1-Kaneda 3.10
2-Battle Againts Clown 3.36
3-Winds Over Neo-Tokyo 2.48
4-Testuo 10.18
5-Doll's Polyphony 2.55
6-Shohmyoh 10.11
7-Mutation 4.49
8-Exodus From The
Underground Fortress 3.18
9-Illusion 13.56
10-Requiem 14.26

Musique  composée par:

Shoji Yamashiro

Editeur:

Demon Records
DSCD 6

Musique interprétée par:
Geinoh Yamashirogumi
Produit par:
Shoji Yamashiro
Construit par:
Shoji Yamashiro,
Susumu Aketagawa

Sound Architect:
Keishi Urata,
Shoji Yamashiro

Artwork and pictures (c) 1987 Demon Records. All rights reserved.

Note: ***1/2
AKIRA
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Shoji Yamashiro
Chef-d'oeuvre incontesté du manga japonais, 'Akira' est une oeuvre gigantesque qui laisse forcément perplexe. A la base, il s'agit d'une énorme BD en 6 volumes contenant plus de 1500 pages, un record dans le domaine de la bande dessinée. Adulé par des milliers de fans un peu partout dans le monde, 'Akira' est considéré à juste titre comme l'archétype même du manga japonais, une bande dessinée tellement énorme que l'on a jamais fini de la (re)découvrir! Adapter cette immense histoire dans un film d'animation de 2 heures, c'est le pari insensé que c'est lancé Katsuhiro Otomo, le créateur du manga d'origine et le réalisateur de la version animée. Le résultat est à la hauteur de nos attentes, même si les puristes continuent de dire qu'il était impossible de résumer cette histoire en deux heures et qu'inévitablement, il manquerait trop d'éléments. Pourtant, la version cinématographique d'Akira est de loin l'un des trésors du genre de l'animation japonaise. Sorti en 1988, le film n'a depuis pas pris une seule ride. Il faut dire que le film d'Otomo était déjà parfaitement en avance sur son temps. Lorsque l'on regarde les films d'animations nippons de maintenant, on s'aperçoit à quel point 'Akira' a influencé tous les dessins animés/mangas d'aujourd'hui. Mais qu'est ce qui a tant contribué à faire d'Akira la parfaite réussite qu'il est? C'est avant tout grâce à son histoire complexe doté d'un potentiel profondément métaphysique. L'histoire se passe dans la mégapole de Neo-Tokyo au Japon, au début du 21ème siècle. Après la troisième guerre mondiale, la ville a été reconstruite et la population s'est très vite regroupée dans cette immense citée où règne désormais la violence et le chaos. C'est dans ce contexte difficile que vivent Kaneda et ses amis, une bande de jeunes motards marginaux et rebelles qui ne vivent que de menus larcins et de bagarres contre des bandes rivales. Au cours d'une poursuite sur la route, Tetsuo, le meilleur ami de Kaneda, rencontre un étrange enfant au visage ridé avant de se faire brusquement enlever par l'armée. Les militaires le soumettent alors à une série d'expériences secrètes visant à développer les capacités psychiques qui sommeillent en chacun de nous. D'abord terrifié par ce qu'il lui arrive et qu'il est incapable d'expliquer (entre autre de terrifiantes hallucinantes d'une violence rare), Testuo va très vite apprendre à maîtriser ses mystérieux nouveaux pouvoirs qui semblent être infinis. Il décide alors de se rebeller contre le monde qui l'a tant opprimé lorsqu'il était jeune et faible. Au même moment, il est question d'une légende populaire qui raconte le retour prochain d'un certain Akira, une sorte de mystérieux messie des temps modernes aux pouvoirs extraordinaires qui délivrera à tout jamais Neo-Tokyo du mal qui le ronge. L'expérience secrète 'Akira', dirigée par le colonel Shikishima, est sur le point d'atteindre son apogée. Les scientifiques cherchent encore à comprendre et à déchiffrer le mystère de ces étranges pouvoirs psychiques aux forces surhumaines, et ils pensent maintenant que Testuo est la clé de cette énigme. Mais ce dernier devient de plus en plus incontrôlable et risque d'anéantir toute la ville entière si personne n'est en mesure de l'arrêter.

