DISC 1
THE COMPLETE ORIGINAL SCORE

1-Main Title 4.12
2-Hyper Sleep 2.46
3-The Landing 4.31
4-The Terrain 2.21
5-The Craft 1.00
6-The Passage 1.49
7-The Skeleton 2.31
8-A New Face 2.34
9-Hanging On 3.39
10-The Lab 1.05
11-Drop Out 0.57
12-Nothing To Say 1.51
13-Cat Nip 1.01
14-Here Kitty 2.08
15-The Shaft 4.30
16-It's A Droid 4.30
17-Parker's Death 1.52
18-The Eggs 2.23
19-Sleepy Alien 1.04
20-To Sleep 1.56
21-The Cupboard 3.05
22-Out The Door 3.13
23-End Title 3.09

THE RESCORED ALTERNATE CUES
24-Main Title 4.11
25-Hyper Sleep 2.46
26-The Terrain 0.58
27-The Skeleton 2.30
28-Hanging On 3.08
29-The Cupboard 3.13
30-Out The Door 3.02

DISC 2
THE ORIGINAL 1979
SOUNDTRACK ALBUM

1-Main Title 3.37
2-The Face Hugger 2.36
3-Breakaway 3.03
4-Acid Test 4.40
5-The Landing 4.31
6-The Droid 4.44
7-The Recovery 2.50
8-The Alien Planet 2.31
9-The Shaft 4.01
10-End Title

BONUS TRACKS

11-Main Title (Film Version) 3.44
12-The Skeleton
(alternate take) 2.35
13-The Passage
(demonstration excerpt) 1.54
14-Hanging On
(demonstration excerpt) 1.08
15-Parker's Death
(demonstration excerpt) 1.08
16-It's A Droid (unused inserts) 1.27
17-Eine Kleine Nachtmusik
(source) 1.49

Musique  composée par:

Jerry Goldsmith

Editeur:

Intrada Records MAF 7102

CD Produit par:
Mike Matessino, Nick Redman

Voir aussi : ALIEN, ANALYSE D'UN
CHEF-D'OEUVRE MUSICAL,
POUR LE SITE THE MUSICAL LAW

Artwork and pictures (c) 1979 Twentieth Century Fox Film Corporation. All rights reserved.

Note: *****
ALIEN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jerry Goldsmith
Les années 70, une décennie remarquable qui a vu le renouveau d’un certain cinéma de genre, celui des grandes productions d’aventure et de science-fiction. Il y eut d’abord Steven Spielberg qui avec ‘Close Encounters of the Third Kind’ en 1977 renouait avec un cinéma de science-fiction à la fois sombre, spectaculaire mais aussi humaniste dans son propos (la rencontre d’abord terrifiante puis émerveillée entre les êtres humains et les extra-terrestres). Mais la même année, George Lucas triomphait à Hollywood avec ‘Star Wars’, qui allait définitivement lancer la mode du ‘Space-Opera’, un genre que les artisans hollywoodiens des années 80 ont usés et sur usés avec peu de modération, et ce jusqu’à satiété. Il n’était donc guère étonnant de voir ainsi apparaître, deux ans plus tard, ce très grand chef-d’oeuvre du cinéma d’épouvante et de science-fiction de la fin des années 70 que représente ‘Alien’ de Ridley Scott. Le réalisateur anglais, du haut de ses 42 ans, n’avait alors qu’à son actif un seul premier long-métrage, ‘The Duellists’, mettant en scène Keith Carradine et Harvey Keitel dans le premier grand film historique du cinéaste britannique. Avec ‘Alien’, Scott a retenu les leçons prodiguées par Kubrick (‘2001 A Space Odyssey’), Carpenter (‘Dark Star’), Spielberg ou Lucas pour nous offrir un film terrifiant et quasi unique dans son atmosphère jusqu’ici rarement égalée, même aujourd’hui où la technologie au cinéma s’avère être bien plus puissante qu’elle ne l’était en 1979.

