Après 'Une minute de silence', Florent-Emilio Siri change totalement de registre pour son second film: 'Nid de guêpes'. Amateurs de production intimiste et sentimentale, passez votre chemin! 'Nid de guêpes' est un film d'action pur et dur fait à l'américaine. L'histoire de 'Nid de guêpes' est on ne peut plus simple (pour ne pas dire simpliste): le jour du défilé militaire du 14 Juillet, une troupe de soldats des forces spéciales ont pour mission d'escorter au Tribunal Européen Abedin Nexhep (Angelo Infanti), leader de la mafia albanaise accusé de nombreux délits graves. Au même moment, une bande de jeunes braqueurs préparent le casse d'un entrepôt où se trouve une importante cargaison de matériel informatique. Après avoir été attaqué sur la route par les hommes de Nexhep, les soldats des forces spéciales se voient contraint de s'enfuir avec leur précieux prisonnier et de se réfugier à l'intérieur du même entrepôt où se trouvent la bande de braqueurs. Les tueurs de Nexhep finissent par encercler l'entrepôt, prenant au piège les soldats des forces spéciales, les braqueurs et les deux personnes chargés de la surveillance de l'entrepôt. Contraint de devoir collaborer ensemble pour survivre, les braqueurs et les soldats vont devoir faire preuve d'ingéniosité pour parvenir à sortir vivant de ce véritable nid de guêpes. Une longue série de fusillades et de traques en tout genre va s'ensuivre durant une bonne partie de la nuit.

C'est sur ce postulat classique et déjà maintes fois visité (on pense au 'Night Of The Living Dead' de Romero) que Siri et son équipe nous offrent un spectacle explosif servi par une mise en scène captivante et des effets spéciaux très réussis pour une production française de ce genre. Ici, pas d'image de synthèse envahissante, juste une mise en scène élaborée et soignée. Si on pourra reprocher à 'Nid de guêpes' de singer les grosses productions d'action Hollywoodienne, on ne pourra pas reprocher au film de manquer d'humanité. A la différence de certains films d'action américains où les héros semblent n'avoir aucune âme et aucune personnalité, chaque personnage de 'Nid de guêpes' vit cette terrible histoire comme une tragédie et un cauchemar dans lequel il faut s'en sortir vivant. Santino (Benoît Magimel) est ainsi un jeune qui rêve avec son pote Nasser (Samy Nacéri) de partir au 'soleil' après ce casse, mais il a toujours refusé de toucher une arme. Cette expérience particulièrement éprouvante va l'obliger à se transformer en machine à tuer s'il veut survivre et c'est en ca que le film s'avère être particulièrement tragique sur le plan humain. Lorsque Laborie (Nadia Farès) regarde une photo de sa fille, elle sait qu'elle ne la reverra peut être plus jamais. Quand à Saïd (Sami Bouajila), c'est un beur tout à fait quelconque qui, sous la pression, fera tout pour aider ses amis en détresse, quitte à se sacrifier pour eux. La violence dans 'Nid de guêpes' n'est jamais véritablement gratuite, à l'inverse de certaines productions américaines qui transforment parfois des massacres en chorégraphies spectaculaires et divertissantes. Ici, comme le réalisateur le dit lui même, " la violence n'est jamais gratuite, elle colle à l'histoire et à la psychologie des personnages. Elle s'inscrit dans un contexte réaliste. " Voilà une phrase qui résume bien le concept du film à peu de chose près. Le réalisateur définit son film comme une production d'action teinté d'éléments fantastiques. Effectivement, Siri compare les décors de l'entrepôt à un vaisseau spatial et ses méandres fumeuses à la 'Alien'. D'autre part, le film semble aussi s'orienter par moment en direction du western (Siri avoue s'être inspiré quelque peu de 'Alamo'. Il cite aussi des films comme 'Outland', 'Predator', 'Stagecoach', 'Rio Bravo', 'Die Hard', 'The Fugitive', 'The Wild Bunch', etc.), un élément que l'on retrouve d'ailleurs dans une touche d'humour du film où l'on voit les braqueurs siffler ensemble l'air de 'The Magnificent Seven' (Les 7 Mercenaires) d'Elmer Bernstein. Un des points forts de 'Nid de guêpes', c'est son ambiance: un formidable crescendo de tension habilement entretenu. Le suspense est éprouvant et captivant, la pression de plus en plus forte, l'atmosphère d'angoisse étant parfaitement renforcé par l'impression d'un décor dangereux et claustrophobique à souhait (pris aux pièges, les héros ne savent pas quand le danger va frapper, il est omniprésent). Avec un casting très 'in' réunissant quelques stars françaises du moment (Samy Nacéri, rendu célèbre par 'Taxi', Nadia Farès, Benoît Magimel, Pascal Greggory, Sami Bouajila, etc.) et une équipe technique solide et une ambiance de suspense et de terreur captivante, 'Nid de guêpes' a tout pour devenir une référence dans le nouveau cinéma français fait 'à l'américaine', en espérant que cette mode ne soit que passagère - le cinéma français ne doit pas non plus calquer celui des américains. Il risquerait de perdre sa propre identité culturelle.

