Juste après 'Single With Female' (Jeune Fille partagerait appartement), Barbet Schroeder se lança de nouveau dans le thriller glauque typiquement Hollywoodien avec un 'Kiss of Death' très bien réalisé mais pas indispensable en soi. Si le film n'apporte rien de nouveau au genre ultra codifié du film noir/thriller, il n'en reste pas moins un bel effort de la part d'un réalisateur indépendant résolument tourné vers Hollywood depuis la fin des années 80. 'Kiss of Death' est en réalité le remake d'un film de 1947 réalisé par Henry Hathaway. On retrouve évidemment ici aussi une histoire similaire au film d'origine: David Caruso interprète Jimmy Kilmartin, un ex-voleur de voitures qui décide de raccrocher pour se consacrer à sa femme Bev (Helen Hunt, qui n'apparaît qu'une quinzaine de minutes dans le film) et à leur fille Corinna. Les choses changent le jour où Ronnie (Michael Rapaport), un ancien 'collègue' de Jimmy vient brusquement le voir en pleine nuit pour lui demander de lui rendre un service majeur: il doit l'aider à convoyer un important chargement de voitures volées pour le compte de Little Junior Brown (Nicolas Cage, absolument épatant dans ce rôle de gros méchant psychotique). Arrivé à destination, le convoi est alors subitement arrêté par la police. Injustement accusé de tentative d'homicide après qu'un type du convoi ait tiré sur l'inspecteur Calvin (Samuel L.Jackson), Jimmy risque la prison à perpétuité. Sa seule porte de sortie consiste à livrer aux fédéraux le nom de ses partenaires. Après la mort accidentelle de sa femme, ce sera le début de la descente aux enfers pour Jimmy. A sa sortie de prison, Jimmy se voit confier une mission par la police fédérale: servir d'indic pour aider les flics à coincer Little Junior et à le jeter définitivement en prison. Jimmy devra donc infiltrer la bande à Little Junior tout en y risquant sa peau, mais les choses vont se compliquer le jour où Little Junior abat Omar (Ving Rhames) devant ses yeux, Jimmy apprenant un peu plus tard que le fameux Omar était en réalité un agent infiltré secrètement. On pourra reprocher au film son côté un peu 'routinier': l'histoire semble avoir été racontée des centaines de fois (l'indic' qui doit infiltrer une bande, le héros accusé à tort qui se bat pour sauver sa cause, etc.) et pourtant, il se dégage de 'Kiss of Death' une ambiance assez prenante qui nous incite à en voir toujours plus et ce malgré une fin plutôt décevante où le réalisateur ait tombé en plein dans le cliché du héros casse-cou qui se la joue une dernière fois lors de l'inévitable face-à-face final. A noter un casting impressionnant pour ce film puisqu'on y retrouve donc David Caruso, Nicolas Cage, Samuel L.Jackson, Helen Hunt, Kathryn Erbe, Stanley Tucci, Michael Rapaport, Ving Rhames, Athony Heald, Philip Baker Hall, etc...bref, un bon film noir qui nous montre une vision réaliste et violente du grand banditisme new-yorkais.

Après avoir fait appel à Mark Isham sur 'Reversal of Fortune' et Howard Shore sur 'Single With Female', Schroeder décide cette fois ci d'utiliser les services de Trevor Jones, compositeur éclectique qui a réussi là une assez bonne BO atmosphérique, sinistre et oppressante, plus typique de son style suspense/thriller. Les passages d'action sont finalement rares ici. Priorité au suspense donc. Le score repose sur l'orchestre avec une importante section de synthés et un thème principal qui servira d'axe majeur de la partition. Le 'Main Title' nous introduit à cet excellent thème avec une rythmique rock plutôt moderne, nous rappelant à quel point Trevor Jones est décidément un compositeur éclectique. (il peut aussi bien passer du médiéval d'Excalibur au rock de 'Kiss of Death' sans oublier le symphonisme de 'The Last of The Mohicans' ou 'Cliffhanger') Confié à une guitare électrique avec quelques cordes, le thème est soutenu dès l'ouverture du film par une batterie rock (un élément que l'on retrouvera dans 'Hideaway' avec un aspect choral/gothique tout à fait surprenant) avec guitare basse et synthé (à noter ce petit son métallique que l'on retrouvera aussi dans 'Desperate Measures', composé pour un autre film de Barbet Schroeder). Le compositeur nous proposera quelques variantes orchestrales de ce thème tout au long du film, le thème étant d'ailleurs très clairement associé ici au héros du film, Jimmy Kilmartin.