Partant de l’intrigue de ‘It ! The Terror From Beyond Space’ (« La Planète des vampires » en V.F.), film d’épouvante/sci-fi datant de 1958, ‘Alien’ développe une atmosphère oppressante extraordinaire comme on en avait encore jamais vu à l’époque, avec un alien resté inégalé et une ambiance claustrophobique inoubliable; sept passagers d’un vaisseau spatial baptisé ‘Nostromo’ (en référence au roman homonyme de Joseph Conrad ) aux prises avec une créature extra-terrestre sanguinaire et dévastatrice recueillie accidentellement dans une épave abandonnée sur une mystérieuse planète lointaine. Le scénario peut paraître aujourd’hui désuet et surfait, mais à l’époque, il fonctionnait parfaitement. Le résultat ne se fit pas attendre, le film, produit par la 20th Century Fox, remporta un succès saisissant et relança la mode des films de science-fiction/épouvante qui donna naissance à une large série d’émules allant du très bon (‘The Thing’) au très mauvais (‘Creature’, ‘Dead Space’, ‘Contamination’, ‘Xtro’, ‘Galaxy of Terror’, etc.), sans oublier les versions aquatiques de la fin des années 80 (‘Leviathan’, ‘Deep Star Six’, etc.). Bref, un film culte et incontournable venait de naître, qui donnera naissance à une franchisse de qualité, malheureusement massacrée récemment par un ‘Alien vs. Predator’ de triste mémoire, censé évoquer l’affrontement entre un autre monstre célèbre de la Fox, un certain Predator...

Si le film est une telle réussite, c’est avant tout grâce à son incroyable réunion de talents, incluant H.R. Giger au design de l’alien, le célèbre dessinateur français Jean Giraud alias ‘Moebius’ sur la création des décors, Dan O’Bannon et Ronald Shusett sur le scénario du film, Walter Hill à la production, et bien sur, le grand Jerry Goldsmith à la musique du film. Pour créer la partition du film de Ridley Scott, le maestro californien a fait appel à son orchestre favori, le National Philharmonic Orchestra placé sous la direction de Lionel Newman. Habitué aux partitions virtuoses du compositeur, l’orchestre nous livre ici une performance incroyable dans un score avant-gardiste épousant les contours de la musique savante du 20ème siècle, celle des bruitistes de « l’école » de Ligeti et Penderecki, celle des rythmes saccadés et des collages harmoniques de Stravinsky et Bartok voire même d’une touche d’impressionnisme français à la Debussy, bref, autant d’influences que l’on ressent à l’écoute de cette partition monumentale. Le score s’articule autour de deux axes majeurs : d’une part l’évocation d’un vide spatial quasi romantique, à travers un thème principal majestueux au contour mélodique ample et robuste, qui ferait presque penser par moment à une autre partition monumentale de Jerry Goldsmith écrite à la même époque, un certain ‘Star Trek The Motion Picture’ (autre film de science-fiction, nettement moins sombre), puis un second axe nettement plus sombre et froid, chargé de sentiments aussi divers que l’angoisse, la terreur, le doute, l’isolement, la claustrophobie, l’égarement, des passagers pris dans un piège infernal dont ils ne peuvent échapper.

