1-London, 1881 3.33
2-Vinegar, Daughter of Wine 1.17
3-I'm Frightened By
The Street 1.29
4-Sleepwalking 1.29
5-Five In The Gods 1.02
6-You Are Like A Diamond 1.56
7-Match Factory 1.27
8-Theater On The Strand 0.52
9-A Child Costs One Pound 0.46
10-The Wages Of Sin 0.58
11-The Banks On
The Thames 0.37
12-Nathan Quellen 1.17
13-Lessons 0.53
14-Becky 3.03
15-A Mysterious Truth 0.32
16-Reading Othello 1.37
17-Philip Haygard 1.08
18-A London Market 2.17
19-Heda Gabler 1.18
20-The Broken Carafe 2.40
21-The Note Had Been Struck 1.02
22-Curtain Call
Source Music... 3.02
23-The Kiss & The Ballroom 2.22
24-Italian Dance 2.18
25-Yiddish Theater 1.49

Musique  composée par:

Howard Shore

Editeur:

Naïve ND 68510

Album produit par:
Howard Shore, Suzana Peric
Musique montée par:
Suzana Peric, Nancy Allen
Coordination de l'album:
Michael Tremante
Producteur exécutif:
Why Not Productions

Artwork and pictures (c) 2000 Why Not Productions. All rights reserved.

Note: **1/2
ESTHER KAHN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Howard Shore
Quatrième réalisation du français Arnaud Desplechin après 'La vie des morts' (1991), 'La Sentinelle' (1992) et 'Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle)' (1996), 'Esther Kahn' est un drame plutôt dense et intense soutenue par une Summer Phoenix confondante de vérité dans le rôle difficile d'Esther Kahn, jeune fille issue d'une modeste famille juive dans le Londres du 19ème siècle. Esther Kahn est une jeune fille sauvage qui ne montre jamais ses émotions. Sèche, renfermée et introvertie, la jeune fille semble être aussi dure qu'une pierre et aussi froide qu'une porte de prison. C'est seulement au bout de sa vingtième année qu'Esther aura enfin une révélation: après avoir vu une pièce de théâtre, la jeune fille va mettre ses émotions à nue pour la première fois de sa vie: elle veut devenir actrice de théâtre. Malgré le fait que sa famille ne la prenne pas au sérieux, Esther va se lancer à fond dans cette nouvelle passion soudaine et va apprendre à 'renaître' à la vie à travers l'apprentissage (parfois difficile) du théâtre et du métier d'acteur. Ce sera pour elle l'occasion de découvrir enfin la vie à laquelle elle a tournée le dos durant tant d'années. Le choc de cette 'renaissance' en sera d'autant plus violent qu'elle n'arrivera pas à contrôler toutes ses nouvelles émotions encore inédites pour elle. (son amant, Philippe Haygard (Fabrice Desplechin) la trompera au bout de quelques jours d'une manière fort peu subtile) L'intérêt du scénario est donc de nous montrer le parallèle qui existe entre le métier d'acteur de théâtre et la vie en général, bien qu'il soit fort dommage que le réalisateur n'ai conservé que les aspects négatifs de cette renaissance (on sent très bien qu'elle souffre au cours de sa prise de conscience, comme si cela ne changeait finalement rien de son état semi-dépressif alors que la vie ne peut quand même pas se résumer qu'à cela, même si l'on pourrait me répondre que ce n'est pas le propos de l'histoire du film). Adapté d'une nouvelle d'Arthur Symons que le réalisateur a lu il y a plus de quinze ans déjà, l'histoire d'Esther Kahn a ainsi été résumé par le réalisateur lui même: "ce film veut être l'histoire d'une sauvage - un petit singe, comme l'appellera sa mère - qui devient humain, non en apprenant à parler mais en apprenant le théâtre(...)" Desplechin poursuit en parlant de la douleur que le personnage peut ressentir en expérimentant sur scène à la fin du film 20 ans d'une vie jusque là étouffée, et comme il l'ajoute fort judicieusement, "20 ans d'un coup, c'est beaucoup trop!". Bien sur, la leçon à en retenir pourrait être qu'il faut vivre et sentir des choses, mais le réalisateur pose aussi une question fort importante, toujours dans un domaine très philosophique (Vivons nous vraiment la vie ou est-ce qu'on ne mènerait pas plutôt un simulacre de cette vie?) à propos de ce retour douloureux de ces 20 longues années étouffées: "Est-ce un bien? Est-ce un mal? J'imagine que c'est un bien, parce qu'il vaut mieux n'importe quoi que de ne rien sentir du tout" et le réalisateur de rajouter: "Le titre du recueil de Symons est 'Spiritual Adventures'. Il définit exactement ce que nous voulions faire: filmer une aventure spirituelle comme un suspense." On pourra trouver l'ensemble un peu mou et parfois un peu longuet, mais le film de Desplechin s'apprécie comme un roman dans lequel l'aspect narratif et le souci minutieux des détails de la narration prennent le pas sur l'action scénique du film. Le film est lent et morose, plutôt dense et par moment très intense. Esther est têtue, bornée, dure, froide, et lorsqu'elle ressent une douloureuse jalousie à la fin du film, elle se laisse aller à un comportement gamin, stupide, irritant, suicidaire et carrément violent: elle va sur le lit de son amant et se tape la figure à coups de poings pendant de nombreuses minutes, sans oublier cette étrange séquence où on la voit manger du verre pour se mutiler la bouche. Impulsive, Esther ne sourit jamais et semble souffrir de plus en plus: en fin de compte, on est en droit de se demander si malgré sa 'résurrection'
la jeune fille est véritablement heureuse? Probablement plus qu'auparavant, mais on ne pourra jamais vraiment le savoir. Après tout, elle est devenue une grande actrice de théâtre et c'est cela qui compte: vivre sa passion et la faire partager aux autres. A noter ces séquences fort captivantes où elle suit les leçons de Nathan Quellen interprété par un Ian Holm toujours aussi talentueux, Ian Holm étant justement un grand acteur de théâtre anglais maintes fois récompensé pour ses différentes interprétations. Evidemment, 'Esther Kahn' est un beau film mais on pourra regretter le côté parfois un peu lent et ennuyeux d'un film qui traîne trop en longueurs et s'attarde un peu trop sur des détails superflus au lieu d'aller à l'essentiel (l'esprit de synthèse est parfois plus intéressant et plus 'comestible' qu'une minutie parfois trop abstraire et assez superflue). Quand au personnage d'Esther Kahn, difficile de pouvoir s'y rattacher tant sa multitude de défauts en font un être finalement peu attachant et plutôt irritant.

