Tess

1-Tess 3.15
2-La visite chez les
D'Uberville 1.18
3-La fraise 1.45
4-Tess et l'enfance 1.33
5-La naissance de l'amour 3.18
6-Le viol 2.31
7-Le cimetière 1.42
8-Tess retrouve Angel 3.59
9-Procession 3.36
10-La séparation 2.58
11-Après le meurtre 2.10
12-Le retour d'Angel 1.16
13-Final (suite) 7.53

Le locataire

14-Cour d'immeuble
(générique début) 2.22
15-Apparitions 3.53
16-Solitude 1.23
17-Trelkovsky 2.14
18-L'appel du verre 2.31
19-En souvenir de madame Choule 1.32
20-Métempsycose 1.11
21-Conspiration 3.40
22-Le locataire 2.28

Musique  composée par:

Philippe Sarde

Editeur:

Emarcy/Universal Music France
159 898-2

Album conçu et réalisé par:
Stéphane Lerouge
Coordination:
Daniel Richard, Pascal Bod,
Laurent Bizot

(pour Universal Music Jazz France)

Artwork and pictures (c) 2000 Universal Music Jazz France. All rights reserved.

Note: **1/2
TESS
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Philippe Sarde
Avec 'Tess', le versatile Roman Polanski évoque le monde rural de l'Angleterre de la fin du 19ème siècle. Tess Durbeyfield (Nastassja Kinski) est une jeune fille appartenant à une modeste famille de paysans anglais. Un jour, le père Durbeyfield découvre par hasard qu'il est le descendant de l'illustre famille des d'Urberville, une riche famille d'aristocrates anglais aujourd'hui éteinte mais qui prospéra autrefois pendant de nombreuses décennies. Ne supportant plus sa triste condition et convaincu que sa famille mériterait un meilleur sort étant donné ses racines familiales, il décide d'envoyer sa jeune fille Tess chez la famille bourgeoise qui a acquis le noble nom des d'Urberville. Elle est alors séduite par sir Alec d'Urberville (Leigh Lawson), un séduisant aristocrate qui se prétend être son 'cousin' et qui tombe amoureux de Tess. Mais cette dernière, encore bien jeune et naïve, repousse Alec qui, exaspéré, finit par se jeter sur elle et la viole. Ecoeurée, elle quitte son travail chez les d'Urberville et retourne chez ses parents, où elle met au monde l'enfant d'Alec qui mourra peu de temps après. C'est profondément blessé et traumatisé par cette expérience douloureuse que la jeune Tess rencontrera plus tard Angel Clare (Peter Firth) qui deviendra son véritable premier amour. Malgré le refus de ses parents, Angel épousera Tess. Mais le passé surgit à nouveau et lorsque Tess se décide enfin à parler de son expérience douloureuse avec son cousin et la mort de son enfant, Angel fuit Tess et disparaît, laissant seule sa femme abandonnée et livrée à son sort.

'Tess' est un drame romantique et passionné dans la plus pure tradition du genre. Après l'excellent et inoubliable 'Le Locataire', Roman Polanski changeait alors de registre et explorait l'univers du drame avec un film qu'il dédia à son ancienne femme, Sharon Tate, assassinée en 1969 par un psychopathe de triste mémoire, Charles Manson. Il faut dire qu'à l'origine, l'idée d'adapter à l'écran le roman homonyme de Thomas Hardy lui avait été suggérée par sa femme. Pour Polanski, réaliser 'Tess' était important car, plus qu'une énième et simple adaptation d'un livre au cinéma, le film représente l'ultime hommage poignant que rendit alors le réalisateur à sa femme, 10 ans après sa mort (le film commence sur les mots 'pour Sharon'). 'Tess' est entièrement portée par l'excellente Nastassja Kinski qui se fit véritablement connaître grâce au film de Polanski. Adoptant un ton sombre et lent, le film est porté par un climat de tourment véritablement oppressant. Le réalisateur nous montre des êtres tourmentés livrés à un destin cruel, sur fond de décors ruraux parfaitement authentiques (même si le film est censé se dérouler dans la campagne anglaise alors qu'il a été tourné en France). A ce sujet, rare sont les réalisateurs à avoir filmé avec une telle maestria l'univers des paysans pauvres de la fin du 19ème siècle. On pourra néanmoins reprocher au film d'être un peu trop académique par rapport au précédent 'Locataire' et particulièrement long pour un sujet finalement très modeste - 3h 10 pour une simple histoire de destin dramatique et d'amour déchiré, c'est long quand même! Reste que, si 'Tess' est bourré de longueurs et manque un peu de personnalité, il demeure malgré tout l'un des films de référence du réalisateur.

Philippe Sarde avait écrit en 1976 un score particulièrement riche et inspiré pour 'Le Locataire'. Pour sa seconde collaboration à un film de Roman Polanski, le célèbre compositeur français délaisse le style atonal et macabre du 'Locataire' et nous propose au contraire une partition symphonique au classicisme d'écriture plus raffiné, écrit dans un style très 19èmiste. A la première écoute de la musique dans le film, on est surpris par la qualité et la richesse des orchestrations, Sarde se montrant une fois de plus très inspiré dans le maniement de son orchestre et de son écriture symphonique. L'ouverture de 'Tess' permet ainsi au compositeur de développer les deux thèmes principaux, un thème de cordes plutôt romantique et légèrement mélancolique qui sera associé plus tard à la romance entre Tess et Angel, et un motif plus rythmé confié à des vents et qui évoque les origines rurales de la jeune héroïne (d'où un côté un peu air traditionnel simple dans ce petit motif). On pourra peut-être regretter l'utilisation d'un classicisme un peu froid qui tend à rendre le film de Polanski encore plus académique qu'il ne l'est déjà, alors que le compositeur aurait pu aller bien plus loin dans l'exploration des idées romantiques et tragiques du film. Au contraire, la partition surprend en imposant un style classique sans compromis et résolument froid dans le film (ce qui n'est pas l'idéal une fois collé sur les images du film).

