1-Sleepers At Wilkinson 3.41
2-Hell's Kitchen 5.23
3-The Football Game 4.09
4-Saying The Rosary 6.53
5-The Trip To Wilkinson 2.35
6-Time In Solitary 4.23
7-Revenge 2.46
8-Michael's Witness 4.09
9-Learning The Hard Way 5.21
10-Last Night At Wilkinson 3.51
11-Father Bobby's Decision 3.56
12-Reliving The Past 3.40
13-Reunion & Finale 5.30

Musique  composée par:

John Williams

Editeur:

Philips/Polygram Records
454 988-2

Album produit par:
John Williams
Monteur de la musique:
Ken Wannberg
Senion VIP pour
PolyGram Soundtracks:
Jacquie Perryman
Directeur du soundtrack
pour PolyGram Classics & Jazz:
Nancy Zannini
Directeur de la musique pour
PolyGram Filmed Entertainment:
Dawn Soler

Artwork and pictures (c) 1996 PolyGram Filmed Entertainment. All rights reserved.

Note: ***1/2
SLEEPERS
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by John Williams
Après 'Disclosure', Barry Levinson retourne dans l'univers du drame en signant 'Sleepers', film très sombre adapté du roman autobiographique de Lorenzo Carcaterra. En 1966, Michael Sullivan (Brad Renfro), Lorenzo Carcaterra (Joseph Perrino), John Reilly (Geoffrey Wigdor) et Tommy Marcano (Jonathan Tucker), quatre gamins du quartier populaire de Hell's Kitchen à New York, tentent ensemble de survivre dans un quartier où la vie est particulièrement dure. Inséparables, les quatre amis jouent au base-ball et multiplient les coups fourrés tout en menant une existence sereine malgré les conditions de vie difficile du quartier. Unis par un lien d'amitié très fort et protégé par la loi du quartier qui bannit la criminalité de façon extrême, les quatre compères arrivent même à devenir les protégés d'un vieux mafieux influent nommé King Benny (Vittorio Gassman) et du père Bobby (Robert De Niro), qui devient une sorte de second père pour Michael et ses amis. Un jour, après avoir tenté de faire une mauvaise farce à un marchant de hot-dog, ils commettent l'irréparable et tuent quelqu'un par accident. Ils sont alors envoyé à la maison de redressement pour jeunes délinquants de Wilkinson Center. Leur vie bascule alors dans l'horreur. Pendant près d'un an, ils subissent régulièrement l'humiliation, la torture et les abus sexuels perpétrés par le sadique Sean Nokes (Kevin Bacon), un dangereux pédophile et ses trois collègues Ralph Ferguson (Terry Kinner), Henry Adison (Jeffrey Donovan). Unis par un pacte qui les oblige à ne rien révéler de ce très lourd secret, même pas au père Bobby qui vient régulièrement leur rendre visite, les quatre compagnons tentent de survivre pendant toute la durée de leur emprisonnement, jusqu'à leur libération. 15 ans ont passé. Michael (Brad Pitt) est devenu procureur, Lorenzo (Jason Patric) travaille dans un journal tandis que John (Ron Eldard) et Tommy (Billy Crudup), qui ont mal tourné tout les deux, sont devenus de dangereux tueurs à gage. Un jour, Tommy et John retrouvent par hasard Sean Nokes dans un bar et l'abattent froidement, amorçant leur sombre vengeance contre ceux qui les ont maltraités durant leur emprisonnement. Ils sont alors traduits en justice. Michael décide de récupérer l'affaire en se présentant contre eux, avec l'objectif secret de faire exprès de perdre le procès pour que vengeance soit faite. De son côté, King Benny, toujours allié aux quatre compagnons, fait engager Danny Snyder (Dustin Hoffman), un vieil avocat alcoolique qui sera chargé de la défense. Le plan de Michael et Lorenzo les amènent alors à demander au père Bobby de faire un faux témoignage devant la cour afin de faire innocenter John et Tommy et de couvrir leur meurtre. Le prêtre va devoir faire face à un très difficile cas de conscience, toute l'issue du procès reposant dorénavant sur ses épaules.