Alexandre Desplat avait déjà écrit la musique du précédent film de Siri, 'Une minute de silence'. Pour 'Nid de guêpes', Desplat va plus loin et utiliser toutes les ressources d'un grand orchestre symphonique allié à des choeurs. Si le film est fait à l'américaine, il en est de même pour la musique d'Alexandre Desplat. Ce dernier est un habitué de ce genre d'exercice de style, car sur '1 chance sur 2' de Patrice Leconte, le compositeur avait déjà écrit un bon score d'action/aventure à l'Hollywoodienne. Pour 'Nid de guêpes', sa partition s'oriente résolument vers la musique de thriller avec son lot d'action, de terreur et de suspense glauque. Dans le livret de l'album, Desplat précise le fait que le réalisateur savait exactement ce qu'il voulait depuis le début en matière de musique, ce qui facilita sa tâche sur 'Nid de guêpes'. Florent-Emilio Siri précise quand à lui qu'il est un grand fan de musique de film et qu'il possède dans sa discothèque des albums de Jerry Goldmsith, Nino Rota, John Williams, Ennio Morricone, Bernard Herrmann, etc. autant d'influence que l'on pourra plus ou moins retrouver dans la partition d'Alexandre Desplat. Le réalisateur décrit aussi sa musique de la manière suivante:

"Nid de guêpes avait besoin d'une musique particulière car elle devait s'inscrire dans une tradition de genre à la manière du film qui reprend à la fois les codes du western, du film fantastique et du film catastrophe. Alexandre a parfaitement réussi cet exercice difficile et a signé là une oeuvre forte, remarquable et inoubliable."

C'est en se basant sur ces modèles américains que Desplat a construit une partition solide pour 'Nid de guêpes', alliant des orchestrations massives avec des choeurs impressionnants. Dès le 'générique', Desplat nous plonge dans l'ambiance noire du film: 'Générique' débute ainsi sur une brève montée de tension au fur et à mesure que le titre apparaît. Les choeurs sont déjà là pour donner un côté fantastique à la musique tandis que les sonorités du morceau semblent tout droit sortir du néant pour nous inciter à partager une aventure terrifiante.

'Abedin Nexhep' contient une atmosphère lente et sombre qui laisse déjà présager un certain sentiment de danger. Les cordes sont mises ici en avant avec le choeur en arrière-plan, l'ambiance mystérieuse du morceau annonçant déjà ce qui va suivre. Le morceau est entendu vers le début du film, alors que chacun se met en route en direction de l'entrepôt. (L'ambiance mystérieuse d'Abedin Nexhep n'est pas sans évoquer par moment des musiques de Jerry Goldsmith, Trevor Jones ou James Newton Howard) A noter l'utilisation d'un mystérieux motif de 4 note entendu à la fin du morceau, motif essentiellement entendu dans la première partie du film avant que tout le monde n'arrive à l'entrepôt. Ce motif de 4 notes entendu à la fin d'Abedin Nexhep au célesta n'est pas sans évoquer un motif entendu dans 'Cliffhanger' de Trevor Jones (c'est plus flagrant dans 'L'accident'). 'La Sortie' nous plonge quand à lui dans l'ambiance de suspense et de terreur du score. Les percussions font monter la tension avec des sonorités vocales dissonantes et menaçantes et un orchestre tendue faisant monter la tension à l'aide d'orchestrations parfaitement entretenues (cordes, cuivres, vents, percussions, piano, etc.). Ce sont les voix qui sont ici impressionnantes dans la manière dont elles semblent 'hanter' le morceau, créant à la fois un sentiment de menace et de terreur sous-jacente à la fois d'un score pour un film d'horreur. On notera à 1 minutes 45 cette utilisation typique des cordes stridentes en arrière-plan qui définissent bien le style atonal des morceaux de suspense du score de 'Nid de guêpes'. A ce sujet, on pourrait rapprocher ces effets de cordes dissonantes stridentes au son du bourdonnement des guêpes puisque l'endroit dans lequel sont enfermés les personnages est comparé à un gigantesque nid de guêpes. Si la volonté du compositeur était réellement d'imiter cette sonorité, on ne pourra qu'apprécier cette excellente astuce et même si ce n'est pas le cas, l'effet est bien présent à l'écran.

'L'accident' prolonge le climat mystérieux de 'Abedin Nexhep' en reprenant le motif de 4 notes au célesta pour créer une atmosphère de tension dominée par des cordes mystérieuses et des voix fantomatiques quasiment omniprésentes (moins présentes dans le mixage de la musique dans le film). Le morceau décrit l'impressionnante scène d'accident au début du film en développant une ambiance quasi macabre dans le genre 'Poltergeist' de Jerry Goldsmith. Desplat en profite pour développer habilement son intriguant motif de 4 notes tout en créant une certaine impression d'attente: la musique semble avancer irrémédiablement de manière tendue comme si le danger pouvait surgir de n'importe où à n'importe quel moment. Dans 'Djakmara', on assiste à l'un des premiers grands morceau d'action du score pour une séquence d'affrontement entre les survivants pris au piège dans l'entrepôt et les soldats d'Abedin Nexhep. On notera ici l'excellent travail effectué par le compositeur autour du pupitre des cordes dont les effets alternant clusters et sonorités stridentes ne sont pas sans rappeler les travaux d'un Penderecki, d'un Lutoslawski ou d'un Ligeti. L'action laisse très vite la place à la terreur dans ce morceau sinistre évoquant la menace des tueurs de Nexhep. Le choeur reste toujours présent pour renforcer l'ambiance noire du morceau.