'Esther Kahn' est important pour Howard Shore car il marque sa première collaboration sur une production européenne (franco-anglaise pour être plus précis). Le score de Shore pour 'Esther Kahn' est typique de ces musiques orchestrales plus intimistes et modestes écrites pour ce genre de production dramatique indépendantes et typiquement européennes, sauf qu'à force de vouloir faire quelque chose d'intime et modeste, on finit par accoucher d'une oeuvre plutôt quelconque et finalement assez ennuyeuse. C'est malheureusement le cas du score d'Howard Shore pour le film de Desplechin, un score qui ne restera pas dans les mémoires mais qui a au moins l'avantage de cerner en tout point les différents aspects du film et la psychologie torturée de l'héroïne. Ecrit pour un petit orchestre avec cordes, vents et piano bien mis en avant, la musique de Shore frappe d'entrée de par le décalage qui se crée à l'écran: en effet, et à la demande du réalisateur lui même, le score de Shore devait éviter de sonner trop '19èmiste' d'esprit, Shore ayant préféré adopter un certain "minimalisme associé au contrepoint contemporain " pour reprendre une expression du compositeur. Effectivement, le côté lent, sombre, morose et parfois torturé de la partition de Shore frappe à la première écoute, car c'est loin d'être le genre de musique que l'on s'attendrait à entendre sur ce genre de film. En réalité, le côté sombre de la musique de Shore n'apparaît que dans l'aspect harmonique (voire contrapuntique) de la musique de Shore: bien évidemment, on ne trouvera pas ici de grandes envolées furieuses de l'orchestre ou des déchaînements symphoniques chers au compositeur attitré des films de David Cronenberg. La musique sonne toujours de manière très retenue, très modeste et aussi très restreinte mais frappe de par l'alternance clairement établie dès le générique de début entre tonalité classique et atonalité plus étonnante à la Schoneberg. C'est le travail des cordes avec quelques vents qui permet au compositeur d'établir cette relation ambiguë entre tonalité et atonalité, le morceau passant de l'un à l'autre sans jamais réussir à choquer l'auditeur (preuve du talent du compositeur). C'est sur le plan harmonique que cette atonalité apparaît, comme si la musique semblait s'égarer après avoir trouvé ses repères dès le début (cf. les premières notes de cordes du générique de début 'London, 1881'). Ces alternances entre tonalité et atonalité sont assez frappantes et pas aussi expérimentale qu'on pourrait s'y attendre. Effectivement, l'écriture orchestrale parfois proche d'une petite formation de chambre est assez classique d'esprit (il ne doit pas y avoir plus d'une trentaine de cordes dans l'orchestre) et tendrait plus à rappeler un certain classicisme dans la composition de Shore, mais ce classicisme s'arrête là où le côté plus sombre et torturé commence, une atonalité à la Schoenberg (on pense à ses premières oeuvres pour orchestre de chambre ou sa petite 'Symphonie de chambre' opus 9) plus clairement tourné vers la musique atonale du 20ème siècle. Pour Shore, ce fut alors l'occasion de se lancer le défi d'être une musique entre deux époques, épousant aussi bien le classicisme du 19ème siècle que l'atonalité moderne et plus torturée du 20ème siècle, mais comme je l'ai répété auparavant: point de gros effets orchestraux ici, toute la musique jouant sur la retenue, une introversion et une certaine errance.

