1-Groonk 4.15
2-Oor Es Mayr Eem 4.15
3-Siege 3.35
4-Something in Your Heart 2.11
5-Ancient History 1.06
6-Need To Be Remembered 6.03
7-The Dance 3.35
8-Mother and Sons 1.26
9-Yeraz 2.55
10-They Will Take
My Island 1.27
11-Ani 1.23
12-His Land Was Lost 2.28
13-Final Stand 0.54
14-Silent Witness 1.21
15-Call to Action 1.03
16-The Power to Imagine 2.09
17-How Did He Die? 2.31
18-Return to Ararat 2.41
19-All That is Sacred 2.07
20-The Ghost of my Father 1.03

Musique  composée par:

Mychael Danna

Editeur:

Milan Records 189 936-2

Score produit par:
Mychael Danna
Montage de la musique:
Paul Intson
Recherches musicales:
Eve Egoyan
Coordinateur de production:
Andranik Michaelian
Producteurs exécutifs:
Emmanuel Chamboredon,
Ian Hierons

Artwork and pictures (c) 2002 Milan Records/Iololulu. All rights reserved.

Note: ***1/2
ARARAT
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Mychael Danna
A une époque où la polémique au sujet de l'hypothétique entrée de la Turquie en Europe va bon train, 'Ararat' est un film qui, pourrait-on dire, tombe à point nommé (le film date quand même de 2002). Le réalisateur d'origine égyptienne Atom Egoyan évoque dans 'Ararat' un épisode assez peu connu de l'Histoire, le génocide arménien par l'armée turc en 1915 (il faut savoir que la Turquie continue aujourd'hui de nier le génocide arménien). L'histoire s'attache à suivre le parcours de différents personnages gravitant autour du tournage d'un film retranscrivant ces évènements tragiques, avec comme toile de fond l'intrigue d'Arshile Gorky (Simon Abkarian), un célèbre artiste arménien qui peignit un portrait de lui enfant avec sa mère et qui sert d'élément récurrent au film du réalisateur Edward Saroyan (Charles Aznavour). On y découvre ainsi différentes intrigues, à commencer par celle du jeune Raffi (David Alpay), engagé par le réalisateur pour ajouter des scènes supplémentaires au film et qui tente de franchir l'aéroport avec ses bobines avant d'être arrêté et interrogé par un agent de la douane (Christopher Plummer), à qui il explique son histoire et tente de le convaincre de sa bonne foi, à l'aide d'images tournées sur son caméscope. Pendant ce temps, on assiste à l'histoire de Celia (Marie-Josée Croze), une jeune femme qui s'interroge sur la mort mystérieuse de son père et qui harcèle sa belle-mère, Ani (Arsinée Khanjian), une conférencière qu'elle considère comme étant responsable de la disparition de son père. De son côté, Ani (la mère de Raffi) tente d'oublier ses problèmes personnels à travers ses conférences sur Gorky et le génocide arménien. On découvre aussi l'histoire d'Ali (Elias Koteas), un acteur d'origine turc qui endosse pour le film de Saroyan le rôle du méchant turc Jevdet Bey, considéré comme le principal responsable du tristement célèbre génocide. Très vite, Ali, qui n'avait pas encore prit conscience de l'importance et des conséquences de son rôle difficile, commence à se documenter au sujet du génocide arménien et en arrive à la conclusion que cet évènement a du être exagéré, non pas que l'acteur tienne des propos négationnistes, mais plutôt parce que, comme beaucoup de turcs qui semblent avoir oublié cet évènement survenu il y a un peu moins d'un siècle, cette histoire le laisse quelque peu indifférent. Ensemble, les petites histoires de ces différents personnages sont irrémédiablement rattachées à l'Histoire avec un grand H, celle du génocide arménien de 1915.

