Les Félins (1964)

1-Les Félins (thème principal/
Main Title) 3.20
2-Prémices d'une découverte/
Searching and Detecting 3.18
3-La décision/The decision 2.29
4-Poursuite méditerranéenne/
Mediterranean Chase 2.26
5-Le télégramme/
The telegram 3.37
6-Thème des Félins/
Theme from Les Félins 6.14
7-Blues pour un enterrement/
Funeral blues 2.26
8-Marc et son invitée/
Marc has company 4.07
9-Mélinda 3.15
10-Les Félins (générique fin/
End Credits) 3.14

Titres bonus

11-The Cat 3.20*
12-Theme from Joy House 4.38
13-Le chat,
par Claude Nougaro 2.17**

*Orgue interprété par
Jimmy Smith
Arrangement et direction:
Lalo Schifrin (titres issus de
l'album 'The Cat')
**Interprété par Claude Nougaro
(Schifrin/Ward/Nougaro).

Musique  composée par:

Lalo Schifrin

Editeur:

Universal Music Jazz France
982 458 8

Album conçu et réalisé par:
Stéphane Lerouge, Lalo Schifrin
Coordinations:
Daniel Richard, Pascal Bod,
Kiki d'Almeida

pour Universal Music Jazz France.
CD monté par:
Nick Redman

(c) 2004 Universal Music S.A. France. All rights reserved.

Note: ****
LES FÉLINS
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Lalo Schifrin
Grand classique du polar français des années 60, 'Les félins' raconte l'histoire de Marc (Alain Delon), un gigolo qui après avoir séduit la femme d'un gangster américain, se retrouver poursuivi par les hommes du malfrat qui cherche à venger son honneur. Parvenant à semer les sbires du gangster tant bien que mal, Marc débarque à Monte-Carlo où il rencontre une riche veuve américaine nommée Barbara (Lola Albright) et sa jeune cousine Mélinda (Jane Fonda), qui l'engagent comme chauffeur. Marc se cache dans leur villa pour semer les malfrats, mais plus le temps passe, plus il trouve que les deux femmes ont un comportement bizarre. Il comprend peu à peu qu'elles cherchent toutes les deux à le manipuler et qu'il est tombé dans un piège redoutable et sans issue. 'Les félins' est un des classiques du réalisateur René Clément, dont la carrière a très souvent oscillé entre les films artisanaux et les grands classiques du cinéma français ('Jeux interdits', 'Plein soleil', 'La course du lièvre à travers les champs', 'Paris brûle-t-il?', etc.). Le réalisateur signe là un polar classique porté par l'interprétation solide du trio de charme Alain Delon/Jane Fonda/Lola Albright, avec un suspense psychologique digne d'un Alfred Hitchcock, entre tension, rebondissement et manipulation. Le film est simple, sans aucun artifice visuel, porté par le charme du Cinémascope en noir et blanc, reposant uniquement sur une mise en scène solide, un jeu sur les lumières, les décors, l'astucieux parallèle entre les protagonistes principaux et les animaux - d'où le titre du film (Marc associé au lapin apprivoisé, Vincent associé au chat, Mélinda la délicieuse et diabolique féline, etc.), sans oublier des interprétations sans faille. Un classique du film noir français, en somme!