La musique de Shore rejoint parfaitement toute la psychologie du personnage d'Esther Kahn et nous propose un portrait fort impressionnant de l'intérieur du personnage en lui même: l'atonalité est là pour évoquer la torture intérieure d'un être froid et renfermée qui ne s'ouvrira à la vie qu'au bout de 20 longues années, et c'est dans 'London 1881' que le compositeur utilise son motif récurrent et quasi obsessionnel, un motif plus mystérieux et sombre qui résume parfaitement à lui tout seul tout l'esprit de la partition du compositeur. Malheureusement, le côté parfois lent, retenu et volontairement plat de la musique de Shore nous donne envie d'en entendre toujours plus, le problème étant qu'on en reste toujours sur notre faim, faute d'un certain manque de 'matière', conséquence d'une introversion un peu excessive par moment (on aimerait entendre des morceaux un peu plus marquant, un peu moins monotone et plat). Shore résume son idée à travers une phrase simple: "Un motif, une forme, un arpège (...) prend ici une fonction de sensations plutôt que d'effets". Plus abstraite, sa musique est aussi malheureusement plus ennuyeuse et moins originale que certaines de ses partitions précédentes. Le motif 'récurrent' est très vite apparu dans l'esprit du compositeur afin de restituer tout le côté envoûtant et psychologique de sa musique comme une sorte d'écho lointain de cette vie endormie qui sommeille au fond du personnage et qui semble sortir des profondeurs, un petit motif somme toute assez simple et assez envoûtant, développé sous différentes formes et différentes orchestrations.

Quelque part, ce côté torturé semble aussi parfaitement refléter la leçon que va apprendre le personnage: sa souffrance qui explosera au bout de ces 20 longues années, car vivre c'est aussi souffrir. C'est ce qui pourrait expliquer ainsi la dualité et le contraste qui se créent dès le début de la musique de Shore dans le film. Hautement psychologique, la musique de Shore n'évoluera pas vraiment tout au long du film, conservant un côté statique abouti mais assez ennuyeux. On trouvera quelques passages en tonalité mineure plus claire avec des traits de cordes plus classiques d'esprit, la musique alternant ainsi entre clair et obscur (même si l'obscur l'emporte très clairement ici). A noter ces musiques sombres et plus impressionnantes pour les quelques scènes où Esther monte sur les planches et se glisse dans la peau de ses différents personnages, le réalisateur allant même jusqu'à supprimer les bruitages et les dialogues des autres personnages autour d'elle comme si la musique résonnait de manière intérieure comme une sorte d'appel au plus profond d'elle. Le reste de la partition se déroulera de cette manière là avec néanmoins une curiosité: l'utilisation du 'The Unanswered Question' de Charles Ives pour une scène où Esther demande à l'une de ses soeurs ce qu'elle pense de ses performances d'actrice, le morceau donnant une certaine couleur à la fois sombre et mélancolique dans cette scène, le plus étrange étant que le morceau de Ives n'est même pas crédité au générique de fin. Chose rare, on notera que le compositeur a aussi écrit une partie de la 'source music' du film, surtout dans les scènes de bal au début du film ou la séquence de la danse italienne.

Il est certain que la musique apporte beaucoup au film sur le plan émotionnel en créant une atmosphère dramatique et psychologique assez intense mais malheureusement aussi assez plate et ennuyeuse. Si Shore semble porter une certaine affection pour cette partition assez particulière sans être d'une grande originalité sur le plan formel, difficile pour l'auditeur d'adhérer pleinement au discours musical du compositeur tant sa musique se veut introvertie, parfois profonde et complètement psychologique. Difficile aussi de considérer cette sombre partition intime et dramatique comme l'un des chefs d'oeuvre du compositeur. Passé inaperçu au cours de l'an 2000, 'Esther Kahn' mérite néanmoins que l'on s'y arrête un petit instant, juste pour constater une fois de plus à quel point Howard Shore est décidément un compositeur aux multiples facettes. Mais pour tout ceux qui n'aiment pas ce genre de musique psychologique sombre, intime, monotone et très restreinte, gare à la déception!


---Quentin Billard