Mais l’atout majeur de la partition d’Alien réside avant tout dans l’illustration sonore que nous propose le compositeur à l’écran, une illustration qui passe par une utilisation d’instruments rares et divers révélant un véritable travail de musicologue passionnant de la part du compositeur. Parmi cette liste d’instruments exotiques atypiques pour un film hollywoodien de la fin des années 70 se trouvent le serpent, un cor à six trous doté d’un système de clés et d’une embouchure en ivoire ou en corne, très utilisé dans la musique religieuse de la fin du 16ème et du début du 17ème siècle (l’instrument a été remis au goût du jour par le compositeur et tubiste Michel Godard dans son album ‘le chant du serpent’), deux conques - une indienne et l’autre polynésienne - utilisées pour obtenir des sons particuliers (l’un des grands spécialistes de cet instrument est le jazzman Steve Turre), une chalémie (instrument à vent à anche double de la famille des hautbois, très répandu au Moyen-âge et à la Renaissance), un didgeridoo (instrument à vent utilisé par les aborigènes du nord de l’Australie, fabriqué à partir d’une branche d’eucalyptus creusée naturellement dans toute sa longueur par des termites, et que Goldsmith traite ici électroniquement pour obtenir un son étrange plutôt baveux et visqueux, totalement indissociable de l’alien dans le film), sans oublier les effets d’echoplex que le maestro avait déjà expérimenté en 1968 sur ‘Planet of the Apes’ et en 1970 sur ‘Patton’ avec ses fameux échos de trompette.

A noter que le compositeur utilise ce qu’il a lui-même baptisé le ‘alien effect’, une imitation d’un son de vent réverbéré crée à partir du souffle d’une conque géante sur laquelle le maestro rajoute de l’echoplex, un effet sonore impressionnant et totalement indissociable de la partition du film de Ridley Scott (on le retrouve par exemple lors de la séquence sur la planète des aliens). Jerry Goldsmith, toujours à la pointe du progrès, utilise la technologie audio de l’époque (nous sommes alors en 1979) pour créer des effets d’écho sur des sons des instruments de l’orchestre (cordes, percussions, vents et conque), le tout retranscrivant à merveille à l’écran la sensation du vide spatial absolu, l’idée de l’errance dans un univers inconnu, à des années lumières de la terre. A noter qu’en dehors du travail d’echoplex, Jerry Goldsmith a restreint au maximum l’utilisation des synthétiseurs dans sa partition, hormis une seule et unique touche d’électronique sur la tenue de cordes au début du morceau ‘The Terrain’. Pour le reste, la nomenclature orchestrale se présente à peu près de la façon suivante : 3 flûtes incluant un piccolo, 3 hautbois incluant un cor anglais, 3 clarinettes dont une clarinette basse, 3 bassons incluant un contrebasson, des saxophones (alto, ténor et baryton), 6 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 2 tubas, un groupe de percussions (timbales, tambours, glockenspiel, vibraphone, steel drums, marimba, cloches, woodblocks, tam tam, gong japonais, etc.), une machine à vent (entendue dans le morceau lors de l’apparition intégrale du titre dans ‘Main Title’ version film et dans ‘Nothing To Say’), une harpe, un piano (incluant un piano électrique), 24 violons, 10 altos, 8 violoncelles et 4 contrebasses. A noter qu’à l’origine, Goldsmith avait prévu d’inclure des voix dans sa partition, la partie chorale ayant finalement été abandonnée lors de l’enregistrement du score (il resterait néanmoins une trace de ces parties vocales sur le manuscrit d’origine d’Alien). Il est d’ailleurs assez amusant de constater que Goldsmith a quand même conservé l’utilisation d’une voix pour un morceau en particulier, ‘Hanging On’, où on entend clairement une femme siffler en glissando ascendant et descendant à partir de 0:19, rappelant une fois encore la grande inventivité du maestro. Autant dire qu’une fois de plus, Jerry Goldsmith a vu grand en écrivant pour un orchestre massif et spectaculaire, agrémenté d’un instrumentarium exotique rare combinant les deux serpents, les deux conques, le didgeridoo et la chalémie.

