Musique  composée par:

Philippe Sarde

Editeur:

Polydor 2056 357

Réalisateur:
Georges Lautner
Genre:
Thriller
Avec:
Alain Delon,
Mireille Darc,
Claude Brasseur.

Artwork and pictures (c) 1975 Polydor. All rights reserved.

Note: ***1/2
LES SEINS DE GLACE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Philippe Sarde
Polar captivant de Georges Lautner (on se souvient tous de son fameux 'Les tontons flingueurs' - 1963 - où Lautner collaborait pour la première fois avec Michel Audiard sur ce film où Lautner écrivit des dialogues hilarants, comme c'est souvent le cas dans les comédies réalisées par l'irrésistible duo Lautner/Audiard), 'Les seins de glace' nous raconte la sombre histoire de Peggy Lister (formidable Mireille Darc), une mystérieuse jeune femme qui vit surprotégé entre son avocat Marc Rilson (Alain Delon) et François Rollin (Claude Brasseur), un écrivain de feuilleton plutôt boute-en-train (un peu trop d'ailleurs) qu'elle a rencontré un jour lors d'une promenade au bord de la plage. Rollin finit par devenir accroc de cette femme qui refuse dans un premier temps ses 'avances' jusqu'à ce qu'elle commence à montrer un certain regain d'intérêt pour cet individu. Mais François ne se doute pas que Peggy cache un sombre secret et c'est en rencontrant l'avocat de Peggy que François en découvrira un peu plus à son sujet. Mais notre héros toujours très jovial refuse de croire Rilson, prétextant que ce dernier lui a raconté toutes ces horreurs afin de l'éloigner d'elle par jalousie. Les ennuis commenceront vraiment avec la découverte d'un premier cadavre chez Peggy, le réalisateur développant alors l'intrigue d'une manière assez prenante. L'intérêt du film, c'est d'amener le spectateur à se poser continuellement des questions: qui est cette mystérieuse jeune femme à l'apparence plutôt froide et distante? Pourquoi semble t'elle avoir peur des hommes? Quel secret cache t'elle? Qui est cet avocat qui veille sans cesse sur elle? Quel secret cache t'il lui aussi? Est-il amoureux de cette femme? Est-il l'assassin ou bien est-ce Peggy? Bref, Lautner mène son film avec un rythme soutenu et une intrigue de plus en plus complexe jusqu'à un final plutôt tragique mais inévitable. En fin de compte, le seul reproche que l'on pourrait faire au film concernerait plutôt le personnage de Claude Brasseur: François Rollin a beau être un type très marrant et tout le temps de bonne humeur, son personnage finit par être plutôt lourd et totalement déconnecté de la réalité face à ce qu'il doit vivre et endurer en côtoyant cette mystérieuse femme 'enfermée' dans une grande demeure. On dirait que François ne prend rien de tout cela au sérieux alors qu'il devrait parfois être plus vigilant. On ne sait pas vraiment pourquoi le réalisateur a tenu à faire de François Rollin le héros un peu nunuche et rigolo sur les bords, mais toujours est il que le décalage qui s'opère entre la sombre intrigue de l'histoire et le côté plus comique du personnage principal est assez excessif pour qu'on puisse le remarquer. Malgré les pitreries assez lourdes du personnage de Claude Brasseur, 'Les seins de glace' reste un polar très réussi, preuve qu'un film à suspense ne peut être réussi que s'il repose sur un scénario digne de ce nom. A voir!

