore très connu à l'époque où il compose le score de 'The Blue Max'. Aujourd'hui, la partition du film de Guillermin est beaucoup plus connue (à tel point que le compositeur la fait jouer régulièrement dans la plupart de ses concerts) et le thème lui même est resté parmi les plus grands thèmes du Goldsmith des années 60 (à noter qu'il s'agit aussi de la première collaboration de Goldsmith avec le National Philharmonic Orchestra, collaboration qui se prolongera même jusqu'à aujourd'hui). Après avoir enchaîné plusieurs registres différents comme le superbe 'Freud' (1962), ou la première participation de Goldsmith sur un film de Schaffner avec 'The Stripper' (1963) suivi de 'Lilies of The Field' (1963), 'Von Ryan's Express' (1965) ou le très beau 'A Patch of Blue' (1965), Goldsmith atterrit dans le film de guerre, un genre qu'il avait déjà abordé dans 'Von Ryan's Express' ou 'Morituri'. Pour 'The Blue Max', le compositeur a écrit une bonne petite partition orchestrale interprétée par un orchestre de 100 musiciens (avec une très grande section de cuivres et de percussions) qui donne une certaine puissance à ce score. Malheureusement, le réalisateur a décidé d'utiliser ce score avec parcimonie et n'a pas hésité à couper de nombreux morceaux pour n'en conserver parfois que quelques minutes voire quelques secondes, ce qui ampute évidemment beaucoup la partition de Goldsmith qui prend une autre tournure sur l'album où elle a été réunie dans son intégralité avec les nombreux passages qui ne sont pas entendus dans le film. Le score de Goldsmith se développe autour de trois grands thèmes majeurs issus du thème principal, le thème aérien qui ouvre majestueusement le film dans le 'Main Title' alors que l'on voit une série de plans suivant des avions dans le ciel. Après une introduction de vents et de cuivres, ce sont les cordes qui entament l'excellent thème principal majestueux évoquant le côté aérien et héroïque du héros et de ses "exploits". 'The New Arrival' (scène d'arrivée des officiers dans la base aérienne allemande) nous fait entendre le deuxième thème aux cuivres soutenu par un rythme lent de tambour, motif plus sombre et que l'on entend la première fois dans le film lorsque Stachel ramène un avion qu'il abat sur le terrain d'atterrissage de la base pour prouver à tout le monde qu'il a fait une nouvelle victime afin qu'on lui compte cet appareil qu'on lui avait refusé la première fois de manière inexplicable (dans le sombre 'The Victim'). Le thème interviendra donc dans les moments plus sombres du film ou lorsque le 'héros' fait des siennes. 'A Toast To Bruno' est absent du film et 'First Blood' n'est entend qu'en partie dans le film. Le morceau reprend le très majestueux thème principal aux cors/trompettes soutenu par un rythmique plus héroïque pour une scène où Stachel s'attaque à un avion anglais et fait sa première victime "officielle". La seconde partie du morceau est absente du film mais on appréciera le travail des cordes et des cuivres évoquant une ambiance d'action plutôt sombre avec la reprise du thème principal, thème lié aux 'exploits' de Stachel qui se concrétise dans l'héroïque 'First Victory' qui utilise de manière surprenante une machine à vent (chose que l'on trouve déjà dans la musique de Maurice Ravel dans la première moitié du 20ème siècle) évoquant le vent et nous renvoyant bien évidemment au côté aérien des aventures de Stachel. Le thème réapparaît dans 'The Captive', autre morceau absent du film, le thème apparaissant finalement assez peu de fois dans le film. Dans 'The Victim', Goldsmith nous refait entendre le thème sombre de 'The New Arrival' soutenu par un rythme de percussion plutôt lent et sombre qui sonne de manière quasi funèbre lorsque Stachel abat un avion anglais et le force à s'écraser sur le terrain d'atterrissage de la base. Le thème de 'The New Arrival' et 'The Victim' évoque en réalité l'obsession de Stachel qui s'est mis en tête de tout faire pour obtenir la médaille du mérite, ce thème se rapprochant probablement plus de la réelle personnalité de Stachel
que celui entendu dans le 'Main Title'. Le côté sombre de ce morceau évoque aussi la brutalité et la férocité de Stachel qui sommeille derrière son aspect inoffensif, ce qui lui vaut le surnom par son rival Willi de 'cobra', un style sombre que l'on retrouve justement dans 'The Cobra', morceau lui aussi absent du film.