D’un point de vue harmonique, le score oscille entre l’atonal pur et dur (parfois proche par moment de la musique sérielle de la première moitié du 20ème siècle, celle de Schoenberg ou de Boulez, et de la musique bruitiste/aléatoire de la fin des années 50) et le tonal aux contours chromatiques pour les passages plus orchestraux et majestueux. Mais avant toute chose, impossible de ne pas évoquer la fameuse histoire entourant la création chaotique du score d’Alien. A l’origine, le film avait été monté avec un « temp-track » (bande son provisoire) contenant quelques bouts de musique classique (dont un extrait du 1er mouvement de la Symphonie N°2 ‘Romantique’ du compositeur américain Howard Hanson dans le générique de fin du film) et des extraits de la musique de Jerry Goldsmith pour le film ‘Freud’ (John Huston - 1962). S’étant visiblement sévèrement amouraché du temp-track monté par Terry Rawlings, Ridley Scott décida d’acheter les droits de la musique de Freud et de conserver finalement ces extraits musicaux qui collaient à merveille avec les scènes qu’elles accompagnaient (cela concerne donc la séquence du capitaine Dallas dans le conduit de ventilation, la scène de l’acide trouant la coque du vaisseau et la scène où Ripley, sur le point de s’enfuir dans la navette de secours, part à la recherche de son chat - ajoutons aussi que la scène de ‘Hypersleep’ avait été monté à l’origine avec la berceuse de ‘Thirsty Girl’ du score de ‘Freud’, mais qui a été heureusement remplacée dans le film par la musique originale de Goldsmith).

Et comme si cela ne suffisait pas, le réalisateur demanda même à Jerry Goldsmith de réécrire et de remanier de nombreux passages du score qu’il ne jugeait pas satisfaisant sur les images. Ainsi le générique de début original a été remplacé par une nouvelle version entendue dans le film, adaptée du morceau ‘The Passage’ qui avait apparemment fait forte impression auprès de Ridley Scott, et le générique de fin a été rejeté pour se voir remplacé par la Symphonie d’Hanson (un comble lorsque l’on sait que le générique de fin original de ‘Alien’ est un grand classique des concerts de Jerry Goldsmith). A l’intérieur du film, des segments entiers ont été recomposés, réarrangés ou montés dans un ordre différent de celui prévu à l’origine. Faisons fi immédiatement de la langue de bois: Jerry Goldsmith garda toute sa vie une certaine rancoeur tenace au sujet de cette partition, qu’il fit lui même réenregistrer à la fin des années 80 avec une sélection de ses morceaux originaux pour la galette éditée par Silva et aujourd’hui épuisée. Le CD publié par Silva était largement incomplet et omettait une large section de la musique ‘alternée’ telle qu’elle est entendue dans le film, l’album collant davantage aux desideratas du compositeur plutôt qu’à l’ambiance musicale réelle telle qu’elle est entendue dans le film. Il faudra finalement attendre la spectaculaire ressortie de l’album 2CD de chez Intrada pour pouvoir finalement apprécier le chef-d’œuvre du maestro californien dans sa version intégrale, incluant ainsi le score original complet et l’ensemble du score alterné tel qu’on peut l’entendre dans le film.