Philippe Sarde a signé là l'une de ses plus intéressantes partition à suspense des années 70 (il avait déjà collaboré à un autre polar avec Alain Delon en 1973 sur 'La race des seigneurs', sans oublier 'deux hommes dans la ville' en 1973 sans oublier sa deuxième grande partition pour le cinéma avec un 'Max et les ferailleurs' beaucoup plus dramatique, composé juste après sa toute première BO pour le cinéma français, 'les choses de la vie' de Claude Sautet). Pour 'Les seins de glace', la partition orchestrale du jeune Sarde (il n'a que 28 ans à l'époque où il compose ce score!) repose essentiellement sur deux thèmes principaux, l'un entièrement atonal, agressif, terrifiant et dissonant, dénué de toute formule mélodique quelconque, l'autre complètement tonal, mélodique, touchant et très chantant, à des années lumière du caractère noir et effrayant du premier thème (ce n'est pas pour rien si c'est pourtant ce thème atonal qui ouvre en premier le film à la vue de mouettes qui survolent le bord d'une plage, puisque ce thème annonce déjà quelque part la révélation finale de l'histoire). En réalité, toute la partition de Sarde est construite afin de révéler le côté schizophrène, psychotique et paranoïaque de Peggy, une double facette qui finit par se révéler fatale à tout ceux qui la fréquentent d'une manière ou d'une autre. Le thème atonal se caractérise par ces clusters de cordes brusques et sauvages et ces tremolos de cordes dissonants (sans oublier l'utilisation d'un élément électronique assez glauque, mélangé au sein de la masse dissonante des cordes). Véritable hommage aux musiques thriller de Bernard Herrmann, ce premier thème annonce déjà le côté sombre et angoissant de la partition de Sarde (le compositeur reprendra quelques éléments de ces passages plus sombres dans sa BO pour 'Le juge et l'assassin'). Après la première exposition de ce thème sombre, on entend alors le second thème qui se caractérise par sa très belle mélodie de violon mélancolique (et rêveur) soutenu par un piano chaleureux avec une guitare plus douce. Très beau thème mélodique, ce second thème évoque la mélancolie de Peggy qui semble être désespérément torturée intérieurement et qui rêve de sortir de son 'enfer' où elle est enfermé malgré elle. L'idée du compositeur est clair: il s'agira en fait d'évoquer le côté menaçant et dangereux de cette jeune femme en parallèle à sa fragilité apparente et à sa mélancolie.

D'une manière plus générale, la partition se distingue de par son côté psychologique évoquant le personnage de Peggy Lister comme une sorte de Janus, un individu à double face incapable ici de contrôler l'un comme l'autre ce qui la rend très dangereuse. Mais à l'instar du réalisateur lui même, Sarde s'amuse à brouiller les pistes en utilisant le côté plus atonal/suspense de sa musique pour évoquer le mystère entourant le personnage de Marc Rilson (Delon), l'avocat de Peggy. Avec des traits de cordes toujours très tendus et un caractère toujours très noir et torturé, la musique semble devenir vraiment inquiétante pour les quelques scènes où l'on voit Peggy aller chez le mystérieux avocat, une atmosphère plutôt sinistre et étouffante que le compositeur développera pour créer une atmosphère de suspense atonal assez fort dans le film. Bien sûr, il réutilise le thème atonal avec ces clusters violents de cordes (décidément très utilisé pour le côté suspense du film, dans la plus pure tradition 'Herrmanienne' du genre) mais c'est le thème mélodique associé à la fragilité apparente de Peggy qui reste l'élément le plus attachant du score. On le trouve dans les quelques moments plus intimes où Peggy développe sa relation quelconque avec François ou lorsqu'on sent qu'elle commence à craquer où elle finit toujours dans les bras de son avocat qui semble tout faire pour prendre soin d'elle. A noter le côté plus action du score que l'on entend dans les quelques scènes plus agitée du film, surtout dans la scène de poursuite en voiture vers le début, lorsque Peggy s'aperçoit qu'elle est suivie par une mystérieuse voiture noire. Ici, Sarde utilise une guitare basse avec les cordes dissonantes, la guitare basse étant le seul élément utilisé par Sarde pour souligner le côté plus 'action' de la scène même si ce n'est pas ici une réelle scène d'action à proprement parler. Evidemment, ces quelques passages plus sombres voire terrifiants (une reprise très brutale du thème atonal lors de la scène où Peggy croit se faire attaquer par le gardien de sa maison une nuit dans un couloir) n'empêchent pas le compositeur de développer son très beau thème de violon qui revient sous une très belle version dans la scène où Peggy est seule chez elle un soir, la mélodie étant ici confié à une voix de femme pleine de douceur évoquant une fois encore la fragilité de l'héroïne.

Entre frisson et douceur, le score des 'Seins de glace' reste un score intéressant de la part du jeune Sarde des années 70 pas encore très connu à l'époque. Avec un petit groupe instrumental restreint et avec juste ce qu'il faut, le compositeur a réussi à retranscrire tout le côté psychologique du film et la dualité d'esprit de l'héroïne interprétée de manière splendide par Mireille Darc. Largement moins connue que d'autres partitions plus récentes du compositeur, 'Les seins de glace' reste une petite BO surprenante à découvrir, au moins pour tout ceux qui s'intéressent au côté plus sombre de la musique de Sarde (et qu'il mettra pleinement en valeur par la suite dans 'Le Locataire' de Polanski).


---Quentin Billard