1-Fragments of a Prayer 15.23*
2-Eternity's Sunrise 10.54*
3-"War, He Sung, Is
Toil and Trouble" from
Alexander's Feast 4.43**
4-Mahler: Nun Will Die
Sonn' So Hell Aufgeh'n
(Kindertotenlieder) 5.32***
5-Threnody for the Victims of Hiroshima (1959-61) 9.57+
6-Song of the Angel 4.37*
7-The Lamb (for
String Orchestra) 3.20*
8-Mother and Child 12.39*
9-Mother of God, Here I Stand
(for String Orchestra) 3.32*

*Composé par John Tavener
**Composé par G.F. Handel
***Composé par Gustav Mahler
Texte de Friedrich Rückert
+Composé par Krzysztof Penderecki

Musique  composée par:

John Tavener/divers

Editeur:

Varèse Sarabande
302 066 769 2

Producteur du soundtrack:
Alfonso Cuaron
Producteurs exécutifs du soundtrack:
Steve Brown, Becca Gatrell,
Kathy Nelson

Producteur exécutif de
Varèse Sarabande:
Robert Townson
Directeurs de la musique pour
Universal Pictures:
Kathy Nelson, Harry Garfield

Artwork and pictures (c) 2006 Universal Studios. All rights reserved.

Note: ***1/2
CHILDREN OF MEN
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by John Tavener/divers
Après le troisième opus d’Harry Potter et un segment réalisé pour le film collectif ‘Paris je t’aime’, le mexicain Alfonso Cuarón nous revient pour un nouveau long-métrage assez exceptionnel qui a quasiment fait l’unanimité auprès des critiques et du public: ‘Children of Men’ (Les fils de l’homme). Adaptation du roman homonyme de P.D. James, ‘Children of Men’ nous plonge dans un futur proche, en 2027. Le monde a sombré dans le chaos et les hommes ne parviennent plus à se reproduire. Face à ce chaos absolu où règnent la violence, la mort et le désespoir, certains individus se fédèrent en groupe de résistance, soumis à d’incessantes tensions internes et externes. Lorsque les médias annoncent la mort de la plus jeune personne sur terre, un jeune homme de 18 ans tué à Londres en Angleterre à la suite d’un attentat, la population du monde entier est plongée dans l’émoi et le désarroi le plus total. Peu de temps après, une jeune femme immigrée tombe enceinte, un fait qui ne s’était pas produit depuis 20 ans. La jeune femme nommée Kee (Claire-Hope Ashitey) devient alors la personne la plus recherchée et la plus enviée au monde. Un homme ordinaire, Theodore Faron (Clive Owen), bureaucrate et ex-activiste désillusionné, se retrouve mêlé malgré lui aux activités d’un groupe de rebelles armés qui l’ont pris en otage. Ces derniers le chargent de la protection de la jeune Kee qu’il doit aider à traverser le pays et à rejoindre le navire baptisé ‘Tomorrow’. Ce bateau la conduira vers ‘renouveau planétaire’, un sanctuaire scientifique pacifique situé en pleine mer. L’enfant que porte miraculeusement Kee pourrait permettre de redonner de l’espoir à l’humanité et d’améliorer l’existence du monde entier.

De temps à autre, certains films arrivent à sortir du lot et à se distinguer par leur ton radical, novateur et sans compromis. C’est le cas de ‘Children of Men’, film qui évoque un futur très crédible (rares sont les films d’anticipation à avoir montré un futur aussi réaliste et proche de nous!) dans lequel l’anarchie règne et où le gouvernement fasciste impose des lois anti-immigration très strictes en Angleterre. Le choix de Londres comme lieu principal du récit n’est certainement pas une coïncidence, lorsque l’on sait à quel point la Grande-Bretagne est aujourd’hui particulièrement préoccupée par les menaces d’attentat terroriste (cf. l’attentat dans le métro Londonien en 2005) et de régulation de l’immigration. Evidemment, le film tire aussi son inspiration d’autres grands évènements qui ont marqués ce début de 21ème siècle, à commencer par les attentats du 11 septembre auquel le film semble faire vaguement à de nombreuses reprises. Mais à cette toile de fond qui fait déjà froid dans le dos, Cuaron ajoute l’intrigue d’une humanité devenue mystérieusement stérile. Du coup, le réalisateur nous propose une vision radicale et innovante d’un futur anarchique, dans lequel les grandes valeurs se sont perdues: la justice n’existe plus, ni la morale, ni l’avenir. La société vit dorénavant dans la terreur et les guerres permanentes. Une scène nous montre par exemple que l’art est devenu totalement obsolète et que les grands chef-d’oeuvres d’antan seront complètement oubliés dans quelques années (cf. scène excellente avec le tableau de ‘Guernica’ de Picasso, métaphore subtile d’un monde sombrant dans la guerre et la perte des valeurs). Mais le film atteint des sommets rarement égalés au cours des 20 dernières minutes, avec un plan séquence d’une quinzaine de minutes totalement inoubliable filmé caméra à l’épaule, dans lequel le personnage principal incarné par l’excellent Clive Owen se retrouve propulsé en plein champ de bataille où militaires et rebelles s’affrontent avec une violence rare. Le film se transforme alors en reportage de guerre d’une intensité et d’un réalisme quasiment jamais vu au cinéma (à noter par exemple les effets de traces de sang sur l’objectif de la caméra, qui renforce le réalisme de cette séquence déjà anthologique!). En conclusion, ‘Children of Men’ a tout d’un grand film, d’une œuvre cinématographique qui nous secoue, ne nous laisse pas indifférent, car il aborde des thèmes graves avec un point de vue radical et personnel, une vraie vision d’auteur du futur de l’humanité qui propulse dorénavant Alfonso Cuarón au rang des grands cinéastes de la nouvelle génération.