Parler d'un film difficile comme 'Ararat' n'est guère chose aisée. Soyez persuadé que l'auteur de cette critique a fait tout son possible pour tenter d'apporter le plus de discernement et de recul possible par rapport à l'excellent film dur et poignant d'Atom Egoyan, car, avec la façon dont le film traite du génocide arménien, 'Ararat' est bel et bien l'un des plus grands films du réalisateur canadien d'origine égyptienne. Le scénario, qui peut paraître extrêmement morcelé et brouillon, développe l'histoire de différents protagonistes gravitant directement ou indirectement par l'histoire du génocide arménien (thème déjà abordé au cinéma en 1963 par Elia Kazan dans son film 'America, America'). Evidemment, le choix de Charles Aznavour pour interpréter le réalisateur Edward Saroyan n'est guère anodin, étant donné que le célèbre acteur/chanteur est d'origine arménienne et que son nom fait ici référence à celui d'un personnage qu'interprétait l'acteur dans 'Tirez sur le pianiste' de François Truffaut (1960), Egoyan en profitant au passage pour rendre hommage au célèbre réalisateur français. L'insertion du film dans le film était l'élément parfait pour pouvoir prendre du recul par rapport aux évènements tragiques de 1915 et pour proposer ainsi de manière plus nuancée une réflexion sur les conséquences de cette tragédie et ses répercussions sur les générations à venir, car le film traite bien évidemment de la mémoire, le fait de ne surtout pas oublier que ces évènements se sont réellement déroulés en 1915, il y a à peine un siècle. Pour Atom Egoyan, le génocide arménien était un sujet qui le tenait particulièrement à coeur depuis sa jeunesse et surtout pendant qu'il tournait une scène du 'Voyage de Felicia' (1999), l'un de ses précédents films. Le fait d'avoir choisi de mettre en avant des personnages contemporains pour évoquer cette tragédie n'était guère anodin. Il s'agit ainsi pour l'auteur de donner un côté universel et intemporel à son récit, tout en évoquant les conséquences de ces évènements sur l'histoire des personnages d'aujourd'hui, donnant ainsi plus de poids à son récit. Certes, le film peut paraître brouillon, lent et quelque peu désordonné, mais c'est avec l'intention honnête et louable de donner plus de poids à un évènement qu'il ne montre jamais de manière frontale mais qu'il évoque plus subtilement au détour de quelques images difficiles et d'un jeu d'acteur particulièrement excellent. Voilà donc sans aucun doute l'un des meilleurs films sur le génocide arménien et le désir quasi inter-générationnel de se souvenir, un film qui évite le parti pris et les jugements faciles et qui nous propose une réflexion brillante et poignante sur un évènement honteusement méconnu dans l'Histoire du 20ème siècle.

Fidèle complice d'Atom Egoyan depuis 'Family Viewing' (1987), le compositeur Mychael Danna a développé une collaboration solide et sure avec le réalisateur canadien depuis plus de 10 ans. Avec 'Ararat', Danna ajoute une pierre à un édifice solide qui témoigne du talent d'un compositeur indépendant et anti-conventionnel. Son travail sur 'Ararat' est remarquable sur plus d'un point - à défaut d'être la plus géniale partition jamais écrite pour le cinéma - le compositeur ayant adopté le même ton méditatif et introspectif que le réalisateur dans sa musique pour le film. Evidemment, un sujet aussi grave traité de manière aussi subtile ne pouvait qu'être accompagné par une musique dénuée de tout pathos ou de tout sentimentalisme hollywoodien. A vrai dire, la musique d'Ararat est très éloigné des canons hollywoodiens du genre. C'est aussi l'occasion pour le compositeur canadien d'évoquer la musique d'Arménie avec un certain souci d'authenticité rare qui incite le respect. Loin de tout aspect fonctionnel, la musique s'impose comme une véritable odyssée dans la culture musicale arménienne apportant une couleur spécifique parfaite pour le film d'Atom Egoyan. Pour se faire, Mychael Danna utilise divers instruments arméniens populaires à commencer par le célèbre duduk, sorte de chalumeau cylindrique à 8 trous doté d'une longue et curieuse double anche, instrument particulièrement utilisé dans la musique traditionnelle Arménienne et jouée aussi en Anatolie. A cela s'ajoute le zurna (hautbois à large pavillon et à anche double aussi utilisé en Turquie, très utilisé dans les fêtes villageoises populaires en Arménie), le shvi (piccolo arménien à timbre aigu, doté d'une bague métallique réglant la tonalité), le bhul ney (autre instrument à vent arménien), le tar (instrument soliste à cordes grattées d'origine indo-persane à la sonorité très métallique, souvent constitué de 11 cordes), le kamancha (violon à base en forme de pointe, qui se joue dressé sur le genou avec un archet en crin de cheval), le kanoun (cithare sur table avec un peu plus de 70 cordes de boyau ou de nylon groupées par trois, à forme de trapèze rectangle dont le chevalet repose sur une peau) et le dhol (tambour arménien très populaire, en peau de chèvre ou de veau recouvrant les deux faces, tendues par des cordes et que l'on joue en tenant sous le bras). A l'aide de ses différents solistes et d'un orchestre symphonique traditionnel et plus occidental, Mychael Danna élabore une partition méditative et mélancolique qui sert de commentaire musical au film d'Egoyan.

