1-Violence of Nature 1.20
2-The Territory 1.23
3-Gathering 1.56
4-River Suite 4.15
5-Katherine Gorge 2.00
6-The Flare 1.57
7-Stranger Come Here 2.33
8-Fright 0.50
9-The Island Part I 1.33
10-Bite 0.35
11-The Island Part II 0.27
12-Cracking The Tinny 0.40
13-The Island Part III 2.47
14-Crossing Part I 2.09
15-Crossing Part II 3.10
16-Crossing Part III 1.14
17-My Arm! 1.16
18-Trapped 3.25
19-Drowning 2.07
20-Swimming 2.28
21-Alone 1.02
22-The Forest 1.19
23-The Lair 0.25
24-Dead Meat 1.10
25-Kevin 0.14
26-The Croc 1.45
27-The Attack Part I 1.32
28-The Attack Part II 1.44
29-The Attack Part III 1.26
30-Requiem Part I 3.05
31-Requiem Part II 1.35
32-Nature of Violence 1.54

Musique  composée par:

François Tetaz

Editeur:

Rubber Records RUB238

Musique produite par:
François Tetaz


Note: ***1/2
ROGUE
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by François Tetaz
Deux ans après le succès surprise de « Wolf Creek », le jeune réalisateur australien Greg McLean renoue avec le genre du film d’épouvante dans « Rogue » (Solitaire). Le film se déroule en Australie, alors qu’on suit un groupe de touristes à bord d’une croisière sur les eaux sauvages du Kadaku National Park. Pete McKell (Michael Vartan), un journaliste américain, vient tout juste de rejoindre le groupe dirigé par Kate Ryan (Radha Mitchell), guide touristique locale. Hélas, la croisière prend brusquement fin lorsque l’embarcation fait naufrage à la suite d’un mystérieux accident. Bloqués sur un petit ilot en plein milieu de la rivière, les touristes vont devoir prendre leur mal en patience en attendant l’arrivée des secours. Malheureusement, un drame n’arrivant jamais seul, un gigantesque crocodile affamé surgit alors des eaux et commence à s’en prendre aux touristes qui vont lui servir de garde-manger. Sur un pitch somme toute extrêmement classique et vu des centaines de fois, « Rogue » tient malgré tout la route et demeure une bien belle surprise, un film d’épouvante classique mais captivant où le suspense est constant, avec quelques séquences d’attaques de crocodile particulièrement impressionnantes pour une série-B de ce genre. C’est grâce au succès de « Wolf Creek » que Greg McLean a put réunir suffisamment de moyens pour pouvoir faire produire « Rogue » par les frères Weinstein, un projet qu’il rêvait de tourner depuis quelques années déjà. Outre un crocodile monstrueusement réaliste et des scènes de suspense à couper le souffle, « Rogue » permet aussi de montrer les travers de l’âme humaine en faisant ressortir chez les touristes bloqués sur l’ilot toutes les formes de bassesse, lorsque la survie devient l’unique mot d’ordre et que les individus civilisés laissent alors la place à des bêtes aux instincts primaires. Seule ombre au tableau : cette dimension psychologique est trop brièvement survolée dans le film, le suspense glauque reprenant constamment le pas sur la trame humaine que Greg McLean avait pourtant commencé à mettre brillamment en place. Malgré cela, « Rogue » demeure une série-B d’épouvante captivante de bout en bout, une sorte de documentaire animalier qui vire au cauchemar, un film de crocodile cent fois supérieur à tout ce que l’on a pu voir auparavant dans le même genre, qu’il s’agisse du « Lake Placid » de Steve Miner ou du « Eaten Alive » de Tobe Hooper !

Le compositeur australien François Tetaz retrouve à nouveau Greg McLean sur « Rogue », après une partition expérimentale audacieuse pour « Wolf Creek » en 2005. Profitant du budget modeste alloué au film, François Tetaz nous offre un score minimaliste mais néanmoins mémorable pour « Rogue », avec un petit orchestre à cordes et un ensemble instrument très hétéroclite incluant quelques instruments de la musique des aborigènes australiens (chanteur soliste, didgeridoo, boomerangs, clapsticks), des violons indiens, un violoncelle « préparé », un piano préparé avec un célesta, des percussions diverses incluant des bols, des guitares « préparées » avec un bandoura et un ukelin (instrument à mi-chemin entre le violon et l’ukulele hawaïen), une guitare dobro, une clarinette, une clarinette basse, des conques, des spring drums, des timbales, des cymbales jouées avec un archet de violon (en anglais, cette technique s’appelle « bowed cymbals »), des percussions en cuir, des plaques à tonnerre (« thunder sheets » en anglais), un tam tam et une scie musicale. A cela s’ajoute quelques textures sonores plus glauques et atmosphériques que Tetaz utilise pour renforcer la tension et le suspense du film. Délaissant donc le gros orchestre symphonique habituel duquel il n’a conservé que les cordes et quelques bois discrets, François Tetaz nous offre donc un score expérimental truffé de trouvailles sonores, utilisant des instruments plutôt rares et parfois méconnus qui évoquent les décors à la fois magnifiques et inquiétants de l’Australie sauvage.