'Sleepers' est un drame sombre et dérangeant, l'histoire de quatre amis qui perdent définitivement leur innocence au cours d'une année cauchemardesque qui les transformera à tout jamais. Le film de Barry Levinson s'intéresse ainsi au thème de la pédophilie, un sujet grave et hélas toujours d'actualité mais traité ici dans le contexte des univers pénitenciers parfois inhumains. Le film s'impose par la qualité de sa mise en scène et un casting de qualité réunissant quelques pointures telles que Brad Pitt, Robert De Niro, Jason Patric, Kevin Bacon, Dustin Hoffman, Vittorio Gassman, Minnie Driver, Ron Eldard, etc. (Kevin Bacon est excellent dans le rôle du gardien de prison pédophile et tortionnaire, d'une cruauté sans nom). Sans jamais tomber dans le racolage et la lourdeur, le film évoque subitement les conséquences d'abus sexuels sur l'existence de quatre amis reliées par une sorte de fil invisible. Mis en parallèle à l'histoire du célèbre 'comte de Monte Cristo' d'Alexandre Dumas père, l'histoire de 'Sleepers' est une énième variante sur le thème de la vengeance avec toujours cette idée très américaine de l'auto justice (le but étant quand même de couvrir un meurtre - on pense immédiatement au 'A Time to Kill' de Joel Schumacher sur un concept relativement similaire) sur laquelle on pourra bien évidemment débattre et discuter pendant des heures. Barry Levinson nous dépeint ici un monde dur dans un film pessimiste, alternant noir et blanc et couleur avec une voix-off qui décrit le récit à la manière d'une oeuvre littéraire. Le réalisateur signe donc avec 'Sleepers' l'un de ses meilleurs films, un long-métrage dur et dérangeant qui laisse après vision un très fort sentiment d'amertume.

John Williams signe pour 'Sleepers' une partition orchestrale teintée de noirceur et d'amertume, à l'image du film de Barry Levinson. Fort de son expérience sur 'JFK' d'Oliver Stone, film sur lequel Williams a expérimenté un excellent mélange inhabituel chez lui entre orchestre et synthétiseurs, le compositeur attitré de Steven Spielberg a décidé de réutiliser ce même genre de mélanges orchestre/synthé sur 'Sleepers', un mélange qui lui permettrait ainsi d'accentuer le style sombre et tragique du film. Fidèle à son habitude, Williams nous offre un thème principal mémorable bien qu'il paraît nettement moins accrocheur que la plupart des grands thèmes dramatiques auquel le compositeur nous a tant habitué. Pourtant, il y a un côté réellement envoûtant dans ce thème qui hante la partition et qui possède un côté à la fois sombre et dur dans ses tournures mélodiques, représentant à merveille cette histoire de souffrances et de vengeance, introduit dès le générique de début du film dans 'Sleepers at Wilkinson' par un cor solitaire, puis repris par les vents et les cordes. S'ajoutent alors une guitare basse électrique et quelques synthétiseurs qui apportent une couleur particulière à la musique, qui oscille entre sérénité, mélancolie et amertume (la basse électrique renforce d'ailleurs ici un certain climat de gravité). Très nuancé, la musique se veut ni trop triste, ni trop menaçante, juste sombre comme il faut. Dans 'Hell's Kitchen', Williams développe un petit motif de cordes/synthé qui semble l'avoir quelque peu influencé pour 'Minority Report' (2003), tandis que des flûtes développent le sombre thème principal, toujours représenté par une certaine lenteur et un caractère froid et légèrement inquiétant, annonçant une suite dramatique.

Si Williams décrit dans un premier temps l'amitié solide qui unit les quatre compagnons, il ne tarde pas à évoque le drame dans 'The Football Game', scène où les quatre amis décident de prendre une revanche temporaire contre Nokes et les autres gardiens au cours du match de football américain en prison. Le morceau s'impose ici par son agressivité orchestrale qui évoque la fureur du double affrontement à la fois sportif et psychologique. Williams fait irrémédiablement monter la tension avec des cordes et des vents dissonants qui résonnent comme une véritable menace, tandis que la seconde partie s'emporte, parcourue par des cordes frénétiques et des percussions agressives. On aura rarement entendu un Williams aussi sombre. 'Saying The Rosary' se distingue du reste de l'orchestre en introduisant des sonorités religieuses avec l'utilisation d'un choeur aux sonorités angéliques et d'un orgue d'église avec l'orchestre et la basse électrique. Le morceau accompagne ici la scène où Lorenzo fait sa prière dans l'église tout en se remémorant d'horribles souvenirs d'abus sexuels perpétrés par Nokes. Loin de tout élan lyrique démesuré, Williams préfère opter pour une approche psychologique plus troublée et pesante, avec l'orchestre au premier plan et la chorale qui évoque la souffrance et l'innocence perdue des quatre amis et le refuge de Lorenzo dans la prière, un très beau passage dramatique et nuancé qui rappelle à quel point John Williams possède décidément tout le savoir-faire pour raconter une histoire en musique - Spielberg a récemment déclaré au sujet de son compositeur favori qu'il était un grand compteur d'histoire à sa manière!

