'Shipwrecked' (Les naufragés de l'île aux pirates) est un film très embarrassant. Cette modeste production Disney réalisé par le Norvégien Nils Gaup brasse divers thèmes d'aventure en s'inspirant de 'Treasure Island' (l'île au trésor et les pirates), 'Robinson Crusoe' (le jeune héros qui se retrouve seul sur une île déserte), 'Mutiny on The Bounty' (le second qui fait une mutinerie et prend le contrôle du navire), etc. le problème, c'est qu'il y a un très sérieux manque total de conviction de la part du réalisateur, et c'est bien là tout le côté embarrassant de ce film familial assez médiocre. Mais avant de continuer un peu plus loin, résumons en quelques phrases le scénario (extrêmement mince) du film: Håkon Håkonsen (Stian Smestad) vit en Norvège avec ses parents, dans une petite maison paisible. Mais les choses basculent le jour où ses parents ne peuvent plus payer la dette de leur créancier. Ce dernier les menace alors de s'emparer de tous les biens matériaux de la famille. Håkon prend alors une décision courageuse: il va s'engager à bord d'un navire anglais et ira travailler en tant que mousse afin de rapporter l'argent nécessaire pour rembourser le créancier. Et le voilà partie pour une série d'aventures qui vont l'amener à affronter le capitaine-pirate John Merrick (Gabriel Byrne) lors d'une chasse au trésor sur une île déserte.

Ce film part d'emblée d'un mauvais postulat: faire un très bref condensé d'histoires d'aventure sur les océans pour un film familial produit par Disney. Un condensé d'histoires préexistantes n'a jamais servi à faire un bon scénario. Quel intérêt de répéter ainsi tout ce qui a déjà été fait sur le sujet? L'autre mauvais point provient de la faiblesse de la mise en scène de Nils Gaup. 'Shipwrecked' est filmé comme un téléfilm de seconde zone, avec des plans bâclés et sans imagination, un jeu d'acteur très basique (seul Gabriel Byrne semble tirer son épingle du jeu - on se demande quand même ce qu'il vient faire ici...) et un scénario très mince. Rajoutons à cela un montage un peu maladroit (on passe parfois trop vite d'une scène à l'autre, sans aucun soin apporté aux transitions comme c'est le cas pour la séquence du meurtre au début du film), et l'on obtient un 'Shipwrecked' bien médiocre, 87 minutes où l'on s'ennuie ferme, le film étant à réserver en priorité aux jeunes enfants.

Patrick Doyle composa avec 'Shipwrecked' sa deuxième partition pour le cinéma, lui qui débuta en beauté avec 'Henry V' de Kenneth Branagh en 1989. 'Shipwrecked' n'a malheureusement pas la puissance et la force de ses autres grandes partitions symphoniques, mais reste quand même un effort sympathique de la part du musicien, qui se trouvait encore au début de sa carrière en 1991. Sa partition symphonique s'articule autour d'un thème principal et d'un autre motif plus rythmique lié à John Merrick, le méchant du film. Le thème principal est exposé lors d'un 'Opening Titles' très majestueux. Ce thème à la fois noble et assez héroïque évoque l'esprit des grandes aventures des pirates de jadis, avec un petit côté à la Korngold non négligeable. Comme à l'accoutumée, les orchestrations de Doyle sont très soignées, le thème se partageant ici entre les trompettes, les cordes et des vents plus légers. Ce sont les cordes qui prédominent ici le morceau, avec un rythme très entraînant qui nous incite à partager cette aventure dans le monde des pirates et des quêtes au trésor. Dans un article consacré à la musique de 'Shipwrecked', Patrick Doyle affirmait avoir attaché beaucoup d'importance au thème de ce 'Opening Titles', dans lequel il essaya de résumer tout l'esprit du film en à peine 1 minutes et 39 secondes. Pour lui, c'était trop court, mais on peut quand même affirmer que l'essentiel y est. Le plus sombre 'Death of Howell' évoque les méfaits de Merrick (au début du film) et installe déjà un climat légèrement plus intrigant pour évoquer le méchant. 'Homecoming' (retour du père à la maison, vers le début du film) décrit le cadre familial sur un ton très paisible, utilisant cordes et vents de manière assez légère. 'The Sheriff's Arrival' permet à Doyle de nous proposer une brève reprise minorisée de la tête du thème principal sous une forme plus lente, évoquant déjà le problème de la dette à laquelle la famille doit faire face subitement.