Le scénario, ultra raccourci pour les besoins du film, nous maintient ainsi en haleine jusqu'à un final apocalyptique et hautement mémorable, probablement l'un des finals les plus grandioses et les plus spectaculaires qu'il nous ait été donné de voir dans un film d'animation japonais. Comme dans son manga, Katsuhiro Otomo a aussi ajouté une profonde touche de métaphysique avec l'intrigue quasi biblique liée à Akira, une sorte de dieu humain ayant existé autrefois mais qui possédait des pouvoirs qui faisaient de lui un être au-delà du temps et de l'existence humaine. Progressivement, le réalisateur nous dévoile les secrets bout à bout, avec une maestria rare dans la mise en scène et dans le développement dramatique des personnages, car ce sont effectivement les personnages qui sont les éléments clés du récit. Effectivement, Otomo a accordé beaucoup d'importance au développement de la personnalité des principaux protagonistes de cette immense histoire, dominée par Kaneda et Testuo, véritable pivot de ce récit futuriste apocalyptique et métaphysique. Chaque personnage devient réellement attachant. On a envie d'en savoir plus à chaque fois sur lui, d'où il vient, quelle est son histoire, comment il s'est retrouvé impliqué dans cette histoire, etc. Evidemment, en deux heures, difficile d'avoir la réponse à toutes ces questions, et pour cela, il vaut mieux se rabattre sur le manga d'origine. D'un point de vue technique, le film est d'une beauté esthétique rare: l'animation, très fluide, est quasiment irréprochable. Les dialogues sont spontanés, les scènes d'action sont spectaculaires et extrêmement grandioses, multipliant dans la dernière demi-heure un nombre impressionnant de destructions en masse (d'où un final apocalyptique à souhait), de même que le tout reste très violent avec quelques scènes gores qui font d'Akira, en plus de sa complexité et de ses profonds enjeux scénaristiques, un film d'animation réservé aux adultes. Parler d'un tel chef-d'oeuvre mériterait évidemment des pages et des pages de commentaires et d'argumentation, mais ces efforts seraient finalement vains comparés à l'efficacité de cinq mots simples qui pourront parfaitement résumer ce monument colossal de l'animation japonaise: 'Akira' est un pur chef-d'oeuvre!

La musique très particulière de Shoji Yamashiro a sans aucun doute contribué à asseoir la réputation d'Akira de chef-d'oeuvre du manga. Effectivement, on aura rarement entendu une musique aussi bizarre, aussi étrange, aussi décalée et pourtant aussi réussie sur les images d'un film d'animation japonais de cette envergure. Concernant Shoji Yamashiro, 'Akira' constitue son unique participation musicale au cinéma japonais. Yamashiro fait partie d'un groupe de world music japonais intitulé 'Geinoh Yamashirogumi', le style du groupe ayant apparemment dicté le style de la musique que souhaitait entendre le réalisateur d'Akira dans son propre film. Pour composer la musique expérimentale de 'Akira', le mot d'ordre semble avoir été: ne rien faire de conventionnel! Exit ici l'approche orchestrale traditionnelle! La partition iconoclaste d'Akira mélange donc divers éléments tels que d'étranges voix solistes, des chants bouddhistes, des éléments de musique japonaise traditionnelle, des polyphonies pygmées, des éléments de musiques ethniques (utilisation de gamelans), des synthétiseurs bizarres new-age, des percussions diverses (souvent japonaises et indonésiennes), des pièces atonales bizarres, etc. Le score se paye même le luxe de nous offrir à entendre un 'Requiem' étrange de plus de 14 minutes pour le final apocalyptique. La musique a beau être utilisée avec une certaine parcimonie tout au long des quelques 2 heures 10 du film, le score n'en demeure pas moins assez présent et difficile à ne pas remarquer lors de ses différentes apparitions. Il faut tout de même rappeler qu'à l'origine, Yamashiro a composé la musique du film sans avoir vu une seule image d'Akira. Le réalisateur a donc fait totalement confiance au musicien et au final, le résultat est là: la musique d'Akira est étonnante et surprenante de bout en bout!

