1-Les deux amours de
Johnnie Gray 4.14
2-Mobilisation 2.38
3-Abandonné 0.47
4-Un train pour cible 1.41
5-L'amour kidnappé 2.40
6-Face au canon mobile 3.31
7-Poursuite et obstacles 2.07
8-Train enfumé 1.51
9-Manoeuvres autour
de Chattanooga 2.49
10-La Forêt 1.16
11-Les retrouvailles de Johnnie et Annabelle 3.42
12-Une marchandise délicate 2.24
13-La redoutable Général 4.15
14-Cavale ferroviaire I 3.18
15-Cavale ferroviaire II 3.25
16-Un train sans maître 2.53
17-Le pont piégé 3.20
18-Retour au Sud 1.33
19-La bataille de la rivière 5.06
20-Derniers coups de canon 1.17
21-Héros du jour 5.07
22-La ballade d'Annabelle et Johnnie
(Générique de fin) 2.42*

*Interprété par Anna Mouglalis
Musique de Joe Hisaishi
Paroles de Georges Moustaki.

Musique  composée par:

Joe Hisaishi

Editeur:

MK2 Music 8345106302

Production exécutive de la musique (Japon):
Wonder City
Management de production musicale:
Ikuko Okamoto
Coordination artistique MK2:
Roei Amit
MK2 Music A&R:
Charles Gillibert, Nathanaël Karmitz
Business Affairs:
Gaël Chatelain

Artwork : MK2/Véronique Amiot. 2004. All rights reserved.

Note: ****1/2
THE GENERAL
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Joe Hisaishi
Figure légendaire du cinéma muet américain du début du siècle, Buster Keaton nous offrait en 1927 l’un de ses plus grands classiques, ‘The General’ (Le mécano de la General), comédie d’aventure mettant en scène un mécano américain du nom de Johnny Gray (Buster Keaton), qui s’occupe d’un grande locomotive à vapeur qu’il chérit par dessus tout, la General. Mais les temps sont durs. Alors que la guerre de Sécession a éclaté, Johnny part s’enrôler au combat, mais il est recalé (le pays a trop besoin de mécanicien). Sa fiancée Annabelle Lee (Marion Mack) croit qu’il a fait exprès de ne pas se présenter et refuse désormais de lui adresser la parole tant qu’il ne portera pas l’uniforme de l’armée. Peu de temps après, des espions de l’Union s’emparent du train de Johnny et kidnappent Annabelle qui se trouvait alors à bord. N’écoutant que son courage, Johnny s’empare d’un autre train pour poursuivre les espions et sauver son train et sa fiancée. Pour cela, il devra passer dans le camp sudiste et risquer une série d’aventures aussi dangereuses que rocambolesques. Pour un film datant de 1927, ‘The General’ est assez révolutionnaire pour l’époque, peut être même trop, si l’on considère la réaction hostile du public de l’époque à l’égard de ce grand chef-d’œuvre du cinéma muet d’antan. En effet, le film de Buster Keaton nécessita des moyens énormes pour l’époque (quasiment 500.000 dollars) et fut un échec commercial cuisant dès sa sortie en salle, peut être parce que le public n’était pas prêt pour ce type de grand spectacle inspiré d’une histoire vraie. Pourtant, tous les moyens avaient été mis en œuvre pour accoucher de ce chef-d’oeuvre du cinéma : improvisations, cascades dangereuses et réalistes (la scène du canon a été tournée avec un vrai canon chargé et amorcé), scènes d’action spectaculaires, mouvements de caméra audacieux, etc. Buster Keaton joue quand à lui ici sur son côté pince-sans-rire avec quelques gags savoureux et des scènes d’anthologie pure (la poursuite sur les rails, la scène sous la table des espions, etc.).