Dès l'introduction du duduk solitaire dans 'Groonk', Danna annonce d'emblée le ton introspectif de sa partition. Le duduk, qui sera très vite suivi du thème principal du score d'Ararat aux cordes (emprunté à une chanson arménienne populaire), se veut ici l'écho de l'âme de l'Arménie, d'où le choix initial du plus célèbre et du plus populaire instrument du pays en introduction du film, le morceau se concluant sur un choeur religieux proche de la musique orthodoxe - à noter que le choeur arménien à 8 voix (qui se veut comme étant le symbole musical du peuple arménien) a été enregistré à l'église de Saint Gayane, en Arménie, accentuant encore l'authenticité de la partition et de l'enregistrement d'Ararat. Avec le chant poignant de 'Oor Es Mayr Eem', Danna fait intervenir une magnifique partie vocale interprétée par la soliste Isabel Bayrakdarian sur fond d'orchestre à cordes, faisant le lien entre la culture arménienne et occidentale - d'où la volonté de rendre intemporelle et universelle de cette histoire. 'Oor Es Mayr Eem' s'apparente à une sorte d'élégie poignante et méditative pour le génocide arménien, avec une retenue exemplaire qui n'empêche nullement l'émotion de la musique. Il est alors question dans 'Siege' d'une évocation musicale du massacre des arméniens par les turcs pour une scène du film de Saroyan, Danna utilisant ici l'orchestre conventionnel avec les solistes à vents arméniens qui évoquent la gravité et la tension de la scène (il s'agit des deux seuls véritables passages d'action du score évoquant le conflit avec les turcs, Danna s'autorisant à de très rares occasions quelques concessions au style hollywoodien habituel), tandis que 'Something in your Heart' calme le jeu et impose de nouveau un climat méditatif et mélancolique à l'aide du kamancha et de l'orchestre. A noter l'utilisation des percussions et du zurna mélangé à un orchestre agité dans 'Final Stand', qui rappelle par moment le style plus hollywoodien de 'Siege' pour une scène avec les turcs vers la fin du film, le zurna étant associé ici pour l'occasion aux turcs. Le zurna est d'ailleurs brillamment utilisé comme une pièce de danse traditionnelle orientale dans 'Call to Action'.

Plus conventionnel, 'Ancient History' surprend par son côté orchestral plus majestueux et quasi épique pour une autre grande scène du film de Saroyan, qui évoque la détermination des uns et la souffrance des autres, idée accentué par l'utilisation poignante du choeur arménien. On retrouve d'ailleurs une idée similaire dans l'excellent 'Yeraz' qui reprend le thème principal à l'orchestre (dominé ici par les cordes et les vents) emprunté à une chanson populaire arménienne, 'Yeraz' signifiant 'rêve' dans la langue arménienne. Danna évoque alors l'idée de la mémoire, du besoin de se souvenir dans 'Need to be Remembered', où les différents solistes arméniens créent une ambiance méditative à la fois sombre et douce (on pourrait aussi citer l'envoûtant 'The Dance' ou 'They Will Take my Island' et son duduk solitaire). Plus poignant, 'His Land was Lost' évoque avec une certaine tristesse la tragédie du génocide sur un ton recueilli avec cordes, violon soliste et kamancha, Danna maîtrisant parfaitement le mélange des différentes sonorités occidentales/arméniennes comme pour accentuer une fois encore le caractère universel de l'histoire d'Ararat.

On assiste quasi muet à l'horreur dans 'Silent Witness' où l'on retrouve le motif introductif du duduk développé ici par l'orchestre dans un style à la fois sombre et doucement mélancolique, comme dans 'The Power to Imagine' dominé par un orchestre plus lyrique, tandis qu'intervient le kanoun solitaire dans 'How Did He Die?'. Mychael Danna propose à son tour un véritable hommage musical à la mémoire des victimes du génocide arménien dans l'émouvant 'Return to Ararat', qui fonctionne sur la retenue avec une très belle combinaison du thème introductif de duduk dialoguant avec l'orchestre et les vents, avant de faire un détour du côté de la musique religieuse a cappella religieuse proche du chant grégorien dans 'All That is Sacred', sauf qu'ici Danna fait intervenir de la polyphonie discrète mais néanmoins présente (le chant grégorien est monophonique, rappelons-le!). 'All That is Sacred' s'apparente à une sorte de requiem poignant pour les victimes du génocide et qui, au passage, rappelle l'appartenance du peuple arménien à la religion catholique. A noter un 'The Ghost of My Father' plus lyrique et poignant aux cordes, faisant office de coda émouvante de la partition de 'Ararat'.

'Ararat' est sans aucun doute l'une des plus belles partitions écrites par Mychael Danna pour un film d'Atom Egoyan. Même si le score ne marquera certainement pas les annales du genre, il a au moins le mérite de s'imposer comme un travail mûri et réfléchi, révélant toute l'authenticité de la démarche du compositeur alliant ici diverses influences ethniques musicales (arménienne, turque, russe, occidentale, etc.) pour les besoins du film. La partition, à la fois élégiaque, recueille, méditative et mélancolique, s'affirme comme le parfait complément émotionnel du film tout en évitant le traditionnel aspect fonctionnel auquel on associe trop systématiquement la musique de film en général. A une époque où la musique de film hollywoodienne - et même française - sombre dans le conventionnalisme pur et dur, il est bon de pouvoir réécouter un opus plus honnête et recherché comme 'Ararat', car, s'il ne fait nul doute que la partition de Mychael Danna ne marquera pas son époque ou les années à venir, n'en demeure pas moins une oeuvre de qualité à découvrir en même temps que l'excellent film d'Atom Egoyan. Voilà en tout cas un compositeur qui a su rendre un bien bel hommage aux victimes du terrible génocide arménien!


---Quentin Billard