'Kaneda', premier morceau entendu dans le film (après que Kaneda allume le juke-box au tout début du film - une façon comme une autre de débuter la musique de manière 'diégetique' ici), impose d'emblée un style assez particulier avec des percussions indonésiennes (les 'jegogs') par-dessus lesquelles viennent se greffer des voix d'hommes en apparence assez désordonnée, mais qui finissent par former un rythme assez tribal (voire primitif) sur le mort 'rassera', une chose étonnante étant donné que l'histoire se déroule dans le futur et que la musique conserve malgré tout un côté primitif et traditionnel (mais sans vraiment l'être). La musique accompagne alors la scène où la bande à Kaneda affronte le gang des clowns au début du film, 'Kaneda' retranscrivant la violence de ces affrontements par un côté plutôt rythmique mais pas du tout massif ou chaotique. On remarquera ici un premier élément intéressant, le fait que les chanteurs prononcent chacun à leur tour le nom des différents protagonistes principaux du film ('Kaneda', 'Tetsuo', 'Kay', etc.), une idée intéressante qui prouve bien à quel point les personnages sont ici les éléments clés de l'histoire d'Akira (même par rapport à la musique de Yamashiro). Dans la première partie de leurs interventions, les voix d'hommes prononcent aussi des mots divers (en japonais) tels que 'feu', 'rue', tonnerre', 'force', etc. Des mot-clés qui illustrent de manière très originale les éléments principaux du film.

Une seconde confrontation contre la bande des clowns est décrite dans l'étrange 'Battle Against Clown' qui utilise des synthétiseurs bizarres (genre sons de souffle humain frénétique) et des rythmiques plus modernes pour retranscrire la brutalité de ces affrontements entre motards. 'Winds Over Neo-Tokyo' utilise des sons électroniques aigus dans un style nettement plus atmosphérique mais toujours aussi bizarre. Yamashiro a vraiment voulu plonger le spectateur dans une ambiance particulière, une atmosphère unique en son genre vraiment faite pour l'oeuvre colossale qu'est 'Akira'. On notera l'utilisation étonnante de sons d'orgue et de sonorités cristallines dans 'Tetsuo', autre pièce étonnante liée ici au jeune Tetsuo qui découvre progressivement ses nouveaux pouvoirs surhumains, pouvoirs qu'il ne peut s'expliquer. Une fois encore, la musique révèle ici une facette plutôt expérimentale, un style très particulier qui apporte beaucoup au film et qui nous prouve à quel point la musique fait bel et bien partie de la mise en scène d'un film. Plus surprenant encore, 'Doll's Polyphony' est un sommet de l'expérimentation et de la bizarrerie puisqu'on y retrouve cette étrange polyphonie vocale de voix d'enfants décalée sur des onomatopées et des syllabes difficiles à décrire (sur fond de nappes de synthé atmosphérique), le tout accompagnant intelligemment la séquence où Tetsuo est en proie à d'angoissantes hallucinations dans lesquelles des poupées bizarres tentent de l'agresser. Les voix d'enfants illustrent ici les étranges pouvoirs de ces gamins aux visages de vieux qui ont subi eux aussi les expériences de l'armée. En fait, l'analogie est simple: puisqu'il est question ici d'expérimentations scientifiques, pourquoi ne pas produire de véritables expérimentations musicales pour le film lui-même? C'est simple, et pourtant, il fallait y penser!

