Peu de temps après un magnifique 'Message in a Bottle' injustement descendu par la critique dès sa sortie au cinéma en 1999, le réalisateur mexicain Luis Mandoki rempile pour une nouvelle histoire d'amour dramatique dans 'Angel Eyes', où il confie le rôle principal à la sculpturale Jennifer Lopez qui incarne Sharon Pogue, une flic opérant dans les quartiers chauds de Chicago, et qui mène son travail à la perfection afin d'oublier sa vie privée désastreuse. Un jour, Sharon poursuit un criminel et est sauvée de justesse d'une embuscade mortelle par un mystérieux inconnu qui se fait appeler Catch (Jim Caviezel). Peu de temps après, Sharon retrouve Catch et finit par tomber amoureuse de cet ange gardien énigmatique qui traîne un passé mystérieux et douloureux sur lequel il fait régner un secret quasi absolu. Tour à tour, Sharon et Catch vont devoir apprendre à vivre et à se réconcilier avec leur passé, Sharon ayant arrêté 10 ans auparavant son père pour violence conjugale, ce qui lui valu d'être bannie de la famille - une blessure qui n'a jamais cicatrisée- , Catch devant apprendre à se souvenir de qui il était autrefois et quel terrible drame il vécut qui le fit douloureusement tirer un trait sur son passé.

'Angel Eyes' est une sorte de romance contrariée qui renvoie par moment au romantisme dramatique de 'Message in a Bottle', mais sans le côté universel de ce dernier. Ici, point d'apologie de l'amour avec un grand A, mais une histoire plus modeste où deux êtres sont amenés à se retrouver pour la seconde fois et que le destin réuni afin qu'ils se sauvent mutuellement. L'atout majeur du film est donc de jouer à la fois la carte des sentiments et d'une trame plus surnaturelle dans laquelle il est question du destin croisé des deux individus qui se retrouvent après s'être croisé une première fois - d'où l'idée que leur destinée était écrite à l'avance. Pour beaucoup (et plus particulièrement les âmes insensibles), 'Angel Eyes' est une énième love-story larmoyante, mais pour peu que l'on soit réceptif à cette belle histoire de destin, de remords, de culpabilité et de souffrances mutuelles guéries par l'amour, 'Angel Eyes' s'avèrera être un bon divertissement sans originalité et sans grand relief, mais que l'on pourra apprécier pour le charme latino de Jennifer Lopez ou le mystère et le regard captivant du toujours très inspiré Jim Caviezel.

Inattendu sur ce projet, Marco Beltrami signe un sympathique score épousant la sobriété et l'émotion du joli film de Luis Mandoki. Beltrami, qui s'était jusqu'ici fait connaître pour ses partitions d'horreur/thriller ('Scream', 'Mimic', 'The Faculty', 'Dracula 2000', etc.), signe un score dominé par la mélancolie et le romantisme, le tout teinté de sonorités électroniques/orchestrales souvent plutôt mystérieuses et atmosphériques. A noter que le compositeur avait déjà surpris en 1999 en signant un score plus minimaliste pour 'The Minus Man' de Hampton Fancher, inspiré des travaux de Thomas Newman. Sa partition pour 'Angel Eyes' impose ainsi dès le 'Main Titles' une couleur plus particulière, mélangeant sonorités électroniques mystérieuses, voix féminine éthérée (associée au personnage de Sharon Poge), choeur de femmes (évoquant les drames des deux protagonistes principaux), cordes sombres et dramatiques, exposant le thème principal que le compositeur développera tout au long du film. On ressent ici tout un travail sonore qui prouve que Marco Beltrami a plus d'un tour dans son sac et qu'il serait particulièrement injuste de lui coller la simple étiquette de compositeur pour films d'horreur. Après une introduction de qualité, Beltrami développe le côté à la fois intime et mystérieux de sa partition, qui évoque donc à la fois l'aspect romantique et le côté surnaturel avec cette histoire de destin écrit pour les deux individus. Beltrami continue de développer ses sonorités électroniques mystérieuses qui évoquent l'idée du mystère et des secrets entourant le passé de Catch. Le compositeur s'autorise même un bref passage du côté des musiques d'action/suspense qu'il affectionne tant dans la scène où Sharon poursuit le criminel au début du film, renouant avec ses cuivres agressifs et ses cordes stridentes héritées de 'Scream', avec en plus ici, quelques percussions électroniques.

Mais le score attire véritablement notre attention à partir du moment où Beltrami utilise des morceaux plus romantiques, plus passionnés. Il évoque alors la romance entre Sharon et Catch avec des cordes mélodiques, un violoncelle, un piano, des vents, etc. Ces passages plus rétro permettent au compositeur d'apporter un peu d'émotion et de sentiments au film de Luis Mandoki, que ce soit pour le joli 'Love Theme' entendu durant la scène d'amour au bord de la rivière ou lors de la première scène du baiser dans l'appartement. Les morceaux romantiques - un côté que l'on connaissait moins jusqu'à présent chez Beltrami - se montrent encore plus poignant lorsque le compositeur évoque la souffrance des deux personnages qui se réconcilient avec leur passé à travers leur amour mutuel. Beltrami a même écrit un thème romantique plus nostalgique pour cordes et piano qui annonce par moment le magnifique 'I Am Dina', chef-d'oeuvre d'émotion du compositeur d'origine italienne. Entre mystère et romance, le score de 'Angel Eyes' s'impose donc comme un bien bel effort inattendu de la part d'un compositeur qui devrait continuer de surprendre à l'avenir, à condition qu'il sorte du carcan des films d'horreur/thriller auquel on l'associe bien trop souvent, lui qui est pourtant capable de s'exprimer avec intérêt dans d'autres registres que celui des slasher-movies ou des thrillers hollywoodiens!


---Quentin Billard