1 - 8 Ju-On 42.13

Musique  composée par:

Christopher Young

Editeur:

Varèse Sarabande
VSD-6623

Produit par:
Flavio Motalla,
Christopher Young

Producteur exécutif pour
Varèse Sarabande:
Robert Townson
Chargé de la musique pour
Columbia Pictures:
Lia Vollack
Coordinateurs du score:
Sujin Nam,
Martin St Pierre

Design de la musique électronique:
Jonathan Price
Programmeurs des synthétiseurs:
David Russell, Max Blomgren
Montage de la musique:
Thomas Milano
Préparation de la musique:
Robert Puff Music
Assistant de Christopher Young:
Samantha Barker

Artwork and pictures (c) 2004 Columbia Pictures Industries, Inc. All rights reserved.

Note: ***1/2
THE GRUDGE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Christopher Young
Incontestablement, ‘Ring’ a relancé la mode des films d’horreur au Japon. Des réalisateurs comme Kiyoshi Kurosawa (‘Kaïro’) ou Takashi Shimizu se sont à leur tour intéressé au genre du film d’horreur depuis le succès du célèbre ‘Ring’ d’Hideo Nakata en 1998. Takashi Shimizu suit les traces de ce dernier et nous livre une saga horrifique intitulée ‘Ju-On’, organisé autour d’une trilogie (le prochain épisode devant être réalisé courant 2005). Devant le succès éclatant de ‘Ju-On’ au Japon, Hollywood s’est comme d’habitude empressé de préparer un remake du film de Shimizu destiné au public américain. Petite particularité: c’est le réalisateur japonais lui même qui a été engagé par les producteurs américains pour réaliser le remake de son propre film, chose assez rare qui méritait quand même d’être souligné. Produit par l’un des papes du film d’horreur ‘eighties’ Sam Raimi, ‘The Grudge’ s’avère être dans la continuité parfaite du film d’origine de Takashi Shimizu. Ainsi, pour les besoins dramatiques du film, les producteurs ont décidés de conserver les décors japonais du film d’origine, de même que certains acteurs de ‘Ju-On’ ont repris leur rôles d’origine dans ‘The Grudge’. L’histoire se déroule dans une petite maison de Tokyo, qui renferme un terrible secret: une malédiction diabolique qui touche tout ceux qui pénètrent la maison et les pourchasse partout où ils vont jusqu’à leur mort. Après la disparition mystérieuse de plusieurs personnes, une jeune étudiante américaine nommée Karen Davis (Sarah Michelle Gellar), venue faire ses études au Japon avec son fiancé Doug (Jason Behr) se retrouve à son tour impliquée dans cette terrible histoire lorsque son employeur lui demande de remplacer une aide à domicile disparue mystérieusement il y a quelques jours. En pénétrant la maison maudite, Karen ignore encore qu’elle va se retrouver liée à une chaîne de terreur inexorable qui continue de faire des victimes, et ce alors que la police japonaise commence à s’intéresser à l’affaire. Pour la jeune fille, il s’agit désormais de comprendre les causes de cette terrifiante malédiction avant qu’il ne soit trop tard.

‘The Grudge’ accumule ainsi toutes les recettes habituelles du genre englobée dans une esthétique japonaise typique de cette nouvelle génération de films d’horreur nippons: ici, pas de gore, pas de sang, juste une atmosphère de peur pure et sourde qui fonctionne sur les sursauts, la suggestion, le suspense, l’angoisse, etc. Le rythme lent du film nous renvoie imperturbablement à l’esthétique du ‘Ring’ d’Hideo Nakata, avec des personnages terrorisés et une froideur émotionnelle typiquement japonaise dans le film. Seul inconvénient, cette énième histoire de fantôme et de malédiction reste trop proche de ce qu’a pu faire Nakata sur ‘Ring’ et ‘Dark Water’, et l’on a même bien du mal à croire que Takashi Shimizu ne s’est pas inspiré du film de Nakata pour faire ‘The Grudge’ (et ce même si ‘Ring’ est loin d’avoir tout inventé dans le genre!). Du coup, malgré un bon casting - Sarah Michelle Gellar s’impose une fois de plus en star de l’horreur, face à quelques bons seconds rôles comme Bill Pullman, Clea DuVall, Jason Behr et même Ted Raimi, le frère de Sam Raimi – une mise en scène correcte et une bonne ambiance de terreur, ‘The Grudge’ laisse un fort sentiment de déjà vu, un film très stéréotypé et quelconque qui laisse un peu sur notre faim. On aurait peut-être aimé un peu plus d’originalité, un peu plus de surprise.