Lalo Schifrin signe pour 'Les félins' un de ses grands classiques des années 60 (le compositeur est alors tout juste âgé de 31 ans), une partition thriller aux accents jazzy dont l'un des thèmes de la partition a acquis une certaine célébrité grâce aux reprises de Claude Nougaro ('Le chat') et de l'organiste de jazz Jimmy Smith ('The Cat'). A l'époque, Lalo Schifrin est jeune et vient tout juste d'arriver à Paris en 1963 au moment où il rencontre René Clément et qu'il signe pour lui l'une de ses premières oeuvres majeures pour le cinéma. Au sujet de l'importance de cette oeuvre dans sa carrière, Schifrin répond la chose suivante: "Si l'on compare ma carrière à une maison, 'Les Félins' en sont les fondations". Effectivement, 'Les félins' est sur plus d'un point une oeuvre clé qui nous permet de mieux saisir l'évolution du style du talentueux compositeur argentin durant ses 40 ans de carrière dans la musique de film européenne et extra-européenne. Le compositeur nous démontre ici tout son amour pour le jazz et le swing, couplé avec une approche plus contemporaine héritée du langage des musiciens du 20ème siècle comme Olivier Messiaen, Arnold Schoenberg, Pierre Boulez, Witold Lutoslawski, autant de compositeurs qui serviront de modèle et d'inspiration pour le jeune Schifrin. 'Les félins', c'est avant tout un superbe thème principal exposé dès le générique de début, introduit par une guitare basse et des claves et joué par des flûtes jazzy et un clavecin, un instrument ancien remis au goût du jour dans les années 60 grâce à certaines expérimentations des musiciens contemporains (on pense à la 'partita pour clavecin, guitare électrique, guitare basse, harpe, contrebasse concertante et orchestre' de Krysztof Penderecki) et de certains jazzmen qui s'en sont aussi servis dans le jazz. Schifrin ajoute à son thème quelques cordes, des vents et même la présence d'un choeur féminin qui apporte une couleur plus intense au thème durant le générique de début. Un crescendo plus menaçant suggère le climat thriller/suspense du film de René Clément et rompt avec les rythmiques jazzy cool du thème principal, qui annonce très clairement ici le thème de 'Bullitt' (1968). La dernière partie du morceau plonge alors dans l'atonalité obscure, Schifrin maintenant une tension par le biais de dissonances des vents, des cordes, d'une harpe, etc. (la musique accompagne la scène où Marc essaie de semer les gangsters au début du film). On est surpris ici par la qualité et l'inventivité des orchestrations, une inventivité typique de certains musiciens des années 60 (on retrouvera ce genre d'instrumentation un peu insolite chez Jerry Goldsmith à la même époque par exemple) et qui annonce ici aussi certaines futures grandes partitions du compositeur argentin. A noter, pour finir, que Lalo Schifrin fait aussi intervenir dans sa formation instrumentale l'Onde Martenot, un instrument plus moderne hérité à son tour des musiciens 'contemporains' du 20ème siècle (on pense à certaines oeuvres d'Edgar Varèse, à la 'Turangalîla Symphonie' d'Olivier Messiaen, etc.).

Dans 'Prémices d'une découverte', Schifrin prolonge son climat jazzy avec trompettes en sourdine, pizz de contrebasse, batterie, cordes, flûtes, avec un côté délicieusement kitsch à la limite de l'easy listening jazzy. On notera ici la façon dont le compositeur s'amuse à rompre incessamment les élans jazzy de sa musique avec des clusters dissonants qui semblent indiquer un certain climat de menace et de doute. C'est au cours de la seconde partie du morceau que l'on découvre le sympathique thème jazzy de flûtes que reprendront plus tard Jimmy Smith et Claude Nougaro. Ce bref thème très 'sixties' est entendu dans le film lorsque Mélinda alias Jane Fonda entame une danse sensuelle féline devant le miroir où l'observe Vincent. Le compositeur nous fait ici ressentir toute la malice et la grâce féline du personnage de Jane Fonda. Schifrin va même jusqu'à associer un thème de cordes plus intime et romantique à Mélinda et qui évoque ses sentiments pour Marc. Thème au classicisme d'écriture plus romantique et raffiné, 'Mélinda' fait aisément office de 'Love Theme' de la partition tout en conférant au personnage un côté innocent et charmant, un charme qui cache évidemment une malice diabolique. A noter que la seconde partie de 'Mélinda' nous fait entendre le climax de la partition, accompagnant la scène du meurtre de Barbara. Schifrin fait ici monter la tension à l'aide d'un terrifiant crescendo atonal de percussions orientales avec une guitare basse et un crescendo des voix féminines qui semblent hurler à plein poumon, un morceau expérimental et chaotique dont seul Lalo Schifrin semble avoir le secret et qui a apporte à cette scène une puissance incomparable pour un thriller français de ce genre!

