Après avoir fait un détour du côté d’un sujet dérangeant sur l’histoir du Marquis de Sade (‘Quills’, avec Kate Winslet et Geoffrey Rush), le très versatile Philipp Kaufman retourne à l’univers du thriller policier avec ‘Twisted’ (Instincts Meurtriers), un genre qu’il avait déjà abordé en 1993 avec ‘Rising Sun’ (Soleil levant). ‘Twisted’ évoque l’histoire de la détective policière Jessica Shepard (Ashley Judd), récemment promue inspectrice à la criminelle grâce à l’appui de son mentor, le commissaire John Mills (Samuel L. Jackson). Après l’arrestation brutale d’un assassin qui se plaint d’avoir été battue par la policière, Jessica s’est forgé une réputation de femme au caractère trempé qui cache un tempérament agressif. Hantée par le passé de serial killer de son père, Jessica doit suivre régulièrement une thérapie auprès du Dr. Frank (David Strathairn) afin de déterminer si oui ou non elle est apte à accomplir parfaitement son travail et à surmonter ses émotions. Mais sa manie du libertinage et de l’alcool finit par aller trop loin le jour où, en enquêtant sur un homicide, elle découvre que la victime était un homme rencontré dans un bar avec lequel elle venait de coucher quelques jours plus tôt. Peu de temps après, un second cadavre et une nouvelle certitude: elle connaissait là aussi la victime pour avoir déjà couché avec lui, et ainsi de suite. Les indices s’accumulent alors que tout semble rappeler le dossier sur la mort de son père, mais Jessica souffre de mystérieux trous de mémoire alors qu’elle s’effondre régulièrement chez elle à chaque moment où un meurtre est commis. Jessica comprend qu’elle est le lien entre toutes ces victimes et qu’elle est aussi elle-même son principal suspect. Angoissée à l’idée de devenir une meurtrière comme son père, Jessica sombre dans l’angoisse, affolée à l’idée d’être l’assassin de toutes ces victimes.

Voilà une intrigue plutôt intéressante pour un polar sans surprise, un thriller de consommation d’une grande banalité (Philip Kaufman nous a pourtant habitué à mieux!). Ashley Judd domine l’ensemble du film en imposant un jeu entre impulsivité et tourments, faisant planer le doute tout au long du film sur sa culpabilité. L’actrice est aussi entouré d’un bon casting incluant des têtes d’affiche comme Andy Garcia et Samuel L. Jackson, sans oublier quelques habitués des seconds rôles comme Leland Orser, David Strathairn ou Mark Pellegrino. Si le suspense s’avère être efficace avec son atmosphère lugubre et oppressante, le film s’épuise très vite dans la dernière partie, les quelques rebondissements (parfois un peu tirés par les cheveux) n’arrivant pas à relever le niveau d’un thriller qui s’embourbe très vite dans la routine et la banalité hollywoodienne. Dommage, car avec une intrigue pareille, on aurait pu s’attendre à un film bien plus passionnant!

Mark Isham signe pour ‘Twisted’ un score atmosphérique comme il a l’habitude d’en composer depuis de nombreuses années déjà. Sans surprise, le score de ‘Twisted’ réunit les différents éléments propres au style du compositeur: une trompette vaguement jazzy en introduction (comme dans ‘Losing Isaiah’ et d’autres films du même genre), des cordes atmosphériques, des sonorités électroniques sombres et mystérieuses, un climat lent et lugubre, etc. Le film s’ouvre au de la trompette de Mark Isham dans ‘The City’, accompagné par des tenues de cordes, de synthé, des pizz de contrebasses et quelques petites percussions discrètes. Sombre et mystérieuse, cette introduction nous plonge dans une atmosphère particulière qui annonce un film au climat résolument noir. Le thème principal fait son entrée dans ‘The Box’, caractérisé par son côté harmonique sombre avec guitares, cordes et synthé. A noter que le compositeur a ici restreint sa palette orchestrale, choisissant de n’utiliser que les cordes avec quatre cors, le reste étant confié à des instruments solistes, des effets sonores divers (comme l'utilisation d'un piano préparé à la John Cage) ou des synthétiseurs. Minimaliste, la partition de ‘Twisted’ l’est assurément. Le thème principal est développé tout au long du film, associé aux tourments et aux doutes de Jessica Shepard au sujet de son lien avec les victimes des crimes sur lesquels elle enquête. ‘I’m My Own Best Suspect’ est par exemple tout à fait révélateur de ce côté sombre et mystérieux, avec des percussions électroniques et une série de sons divers entourant des cordes atmosphériques symbolisant le suspense, l’inquiétude. Un morceau comme ‘Blackout’ avec son énième rappel du thème principal avec ses synthés, ses cordes et ses guitares rappelle le tempérament confus de Jessica lorsqu’elle plonge dans des mini comas après quelques soirées un brin trop arrosées. On retrouve ses sonorités métalliques/électroniques dans ‘An Old Flame’ où les percussions électroniques martèlent un rythme plus soutenu limite ‘action’, le suspense devant de plus en plus présent (à noter que l’on retrouve par moment les sonorités électroniques issues de l’excellent score de Isham pour ‘Fire in the Sky’).

Le compositeur privilégie toujours des ambiances lentes et quasi oppressantes comme c’est le cas pour une scène de cauchemar dans ‘Nightmares’ avec ses sonorités électroniques/métalliques et son atmosphère glauque fonctionnant plus sur les bruitages que sur les instruments de l’orchestre. Idem pour le sombre ‘Get Away From Me’ illustrant les tourments de l’héroïne, toujours basé sur des variantes du thème et des effets sonores inquiétants, que l’on retrouve dans le tendu ‘An Old Flame Dies’ lors de la découverte du nouveau cadavre d’un ancien amant de Jessica, agrémenté au passage de quelques percussions que l’on retrouve dans ‘The Biggest Test of Your Life’ pour l’un des quelques rares passages d’action du score, principalement basé ici autour de percussions en tout genre. La partie suspense atteint son apogée dans le très noir ‘A Toast To Your Partner’ pour la confrontation finale, qui se prolonge dans le bref morceau d’action ‘The Docks’ de nouveau basé sur les percussions, suivi de l’atmosphérique et sinistre ‘Cigarette Burn’ et ses effets électroniques hérités de ‘Fire in the Sky’, le morceau s’achevant sur une touche plus optimiste avec cordes, cors et synthé dans l’apaisant ‘You Are The One’.

Vous l’aurez donc compris, ‘Twisted’ est un score sans surprise signé par un compositeur très versatile adepte des ambiances sombres et lentes. Cette fois-ci, Mark Isham nous livre un score peu inspiré qui n’échappe malheureusement pas à un certain ennui, une partition sans surprise tellement anecdotique qu’il est fort à parier que les auditeurs l’oublieront très vite. Après une série de récentes déceptions (‘Don’t Say a Word’, etc.), Mark Isham continue de décevoir en signant des musiques sans inspiration sur des films non moins peu inspirés. Reste à espérer que le compositeur va enfin se décider à sortir de sa torpeur pour nous livrer un score de qualité digne de ce nom!


---Quentin Billard