79 ans plus tard, le film, entièrement remasterisé et dépoussiéré, semble n’avoir rien perdu de sa fougue et de son incroyable vitalité. On doit cette restauration salutaire à MK2, fameuse société de production cinématographique crée par Marin Karmitz et qui continue encore aujourd’hui d’œuvrer pour la restauration des grands monuments du patrimoine cinématographique mondial. Pour ‘The General’, l’objectif était d’offrir au film de Buster Keaton une nouvelle musique entièrement recomposée par un nouveau musicien. C’est alors que fut choisi au grand étonnement de tous le compositeur japonais Joe Hisaishi qui, en 2004 (l’année où il compose l’un de ses chef-d’œuvres, ‘Le château ambulant’), écrivit la nouvelle musique pour ‘The General’. L’exercice de la composition pour des films muets est un art périlleux qui demande, plus que dans le cas d’une composition classique, une rigueur extrême. Il s’agit de coller au plus près d’un film tourné il y a très longtemps tout en apportant quelque chose de nouveau, croisant ancienne et nouvelle génération pour créer un équilibre souvent délicat à trouver. C’est le pari qu’a finalement su relever avec panache Joe Hisaishi qui nous livre un nouveau chef-d’œuvre sobre, léger, rythmé, entraînant, bref, une vraie petite merveille, parfaitement écrite et orchestrée comme toujours chez le compositeur japonais! Roei Amit, directeur artistique et musical chez MK2, explique le choix étonnant de Joe Hisaishi sur ce film :

« Tout d’abord, Hisaishi admire Keaton. Il a une grande passion pour ses films. Il a donc été enthousiaste lorsque nous lui avons demandé s’il souhaitait participer au film. De plus, il s’agit d’un artiste prolifique dont le travail reste accessible à tous, tout en gardant une sonorité particulière. »

Voilà qui résume parfaitement l’affaire! Ce qui distingue avant tout la partition de ‘The General’, c’est l’émotion et les sentiments qui se dégage de cette musique, car, comme le dit lui même Hisaishi dans le livret du CD, « le sentiment est l’élément indispensable à toute vérité et honnêteté », citant parmi ses modèles James Horner, Nino Rota, Georges Delerue ou bien encore Ennio Morricone. Puisant dans les ressources de la musique européenne, Hisaishi nous livre un véritable cocktail détonnant de poésie, d’aventure, de romantisme et d’une pointe de burlesque et d’humour bon enfant – tout à l’image du personnage de Buster Keaton et de son film. La musique, confiée au Tokyo City Philharmonic Orchestra, se structure autour d’une poignée de thèmes tous plus mémorables les uns des autres. On commence avec le très joli thème principal, une valse sentimentale et élégante confiée à un piano dès l’ouverture du film (‘Les deux amours de Johnnie Gray’) et qui rappelle indubitablement la valse du ‘Château ambulant’ que le compositeur écrit la même année pour le chef-d’œuvre d’Hayao Miyazaki. L’ouverture dévoile aussi un second thème, une très belle mélodie romantique illustrant l’amour de Johnnie pour Annabelle. Le ‘Love Theme’ est joué par un violon soliste dans un style romantique très rétro aux harmonies savoureuses bien qu’un peu kitsch. La légèreté poétique du ‘Love Theme’ et son côté rétro rappelle certaines mélodies lyriques hollywoodiennes du ‘Golden Age’, preuve qu’Hisaishi possède une culture musicale énorme et sait puiser le meilleur dans ce que la musique du passé peut lui offrir. En fait, la valse et le thème romantique illustrent comme le titre du morceau l’indique les deux amours de Johnnie Gray, sa locomotive d’une part, et la jolie Annabelle de l’autre. Dès le premier morceau, on sait d’emblée que l’on aura donc à faire à un Joe Hisaishi particulièrement savoureux et inspiré.

