1-Main Title/Trinity Infinity 3.53
2-Unable To Speak 1.13
3-The Power Plant 2.40
4-Welcome To The
Real World 2.25
5-The Hotel Ambush 5.22
6-Exit Mr.Hat 1.20
7-A Virus 1.32
8-Bullet-Time 1.09
9-Ontological Shock 3.31
10-Anything Is Possible 6.48

Musique  composée par:

Don Davis

Editeur:

Varèse Sarabande
VSD-6026

Produit par
Don Davis
Producteur exécutif:
Robert Townson
Directeur en charge de
la musique pour Warner Bros:
Gary Lemel, Doug Frank
Monteurs de la musique:
Lori Eschler-Frystak,
Jordan Corngold,
Brenda Heins

Artwork and pictures (c) 1999 Warner Bros. All rights reserved

Note: ****1/2
THE MATRIX
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Don Davis
A l'heure où le 'Revolutions' conclut la désormais célèbre trilogie des frères Wachowski, il est bon de revenir à la source, où tout a commencé. En 1999, 'The Matrix' devenait un film culte d'une nouvelle génération de cinéphiles, imposant des effets spéciaux jamais (ou rarement) vu auparavant (la technique du fameux 'Bullet-Time' a même été brevetée pour les besoins du film - la plupart des cinéastes hollywoodiens d'aujourd'hui imitent désormais cet effet de mise en scène) et une intrigue philosophique très astucieuse, basée sur la discussion autour de la différence entre le sensible et l'intelligible. Il faut croire que 'The Matrix' a passionné même ceux qui, d'ordinaire, ne sont pas attirés par ce style de cinéma à grand spectacle. On a ainsi vu se former des forums entiers de philosophes et intellectuels débattant sur le fond du film et ses enjeux philosophiques. Certains prennent même position pour une théorie ou une autre: et si la matrice n'était pas aussi négative qu'on veut bien nous le faire croire dans le film? Et si la réalité n'était effectivement qu'un simple signal électrique transmis à notre cerveau? Dans ce cas, comment savoir si ce que nous vivons est la réalité ou un autre monde que notre cerveau ne serait pas en mesure d'appréhender. L'intrigue paraît simple, mais elle est astucieusement ouverte à de nombreux débats passionnants.

Avec 'The Matrix', on nous apprend que les hommes sont piégés dans la matrice, source de toutes les questions durant le film. Thomas A. Anderson (Keanu Reeves), modeste employé dans une entreprise d'informatique, est un jour contacté par le mystérieux pirate informatique connu sous le pseudonyme de Morpheus (Laurence Fishburne). Dans son 'existence' informatique, Anderson s'appelle Neo. C'est par le biais d'un message de son ordinateur que Neo entend parler de la 'matrice'. Surgit alors l'intrigante Trinity (Carrie-Anne Moss) qui amène Neo jusqu'à Morpheus, à la seule condition qu'il accepte de suivre toutes ses directives. Le spectateur ne peut alors s'empêcher de se poser la même question que Neo: qu'est-ce que c'est la matrice? Très vite, le mystérieux Morpheus rencontre enfin Neo et lui promet des réponses s'il suit tout ce qu'il lui dit. S'il veut découvrir ce qu'est la matrice, il devra l'explorer par soi-même. Neo renaît à l'intérieur de la matrice et découvre un univers terrifiant, dominé par des machines. Ces machines cultivent l'homme dans d'immenses champs, comme un fermier cultiverait des pommes de terrer. Face à l'horreur de cette situation, Neo comprend enfin que toute existence soi-disant 'réelle' n'était qu'un gigantesque mensonge orchestré par l'immense matrice à l'espace infini. On apprend ainsi qu'à l'aube du nouveau siècle, l'humanité s'est éteinte au cours d'une guerre nucléaire. Les quelques rares survivants sont partis se réfugier dans la cité de Zion, unique repère des derniers survivants de la catastrophe. Ce sont les machines qui ont pris le contrôle du monde, soumettant à l'homme une fausse réalité illusoire censée les contrôler pour de bon. Pourtant, une prophétie raconte qu'un homme surgira un jour de la matrice et réussira à prendre le dessus. Cet homme, c'est l'élu. Morpheus est ainsi parfaitement convaincu que Neo est 'l'élu', celui qui délivrera les hommes de la tyrannie des machines. Mais Neo a encore du chemin à faire. Il doit apprendre à libérer son esprit, et à maîtriser ses nouveaux pouvoirs dans la matrice. Pendant ce temps, les agents, des programmes-tueurs envoyés par la matrice, traquent constamment Neo dans la matrice, afin de l'éliminer pour de bon. L'agent Smith (Hugo Weaving) recherche quand à lui les codes qui lui permettront de s'introduire dans Zion. Le combat fera rage entre les humains et les agents, que rien ne semble pouvoir arrêter.

