Musique  composée par:

Jerry Goldsmith

Editeur:


Réalisateur:
Irvin Kershner

Genre:
Comédie/Action/Espionnage
Avec:
Elliott Gould, Donald Sutherland,
Zouzou, Joss Ackland

Artwork and pictures (c) 1974 20th Century Fox Film Corp. All rights reserved.

Note: ****
S*P*Y*S
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Jerry Goldsmith
Avec le succès de ‘M*A*S*H’, célèbre comédie de Robert Altman réunissant pour la première fois à l’écran le duo Elliott Gould/Donald Sutherland en 1970, les producteurs de ‘S*P*Y*S’ décidèrent de miser à nouveau sur les recettes du film de Robert Altman. Réalisé par Irvin Kershner (qui tournera des années plus tard ‘Star Wars The Empire Strikes Back’ ou ‘Robocop 2’), ‘S*P*Y*S’ réunit pour la seconde fois le duo Gould/Sutherland dans une comédie d’espionnage qui se moque bien gentiment de la Guerre Froide, à une époque où l’Amérique vit justement au coeur de ces évènements. Avec le succès de ‘M*A*S*H’, qui se moquait déjà de la guerre du Vietnam sur le ton de la dérision, les producteurs de ‘S*P*Y*S’ savaient qu’ils ne prenaient aucun risque en surfant sur la vague des comédies irrévérencieuses à l’humour noir. Le film d’Irvin Kershner, qui s’intitulait à l’origine ‘Wet Stuff’, fut par la suite rebaptisé ‘S*P*Y*S’ afin de faire une connexion plus qu’évidente avec le ‘M*A*S*H’ de Robert Altman – et ce malgré le fait que les producteurs du film jurent n’avoir pas voulu que le film soit comparé à ‘M*A*S*H’ !

On découvre ici l’histoire de deux espions de la CIA particulièrement gaffeurs, Griff (Gould) et Brulard (Donald Sutherland), dans le Paris des années 70. Leur supérieur hiérarchique les envoie cette fois-ci pour une nouvelle mission : ils doivent appréhender un célèbre danseur de ballet russe et l’aider à s’échapper alors qu’il projette de rejoindre le camp américain. Hélas, l’opération tourne à la catastrophe et se transforme en une gigantesque fusillade et course poursuite dans les rues de Paris. Plusieurs agents russes sont abattus au cours de l’opération. Moscou réclame du sang américain en échange du sang russe qui a été versé ce soir là : Griff et Brulard se retrouvent alors disgraciés par leur propre agence, qui cherche dorénavant à les éliminer. Ils se réfugient alors chez Sybil (Zouzou), une jolie anarchiste française que Brulard connaît depuis un certain temps. ‘S*P*Y*S’ s’articule ainsi sur une intrigue d’espionnage assez complexe, en plein contexte de la Guerre Froide. Irving Kershner apporte une touche résolument française à son film en filmant une bonne partie de l’histoire à Paris, avec en guest star Zouzou, célèbre actrice et top model française des années 70 révélée par le film ‘L’amour l’après-midi’ d’Eric Rohmer (1972). Le duo Elliott Gould/Donald Sutherland fonctionne toujours aussi bien à l’écran. Le rythme reste très soutenu, avec son lot d’aventures, de courses poursuites et de gags pas toujours très subtils (à noter que ‘S*P*Y*S’ a ouvert le festival de Cannes en 1975).

La musique de ‘S*P*Y*S’ a été confiée à Jerry Goldsmith, qui nous offre là l’une de ses partitions les plus humoristiques et les plus délirantes de sa période « seventies ». A noter que, curieusement, les producteurs ont décidé de rejeter sa musique pour la version européenne et de la remplacer par une toute nouvelle composition signée John Scott. La musique de ‘S*P*Y*S’ permet à Goldsmith de renouer avec un style parodique et déjanté proche de ses musique sur les ‘Flint’, à ceci près que la partition du film d’Irvin Kershner sent clairement les années 70 à plein nez. Le score de ‘S*P*Y*S’, resté jusqu’à présent inédit en CD, vient de sortir tout récemment dans la compilation 6 CD publiée par Varèse Sarabande, et consacrée aux oeuvres du maestro pour les films de la 20th Century Fox. Hélas, on attend toujours une édition CD complète de cette petite partition méconnue du compositeur.

Le score s’articule autour d’une instrumentation très inventive incluant cordes, bois, synthétiseurs « 70s » ultra kitsch, piano, saxophone, tuba, batterie, guitares, accordéon et percussions diverses. Le score s’articule autour d’un thème principal très sympathique, qui évoque clairement le côté gaffeur et maladroit des deux héros du film, introduit dans le ‘Main Title’ par des synthétiseurs kitsch sur fond de batterie pop. Bien loin des traditionnels clichés de musique de films d’espionnage, le thème de ‘S*P*Y*S’ évoque a contrario l’univers comédie déjanté du film d’Irvin Kershner. A noter ici l’utilisation de voix prononçant ‘Spys!’ à plusieurs reprises, ajoutant une touche d’humour fantaisiste à ce premier morceau léger et très amusant.