‘Mobilisation’ dévoile un troisième thème, une marche militaire un brin caricaturale et fanfaronne qui apporte un certain humour à la partition de Hisaishi. On assiste à l’écran à la mobilisation des citoyens pour la guerre, alors que Johnnie tente de se faire recruter mais en vain. Hisaishi apporte un véritable humour rafraîchissant à cette scène entrecoupée d’une petite valse de type viennoise légère et joviale – autre influence de la musique européenne chez le compositeur nippon. A noter l’importance des orchestrations, qui privilégient chaque pupitre de l’orchestre sans aucun parti pris instrumental : dans ‘The General’, chaque instrument s’exprime avec une aisance certaine, que ce soit le violon soliste, les cordes, les bois, les cuivres, le piano et les percussions. ‘Un train pour cible’ dévoile un nouveau thème confié ici à des cors et des trompettes, et qui évoque le kidnapping d’Annabelle et de la locomotive par les espions de l’Union. Ce motif de triolets descendants est repris en grande force par les cuivres dans ‘L’amour kidnappé’, se transformant en petit motif d’action rythmé. A noter que le thème martial est toujours présent, joué ici par les violoncelles sous une forme plus légère et toujours emprunte d’un certain humour. L’action devient alors plus présente dans ‘L’amour kidnappé’ entrecoupé à plusieurs reprises de petites touches de ‘mickeymousing’ qui rappelle là aussi certains passages sautillants du ‘Château ambulant’ – les touches légères de ‘mickeymousing’ contribuent à accentuer le côté burlesque et bon enfant du film de Buster Keaton. A noter un nouveau thème confié aux cordes dans ‘Face au canon mobile’ pour la scène où Johnnie utilise le canon mobile de façon maladroite contre ses poursuivants. Les rythmes deviennent ici beaucoup plus présents, avec un ostinato rythmique martial entraînant. A noter la façon dont Hisaishi modère ses orchestrations, même dans les passages d’action, comme pour conserver de bout en bout une certaine légèreté bon enfant sans jamais se prendre véritablement au sérieux ni faire dans l’hollywoodien massif. A noter un bref élan d’héroïsme au début de ‘Poursuite et obstacles’ qui continue d’illustrer la poursuite sur les rails avec un entrain agréable et rafraîchissant. L’introduction de ‘Poursuite et obstacles’ adresse un petit clin d’oeil humoristique au célèbre thème de ‘Superman’ de John Williams. N’oublions pas qu’une bonne partie des films muets étaient accompagnés à l’époque par des ‘sheets music’, des partitions qu’un pianiste jouait en direct pour couvrir le son des machines de projection. La plupart de ces morceaux étaient des oeuvres préexistantes ou des arrangements pour piano de musiques antérieures aux films. Ceci pourrait expliquer le recours d’Hisaishi à des allusions musicales d’oeuvres du passé, perpétuant ainsi la tradition des musiques de film muet d’antan (le choix du piano paraît ainsi extrêmement évident et très connoté ‘film muet’ dans des morceaux comme ‘Les deux amours de Johnnie Gray’ ou le très agréable ‘Train enfumé’). C’est finalement avec un grand plaisir que l’on retrouve le très sympathique thème militaire exposé enfin dans son intégralité dans ‘Manœuvre autour de Chattanooga’ pour évoquer la détermination de Johnnie à retrouver sa locomotive et sa fiancée.