Don Davis débuta sa collaboration avec les frères Wachowski avec le sinistre 'Bound' en 1996. Avec 'The Matrix', Davis débute la trilogie d'une façon bien sombre. Cette partition se réclame de la tendance post-moderniste, épousant le style de la musique 'contemporaine' du 20ème siècle. On y retrouve le style d'un Lutoslawski, d'un Penderecki, d'un Boulez voire d'un Ligeti. Pour ce premier score, Davis ménage sa thématique et suggère un thème basé sur une réponse entre cors/trombones et trompettes. Ce thème en 'écho' suspendu évoque à merveille l'idée d'espace infini suggéré par l'immensité de la matrice. Il s'agit sans aucun doute de l'un des plus grands thèmes musicaux de cinéma de cette fin du 20ème siècle, dans le sens où il évoque immédiatement tout l'univers du film, fortement ancré dans les images et les visuels de 'Matrix'. Pourtant, le thème n'a rien de mélodique et passera même inaperçu à la première écoute. Ceci nous prouve qu'un thème fort n'a pas forcément besoin d'être constitué d'une succession de notes faciles à mémoriser. Tout le reste du score va s'attacher à décrire une ambiance orchestrale sombre, et ce dès le début du film, avec 'Main Title/Trinity Infinity'. Après une exposition du motif principal intrigant, Davis nous replonge dans l'atmosphère noire de 'Bound', avec des cordes tendues, agitées, des cuivres dissonants, quelques effets électroniques métalliques. On sent d'entrée de jeu une certaine noirceur qui caractérise si bien la partition de 'Matrix'. Le tempo action de la poursuite entre Trinity et les agents est carrément renversant. Davis amorce ici l'un de ses premiers déchaînements orchestraux avec ses percussions métalliques et ses cuivres tonitruants. La menace des agents devient plus forte dans l'horrifiant 'Unable To Speak' (Neo n'a plus de bouche pour parler - les agents en profitent pour mettre un mouchard dans son ventre), pièce orchestrale cacophonique dans la lignée des oeuvres avant-gardistes d'un Xenakis, d'un Penderecki ou d'un Günther Becker.

La tension monte d'un cran dans l'impressionnant 'The Power Plant', typique du style orchestral de Davis. Des tenues de cordes et cuivres dissonants imposent une ambiance infernale et chaotique. Les fameuses montées en paliers de demi-tons si chères à Don Davis imposent ici un sentiment d'horreur. Surgit alors un choeur ténébreux lors de l'inquiétante découverte des champs des machines où naissent les hommes. La présence des machines est alors suggérée par quelques effets électroniques étranges, le morceau sombrant ensuite dans le chaos total lors d'un inquiétant déchaînement orchestral plein de fureur, preuve du talent d'écriture et de la virtuosité du compositeur californien. Neo arrive enfin dans le 'monde réel' avec 'Welcome To The Real World', imposant une ambiance plus calme mais toujours aussi mystérieuse. Nous sommes encore dans le contre-coup de l'horrible naissance de Neo. On sent que les réponses tardent à venir. C'est pourquoi Davis maintient encore une certaine tension avec quelques tenues de cordes rappelant 'Bound', et l'utilisation d'une envoûtante voix de garçon soprano, lorsque Neo se repose, Morpheus et ses compagnons s'occupant de revivifier son nouveau corps qui n'est pas encore totalement opérationnel.