'The Trip to Wilkinson' évoque avec gravité l'enfer que connaissent Michael, Lorenzo, John et Tommy dans la prison de Wilkinson Center, suggérée ici par les sonorités électroniques sombres et le développement du thème aux vents et aux cordes. Prolongeant son approche psychologique du sujet, Williams évoque l'isolement des amis en prison dans l'amer et sombre 'Time in Solitary' (on appréciera ici le travail des cordes) tandis que 'Revenge' évoque les préparatifs de la vengeance des quatre amis avec un motif de synthétiseurs et une utilisation plus étonnante d'un choeur samplé sur synthé avec l'orchestre (comme dans le triste 'Michael's Witness'). L'idée de revanche est ici exprimé de manière sombre, avec cet ostinato mélodique de synthé qui semble évoquer l'inexorabilité de la vengeance. Williams évoque aussi avec une efficacité redoutable les maltraitements que reçoivent les quatre compagnons en prison dans 'Learning The Hard Way' où l'atmosphère psychologique du début cède la place à une climat d'atonalité quasi horrifique avec rythmique électronique, synthé, percussions, glissendi de cordes lugubres, dissonances, clusters, etc. L'horreur de la torture et des abus sexuels transparaît ici à travers la musique de Williams, qui évite tout écueil larmoyant pour évoquer le plus durement possible la gravité de la séquence du viol avec l'un des morceaux les plus sinistres et les plus noirs de tout le score de 'Sleepers'.

'Father Bobby's Decision' développe le motif de cordes plus dramatique associé au père Bobby alors que ce dernier doit prendre une décision capitale vis-à-vis de ses jeunes amis, tandis que 'Reliving The Past' nous permet de retrouver le côté lugubre et atonal de 'Learning The Hard Way' avec batterie, rythmiques électroniques, cordes, cuivres et vents pour une nouvelle évocation des douloureux souvenirs d'un passé que chacun cherche ici à oublier. Evidemment, 'Reunion and Finale' pourrait presque faire office de happy-end si le film ne se finissait pas sur une touche d'amertume malgré l'accomplissement de la vengeance. Williams libère enfin la tension avec un final où l'orchestre résonne de manière plus apaisé et plus harmonieuse, tandis que le thème principal revient une dernière fois aux cors et aux vents comme pour nous rappeler le côté à la fois sombre et dramatique du film de Barry Levinson.

Au final, même si 'Sleepers' est loin de faire partie des chefs-d'oeuvre de John Williams, il n'en demeure pas moins un excellent score témoignant une fois encore du talent du compositeur, même sur des sujets auquel il n'est pas forcément habitué. Williams a apporté au film de Barry Levinson une noirceur et une amertume poignante qui coïncident à merveille à l'atmosphère sombre et noire du film. Désireux de ne jamais se laisser emporter dans des élans orchestraux mélodramatiques, Williams sait tempérer sa musique tout en nous proposant quelques passages plus inquiétants et emportés où l'horreur du quotidien des quatre enfants à la prison de Wilkinson Center trouve écho dans le style psychologique et tourmenté de la musique de John Williams, qui n'en fait jamais ici de trop et prend une certaine distance par rapport aux images tout en étant malgré tout à fond dans le sujet, évoquant le traumatisme, la souffrance, la vengeance, etc. La pertinence de l'atmosphère musicale qui se dégage à l'écran est sans aucun doute un signe de qualité qui fait de 'Sleepers' une excellente partition hélas trop souvent sous-estimé, tout en restant malgré tout difficile d'accès et réservé à ceux qui préfèrent le côté plus dramatique, introspectif et noir du style musical de John Williams.


---Quentin Billard