Exceptionnellement, le réalisateur a décidé de ne pas confier la musique à un grand compositeur hollywoodien mais à un musicien issu de la scène classique, le compositeur anglais John Tavener, un spécialiste de la musique religieuse. C’est un fait suffisamment exceptionnel dans le monde du cinéma qu’il était donc impossible de le passer sous silence (à film exceptionnel, musique exceptionnelle!). Tavener a donc été engagé par les producteurs du film pour composer une grosse pièce de 15 minutes intitulée ‘Fragments of a Prayer’, et qui sera utilisée tout au long du film. A la noirceur absolue du film, Tavener propose au contraire une musique plus élégiaque, mélancolique et méditative utilisant une soprano soliste avec un orchestre à cordes et des petites percussions. Le reste de la musique se compose de pièces plus anciennes de Tavener telles que ‘Eternity’s Sunrise’ (datant de 1998), ‘The Lamb’ (1985), ‘Song for the Angel’ (1994) ou bien encore ‘Mother and Child’ (2003) et ‘Mother of God, Here I Stand’ extrait de la grande oeuvre religieuse ‘The Veil of the Temple’ (2004), sans oublier le célèbre lied pour orchestre de Gustav Mahler ‘Nun Will Die Sonn’t So Hell Aufgeh’ (issu des fameux Kindertotenlieder), l’air ‘War, He Sung, is Toil and Trouble’ extrait de l’opéra ‘Alexander’s Feast’ de G.F. Handel et le bouleversant ‘Thrène pour les victimes d’Hiroshima’ de Krzysztof Penderecki (composé entre 1959 et 1961). Cuaron a donc choisi pour accompagner son film une sélection de morceaux classiques ou ‘contemporains’, afin de renforcer le côté réaliste de ce futur pas si éloigné de notre présent, un peu comme l’avait fait Stanley Kubrick sur ‘2001’ en 1969. Point de synthétiseur ni d’effets musicaux modernes ici, au contraire, la musique de ‘Children of Men’ se tourne vers le passé comme si elle voulait renforcer l’intemporalité, l’universalité de ce récit dramatique et mouvementé. La composition originale de John Tavener, ‘Fragments of a Prayer’, reste dans l’esprit des compositions habituelles du musicien anglais: sereine, lente, spirituelle, portée par la voix éthérée d’une soprano et un orchestre à cordes avec quelques percussions discrètes (cloches, etc.). Le morceau s’apparente à une pièce religieuse classique d’esprit que le compositeur utilise régulièrement tout au long du film, une musique sobre et épurée refusant tout artifice musical ou sonore. Dommage cependant que l’on ait l’impression d’entendre systématiquement le même fragment de l’œuvre de Tavener, qui a composé une grosse pièce de 15 minutes que le réalisateur pouvait ensuite fractionner et monter dans le film à sa guise (un procédé de composition scénique original et assez exceptionnel pour un film américain!). Les passages issus de ‘Fragments of a Prayer’ interviennent ainsi dans les passages les plus dramatiques du film, sans jamais verser dans les envolées dramatiques ou massives. Que l’on soit sensible ou non à ce type de musique religieuse éthérée, nul ne peut nier qu’il s’agit sans aucun doute de la composition la plus étonnante qui ait été écrite pour un film d’anticipation depuis ces 10 dernières années. Le choix d’un style vocal religieux épuré paraît aussi étonnant pour le sujet du film, mais en y regardant de plus près, c’est un choix cohérent et tout à fait judicieux. A la dureté et la chaos de la société décrite par le film, John Tavener oppose une musique sereine, spirituelle et humaine, comme pour rappeler qu’il existe encore un espoir pour l’humanité (libre à chacun d’interpréter ensuite cela comme une sorte d’appel à la foi ou à l’esprit humain?). Quelque part, cela pourrait ainsi rejoindre la fameuse phrase d’André Malraux: ‘le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas’!