L’introduction du film (« Violence of Nature ») permet au compositeur de décrire la beauté de la faune sauvage australienne à l’aide d’un mélange entre chant traditionnel aborigène et didgeridoo, les cordes étant déjà présentes pour annoncer la noirceur du film. A noter qu’ici, le chant aborigène est brutalement interrompu lors du plan où l’on voit l’animal se faire happer par le crocodile aux bords de l’eau, un effet étonnant mais très réussi dans le film. « The Territory » développe la partie ethnique de la musique à l’aide d’un violon indien et de quelques cordes en suspend associées ici aussi aux mystères de la faune australienne. C’est alors le début de l’aventure avec le très insouciant « Gathering » et ses pizzicati sautillants lorsque Peter KcKell arrive pour rejoindre l’expédition qui s’apprête à partir, sans oublier « River Suite », 4 minutes pendant lesquelles Tetaz développe un thème léger et majestueux associé aux eaux sauvages du Kadaku National Park. Le compositeur développe ici son utilisation des instruments ethniques en tout genre (bols, cymbales, percussions métalliques diverses) soutenant les cordes qui interprètent le thème de la croisière. Si la musique est alors placée sous le signe du dépaysement et de l’insouciance, avec un morceau plus contemplatif et émouvant dans « Katherine Gorge » (suivi néanmoins de deux passages de tension plus inquiétants, « The Flare » et « Stranger Come Here »), « Fright » vient rompre la tranquillité de la croisière avec un premier morceau de terreur pure dans lequel Tetaz met les cordes en avant, alternant différentes techniques (effets de col legno, glissandi, clusters, staccatos, etc.) alors que le bateau échoue auprès de l’ilot. C’est alors que « The Island Part 1 » développe un motif de cordes plus sombre associé à la menace du crocodile dans le film. « Bite » illustre d’ailleurs une première attaque de la bête avec ses effets avant-gardistes et dissonants des cordes, pour une pièce entièrement atonale dans la lignée de Penderecki.

Avec « Cracking The Tinny », Tetaz renforce la tension des attaques du crocodile avec ses cordes dissonantes et agitées alternant martèlement secs, glissandi et staccatos agressifs. La musique illustre parfaitement à l’écran la brutalité et la sauvagerie des attaques du crocodile avec des cordes aiguisées comme des lames de rasoir, dans un style qui rappelle par moment le « Psycho » de Bernard Herrmann. Le suspense monte ensuite d’un cran dans le glauque « The Island Part 3 » où les sonorités se veulent plus viscérales et inquiétantes, faisant planer un fort sentiment de menace pour les touristes piégés sur l’ilot. Le suspense est largement véhiculé dans le film par des morceaux comme « Crossing Part 1 », séquence de la traversée de la rivière pour laquelle François Tetaz n’oublie pas pour autant la partie plus humaine et dramatique du film, en nous offrant quelques beaux passages d’émotion aux cordes - « Crossing Part 1 » dévoilant d’ailleurs quelques brefs moments de lyrisme élégiaque de toute beauté lorsqu’une des personnes du groupe décède suite à l’attaque du crocodile. Plus orienté suspense, « Crossing Part 2 » maintient une tension permanente avec son martèlement de cordes répétées inlassablement (avec, au passage, des sonorités de cordes manipulées électroniquement afin d’obtenir un son plus étrange), tandis que le brutal « Crossing Part 3 » bascule clairement dans le chaos et la dissonance pure avec ses nombreux effets bruitistes/avant-gardistes qui rappellent là aussi la musique bruitiste savante des années 1950/60. Un morceau comme « My Arm ! » est une parfaite synthèse du style musical de la partition de « Rogue », alternant jeux bruitistes dissonants des cordes et passages élégiaques révélant un sentiment de désespoir assez poignant dans le film.

Tetaz joue sur le suspense pur dans le très atmosphérique « Trapped » où les sonorités semblent ramper plus discrètement et sournoisement dans l’obscurité, et c’est sans conteste avec le magnifique « Drowing » que le compositeur nous offre le plus beau morceau de sa partition, une élégie pour cordes sobre et sans envolée mélodramatique, parfaite pour la scène où Kate disparaît dans les eaux, emportée par l’immense crocodile (cf. aussi le poignant « Alone »). Puis, le suspense et la peur reprennent très vite le dessus dans « Swimming » avec ses cordes agitées staccatos créant un sentiment d’urgence et de danger, « The Lair » et ses cordes chaotiques ou bien encore « Dead Meat » et son atmosphère oppressante (scène où Pete se retrouve dans la tanière du crocodile), sans oublier le triptyque de terreur pure « The Attack » pour l’impressionnante confrontation finale contre la bête, morceaux chaotiques où les cordes dissonantes - évoquant les attaques fulgurantes du crocodile - sont renforcées par la violence des timbales. Enfin, « Requiem » nous permet de retrouver la partie plus élégiaque et dramatique de la musique de François Tetaz pour la fin du film, un morceau poignant en deux parties interprété avec justesse par des cordes plus intimes et mélancoliques, débouchant sur le très paisible « Nature of Violence ».

Vous l’aurez donc compris, « Rogue » est un score horrifique expérimental et clairement avant-gardiste, François Tetaz utilisant toutes les ressources de l’orchestre à cordes en balayant toutes les techniques connues de la musique bruitiste savante afin de retranscrire plus efficacement à l’écran l’agressivité et la sauvagerie extrême du crocodile, les dissonances glaciales des cordes renforçant le côté « machine à tuer » de la bête. A cela s’ajoute un très intéressant travail de sonorités instrumentales en tout genre, avec une recherche de trouvailles sonores qui, sans révolutionner pour autant le genre, apporte néanmoins un petit plus particulier à un score somme toute très réussi, bien que ne laissant pas un souvenir impérissable. Quoiqu’il en soit, « Rogue » confirme le réel talent de François Tetaz, un compositeur prometteur à suivre, assurément !



---Quentin Billard