‘The Grudge’ marque le retour très attendu de Christopher Young dans le style horrifique, un genre auquel le compositeur a redonné ses lettres de noblesse à travers de grandes partitions comme ‘Hellraiser’, ‘The Fly II’, ‘Urban Legend’ ou bien encore ‘Bless The Child’, etc. C’est aussi la première participation du compositeur à un remake d’un film japonais (pour la petite histoire, c’est à la demande Sam Raimi que Chris Young s’est retrouvé engagé pour ‘The Grudge’. Le compositeur avait déjà participé à un ancien film de Raimi, ‘The Gift’). Pour ‘The Grudge’, Christopher Young a du se plier aux exigences du réalisateur qui souhaitait une musique atmosphérique sans aucun élément mélodique, une caractéristique majeure des musiques de film d’horreur japonais. Shimizu, ayant déjà entendu certaines musiques précédentes du compositeur, demanda même à Young de ne pas composer quelque chose dans le style de ce qu’il avait pu faire auparavant sur d’anciens films d’horreur. Pour Young, il n’était pas forcément question d’innover mais de trouver une autre façon de construire sa partition. Pour cela, il lui fallut tout d’abord prendre un certain parti-pris instrumental en excluant par exemple les cuivres et en mettant l’accent sur les cordes, les traditionnels effets électroniques, les percussions (incluant glockenspiel, célesta, piano, cloches), une harpe, deux contrebassons et la présence d’une voix féminine fantomatique. Le thème principal du score est exposé dès le ‘Main Title’ du film, une sorte de petite valse lente et mystérieuse confiée à des cordes et une harpe, accompagnée d’un intrigant motif de 5 notes de piano qui crée un véritablement climat de mystère pur dans cette excellente introduction (rendue étrange par ces images de cheveux qui semblent envahir l’écran). Le second thème est entendu par la suite, un thème plus intime et mélancolique confié à un piano et des cordes associé à Karen.

Le thème principal et sa mystérieuse mélodie à 3 temps semble en dire long sur le côté angoissant du film. L’introduction de la voix féminine lointaine de la chanteuse Tiffany Gyomber suffit déjà à évoquer une angoissante présence fantomatique, sur fond de sonorités électroniques inquiétantes et de cordes sombres. Dès la seconde partie (le score se divise en 8 parties sans titres sur l’album publié par Varèse Sarabande), Young nous fait clairement comprendre la direction que va prendre sa musique dans le reste du film: cordes lugubres, clusters, effets de gargouillis de pizzicati de cordes, nuages de sons, nappes sonores dissonantes, cordes stridentes, sursauts, etc. Young s’inspire de la musique avant-gardiste des années 50/60 et nous offre une partition macabre et lugubre que le compositeur résume comme une sorte de ‘brouillard musical noir’, une expression parfaite pour résumer la nouvelle partition horrifique du compositeur. La seconde partie évoque ici les premiers méfaits du fantôme qui hante la maison japonaise dans le film, avec son lot de suspense glacial et de sursauts de terreur pure. Si la 3ème partie nous donne à réentendre le thème mélancolique de piano associé à Karen (et qui évoque de part son côté doucement amer son mal du pays), la 4ème partie nous replonge très vite dans une atmosphère de suspense glacial lié à la sinistre malédiction, suggérée ici par les clusters, les glissendi sonores, les effets sonores étranges et un rappel du motif principal au piano. C’est ce jeu constant sur les masses sonores qui donne à la musique son côté macabre et inquiétant dans le film, suggérant la présence d’une entité surnaturelle, un esprit malveillant et maudit.