On arrive alors à l'un des grands moments du score de 'The Matrix', le puissant 'Hotel Ambush', débutant avec un rythme de congas/tambourin et quelques traits rythmiques pour la séquence de l'embuscade de l'hôtel. De nouvelles montées de demi-tons aux cordes puis aux cuivres suggèrent le fait que quelque chose cloche. Soudain, ils comprennent que les agents leur ont tendu un piège. On retrouve alors le rythme pressant des percussions métalliques du 'Main Title', des cordes agitées et des cuivres agressifs. La deuxième partie du morceau, nettement plus impressionnante, suggère un climat de suspense suffocant. L'ambiance se veut ici extrêmement sombre et menaçante, un canevas orchestral sous pression, prêt à exploser d'un moment à l'autre, jusqu'au déchaînement orchestral final où ressurgit une nouvelle variante du thème principal de l'écho des cuivres (on en vient même à regretter le fait que le morceau ait été amputé d'une bonne minute de musique). Pour Don Davis, c'est l'occasion ici de revisiter son matériau orchestral de 'Bound'.

L'approche noire voulue par Davis sur ce film est absolument renversante. On aura rarement put entendre une musique aussi sombre sur un tel film de science-fiction, privilégiant plus souvent une musique plus conventionnelle, plus hollywoodienne, et ce même si le score de 'Matrix' est loin d'être révolutionnaire en soi. Un morceau comme le puissant 'Exit Mr.Hat' prouve l'amour du compositeur pour l'écriture atonale avant-gardiste et impose cette atmosphère sombre et violente, tellement caractéristique de ce premier opus. 'Exit Mr.Hat' (astucieuse anagramme de 'The Matrix') accompagne la séquence du premier affrontement entre l'agent Smith et Morpheus, pour le final de la séquence de l'hôtel. Après une brève introduction mystérieuse, les trompettes imposent un certain malaise avec une nouvelle montée par palier de demi-tons, un effet musical qui caractérise lui aussi l'ensemble de la partition de 'The Matrix'. On aurait presque l'impression d'avoir à faire ici à une musique de film d'horreur moderne, comme Davis en fera dans l'excellent 'House on Haunted Hill'. Le combat prend une tournure réellement furieuse avec des trombones sur un monnayage rythmique en demi-tons. Dans 'The Matrix', le chromatisme est synonyme de menace, d'oppression, de terreur. Il évoque tout ce que la matrice possède de néfaste, résumée à travers la figure allégorique des agents, sorte de cerbères de cet enfer cybernétique, des garde-fous programmés pour tuer quiconque s'opposerait à la volonté des machines.

'A Virus' impose d'entrée de jeu une atmosphère plus pesante avec des sonorités électroniques évoquant une fois encore la menace des agents. Rapidement, le morceau prend une tournure plus rythmée avec un des motifs de cuivres/cordes (4 notes descendantes et répétées rapidement) que l'on retrouvera amplifié dans 'The Matrix Reloaded', un motif simplement associé ici au passage dans la matrice, lors de la séquence de la préparation des armes. On entre dans la dernière partie du film avec 'Bullet-Time' accompagnant la fameuse séquence du même nom, marquant l'affrontement entre Neo/Trinity/Morpheus et les agents sur le toit de l'immeuble. A noter que la fameuse séquence du 'Bullet-Time' est de nouveau accompagné par une variante du motif principal aux cuivres, motif qui prend ici toute sa dimension dans l'idée temporelle en suspension, qu'il cherche à évoquer. En fait, le thème devient ici l'expression de l'hyper malléabilité de la notion d'espace et de temps dans la matrice. Quoi de plus naturelle que d'évoquer cette idée en écrivant un motif basé sur une idée de notes suspendues mais pas trop (d'où l'idée de l'écho et de la profondeur du champ temporel). Ceci est la preuve flagrante que le thème de 'Matrix', anodin en apparence, prend une tournure de plus en plus captivante et passionnante sur les images du film.