On notera l'utilisation d'un hautbois plus intimiste avec une harpe et des cordes dans 'La décision', lorsque Marc séduit Barbara. On notera ici l'utilisation remarquable du clavecin qui apporte un côté mystérieux et sombre au morceau, évoquant en même temps la jalousie de Mélinda à l'égard du succès de Barbara auprès de Marc. Un bref sursaut orchestral nous fait d'ailleurs comprendre que Mélinda traîne dans les parages, épiant les moindres faits et gestes de sa cousine. Evidemment, un bon thriller qui respecte doit nécessairement contenir une grande musique de poursuite, et 'Les félins' ne déroge pas à la règle. 'Poursuite méditerranéenne' fait admirablement monter la tension lors de la scène de la poursuite entre Marc et les gangsters au début du film. On notera ici l'utilisation de la batterie, des cuivres dissonants et d'un piano utilisé dans son registre grave à la manière des partitions thriller du Jerry Goldsmith des années 60/70. Lalo Schifrin apporte ici une violence orchestrale remarquable à la scène, rivalisant aisément avec les grandes partitions thriller de Bernard Herrmann. Schifrin maintient un fort climat de tension et de suspense tout au long du film et ce dès le début de l'histoire. Ainsi, dès la première scène où Marc rencontre Barbara et Mélinda à l'hospice des pauvres, Schifrin nous fait entendre un menaçant motif de 6 notes de clavecin qui sera attribué dans le film aux deux femmes, évoquant leurs sombres desseins (motif curieusement absent de l'enregistrement). On est en plein dans l'atmosphère film noir/polar à l'ancienne dans 'Thème des félins' où le compositeur reprend son superbe thème principal jazzy évoquant la scène où Marc espionne Barbara et cherche à trouver un moyen de quitter la villa. Idem pour 'Marc et son invitée' qui reprend les rythmes frénétiques et la tension de 'Poursuite méditerranéenne' pour une nouvelle pièce de suspense à l'ambiance atonale sans compromis, sans oublier les pizzicati frénétiques de 'Les félins (générique fin)' que l'on entend à deux reprises dans le film et qui créent à leur tour un climat de menace, associé ici à la malice de Mélinda qui, derrière son beau visage d'ange, cache une femme redoutablement rusée et démoniaque. A noter pour finir que le compositeur s'est fait plaisir en écrivant pour 'Blues pour un enterrement' un amusant morceau de blues/big-band rétro pour la scène où Mélinda fait diversion en demandant à Marc d'acheter des fleurs pour l'enterrement de Barbara, pendant qu'elle en profite pour crever un pneu de la voiture et empêcher l'homme qu'elle aime de s'en aller, un morceau dont l'ironie subtile nous renvoie une fois encore ici à la malice de la démoniaque et féline Mélinda.

Premier chef-d'oeuvre incontournable de Lalo Schifrin, 'Les félins' est une partition essentielle dans la carrière du compositeur argentin puisqu'elle pose déjà les fondements de bon nombre de ses partitions dans les années à venir, comme l'explique lui-même le compositeur dans le livret de l'album. 'Les félins' est un superbe hommage à l'ambiance des polars/films noirs hollywoodiens des années 50, où il était d'usage de mélanger jazz et musiques orchestrales plus sombres pour suggérer le suspense et la tension. Schifrin ajoute au film de René Clément une dimension psychologique étonnante, une tension qu'il entretient avec une maestria rare, alors que le compositeur est tout juste âgé de 31 ans. Le thème principal du score est ce genre de mélodie entêtante qui ne quitte pas notre esprit même après une première vision, une preuve essentielle de la qualité du score des 'Félins'. N'ayant pas peur des expérimentations, Lalo Schifrin n'hésites pas à démontrer ici tout son amour pour la musique atonale 'contemporaine' du 20ème siècle, les hurlements des voix féminines pour la scène du meurtre étant là pour en témoigner. Partition subtile, sombre, rythmée et intense, 'Les félins' est une oeuvre forte qui apporte énormément au film de René Clément (le réalisateur a su parfaitement exploiter la musique tout au long de son film tout en l'utilisant avec parcimonie) et qui s'apprécie au bout de plusieurs écoutes, une BO qui libèrera toute sa magie à ceux qui sauront l'écouter avec des oreilles attentives!


---Quentin Billard