On rentre véritablement dans le sujet avec 'Off To The Sea', où Doyle nous propose une reprise plus noble et héroïque du thème principal sous la forme d'une marche entraînante. 'Off To The Sea' décrit ainsi le départ du navire vers l'aventure. Une fois encore, Doyle nous démontre ici son talent pour les compositions symphoniques superbement orchestrées. Malheureusement, 'Shipwrecked' souffre d'un gros défaut majeur: le thème principal est beaucoup trop répété tout au long du film (et du score). Le compositeur nous propose beaucoup de petits développements de ce thème principal, mais sans rien ajouter de nouveau, ce qui fait de ce score une partition assez monotone, manquant très clairement de relief.

En fait, c'est le 'Opening Titles' qui contient toute la base du matériel que développera Doyle tout au long du film, même jusque dans les quelques morceaux d'action qui contiendront des passages rythmés souvent empruntés à la première partie introductive du 'Opening Titles'. 'The Flora Departs' évoque le départ du navire du port de Sydney avec une nouvelle reprise héroïque d'un thème principal décidément très entraînant (à noter ici le rythme de tambourin qui rend le thème encore plus énergique), à défaut d'être particulièrement original. Dans 'Captain Madsen is Poisoned', Doyle développe le motif associé au méchant du film. Comme 'Shipwrecked' est avant tout un film familial destiné aux enfants, Doyle se refuse à toute agressivité ou toute noirceur dans sa musique. Le méchant est simplement évoqué par un petit motif rythmique de 4 notes intrigantes, répété et développé sous différentes formules instrumentales.

L'action commence alors dans 'Mary is Rescued' (scène où Hakon va sauver Mary retenue prisonnière dans le navire en train de couler), après plusieurs passages calmes et moins intéressants (découverte des fusils, découverte de Mary, etc.). Ce premier morceau d'action permet à Doyle de nous faire entendre une écriture orchestrale plus rythmée, reposant sur des cuivres énergiques (cors et trombones principalement), quelques cordes et quelques percussions (xylophones, timbales, tambourins, etc.). 'Exploring The Island' nous offre un retour au calme plus paisible, lorsque Hakon explore l'île déserte sur laquelle il a échoué. 'Building The Traps' décrit alors la détermination de Hakon à ne pas se laisser faire, après avoir découvert la véritable identité de son capitaine, qui n'est autre que le pirate John Merrick.

'Pirates Discovered' nous permet de rentrer dans la dernière phase du score, la partie plus 'action/aventure', qui nous permet enfin de réentendre le matériau rythmique de l'introduction du 'Opening Titles'. L'arrivée des pirates sur l'île déserte se fait au son d'une mesure à 3 temps et de quelques cordes énergiques. Une fois de plus, il n'est pas question d'évoquer la noirceur guerrière des pirates. Doyle reste dans un style très 'film familial' et conserve néanmoins une certaine énergie propre à sa partition, et ce même si la partie centrale du score est assez ennuyeuse, faute d'un manque flagrant de renouvellement. 'The Chase' évoque alors la poursuite finale avec l'un des meilleurs passages d'action du score, sur le même principe que 'Pirates Discovered'. Finalement, 'Home To Norway' et les deux 'End Titles' viennent apporter une conclusion heureuse à cette petite aventure, Doyle concluant sa partition avec une ultime reprise d'un thème principal que le compositeur a l'air d'avoir beaucoup aimé, si l'on tient compte du fait qu'il est quasiment omniprésent tout au long du film.

Bref, vous l'aurez compris, 'Shipwrecked' n'a rien d'un score révolutionnaire en soi. Patrick Doyle nous prouve qu'il sait manier l'écriture orchestrale avec une certaine légèreté que l'on ne retrouvera pas toujours par la suite, dans ses futures compositions. Malheureusement, 'Shipwrecked' est un score relativement monotone, dans lequel le compositeur enchaîne une longue série de petites pièces dépassant rarement les 2 minutes. Dans le film, on a un peu de mal à profiter de sa musique, tant cette dernière paraît sous-mixée par rapport aux dialogues ou aux bruitages du film (pourtant, ce n'est pas un film très bruyant!). Ceci n'arrange en rien un constat plutôt mitigé quant à la réelle qualité de cette très modeste partition symphonique. En 1991, Doyle venait de se lancer dans le métier après le grandiose 'Henry V'. On pourra alors pardonner le manque d'imagination de ce score tout à fait quelconque et finalement peu intéressant en dehors du sympathique 'Opening Titles'.


---Quentin Billard