1-Badal 24.12
2-Nanawatai 23.31

Musique  composée par:

Mark Isham

Editeur:

A&M Records 393-919-2

Album produit par:
Mark Isham
Arrangements de:
Mark Isham
Supervision enregistrement:
David Anderle

Artwork and pictures (c) 1988 Colgem Productions, Ltd. All rights reserved.

Note: ***
THE BEAST OF WAR
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Mark Isham
« The Beast of War » (La bête de guerre) est un film injustement tombé dans l’oubli. Sorti en 1988, le film de Kevin Reynolds, produit par la Columbia Pictures et adapté de la pièce de théâtre « Nanawatai » de William Mastrosimone. Le film a pour toile de fond la guerre en Afghanistan, de 1979 à 1989. Le récit se déroule en 1981, alors que les troupes de l’armée rouge d’URSS affrontent les Moudjahiddins de la résistance afghane. Un char soviétique T-62 dirigé par le cruel commandant Daskal (George Dzundza) décide de mener une opération de représailles sur un village pachtophone (du « pachto », langage parlé par les afghans des régions de l’est, du sud et du sud-ouest, que l’on retrouve aussi dans le Pakistan). Le village est entièrement détruit et la population massacrée. Taj (Steven Bauer) retourne alors dans son village et découvre ruines et souffrances : son père a été tué et son frère a été martyrisé après avoir été écrasé sous les chenilles du tank russe. Taj devient alors le nouveau khan du village, et n’a plus qu’une idée en tête dorénavant : venger la mort de sa famille. Epaulé par son cousin Mustafa, Taj forme un groupe de moudjahiddins et poursuit le tank russe dans la vallée, équipés de lanque-roquette RPG-7. L’équipage du tank est constitué de 4 soviétiques et d’un afghan, Samad (Erick Avari), servant d’éclaireur et de traducteur. Le tank s’enfonce dans la vallée et finit par se perdre en plein milieu du désert afghan. Peu de temps après, Daskal, devenu paranoïaque, commence à suspecter Samad d’être à la solde des rebelles afghans, et décide de le supprimer. Scandalisé, Koverchenko menace de signaler ce meurtre à ses supérieurs hiérarchiques du parti soviétique, mais le commandant Daskal devient fou et ordonne à ses deux sbires, Kaminski (Don Harvey) et Golikov (Stephen Baldwin) de le ligoter contre un rocher, une grenade dans son dos, afin de servir d’appât et de piège aux mudjahiddins qui les traquent sans relâche dans la vallée. Koverchenko finira par s’en sortir miraculeusement et tombera nez à nez avec le groupe de Taj, avec lequel il s’associera afin de combattre ensemble le tank T-62 et mettre à mort la bête de guerre. « The Beast of War » reste au final un film assez intéressant racontant un épisode de la guerre en Afghanistan sous un angle neuf : ainsi, le récit est vu aussi bien du côté des russes que du côté afghan. Le casting reste solide - mené par Jason Patric et l’excellent George Dzundza, formidable dans le rôle de cet officier soviétique machiavélique et paranoïaque - et le suspense est parfaitement entretenu. Le film nous en apprend même un peu plus sur le Pasthunwali, le code d’honneur du peuple Pastho et plus particulièrement le « nanawatai », qui dit que l’on doit accorder asile à un ennemi qui le réclame. Kevin Reynolds filme le désert afghan avec brio, le tank russe étant un personnage à part entière dans le film, une sorte de gigantesque monstre de fer impossible à arrêter, la bête à abattre, personnifiant le mal dans le film. Un très grand film de guerre et de suspense, à (re)découvrir d’urgence !

La musique électronique de Mark Isham apporte au film de Kevin Reynolds une atmosphère assez particulière, typique des musiques atmosphériques du compositeur à la fin des années 80. Le score se distingue essentiellement par ses longues plages atmosphériques largement développées sur la longueur (un morceau atteint par exemple les 7 minutes), avec pour commencer, « Badal Part I », qui utilise brillamment quelques guitares électriques sur fond de nappes synthétiques et de sound design en tout genre, pour évoquer la chaleur et l’immensité des vallées afghanes. L’électronique apporte à la musique une ambiance, un grain particulier sur les images. A noter que « Badal Part I » permet ainsi à Mark Isham d’utiliser quelques percussions orientales/ethniques avec un violoncelle et un soliste aux vocalises arabisantes pour les décors afghans. La seconde partie du morceau évoque la guerre et utilise des sonorités industrielles plus expérimentales et dissonantes - à la limite du trash - et notamment dans les effets de distorsion et de saturation extrême de la guitare électrique sur fond de rythmique électronique typiquement « 80’s ». Le compositeur expérimente avec ses différentes sonorités et crée, à n’en point douter, une musique atmosphérique assez particulière, parfaitement adaptée aux images du long-métrage de Kevin Reynolds.