On découvre alors un nouveau thème joué avec beaucoup de délicatesse par un piano dans ‘La forêt’ lorsque Johnnie a retrouvé Annabelle et s’enfuit avec elle dans la forêt. C’est aussi l’occasion pour le compositeur de reprendre son magnifique thème romantique aux cordes pour un passage lyrique rétro de toute beauté. A noter la formule d’accompagnement sur 4 notes typiques du compositeur, une sorte de ‘tic’ musical récurrent déjà entendu dans des scores tels que ‘Princesse Mononoké’, ‘A Scene at The Sea’ ou ‘Le Petit Poucet’. ‘Les retrouvailles de Johnnie et Annabelle’ marque donc les retrouvailles des deux amants, avec une poésie onirique typique de Joe Hisaishi. Et c’est le retour du ‘Love Theme’ joué par un violon soliste tout en délicatesse et en retenue (on est très proche ici de la poésie des musiques des films de Miyazaki !), repris dans toute sa splendeur à la fin du morceau à travers une envolée lyrique digne des grands maîtres du lyrisme hollywoodien d’antan. On appréciera la facette impressionniste et subtile du début de ‘Une marchandise délicate’ dans lequel les flûtes évoquent le chant des oiseaux au petit matin après une nuit agitée. Et la locomotive se remet doucement en marche dans ‘La redoutable Général’ qui nous permet de rentrer dans la deuxième partie du score et du film avec un nouveau thème dominé par des cordes rythmées, des cuivres et un ostinato martial sur fond d’harmonies amples. C’est l’occasion pour le compositeur de reprendre son thème de ‘La forêt’ joué ici successivement par les trompettes, les vents et les cordes. Le thème de ‘La forêt’ se transforme dans ‘La redoutable Général’ en un thème majestueux et déterminé associé à la locomotive de Johnnie. A noter que ce thème sera très présent dans la dernière partie du film comme le confirme les excellents ‘Cavale ferroviaire I’ et ‘Cavale ferroviaire II’ pour la dernière poursuite en locomotive. L’action devient alors plus présente dans le sombre ‘Un train sans maître’ avec des formules rythmiques typiques du compositeur (à noter l’utilisation d’un ostinato de contrebasses qui évoquent le mouvement de la locomotive en marche), le morceau s’achevant sur une coda héroïque de toute beauté! Idem pour ‘Le pont piégé’ qui reprend les rythmes de ‘Un train sans maître’. ‘Retour au sud’ marque le retour triomphant du sympathique thème martial suivi de ‘La bataille de la rivière’ qui illustre la bataille sur la rivière avec une certaine énergie pour l’un des derniers morceaux d’action martial du score de ‘The General’ (le morceau se conclut sur une superbe reprise de la valse principale jouée par une trompette soliste). Et c’est le retour du ‘Héros du jour’ triomphant au son de la marche militaire joyeuse suivi du thème de valse pour conclure l’œuvre en beauté. Le générique de fin est alors accompagnée par ‘La ballade d’Annabelle et Johnnie’ interprétée par Anna Mouglalis, et dont les paroles ont été écrites par un grand de la chanson française, un certain Georges Moustaki! Seule ombre au tableau: les paroles sont bien médiocres et paraissent avoir été bâclées. Dommage!

Cela ne fait donc aucun doute, ‘The General’ est bel et bien le nouveau chef-d’œuvre de Joe Hisaishi, qui retrouve à travers les images du film de Buster Keaton tout son goût pour la poésie, l’émotion, les rythmes orchestraux et les mélodies accrocheuses. Evoquant par moment la musique de l’âge d’or des films muets, la musique de Joe Hisaishi alterne entre influences européennes et citations déguisées pour notre plus grand plaisir. On sent à quel point le compositeur s’est fait plaisir en se livrant à cet exercice de style périlleux qu’est la composition pour un film muet, et c’est tant mieux ! Certes, ce n’est pas le Joe Hisaishi magistral des films de Miyazaki, mais cela n’en demeure pas moins un Hisaishi de qualité, avec une musique pleine de fraîcheur, de jovialité, d’esprit, de poésie. Bref, une fusion remarquable entre la bonne humeur facétieuse de Buster Keaton et l’immense talent de Joe Hisaishi, maîtrisant toutes ses influences à travers sa propre patte musicale absolument reconnaissable entre mille. Les orchestrations sont totalement maîtrisées, et pour cause : étant donné le rôle indispensable de la musique dans un film muet qui devient alors la voix des acteurs, Joe Hisaishi se devait d’écrire une musique suffisamment riche et étoffée pour pouvoir faire « parler » les personnages à travers leurs différentes expressions et situations, ce qui explique probablement la variété de thèmes et d’instrumentation contenues dans la partition de ‘The General’. Au final, le résultat est décidément étonnant d’humilité, de retenue, de légèreté, de poésie et d’enthousiasme. Moins massive, onirique ou épique que certaines partitions pour Miyazaki et plus rythmée que certaines musiques pour Kitano, ‘The General’ s’impose par sa fraîcheur indispensable, son exubérance bon enfant raisonnable, et surtout, la passion avec laquelle Joe Hisaishi exprime son art, double passion de musicien et de cinéphile averti. A écouter absolument !


---Quentin Billard