Le reste de la musique est essentiellement entendu en fond sonore, comme la pièce opératique de Handel, utilisée de façon diégétique dans le film, diffusée sur une radio, dans une scène chez Jasper (Michael Caine, vieillissant!), l’ami de Theo. Idem pour le célèbre lied de Mahler, là aussi utilisé de façon diégétique dans le film. Finalement, le score occupe une place mineure dans le film, puisque la dernière partie du film – celle du désormais célèbre plan séquence de 10 minutes – est accompagné par une autre musique non originale, le ‘Thrène’ de Penderecki. Bien que volontairement mixé très bas dans la séquence en question, le morceau de Penderecki apporte une fureur et une noirceur intense à des images déjà bien sombres et brutales. Quoi de plus ordinaire puisque l’oeuvre de Penderecki évoque déjà en soi les horreurs de la guerre, passant en revue tous les effets possibles et imaginables des cordes – clusters, glissendi, quarts de ton, col legno, jeu sur le chevalet, pizzicati, bois de l’archet qui frappe sur la caisse de l’instrument, etc. On pourrait même d’ailleurs s’interroger sur la réelle pertinence de cette musique sur les images d’une scène se rapprochant d’un reportage live de guerre, qui aurait donc très bien pu se passer d’un accompagnement musical. C’est ce qui explique sans aucun doute pourquoi la pièce est mixée aussi bas à ce moment là. Quoiqu’il en soit, le choix du ‘Thrène pour les victimes d’Hiroshima’ sur cette dernière longue séquence du film est très intéressant en soi (finalement, malgré sa popularité, la pièce de Penderecki n’a que très rarement été utilisée au cinéma. On se souvient néanmoins d’une utilisation assez mémorable de l’oeuvre dans le film d’horreur ‘The People Under The Stairs’ de Wes Craven, datant de 1991). Le reste de la musique est donc constituée d’œuvres de John Tavener qui viennent compléter une sélection musicale brillante, avec un même point commun: l’évocation de la guerre (Handel, Penderecki) et de la spiritualité (‘Fragments of a Prayer’). Comble de l’ironie, la seule pièce qui fait référence à un enfant (qui est quand même l’élément clé du film, le bébé qu’attend Kee et qui est censé apporter de l’espoir à l’humanité tout entière) n’est autre qu’un chant sur la mort d’un enfant, le lied de Mahler extrait du cycle des ‘Kindertotenlieder’, sans aucun doute un choix volontaire empreint d’une ironie morbide et grinçante (et aussi un peu cynique quelque part).

Au final, si nous ne sommes pas en présence ici d’une partition absolument révolutionnaire, ‘Children of Men’ n’en demeure pas moins une très belle surprise, un bien bel effort dans un paysage hollywoodien galvanisé par la banalité, et ce même si la BO comporte finalement très peu de musique originale (15 minutes environ). Alfonso Cuaron prouve avec son nouveau film qu’il sait proposer à ses compositeurs des choix musicaux plus originaux que la moyenne (pas réellement innovant dans la forme mais bien plus sur le fond), lui qui avait inspiré à John Williams une musique radicale et fantaisiste pour ‘Harry Potter & The Prisoner of Azkaban’ ou à Patrick Doyle et son mélange musique classique/vocale/indienne dans ‘A Little Princess’. De son côté, John Tavener prouve avec ‘Fragments of a Prayer’, œuvre originale écrite pour ‘Children of Men’, qu’il reste l’un des plus grands compositeurs britanniques d’aujourd’hui, affirmant plus que jamais une sensibilité religieuse radicale, méditative et épurée (dans la lignée du compositeur estonien Arvo Pärt), apportant aux images un ton à la fois serein, par moment dramatique (scène de la mort de Jasper) et par moment plus mélancolique. Il est rare de voir un compositeur ‘classique’ engagé sur un film américain, et le résultat est ici particulièrement intéressant sans être exceptionnel (une fois encore, il est regrettable que l’on entende tout le temps le même passage de l’œuvre de John Tavener dans le film!). Voilà en tout cas une musique belle, sereine et émouvante à découvrir dans son intégralité sur l’enregistrement publié par Varèse Sarabande, incluant les autres oeuvres ‘classiques’ utilisées dans le film, et qui apporte une émotion discrète mais réellement présente au film d’Alfonso Cuaron.


---Quentin Billard