« Badal Part II » alterne entre atmosphères synthétiques planantes et passages plus dissonants aux sonorités agressives, évoquant l’avancée du tank et les sons mécaniques (chenilles, moteur, etc.). C’est avec une certaine habileté qu’Isham évoque le tank russe de façon assez organique grâce à des sonorités synthétiques parfaitement choisies, à la fois froides et sombres. « Badal Part II » permet aussi au compositeur de nous offrir une brève impro de trompette tendance jazzy, l’utilisation de la trompette étant ici assez inattendue et plutôt bienvenue. Isham continue de développer ses atmosphères à la fois sombres et planantes dans « Badal Part III » où le rythme, qui naît progressivement des nappes synthétiques, devient plus pressant et plus urgent. « Badal Part IV » prolonge les expériences du compositeur avec percussions diverses, nappes synthétiques et solo de trompette en sourdine, tandis que « Badal Part V » met l’accent sur les rythmes pour symboliser le danger qui se rapproche sur l’équipage du tank et la proximité des moudjahiddins armés des lance-roquettes. Dans « Nanawatai Part I », la musique change alors radicalement d’ambiance et l’atmosphère sombre et expérimentale de la première partie de l’oeuvre cède la place à une musique plus mélancolique et intime pour la rencontre entre Koverchenko et Taj.

Dans « Nanawatai Part II », Isham réutilise un duo de trompettes jazzy sur fond de nappes synthétiques, percussions et instruments ethniques. Le compositeur nous offre ici un beau moment d’improvisation (Isham interprétant lui-même les parties de trompette) dans un style proche du jazz/électro. Le morceau apporte aussi un certain espoir et rappelle que le personnage de Jason Patric est maintenant du côté de Taj et ses compagnons. L’action et la tension reviennent dans « Nanawatai Part III » où les nappes synthétiques deviennent plus inquiétantes et dissonantes, avec des rythmes plus pressants et des effets sonores aléatoires, synonymes de danger. Koverchenko et les moudjahiddins ont enfin rattrapé le tank de Daskal et s’apprêtent à venger la mort des leurs. On notera ici le retour des rythmes électro « 80s » et des sonorités métalliques industrielles du début, comme pour marquer la fin de la bête de guerre, une musique somme toute assez expérimentale et particulière, surtout pour un film de guerre de ce genre. Les sonorités déformées de « Nanawatai Part IV » indiquent la fin du combat, tandis que « Nanawatai Part V » ramène la paix dans la musique, avec le retour de la guitare électrique du début sur fond de nappes et de petites percussions diverses avec vocalises féminines orientales et cordes synthétiques.

Mark Isham signe donc une partition assez originale et un brin expérimentale pour « The Beast of War », évacuant complètement le style orchestral hollywoodien habituel pour se concentrer autour d’une écriture purement électronique et atmosphérique, accompagnée de quelques solistes (guitare électrique, trompette jazz, chanteurs, etc.). La musique n’illustre pas tellement scène par scène, elle semble flotter davantage de façon globale sur les images, créant une ambiance générale assez particulière et en adéquation parfaite avec l’ambiance du film de Kevin Reynolds. Le côté années 80 de certaines sonorités électroniques passe ici parfaitement bien, la musique s’offrant le luxe de ne même pas sonner kitsch ou particulièrement datée. On sent à quel point Mark Isham maîtrise la musique électronique et qu’il s’est bien fait plaisir dans les quelques improvisations jazz de la partition. Certes, on regrettera l’absence de thème qui rend l’écoute plus difficile et exigeante, mais qu’importe, le résultat reste néanmoins plus que correct, et la musique demeure un bien bel effort de la part d’un Isham de la fin des années 80, une époque où il semblait bien plus inspiré et inventif que ce qu’il fait aujourd’hui.



---Quentin Billard