C'est l'excellent 'The Attack' qui constitue l'un des morceaux clé du score et qui n'est malheureusement entendu que seulement pendant 1 ou 2 minutes dans la séquence du combat aérien où Stachel s'écrase avant d'être récupéré, soigné et ramené à la base. 'The Attack' débute sur un rythme martial de caisse militaire/tambour qui sera vite rejoint par les cordes et les cuivres pour cette excellente séquence d'action faisant de nouveau allusion au thème principal. Le compositeur nous montre déjà ici son art de l'écriture action avec une partie de cordes virtuose et une écriture de cuivres amplement maîtrisé avec la section de percussions martiales. (dommage que le réalisateur n'ait pas conservé cet excellent morceau dans son intégralité) 'A Small Favor' évoque le côté festif (et artificiel) du personnage en reprenant le thème principal sous la forme d'une amusante petite valse avec un violon soliste et c'est là qu'intervient le 'Love Theme' qui donne une petite touche de romantisme dans ce score sombre et majestueux à la fois (même si Stachel n'a rien d'un romantique et que sa relation avec Kaeti est assez ambiguë, puisqu'on a plutôt l'impression qu'il essaie de profiter d'elle pour accomplir son dessein). Débutant sur un piano très intime et plein de tendresse pour la première scène d'amour du film, ce sont les cordes qui progressivement développent ce petit Love Theme dont la mélodie est en fait vaguement dérivée du thème principal, Goldsmith nous réservant quelques belles reprises de ce joli thème dans les pistes 15 (au piano) et 17 (aux cordes avec piano sous une forme plus sombre). 'The Rivals' marque quand à lui la mort de Willi qui s'écrase tragiquement en tentant de défier Stachel lors de la scène où ils en passent sous des ponts.

'Retreat' entame la dernière partie du film en reprenant le style action de 'The Attack' pour une autre scène de combat aérien où Stachel et ses alliés doivent abandonner le combat et se retirer à leur base après que plusieurs de leurs appareils aient été abattus. Se basant sur un ostinato de cordes graves soutenu par un rythme de caisse/tambour comme dans 'The Attack', le morceau refait une belle utilisation du thème sombre de Stachel qui évoque toujours ici sa détermination à liquider le plus d'adversaires possible afin d'obtenir sa médaille, quitte à refuser d'obéir à l'ordre de son supérieur qui lui ordonne pourtant de battre en retraite. Le morceau apparaît ici plus sombre et tendu que 'The Attack', Goldsmith nous faisant comprendre que Stachel va trop loin cette fois ci. On appréciera une fois encore la qualité d'écriture de ce morceau d'action lui aussi amputé de nombreuses minutes dans le film (pourtant les 3 dernières minutes du morceau sont pourtant particulièrement intenses). 'Stachel To Berlin' s'ouvre de manière très discrète avec quelques timbales mystérieuses comme pour évoquer le fait que Stachel est dans les ennuis jusqu'au cou puisqu'on l'envoie à Berlin rencontrer le général après avoir été menacé par son officier supérieur de passer devant la cours martiale. Goldsmith utilise toujours la percussion martiale avec des cuivres sombres ici qui évoque le destin sombre de Stachel (qui semble quand même l'avoir bien mérité). Après un 'Nothing Needed' reprenant sous la forme de valse avec les cordes le thème comme dans 'A Small Favor', Goldsmith nous décrit une dernière entrevue entre Stachel et Kaeti dans 'Kaeti Has A Plan' qui fait une nouvelle fois allusion au Love Theme qui se trouve mis en parallèle ici avec une allusion lente au thème sombre de Stachel pour l'un des derniers morceaux plus intime du score (mais qui sonne aussi de manière sombre comme pour évoquer le fait que Stachel révèle enfin son côté hypocrite et égoïste à la pauvre Kaeti qui s'est vraiment bien faite manipuler par l'antihéros de service - à ce sujet, le Love Theme sonne lui aussi de manière froide et sombre, ce qui évoque très clairement la rupture entre les deux individus après l'affront de Stachel) La conclusion arrive finalement avec le sombre 'Stachel's Last Flight' lors de la scène finale où Stachel s'écrase pendant qu'il teste un nouvel appareil prototype pour des essais. Le thème sombre de Stachel revient ici aux cuivres alors que ce dernier a enfin accompli son but et gagné sa médaille qu'il convoitait tant, et ce juste avant de mourir en s'écrasant durant le vol d'essai. Le End Title développe alors une dernière fois le thème principal majestueux en guise de conclusion héroïque du film (même si la fin n'a rien d'héroïque, le thème étant en fait une sorte d'hommage au courage des aviateurs durant la première guerre mondiale, même si ici l'histoire est vu du côté des allemands).

'The Blue Max' est désormais considéré comme un classique du Goldsmith des années 60 et même si la partition est loin d'atteindre la qualité de 'The Sand Pebbles' (1966) sur un registre assez similaire, il n'en constitue pas moins un bel effort de la part du compositeur à peine âgé de 37 ans à cette époque. Saluons au passage Legacy qui a eu la bonne idée de ressortir ce score dans sa version intégrale nous permettant ainsi de redécouvrir cette fameuse petite partition dans sa version complète sans oublier au passage les quelques morceaux du 'source music' pour mieux replonger dans l'univers du film. Même si l'on n'est guère fan de cette partition, on ne peut qu'apprécier ses qualités d'écriture et la puissance de sa thématique basé autour d'un thème principal, véritable axe central de la partition. Notre seul regret est que le réalisateur n'ait pas conservé un peu plus de musique dans son film (mais c'est malheureusement ce qui arrive parfois). 'The Blue Max' est au final une petite partition sympathique qui, sans pouvoir se hisser au rang des chefs d'oeuvre du compositeur, n'en demeure pas moins un bel effort pour un compositeur encore peu connu à l'époque où il compose cette BO!


---Quentin Billard