Plus atonal, 'Shohmyoh' utilise un choeur d'une manière plus proche des techniques contemporaines du 20ème siècle, mélangées à des percussions japonaises qui semblent issues du théâtre Noh et de quelques chants issus à leur tour de la musique vocale traditionnelle japonaise. C'est ce mélange étonnant entre expérimentation et 'tradition' (dans le sens ethnomusicologique du terme) qui fait d'Akira un score unique en son genre et réellement particulier en soi. Le compositeur poursuit ses expériences dans l'excellent 'Mutation' où le choeur d'hommes se mélange à des solistes aux voix frénétiques et désordonnées, le tout étant soutenu par des percussions utilisées de manière continue. Le caractère assez confus du morceau évoque à son tour la séquence des horrifiantes mutations de Tetsuo à la fin du film, les voix étant là pour évoquer les différents protagonistes principaux du film, Tetsuo étant le personnage central du score et de l'histoire du film. Une fois encore, un compositeur occidental pour un film hollywoodien (par exemple) n'aurait certainement jamais eu l'idée de mettre en musique cette scène d'une manière aussi étonnante.

Moins intéressant, 'Exodus From The Underground Fortress' amène une rythmique plus pop/rock conventionnelle pour la séquence de la poursuite hors de la forteresse souterraine pour les expériences de l'armée. Les synthés années 80 se retrouvent mélangés ici avec quelques guitares électriques et des rythmiques entraînantes, mais qui jurent un peu avec le côté expérimental du reste du score et qui pourrait presque être considéré ici comme une certaine faute de goût par rapport à l'unité globale du score d'Akira. Finalement, Shoji Yamashiro nous garde le meilleur pour la fin avec, d'une part, un très atmosphérique et étrange 'Illusion' avec un intéressant travail de sonorités électroniques new-age et vocales, et l'incontournable 'Requiem' avoisinant les 15 minutes pour le final, mélangeant percussions traditionnelles, choeur d'hommes et solistes. C'est dans cette pièce que la musique semble s'élever et se rapprocher un peu plus du caractère métaphysique/mystique du final apocalyptique du film. Le choix même d'écrire un 'Requiem' pour ce final n'est pas anodin, si l'on considère le fait qu'un Requiem n'est rien d'autre qu'une messe des morts. Dès lors, on pourrait faire le rapprochement avec les idées métaphysiques de cette fin, de l'idée d'une force psychique/physique supra humaine, au-delà du monde humain (peut-être même divin, mais sans vraiment l'être?), et donc, au-delà de la mort -terrestre en tout cas.

Le score d'Akira fait partie de ce genre d'oeuvres déconcertante que l'on ne pourra certainement pas apprécier à la première écoute. Très difficile d'accès, la musique d'Akira est ce genre de partition que l'on découvre et redécouvre sans cesse, tant l'écoute peut s'avérer riche en découvertes et en surprise. Visiblement, Yamashiro a des idées et il a tenu à explorer jusqu'au bout, quitte à décevoir un public qui pouvait s'attendre à une musique plus massive, plus grandiose ou plus épique. On se rapproche par moment des expérimentations de Takemitsu, mais en nettement plus original que certaines des oeuvres du grand compositeur japonais qui flirtaient parfois avec le style d'un Ligeti, d'un Boulez ou d'un Stockhausen. Expérimentale, la musique d'Akira l'est assurément, et pour cause: Shoji Yamashiro a cherché à nous plonger dans une ambiance certes déconcertante, mais assez unique en son genre (sans pour autant proprement révolutionnaire en soi), le tout apportant un 'plus' indéniable au film de Katsuhiro Otomo. Difficile à digérer, difficile à apprécier, la musique d'Akira (qui manque un peu de la richesse des partitions du même genre comme celles de Kenji Kawai pour 'Ghost In The Shell' par exemple) n'en demeure pas moins un score incontournable -sans être un pur chef-d'oeuvre comme le film lui-même- dans l'univers des musiques de films d'animation japonais. Voilà donc un score difficile d'accès à recommander essentiellement à tous ceux qui apprécient les expérimentations musicales (vocal/musique traditionnelle new-age, fusion, etc.) qui sortent de l'ordinaire. A noter qu'il existe aussi plusieurs albums issus de la musique d'Akira, comme par exemple un excellent 'Symphonic Suite' incontournable pour tous les fans de l'univers musical du film ou un album légèrement différent pour la version japonaise.


---Quentin Billard