'La visite chez les d'Urberville' prolonge ce classicisme d'écriture avec des cordes amples, des vents (clarinettes, flûtes, etc.), des cuivres (cors) et même un piano, pour la scène où Tess se rend pour la première fois chez les d'Urberville. Le morceau accompagne alors le trajet de la jeune fille sur un ton plutôt serein dans lequel le compositeur continue malgré tout de développer une certaine densité orchestrale parfois un peu de trop sur les images. Idem pour 'La fraise' pour la scène intime de la fraise, entre Alec et Tess. Sarde met ici l'accent sur des cordes plus chaleureuses avec des vents, dont les couleurs évoquent maintes pages de l'impressionnisme français du début du 20ème siècle, sans pour autant épouser le style ondulant et fluide d'un Debussy ou d'un Ravel. Dans 'Tess et l'enfance', Sarde nous propose un petit thème de danse traditionnelle paysanne que le compositeur confie ici à un accordéon avec une petite formation instrumentale incluant clarinette, trompette, tuba et violon (on retrouvera cela dans 'Tess retrouve Angel'). Une fois encore, on regrettera le côté froid et quelconque de 'La naissance de l'amour', qui aurait du être romantique mais qui déçoit par son classicisme trop rigide et son côté très quelconque (à noter que Sarde développe ici au hautbois le thème paysan/pastoral associé à Tess).

Néanmoins, seul 'Le viol' sort un peu du lot avec son crescendo orchestral plutôt inquiétant et brutal pour la séquence où Alec abuse de Tess. Loin de vouloir s'arrêter au côté brutal de l'acte, Sarde développe le thème romantique de l'ouverture pour évoquer les sentiments de Tess, alors que rien ne laisse encore présager la tournure que va prendre la scène. Comme d'habitude, Sarde continue de développer une certaine densité orchestrale à laquelle il ajoute par moment une sorte de cithare afin de rappeler l'univers rural du film. La scène où Tess enterre son enfant dans 'Le cimetière' est illustrée de manière très froide, à l'aide d'un petit thème de berceuse enfantine que Sarde associe dans le film à l'innocence de Tess et qui est parfois joué par un accordéon. Ici, le thème est confié à des cors sur fond de cordes sombres et de cloches. Si 'Procession' paraît bien moins froid avec ses cordes lyriques à la Brahms pour la scène du mariage, 'La séparation' impose un climat plus sombre avec des cuivres et des cordes sur un motif lié à la séparation entre Angel et Tess, où l'on retrouve le thème pastoral de Tess. C'est avec ce coté orchestral toujours très dense et académique que Sarde poursuit son bonhomme de chemin, jusqu'au sombre 'Après le meurtre' qui affirme un climat plus mélancolique lorsque Angel et Tess s'échappent après la mort d'Alec, aboutissant au lyrique 'Final' qui conclut le film sur un ton plutôt sombre, reprenant une dernière fois le thème dramatique qui conclura le film sur une ultime touche romantique dans le sens 19èmiste du terme - on pense une fois encore à certaines pages symphoniques de Brahms à l'écoute de ce thème.

Loin d'être le chef-d'oeuvre de Philippe Sarde, 'Tess' confirme malgré tout que le compositeur continuait d'écrire des musiques de qualité pour Roman Polanski même sur un sujet et une esthétique totalement différente. Hélas, si le compositeur était connu dans les années 60/70 pour certaines de ses expérimentations et ses travaux sur l'atonalité ('Les seins de glace', 'Le locataire', etc.), son travail sur 'Tess' déçoit par son côté quelconque et son manque flagrant d'originalité et de personnalité. Ici, Sarde se glisse dans la peau d'un Brahms et nous livre une partition symphonique dramatique et lyrique, mais sans jamais réussir à dépasser ce simple cadre du classicisme dans lequel la musique est engluée à la limite de la rigueur monotone. On aurait souhaité entendre une partition plus passionnée, plus envolée et peut-être même plus empathique encore. Il est vrai que le travail sur les orchestrations reste ici très riche et particulièrement intéressant, mais cela ne suffit nullement à faire de la musique de 'Tess' l'oeuvre passionné qu'elle aurait du être en s'accordant à la noirceur dramatique du film de Polanski. Du coup, on se demande si le compositeur n'aurait pas fait fausse route en choisissant d'orienter sa partition vers cet angle rigide de l'académisme 'brahmsien' raffiné qui, de plus, jure un peu avec l'univers rural et paysan du film (même si la musique assure ainsi plus efficacement son impact émotionnel sur les images). Reste que 'Tess' fait néanmoins partie des scores les plus réputés du compositeur, une partition que l'on pourra retrouver couplée sur le CD avec le génial 'Le Locataire'.


---Quentin Billard