Dans ‘Anybody Got A Key’, on découvre le second thème de la partition, inspiré d’un air populaire russe – idée que Goldsmith avait déjà exploité dans sa partition pour ‘In Like Flint’ en 1967. ‘Anybody Got A Key’ accompagne la séquence de la course poursuite dans les rues de Paris vers le début du film, entre les deux héros et les agents russes du KGB. Goldsmith joue ici sur tous les stéréotypes possibles de la musique traditionnelle russe : balalaïka, rythmes de danse russe populaire, et même choeurs en russe et claquements de main avec onomatopées. Le compositeur s’amuse même à faire un bref clin d’oeil au célèbre thème du ‘Lac des Cygnes’ de Tchaïkovski lorsque Griff et Brulard s’échappent avec le danseur de ballet russe dans les vestiaires du gymnase. Incontestablement, Goldsmith s’en donne ici à coeur joie et renouvelle avec son traditionnel sens de l’humour à toute épreuve. A noter l’utilisation d’un violon soliste dans ‘The Mannequin’, où l’on retrouve quelques bribes de musique russe sur un rythme de batterie pop plutôt lent.

Dans ‘New Friends’, Goldsmith amorce le troisième thème de sa partition, joué ici par un astucieux mélange saxophones/tuba dans un style slow jazzy accompagné par un accordéon discret – idéal pour représenter ici une ambiance parisienne stéréotypée au possible. Dans ‘Who’s Paying’, Goldsmith fait un bref clin d’oeil au motif des espions chinois, qui n’est autre que le célèbre thème de la 5ème Symphonie de Beethoven, joué ici par des instruments asiatiques – une nouvelle petite touche d’humour de la part du compositeur. A noter pour finir une excellente reprise du thème principal version slow dans ‘Tools Of The Trade’ durant la scène du troc dans l’église. Goldsmith utilise ici un orgue et un saxophone jazzy avec un tuba et un synthétiseur. La dernière partie du thème est reprise par des cordes et un choeur qui fredonne la mélodie avec une infime douceur (pour un peu, on se croirait chez Ennio Morricone). La fin du morceau permet même de retrouver le petit motif amusant des espions chinois et une très brève allusion au célèbre air patriotique américain ‘Hail to the Chief’.

Mais c’est avec ‘The Buy’ que la partition de ‘S*P*Y*S’ atteint des sommets d’humour et de dérision avec l’excellente séquence de la bagarre dans l’église, probablement l’un des morceaux les plus déjantés de toute la partition du maestro : Goldsmith développe le thème populaire russe et ses rythmes de danse effrénés, avec une instrumentation inventive et débridée illustrant les gags de la scène – à noter une utilisation très ‘cartoon’ d’une flûte à coulisse en plein milieu du morceau. ‘The Buy’ est le genre de morceau fantaisiste et humoristique comme le compositeur les affectionne tant, et qui aboutira une décennie plus tard au style de ses musiques excentriques pour les films de Joe Dante. L’aventure touche à sa fin avec le très amusant ‘End Title’, où le thème français est repris une dernière fois avec une instrumentation très riche et inventive, incluant des voix qui fredonnent discrètement la mélodie sur un rythme de marche à la Prokofiev, et ce avant une reprise finale du thème principal du ‘Main Title’.

La musique de ‘S*P*Y*S’ joue ainsi sur l’humour et les clins d’oeils parodiques divers (thème russe, allusion à Beethoven, à Tchaïkovski) en apportant une fraîcheur particulière aux images du film d’Irvin Kershner, le tout avec une très grande maîtrise des différents styles musicaux abordés ici, que ce soit les ambiances parisiennes avec saxophone et accordéon, ou les danses populaires russes déjantées. Aucun doute possible, Jerry Goldsmith s’est vraiment beaucoup amusé à mettre en musique ‘S*P*Y*S’, multipliant les gags musicaux, les références populaires et les touches d’humour à un rythme effréné, sans jamais se prendre véritablement au sérieux. ‘S*P*Y*S’ est en ce sens une véritable petite merveille d’humour musical, en plus d’être une musique de film très prenante à l’écran. Il paraît même inconcevable que la production ait décidé de remplacer sa musique par une toute autre partition pour la version européenne! En conclusion : la BO de ‘S*P*Y*S’ est un petit bijou hélas encore trop méconnu de Jerry Goldsmith, et qui mérite amplement d’être redécouvert et édité en CD dans sa version complète!


---Quentin Billard