Dirty Harry (1971)

1-Dirty Harry's Creed 3.27
2-Scorpio's Theme 3.08
3-The Mayor 2.24
4-Another Victim 1.19
5-Floodlights 1.35
6-Good-bye Cop 1.27
7-The Bait 0.48

Magnum Force (1973)

8-Magnum Force Theme 2.10
9-The Cop 2.00
10-Stake-Out 1.35
11-The Crooks 1.37
12-Palancio 4.07

Sudden Impact (1983)

13-Sudden Impact 2.51
14-Unicorn's Head 2.39
15-Robbery Suspect 2.15
16-Road To San Paulo 1.07
17-Hot Shot Cop 1.25
18-Ray of Light 2.05
19-San Francisco After Dark 3.06

Musique  composée par:

Lalo Schifrin

Editeur:

Aleph Records
8573-87357-2

Produit par:
Eastwood Garrett,
Music Productions
& Aleph Records, Inc.

Edition préparée par:
Vincent Mercier for
Warner Strategic
Marketing France.

Artwork and pictures (c) 2001 Aleph Records, Inc./Warner Strategic Marketing France. All rights reserved.

Note: ***1/2
DIRTY HARRY
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Lalo Schifrin
Voici l'un des films les plus imités de toute l'histoire du cinéma américain! Après avoir été révélé au public italien par le biais des western-spaghetti de Sergio Leone dans les années 60, Clint Eastwood triompha en 1971 dans 'Dirty Harry' (L'inspecteur Harry), et ce malgré un très mauvais accueil de la part des critiques américaines de l'époque. Après ce film, Clint Eastwood a été définitivement catalogué comme 'héros-dur à cuir à la gâchette facile', une image qui lui colle à la peau, même encore aujourd'hui. En tant que réalisateur, Eastwood s'est essayé à des genres bien plus dramatiques et intimes, comme 'Bird' (1988), 'A Perfect World' (1992) ou le fameux 'The Bridges of Madison Country' (1995). Mais au niveau de ses rôles au cinéma, l'acteur a toujours été cantonné à des rôles de gros machos à la réplique cinglante, même parfois dans ses propres films (cf. 'The Rookie' ou l'excellent 'Heartbreak Ridge' - Le maître de guerre). L'inspecteur Harry est ainsi la figure emblématique même du parfait héros des films d'action hollywoodien. Conçu sous la forme d'un pastiche modernisé des westerns américains à l'ancienne, 'Dirty Harry' est un thriller glauque dans lequel un flic très enclin à la violence traque un tueur psychopathe-hippie du nom de Scorpio (excellent Andrew Robinson, pour son premier rôle au cinéma). Aujourd'hui, la recette paraît éculée, mais pour le cinéma hollywoodien de l'époque, ce n'était pas aussi banal. Le public américain était en train de sortir progressivement de la période des westerns tendance John Wayne, pour découvrir de nouveaux films d'action se déroulant dans l'univers urbain que le public côtoie tous les jours. 'Dirty Harry' fonctionne ainsi sur ce schéma. Ici, plus de chevaux, de cow-boy et d'harmonica...'Dirty Harry' peut être considéré à juste titre comme le 'père' des films d'action moderne, et pour cause: bon nombre de films s'en sont très nettement inspiré: 'Cobra', 'Red Heat', 'Along Came a Spider' (qui a honteusement repompé la séquence des téléphones), 'Cop' (un 'Dirty Harry' façon James Woods), 'The Glimmer Man', etc.