La partition tourne autour d’une poignée de thèmes forts, dont certains ne trouveront leur développement que dans les morceaux rejetés, mais tous réunis sur l’album d’Intrada. Ainsi, le thème principal, joué par une trompette solitaire et majestueuse dans le ‘Main Title’ rejeté, évoque l’immensité de l’espace d’un point de vue quasi romantique. A l’origine, Jerry Goldsmith voyait dans l’évocation de l’espace une étendue infinie porteuse de rêve et de mystère, et non un danger où règnent la terreur et l’angoisse. C’est pourtant la vision que souhaitait Ridley Scott, qui demanda alors à Goldsmith de réécrire le ‘Main Title’ à partir d’un autre motif majeur de la partition d’Alien : le motif de la planète des aliens. Composé à l’origine pour ‘The Passage’, ce thème utilise un duo de flûtes sur des intervalles creux - septième majeure, quarte, septième avec triton, etc. On a souvent rapproché ce motif du « Nuages » de Claude Debussy, de par ses accents quasi impressionniste et ses intervalles brumeux. Ainsi donc, Goldsmith ouvre le film sur des effets de gargouillis de cordes divers accompagnés par l’inévitable ‘alien effect’ et ces deux flûtes traitées en échoplex. Autre motif présent dans la partition, un balancement de deux notes de flûtes que l’on entend pour certaines séquences à bord du Nostromo, qu’il s’agisse du ‘Main Title’, de ‘Hypersleep’ ou de ‘Drop Out’. Ce motif mystérieux et intrigant évoque l’idée de la suspension du temps terrestre dans l’espace, et pourrait presque faire penser au balancement d’une pendule. Ici aussi, on nage en plein terrain impressionniste, avec des couleurs harmoniques qui rappellent Debussy ou Ravel. Troisième motif, souvent associé à celui du balancement des flûtes, un motif de 5 notes constitué d’un enchaînement de deux accords répétés sur un mode de sol, l’allusion à la musique modale renvoyant ici aussi aux couleurs impressionnistes de la musique française du début du 20ème siècle. ‘Hypersleep’ et le ‘Main Title’ original développent pleinement ce motif, prenant une tournure quasi romantique dans ‘Hypersleep’, lorsque les membres du Nostromo se réveillent lentement de leur sommeil cryogénique, un sentiment d’éveil largement suggéré ici aussi par la musique de Goldsmith avec un rare passage totalement tonal et lui aussi très impressionniste d’esprit (cf. les mouvements ascendants des cordes lorsque les capsules des membres de l’équipage se lèvent). Enfin, on trouvera un motif de 2 notes surnommé dans le livret du CD ‘whole-tone repetitions’ pour son côté entêtant et sa répétition d’un ton. Ce motif, majoritairement absent du film, évoque la présence de l’alien et devait être bien plus utilisé dans la musique du film, mais hélas, une bonne partie des morceaux incluant ce motif n’ont pas été retenus dans le film et ne trouveront donc leur place que sur l’album d’Intrada. On le retrouve néanmoins dans des morceaux de suspense pur comme le terrifiant 'The Shaft' (scène où Dallas explore le conduit de ventilation à la recherche de l'alien, morceau remplacé dans le film par une section particulièrement noire et intense du score de 'Freud'), 'The Craft', 'The Eggs' ou 'The Cupboard', sans oublier son apparition initiale dans le mystérieux 'The Terrain'. A noter que 'The Shaft' est un bien bel exemple de musique à suspense intelligente, jouant sur des effets de silence avec une habileté rare. Goldsmith est l'un des rares compositeurs hollywoodiens à avoir compris que la peur en musique ne vient pas toujours d'une surenchère instrumentale mais peut aussi parfois naître du silence, tout simplement. Du grand art, en somme !