'Sur le toit' développe une ambiance d'action/suspense similaire avec un piano thriller à la Goldsmith utilisé de manière rythmique et des cordes particulièrement tendues dans la séquence sur le toit où les tueurs de Nexhep tentent de s'introduire dans l'entrepôt alors que les braqueurs se sont réfugiés sur le toit (les morceaux dans l'album ne sont malheureusement pas classés dans l'ordre chronologique du film). 'L'entrepôt' renforce quand à lui l'ambiance claustrophobique des décors avec des cordes dissonantes et tendues à la Bernard Herrmann et une ambiance de suspense digne des plus grandes partitions thriller d'Hollywood. La séquence de l'attaque des bombes 'lacrymogènes' est accompagné quand à elle sur un rythme plus soutenu avec des cordes plus agressives à la Jerry Goldsmith créant un sentiment de panique et d'urgence dans la scène, soutenu par les sonorités impressionnantes du choeur en arrière-plan sonore. Hormis le thème de 'thème de l'amitié' entendu dans le film lors de la scène finale et le motif de 4 notes de célesta, la partition de 'Nid de guêpes' manque un peu de repère thématique. Néanmoins, l'atmosphère est suffisamment forte et captivante pour nous faire oublier que le score de Desplat manque un peu de repère thématique, et surtout, l'atmosphère générale du score est suffisamment homogène pour qu'un quelconque manque de repère thématique vienne gêner une unité musicale quasiment irréprochable sur le plan stylistique.

'La nuit tombe' démarre à la tombée de la nuit sur une ambiance mystérieuse où interviennent célesta, choeur et cordes, mais la seconde partie du morceau fait intervenir des choeurs sinistres avec les fameuses cordes stridentes à la Penderecki et la présence du carnix, sorte de grande trompe en bronze orné d'une tête de sanglier. (le livret de l'album nous précise que les tribus celtes l'utilisaient dans le temps lors des combats contre l'envahisseur romain - il paraît que l'instrument servait à terrifier les légions ennemies) L'utilisation du carnix est un bon point à rajouter à cette partition qui, bien qu'elle n'ait rien d'original en soi (on pense beaucoup à des musiques de Goldsmith, Jones, Newton Howard, Ottman, etc.), n'en demeure pas moins très impressionnante dans le film et parfaitement ancré dans l'atmosphère tendue et pesante du film. La contre-attaque débute dans 'Le mur des containers' où Desplat développe un ostinato rythmique lui servant à faire monter la tension dans la séquence où le groupe de survivantes de l'entrepôt bloque l'entrée en faisant un mur de containers infranchissable. La tension de 'Le mur des containers' débouche sur l'excitant 'Les bulldozers' alors que les soldats de Nexhep défoncent le mur de containers à coup de bulldozers. C'est une fois encore le travail autour des cordes qui fait monter ici la tension, Desplat se montrant assez inventif sur le plan des orchestrations qu'il assure lui même pour les besoins de sa partition. La tension monte dans 'Le sous-sol' alors que le piège se resserre de plus en plus sur les survivants de l'entrepôt alors que les soldats de Nexhep ont réussi à s'infiltrer dans la base. Le film se conclura sur 'thème de l'amitié' entendu dans 'Les survivants', thème de cordes plus dramatique et mélancolique exprimant le tragique du carnage de l'entrepôt et de la connerie de l'homme et de la violence, un morceau dramatique qui nous permet néanmoins de respirer après une aventure aussi éprouvante.

'Nid de guêpes' est une belle surprise pour tout ceux qui ne s'attendaient pas à entendre un score d'une telle qualité signé par un jeune compositeur français qui ne cesse de nous surprendre. Très à l'aise dans le registre Hollywoodien, Alexandre Desplat nous prouve qu'il a de bonnes idées digne d'un grand compositeur et qu'il sait toucher à tous les genres. 'Nid de guêpes' vient en tout cas confirmer le fait que Desplat a l'étoffe d'un grand compositeur. Quand à l'album du score, bien qu'il manque encore quelques bons morceaux du score, l'essentiel est présent. L'échec du film au box-office s'est traduit par le fait que l'excellente BO de Desplat est passé inaperçu auprès du public béophile en général. Voici donc un score surprenant, sombre, glauque, mystérieux et plein de bonnes idées, à découvrir d'urgence, preuve que les compositeurs français sont toujours aussi inspirés!


---Quentin Billard