Le réalisateur Don Siegel affirme son goût pour le cinéma d'action hollywoodien, sans user des artifices que l'on retrouve habituellement aujourd'hui. Mise en scène simple, éclairages naturels, plans rapprochés sur le visage ou l'arme de Harry Callahan, etc. hélas, les critiques de l'époque n'ont retenu que le côté fasciste du héros, qui va même jusqu'à torturer le tueur qu'il poursuit pour lui faire avouer son crime. Apparemment, ces mêmes critiques n'ont pas vu le second degrés d'un film pas si sérieux que cela. Certes, 'Dirty Harry' se double d'une réflexion sur le malaise et la violence dans la société américaine, ainsi que le dysfonctionnement de la justice, mais il s'appuie aussi sur des dialogues incisifs qui apportent une touche d'humour non négligeable. Lorsque le maire de San Francisco demande ainsi un rapport à Harry sur l'affaire: " Qu'avez-vous fait? ", et que le principal intéressé répond sarcastiquement: " Et bien j'viens d'passer trois quarts d'heures devant votre porte, assis sur mon cul, à attendre que vous daignez vous décider ", on ne peut s'empêcher de sourire. La réplique la plus célèbre du film provient même du fameux " Do I feel lucky? Well, do ya punk ? " ('est-ce que tu tentes ta chance ou non?'), prononcé à deux reprises par Callahan au cours du film. Le personnage de Clint Eastwood est bel et bien un véritable pastiche des gros durs qui peuplent le cinéma d'action américain, que ce soit le John Wayne de 'Rio Bravo', le Steve McQueen d'un 'Bullit' ou le Frank Sinatra d'un 'The Detective'. Le personnage deviendra même une référence (avouée) pour une star du cinéma d'action américain des années 80/90: Arnold Schwarzenegger. A noter que le succès de ce film donnera naissance à quatre autres suites: 'Magnum Force' (1973), 'The Enforcer' (1976), 'Sudden Impact' (1983) et 'The Dead Pool' (1988).

Le compositeur argentin Lalo Schifrin a signé avec 'Dirty Harry' l'un de ses plus intéressants score des années 70. On ne retient très souvent de lui que ses partitions jazzy comme 'Bullit', 'Mission: Impossible' ou 'Mannix', alors qu'il est aussi un spécialiste des partitions avant-gardistes expérimentales. A ce sujet, 'THX1138' constitue l'un des plus beaux exemples du compositeur. 'Dirty Harry' a permit au musicien argentin de s'offrir une petite incursion du côté du funk/free-jazz tendance 'seventies', mélangée à un axe plus 'contemporain' proche des travaux avant-gardistes de Ligeti, Xenakis ou de Penderecki. Avec quelques tenues sonores mélangeant de manière très inventive un orgue, des cordes, un piano et quelques sonorités électroniques et métalliques diverses, Schifrin nous plonge dans l'ambiance noire de sa partition. 'Dirty Harry's Creed' ouvre le film en annonçant d'emblée la couleur: Très vite, la batterie (doublée par quelques petits tambours) rentre et donne un rythme funky très cool avec l'apparition d'Harry Callahan lors du générique de début, après la première séquence de meurtre. A noter l'importance des cordes dissonantes qui accompagnent cette rythmique bien cool et qui évoquent toute la noirceur du film. La partie funky a deux fonctions ici: elle sert non seulement à évoquer le côté action du film en boostant les scènes avec une énergie non négligeable, mais elle renforce aussi l'univers urbain du film. A noter l'excellente partie de basse qui renforce elle aussi l'ambiance cool de cette introduction.

C'est le superbe 'Scorpio's Theme' qui permet au compositeur d'utiliser son thème principal, thème sombre associé aux méfaits du tueur psychopathe qui se fait appeler 'Scorpio'. On notera ici l'utilisation d'une voix féminine qui double en fait le sombre thème du tueur de manière très inventive, renforcé par une excitante rythmique de batterie funk aux élans saccadés, comme pour évoquer la folie du Scorpio. Le suspense de la scène où le tueur prépare son nouvel assassinat, posté sur le toit d'un immeuble, est représenté à travers le style atonal et extrêmement dissonant de la partition. Cordes, piano, sonorités électroniques étranges, voix féminine mystérieuse et orgue se mêlent ensemble pour tisser un canevas sonore troublant, évoquant un certain malaise suffocant qui rappelle à merveille l'ambiance noire du film. La rythmique funky entraînante, doublée des tambours et de la guitare basse donne une certaine énergie captivante à l'écran. On a véritablement envie de suivre cette sombre aventure, portée par un rythme constamment reformulé par le musicien. A noter l'accélération progressive de la batterie, au fur et à mesure qu'un hélicoptère de la police se rapproche du tueur, un moyen simple mais diablement efficace de suggérer la tension à l'écran.