L'action se prolonge avec l'excitant 'Ontological Shock', pour la séquence de l'hélicoptère de Trinity. Davis privilégie ici les cordes et les cuivres lors d'un impressionnant morceau d'action de près de 3 minutes, plus conventionnel dans sa forme. A noter ici l'excellente écriture des cuivres, et plus particulier lors de cet étonnant -mais bref - passage d'arpèges majeurs de trombones sur un fond plus dissonant et chaotique. La mise en place rythmique des cuivres tient ici du tour de force orchestral, et ce même si 'Ontological Shock' sera très vite battu en puissance par d'autres déchaînements orchestraux plus saisissants dans le second et le troisième opus. Le final du morceau, qui prend une tournure plus héroïque, évoque la révélation. Neo est bel et bien l'élu, et il l'a prouvé en sauvant Trinity et Morpheus. A noter ici une très brève allusion à ce qui sera le futur 'Love Theme' entre Neo et Trinity.

Conclusion grandiose comme il se doit, le superbe 'Anything Is Possible' débute sur une ambiance noire évoquant la mort de Neo. Puis, de cette atmosphère sombre surgit quelques harmonies plus consonantes, alternant majeur et mineur. L'ambiance harmonique de 'Anything Is Possible' se veut plus lumineuse, accompagnant la scène où Trinity embrasse Neo, lui avouant son amour. C'est la force de cet amour qui ressuscitera Neo et concrétisera la prophétie: Neo est l'élu, venu pour sauver les hommes et mettre fin au règne de terreur des machines. Le choeur surgit pour célébrer l'accomplissement de la prophétie dans un final victorieux et plein d'espoir, annonçant déjà les parties plus 'spirituelles' de 'Matrix Reloaded' et surtout 'Matrix Revolutions'. Un bref passage chaotique évoque la menace des sentinelles attaquant le vaisseau de Morpheus, le Nabuchadnezzar. Puis, très vite, le calme revient, suggéré par une dernière reprise très discrète du 'Love Theme' entre Neo et Morpheus, lorsque l'élu revient dans la réalité. La boucle est bouclée lorsque Don Davis reprend brièvement ces traits de cordes et une ultime variante du motif principal qui ouvraient le film de façon bien mystérieuse.

'The Matrix' est une partition orchestrale passionnante, le genre de musique que l'on n'appréciera pas forcément à la première écoute, et qui nécessite une attention toute particulière, nécessaire si l'on souhaite apprécier toute la qualité du travail complexe fourni par Don Davis sur ce premier opus d'une saga déjà mythique. Avec une approche musicale radicalement sombre et sans concession, Don Davis impose d'entrée de jeu le ton sombre si particulier à l'univers de 'Matrix'. Le compositeur en profite aussi pour amorcer ses quelques thèmes qui trouveront leur concrétisation dans 'Matrix Reloaded' et 'Matrix Revolutions'. Pour Davis, la différence entre la réalité et la matrice est extrêmement floue: l'un comme l'autre sont accompagnés par les mêmes schémas musicaux, comme pour rappeler un seul et unique objectif: le combat contre les machines. A l'heure où sort le troisième volet de la saga, il est bon de revenir à la source, là où tout a commencé. Fabuleux score atonal, sombre, puissant et plein de fureur, 'The Matrix' est une partition rare dans l'univers musical hollywoodien très codifié, un score qui se bonifie avec le temps, preuve de l'immense talent de l'un des meilleurs compositeurs hollywoodiens de cette nouvelle génération.


---Quentin Billard