La 5ème partie dévoile un étrange motif de boîte à musique qui semble lui aussi lié mystérieusement à la malédiction (un indice musical que nous laisse le compositeur au sujet de l’origine de ce maléfice de terreur). Quand à la 6ème partie, il s’agit d’une nouvelle exploration du matériau de suspense agrémentée ici d’effets électroniques particulièrement sinistres (on pense à certains passages de ‘A Nightmare on Elm Street II’ ou ‘Hellraiser’ par moment) avec sursauts de terreur, effets de cordes en tout genre et climat glacial parfait pour le film. A noter ici une bonne idée: une reprise du motif principal à 3 temps joué par un piano désaccordé, une autre façon de plonger le spectateur/auditeur dans un climat de malaise total et de suggérer la peur et l’angoisse des différents protagonistes du film. La partition atteint son climax dans l’immense 7ème partie, plus de 12 minutes de terreur pure dans laquelle le compositeur dévoile explicitement ses allusions à la musique avant-gardiste atonale de Krzysztof Penderecki et plus particulièrement deux de ses oeuvres, ‘Thrènes pour les victimes d’Hiroshima’ et ‘Polymorphia’. Le morceau accompagne la séquence où Karen découvre enfin toute la vérité au sujet de la malédiction et affronte une dernière fois le fantôme dans la petite maison maudite. Impressionnante, cette 7ème partie pourrait se résumer comme une sorte de parfait condensé de la musique de ‘The Grudge’, avec effets divers de cordes (dissonances multiples, nuages de sons, clusters, effets de pizzicati, glissendi, jeux sur les quarts de ton, etc.), crescendo de tension, effets électroniques macabres, voix féminine fantomatique, glockenspiel étrange et lointain et sentiment de malaise constant. Young se lâche véritablement nous propose 12 minutes de terreur quasi non-stop (à noter qu’un passage extrêmement macabre à partir de 2.32 fait penser aux ‘Scream’ de Marco Beltrami). La musique semble ramper de manière menaçante, Young entamant un sinistre et long crescendo de suspense débouchant sur un véritable magma sonore chaotique et cauchemardesque d’une intensité redoutable, absolument parfait à l’écran. Le film se conclura de manière plus calme pour le générique de fin avec une dernière reprise du mystérieux thème principal à 3 temps.

S’il est clair que ‘The Grudge’ est loin d’être le nouveau chef-d’oeuvre horrifique de Christopher Young, il n’en demeure pas moins une oeuvre réussie qui prouve à quel point le compositeur est particulièrement à l’aise dans le registre des musiques d’horreur glaciales. Young a apporté au film de Takashi Shimizu l’atmosphère macabre essentielle en élaborant un véritable travail de masse sonore articulé autour de quelques motifs utilisés discrètement dans le film. L’album ne retient que les 42 minutes essentielles du score, ce qui est plutôt pas mal étant donné le côté très répétitif de la musique dans le film. On est loin ici du style de ‘Hellraiser’ ou ‘Bless The Child’, Young ayant du explorer un style plus avant-gardiste et traditionnel dans la lignée des musiques atonales de Penderecki, Xenakis, Scelsi ou Ligeti. Partition lugubre, macabre et envoûtante, ‘The Grudge’ mérite d’être appréciée à sa juste valeur, tant le compositeur nous prouve une fois encore tout son talent pour élaborer des atmosphères sinistres et glaciales comme on les apprécie tant chez lui!


---Quentin Billard