'The Mayor' est plus mélancolique et met en avant ici des cordes sombres avec quelques vents mais c'est 'Another Victim' qui retiendra plus particulièrement notre attention ici, avec sa rythmique funky très cool, quelques percussions, et surtout, une partie de guitare basse sympa, typique de ce style de musique (on est aussi très proche ici des expérimentations de l'acid-jazz qui se multiplieront au cours des années 80). Le morceau accompagne la séquence où Scorpio tue le gérant d'un magasin après lui avoir volé de l'argent. A l'occasion, Schifrin nous propose même une brève reprise du thème joué par une guitare. A noter que 'Another Victim' a constamment servi de référence pour les samplers des DJ des années 80/90. C'est dire l'impact qu'a eu cette musique sur les auditeurs, plus de 10 ans après le film de Don Siegel.

'Floodlights' se distingue du reste du score par ce sinistre solo d'effets de col legno sur les cordes d'une contrebasse, un effet sonore glauque qui, soutenu par des cordes stridentes et dissonantes à la Ligeti (le morceau rappelle parfois le fameux 'Polymorphia' de Penderecki et ses nuages sonores de cordes) et une flûte psychédélique, évoque la violence de la séquence où Callahan torture Scorpio dans la scène du stade. Le morceau possède ce côté atonal/dissonant extrêmement noir, typique du style suspense de la partition de 'Dirty Harry'. Un autre morceau comme 'Good-Bye Cop' se distingue par son immuable montée de tension soutenue par un grand cluster de cordes stridentes terrifiant. Cette montée de tension évoque ainsi la scène où Scorpio est sur le point d'exécuter Callahan dans la scène de la croix.

'The Bait' conclut la partie consacré à 'Dirty Harry' sur l'album d'Aleph Records (le label de Lalo Schifrin, qui réédite la plupart de ses classiques). Cette petite pièce courte accompagne la scène où Callahan et son équipier, Gonzalez (Reni Santoni), tendent un piège à Scorpio près d'une église, en pleine nuit. On notera ici un mystérieux duo tendance free-jazz de flûte (doublé par une technique sonore du musicien qui souffle en même temps, dans son instrument) et une contrebasse jazzy, genre walking bass. Une fois de plus, Schifrin fait preuve d'une grande inventivité en explorant toutes les techniques sonores qui sont à sa disposition. Il nous faudra, pour terminer, dire un petit mot sur le petit thème mélancolique que l'on entend pour la scène où la police retrouve le corps de la jeune fille enterrée vivante, thème que l'on retrouve aussi à la fin du film. Ce thème mélancolique (que Schifrin reprendra par la suite dans 'Sudden Impact', dans une version jazzy intéressante) possède, de manière assez étrange, quelque points communs avec le thème de la fameuse berceuse de 'L'oiseau de feu' de Stravinsky. Il apporte aussi une dimension un peu plus humaine et intime au film, même si cette dimension est quasiment inexistante dans l'approche musicale voulu par le compositeur.

Que ce soit par le biais des dissonances, de l'atonalité, par le jeu de techniques instrumentales contemporaines (piano préparé à la John Cage, quarts de ton des vents à la Maurice Ohana, col legno et nuages sonores à la Penderecki/Ligeti/Xenakis, etc.) ou bien encore par la partie rythmique funky/acid-jazz du score, Lalo Schifrin nous propose une vision très sombre et inventive de cette histoire où seule la violence peut répondre à la violence dans une peinture très noire d'une société américaine déshumanisée. 'Dirty Harry' est la parfaite représentation musicale de cette vision noire que nous offre le film de Don Siegel, un film qui doit beaucoup à l'ambiance si particulière (et souvent imitée, par la suite) de l'excellente musique avant-gardiste et originale de Lalo Schifrin, preuve que le compositeur est décidément très à l'aise dans tous les genres (et pas seulement que le jazz, les tangos ou la bossa-nova). Un score très sombre et énergique, à (re)découvrir sur l'excellente réédition des trois plus grands scores de la saga de l'inspecteur Harry: 'Dirty Harry', 'Magnum Force' et 'Sudden Impact'.


---Quentin Billard