La partition de Jones va très vite nous plonger dans un univers glauque, noir et profondément sinistre. Jones évoquera à la fois le danger et la menace représenté par Little Junior, un sentiment de menace très fort lorsque le personnage commet ses méfaits dans le film. C'est ainsi que l'on retrouve ce genre d'ambiance pesante et noire dans une séquence comme celle où Little Junior tue Ronnie à coups de poing, Jones installant la tension nécessaire à la scène à l'aide de sonorités orchestrales sombres et de nappes de synthé souvent fort dissonantes (une des caractéristiques sonores du score de 'Kiss of Death'). 'Illegal Convoy' fait intervenir quelques cordes plus rythmés pour la scène des camions au début du film, Jones nous proposant une variation aux cordes du thème principal, thème qui deviendra plus mélancolique lorsqu'il s'agira d'évoquer les problèmes de Jimmy séparé de sa famille à cause de la prison. Le reste du score oscillera ainsi entre suspense glauque et menaçant et partie thématique plus 'aérée' voire dramatique. 'Calvin's Revenge' installe aussi cette ambiance de menace illustrant aussi la brutalité des différentes protagonistes (ici, Calvin emmène Jimmy dans un coin pour lui taper dessus et se venger du coup de feu qu'il a reçu lors de l'arrestation). 'Junior Suspects' est dans le même ordre d'idée, encore plus sombre et glauque, Jones utilisant sa partie électronique pour renforcer l'ambiance quasi macabre de ces passages inquiétants et atmosphériques (le synthé étant très présent dans ces passages de suspense, parfois même au niveau rythmique).

A noter que le compositeur a ici aussi recours à l'EWI (toujours interprété par Phil Todd), un élément devenu une marque de fabrique chez le compositeur et que l'on entend notamment ici lors de certaines reprises du thème. A noter aussi l'utilisation nettement plus menaçante des cuivres dans 'Corinna Is Kidnapped' sans oublier l'utilisation de quelques percussions de synthé violentes dans certains passages d'action du score. L'ensemble de la partition lorgne donc du côté plus atmosphérique et pesant, Jones créant une ambiance noire parfois assez étouffante surtout dans le choix toujours très judicieux de ses différentes sonorités à la fois instrumentales et électroniques. Le film se conclut alors sur l'inévitable affrontement entre Jimmy et Little Junior au son d'un ultime morceau d'action particulièrement excitant, au rythme frénétique. Ici, Jones met en avant cordes et cuivres dans une pièce tonitruante et brutale, un morceau qui sonne de manière très excitante dans cette scène finale, sorte d'inévitable 'duel' à l'ancienne. A noter que le score se termine au son d'une excellente reprise du thème principal dans un 'End Credits' reprenant le thème principal sous sa forme rock moderne comme dans le 'Main Titles', le compositeur ajoutant ici une partie de synthé soliste qui donne un très cool (un peu 'eighties' d'esprit), le thème gagnant en puissance pour conclure la partition comme il se doit.

Atmosphérique, sinistre et menaçante, la musique de 'Kiss of Death' est typique du style thriller du compositeur, Jones semblant s'être bien amusé en créant un thème principal sympa qu'il développera bien dans le 'Main Titles' et le 'End Credits' sous une forme plus moderne d'esprit. 'Kiss of Death' n'est certainement pas ce que le compositeur a fait de mieux dans le domaine, mais cela n'en reste pas moins une petite BO intéressante qui mérite d'être découverte, ne serait-ce que pour mieux cerner le style 'noir' du compositeur et que l'on retrouvera par la suite dans des BO tels que 'Desperate Measures', 'From Hell' et même 'G.I. Jane' (il y'a un passage du score qui s'inspire du style suspense de 'Kiss of Death'). Trevor Jones a parfaitement su retranscrire la violence du film et grâce au style rock du 'Main Titles', il s'est parfaitement glissé dans l'univers urbain du film. Sa musique est là pour susciter de manière incessante cette ambiance d'inquiétude et parfois même de peur en jouant sur le caractère parfois imprévisible et extrêmement brutal du personnage de Little Junior. En conclusion, voilà une BO sympa sans plus, un bon Trevor Jones qui reste à découvrir malgré le fait que l'album du score est encore un titre épuisé devenu très rare à trouver dans le commerce.


---Quentin Billard