1-Is That What
Everybody Wants? 2.48
2-First Sleep 2.52
3-Can I Sit Next To You? 1.44
4-Will She Come Back? 5.00
5-Death Shall Have
No Dominion 2.09
6-Maybe You're My Puppet 3.50
7-Don't Blow It 3.34
8-Hi Energy
Proton Accelerator 10.51
9-Wear Your Seat Belt 3.10
10-Wormhole 4.33
11-We Don't Have To
Think Like That Anymore 2.59

Musique  composée par:

Cliff Martinez

Editeur:

Edel/Superb Records
0146922 ERE

Produit par:
Cliff Martinez
Consultat de l'album:
Shiro Gutzie

Artwork and pictures (c) 2002 20th Century Fox Film Corp. All rights reserved.

Note: ***1/2
SOLARIS
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Cliff Martinez
Remake du film homonyme du réalisateur russe Andrei Tarkovsky, 'Solaris' est la nouvelle grande réussite de Steven Soderbergh qui, après un agréable 'Ocean's Eleven' et un satirique 'Full Frontal', s'essaie désormais au film de science-fiction psychologique dans 'Solaris', toujours basé sur le roman de Stanislaw Lem. Un psychologue tourmenté nommé Chris Kelvin (George Clooney) répond à un appel de détresse lancé par Gibarian (Ulrich Tukur), un ami qui se trouve être le commandant du Prométhée, une gigantesque station spatiale qui gravite autour de la mystérieuse planète Solaris. Intrigué par le mystère du message de détresse, Kelvin se rend à bord du Prométhée et découvre une station quasi désertée. Gibarian s'est suicidé et un autre membre de l'équipage est mort. Les deux survivants, Gordon (Viola Davis) et Snow (Jeremy Davies), semblent être particulièrement secoués et angoissés, incapable d'expliquer clairement à Kelvin ce qui a pu arriver à bord du Prométhée. Le psychologue tente alors d'élucider le mystère du comportement des deux survivants au moment où il est victime d'une vision surnaturelle, celle de sa femme Rheya (Natascha McElhone), qui s'est suicidée il y a de nombreuses années.

'Solaris' part de l'intrigue fantastique d'une force mystérieuse qui permet de revoir des personnes décédées et permet à Soderbergh d'élaborer une mise en scène de très grande qualité, jouant sur une atmosphère psychologique, une ambiance de mystère pesante, quasi glaciale. A la fois poétique, angoissant et fantastique, 'Solaris' est un film d'une grande intelligence, où l'univers de science-fiction du film ne prend jamais le dessus sur l'aspect psychologique du film. Passionnant, le film vaut aussi pour la performance remarquable de George Clooney, dans un rôle à contre-emploi avec ce psychologue inconsolable et tourmenté par la visite de la femme qu'il a aimée autrefois et qui a mis fin à ses jours il y a de nombreuses années. Evidemment, le réalisateur joue ici sur l'idée de l'amour éternel, accentué par les parallèles astucieux avec le poème de Dylan Thomas 'And Death Shall Have no Dominion'. L'espace et plus particulièrement la mystérieuse planète Solaris et ses lumières d'un autre monde évoquent l'idée de la mort (le vide infini de l'espace) et de l'amour (les lumières de Solaris). En ce sens, le film se rapproche beaucoup par moment du célèbre '2001 A Space Odyssey' de Stanley Kubrick, duquel Steven Soderbergh a hérité d'une certaine lenteur psychologique de la mise en scène, un même côté métaphysique qui unit les deux films (ce sont des films de science-fiction sans vraiment en être), assez proche l'un de l'autre par leur peinture d'un espace métaphysique, d'une évocation de l'âme humaine dans le vide absolu. 'Solaris' reste sans aucun doute l'un des meilleurs films de Soderbergh, un long-métrage personnel dans lequel le réalisateur nous livre une solide réflexion sur l'amour et la mort.

Cliff Martinez, ancien batteur des 'Red Hot Chili Peppers', est le collaborateur régulier des musiques de film de Steven Soderbergh depuis le fameux 'Sex, Lies and Videotape' en 1989. Suivront ensuite 'Kafka' (1991), 'King of the Hill' (1993), 'Underneath' (1995), 'Gray's Anatomy' (1996), 'Schizopolis' (1996), 'The Limey' (1999) et 'Traffic' (2000). Pour sa neuvième collaboration à un film de Soderbergh, Cliff Martinez signe l'un de ses meilleurs scores, une partition atmosphérique dans la lignée de ses précédents travaux auquel le compositeur a ajouté pour la première fois un orchestre symphonique incorporé à l'univers électronique du score de 'Solaris', avec une instrumentation plus originale incluant les gamelans indonésiens, les steel drums tropicaux et le célesta, utilisés ici à contre-emploi par rapport à leurs rôles musicaux traditionnels. A l'instar du metteur en scène, Martinez a cherché à retranscrire une ambiance particulière, une atmosphère musicale quasiment surréelle, planante, mystérieuse, lente, psychologique, tout en jouant sur un certain univers sonore, sur des textures sonores particulières. A vrai dire, c'est le terme 'atmosphère' qui reste ici le mot-clé du score de 'Solaris', une idée que le compositeur développe dès le début du film lorsque Kelvin part pour Prométhée dans 'Is That What Everybody Wants?'. Martinez développe alors ses sonorités électroniques habituelles et ses nappes de synthé dans la lignée de 'Traffic', en ajoutant quelques sonorités orchestrales plus discrètes mettant l'accent sur les cordes. Dès lors, le compositeur installe une ambiance particulière et la développera tout au long du film. 'First Sleep' s'avère être plus intéressant, avec cet ostinato de sonorités électroniques répétitives auxquelles viennent s'ajouter des tremolos de cordes qui suggèrent le mystère, lorsque l'on voit la station spatiale graviter autour de Solaris. Evidemment, l'électronique est ici associée au côté surréaliste/science-fiction du film, tandis que la partie orchestrale est plus clairement liée à l'aspect humain du film, un aspect primordial qui permettrait alors d'expliquer pourquoi Martinez a tenu à inclure pour la première fois un orchestre dans un score écrit pour un film de Soderbergh.