Parmi les morceaux anthologiques de la partition de ‘Alien’, on ne pourra évidemment pas passer sous silence le très romantique ‘End Title’ (non utilisé dans le film), un grand classique des concerts de Goldsmith, le ‘Main Title’ version film, le duo ‘The Passage’/’The Skeleton’ et ses flûtes mystérieuses en échoplex avec ses sonorités avant-gardistes de cordes pour la séquence sur la planète des aliens, sans oublier des morceaux de terreur pure d’une violence et d’une virtuosité rare : ‘Here Kitty’ et son mélange de sons organiques (dont l’utilisation détournée du didgeridoo auquel Goldmsith a ajouté un traitement électronique afin de le rendre difforme), ‘Sleepy Alien’ et ses rythmes martelés ou bien encore ‘Parker’s Death’ pour la scène de la mort de Lambert et Parker, autre grand moment de terreur pure dans lequel Goldsmith démontre son savoir-faire et son inventivité à toute épreuve. Mais le hit de la partition demeure sans aucun doute l’incontournable ‘It’s A Droid’, morceau partiellement absent du film et pourtant véritable tour de force orchestral, inspiré des grands maîtres de la musique atonale avant-gardiste du 20ème siècle. ‘It’s A Droid’ devait ainsi accompagner à l’origine la scène où Ripley affronte Ash, ce dernier révélant alors sa vraie nature de Droïd. Le morceau passe en revue la plupart des effets instrumentaux avant-gardistes chers à des compositeurs comme Penderecki ou Ligeti : clusters, vibratos au quart de ton, glissandi, jeux d’harmonique sur les cordes, jeu sur la note la plus aigue de l’instrument, effets aléatoires, effets de « col legno » de cordes, etc. La chalémie et le serpent sont même brièvement présents afin de renforcer la menace d’un Ash devenu fou furieux. D’une complexité ahurissante, ‘It’s A Droid’ présente son lot de changements de mesure, d’orchestrations complexes, de superpositions rythmiques sophistiquées à la Stravinsky, un morceau d’une virtuosité totale, exécutée d’une main de maître par les musiciens du National Philharmonic Orchestra (à noter que la scène utilise à peine quelques secondes du morceau pour la séquence où la tête d’Ash est arrachée). Autre grand moment de la partition d’Alien : ‘The Landing’, morceau grandiose et impressionniste développant pleinement le thème principal pour la séquence de l’atterrissage sur la planète des aliens. ‘The Landing’ utilise des harmonies complexes, sophistiquées mais encore assez tonales afin d’illustrer la scène de l’atterrissage dans un mélange intrigant de majestuosité et de mystère (on pense ici à certaines mesures de « La Mer » de Debussy ou même au « Sacre du Printemps » de Stravinsky). Certains morceaux, plus mystérieux et nuancés, révèlent tout le génie et l’incroyable inventivité du travail de recherche sonore effectué par le compositeur sur la musique du film : des morceaux comme ‘The Lab’, ‘The Terrain’, 'Here Kitty' (avec ses vagues de flûtes ondulantes reprises du sombre 'Cat Nip'), ‘The Cupboard’ ou bien encore l’impressionnant ‘Hanging On’ n’hésitent pas à mettre en avant de véritables trouvailles sonores/instrumentales retranscrivant à l’écran la présence d’une menace organique, d’une façon quasi inédite pour une musique de film. Au final, le score d'Alien est une démonstration incroyable de toute l’étendue du savoir-faire de Jerry Goldmsith, un score à double facette, à la fois romantique et impressionniste (‘Main Title’ original, ‘Hypersleep’, ‘End Title’ ou le superbe ‘To Sleep’) puis avant-gardiste, violent et atonal (‘It’s A Droid’, ‘Sleepy Alien’, ‘Parker’s Death’, ‘The Cupboard’). La partition de Goldsmith dégage un très fort sentiment de mystère, de menace et d’angoisse dans le film, avec une intensité rarement égalée au cinéma, et ce malgré le peu de musique utilisée au final dans ‘Alien’.

Pour résumer, l’utilisation d’instruments rares et de ces sons organiques étranges renforcent la tonalité avant-gardiste/expérimentale du chef-d’oeuvre de Jerry Goldsmith et contribuent à la richesse musicale de l’ensemble. Rares sont les compositeurs à avoir su recréer avec autant de panache et d’inventivité une telle sensation de présence d’un organisme vivant à travers leur musique. En ce sens, Goldsmith prolonge son travail sonore déjà entamé sur ‘Planet of the Apes’ en 1968 et s’inscrit dans la continuité des musiciens expérimentaux spécialistes dans le travail des sonorités tels que Bernard Herrmann, Alex North ou Leonard Rosenman. Maniant ses différentes influences avec une personnalité musicale absolument indéniable et un sens personnel de l’expérimentation, Jerry Goldsmith signe pour ‘Alien’ l’un de ses plus grands chef-d’œuvres : une musique complexe, passionnante et virtuose que l’on n’a pas fini de redécouvrir, et qui recèle de trésors d’inventivité, d’idée musicales et d’orchestration d’une grande rareté. Entre terreur, suspense et lyrisme, la musique d’Alien est belle et bien l’illustration musicale parfaite que l’on était en droit d’attendre du maestro sur le second long-métrage de Ridley Scott en 1979.


---Quentin Billard