Si 'First Sleep' développe à merveille ce sentiment de mystère planant quasi énigmatique, 'Can I Sit Next To You?' l'approfondit encore plus pour la scène de la première visite de Rheya. Les nappes de synthétiseur fusionnent avec un orchestre dominé par des tenues sombres de cordes, cuivres et vents qui fonctionnent ici sur un côté statique, évoquant à la fois le vide de l'espace et un certain sentiment d'angoisse sous-jacente et intériorisée. Dès lors, Martinez suggère le doute, l'inquiétude, l'imprévisibilité des évènements à bord du Prométhée. 'Will She Come Back?' nous permet de retrouver les sonorités électroniques new-age du début sur le ton du mystère et des ambiances planantes d'où pointe une certaine mélancolie plus chaleureuse suggérée aux cordes, liée aux sentiments de Kelvin envers sa femme disparue, tandis que 'Death Shall Have No Dominion' accentue les tremolos de cordes et les effets dissonants de l'orchestre dans un style qui évoque de plus en plus clairement les oeuvres de Ligeti et plus particulièrement 'Atmosphères' ou 'Lontano'. Coïncidence, le film de Soderbergh rappelle par moment le '2001' de Kubrick, et ce n'est certainement pas un hasard si Kubrick avait déjà utilisé 'Atmosphères' de Ligeti dans son propre film. On pourrait donc penser que c'est en ayant eu en tête l'atmosphère musicale incomparable du chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick que Steven Soderbergh a demandé à Cliff Martinez de se rapprocher de Ligeti, ce qui expliquerait aussi l'utilisation de l'orchestre symphonique traditionnel. Martinez crée donc des blocs sonores qui semblent à la fois flotter entre statisme et mouvements intérieurs, une sorte de mimique musicale du style de Ligeti, souvent imité mais rarement égalé.

L'atmosphère électronique planante et répétitive du début du score se retrouve dans 'Don't Blow It' évoquant les apparitions à bord de la station spatiale mais envisagé ici sous une certaine douceur mystérieuse et non sous l'angle de l'angoisse ou de l'agressivité (on est loin ici du côté agressif que l'on retrouve souvent dans ce genre de production science-fiction/fantastique) tandis que Martinez évoque la solution finale pour faire disparaître Rheya à la demande de la jeune femme dans 'Hi Energy Proton Accelerator', où le compositeur utilise des nappes de cordes statiques dans un environnement électronico-orchestral de plus en plus sombre limite chaotique, comme dans l'excellent 'Wear Your Seat Belt' où l'on ressent une pointe de tension avec son introduction de gamelans indonésiens et son nuage sonore de cordes/synthétiseurs nous amenant à une partie finale un peu plus agitée avec la scène où Kelvin quitte Prométhée dans le statique et dissonant 'Wormhole' et le conclusif 'We Don't Have To Think Like That Anymore', ultime pièce atmosphérique concluant le score de 'Solaris' pour le générique de fin. A noter pour finir que, malgré son côté répétitif, le score ne provoque jamais l'ennui, grâce à un jeu de textures sonores et une variété d'ambiances toujours très intéressante et digne d'intérêt, ce qui n'était pas forcément le cas pour le monotone 'Traffic' par exemple.

Il ne fait nul doute que si vous êtes coutumiers des travaux atmosphériques/électroniques habituels de Cliff Martinez, le score de 'Solaris' est visiblement fait pour vous ravir, une fois de plus. Inspiré par son sujet, le compositeur délaisse ici l'ennui soporifique de 'Traffic' et élabore une partition athématique et répétitive basée sur un mélange constant entre univers sonore électronique/acoustique et jeu sur les différentes sonorités. L'originalité vient donc ici de l'insertion d'un orchestre symphonique et d'un petit groupe d'instruments à percussion (steel drums, gamelan, célesta) que Martinez n'avait encore jamais vraiment utilisé pour un film de Soderbergh, une instrumentation dont il ne conserve ici que des sonorités sombres, vaporeuses et éparses qui distillent un parfum de mystère, d'incertitude, d'appréhension, mais aussi de repos, d'introspection, de méditation, de mélancolie profonde et de douceur paisible quasi surréaliste. C'est ce mélange entre ces différents sentiments qui fait de 'Solaris' l'un des meilleurs scores du compositeur, qui, en plus d'apporter énormément au film de Soderbergh (la musique y est pour beaucoup dans l'élaboration de l'atmosphère forte du film), témoigne d'un goût peu connu du compositeur pour la musique du grand György Ligeti.


---Quentin Billard