Summer

1-Summer Overture 2.37
2-Party 0.28
3-Coney Island Dreaming 1.04
4-Party 0.36
5-Chocolate Charms 0.25
6-Ghosts of Things to Come 1.33
7-Dreams 0.44
8-Tense 0.38
9-Dr. Pill 0.42
10-High on Life 0.11
11-Ghosts 1.21
12-Crimin' & Dealin' 1.44
13-Hope Overture 2.31
14-Tense 0.28
15-Bialy & Lox Conga 0.45

Fall

16-Cleaning Apartment 1.28
17-Ghosts/Falling 1.11
18-Dreams 1.02
19-Arnold 2.35
20-Marion Barfs 2.22
21-Supermarket Sweep 2.14
22-Dreams 0.32
23-Sara Goldfarb Has Left
The Building 1.17
24-Bugs Got a Devilish
Grin Conga 0.57

Winter

25-Winter Overture 0.19
26-Southern Hospitality 1.23
27-Fear 2.26
28-Full Tense 1.04
29-The Beginning of the End 4.28
30-Ghosts of a Futur Lost 1.50
31-Meltdown 3.55
32-Lux Aeterna 3.54
33-Coney Island Low 2.13

Musique  composée par:

Clint Mansell

Editeur:

Nonesuch 79611-2

Score produit par:
Clint Mansell, Judith Sherman

Artwork and pictures (c) 2000 Artisan Entertainment. All rights reserved.

Note: *****
REQUIEM FOR A DREAM
ORIGINAL MOTION PICTURE SOUNDTRACK
Music composed by Clint Mansell
« Requiem For A Dream » est le second long-métrage du réalisateur Darren Aronofsky, un film choc et quasi expérimental adapté du roman éponyme d’Hubert Selby. Le réalisateur américain, révélé en 1996 par son premier film ambitieux « Pi », nous livre avec « Requiem For A Dream » un film dur et bouleversant évoquant les ravages de la drogue sur un groupe de différents personnages dont on suit avec intérêt la descente aux enfers tout au long du film. Harold « Harry » Goldfarb (Jared Leto) est un jeune toxicomane qui rêve avec son ami Tyrone (Marlon Wayans) d’un monde meilleur et d’une vie facile. Ils s’imaginent tous les deux en train de monter un commerce pour pouvoir faire fortune. Harry et sa petite amie Marianne (Jennifer Connelly) passent une bonne partie de leurs journées à se droguer, se sentant invulnérable et en parfaite sécurité dans l’univers fictif qu’ils se sont crée. Mais il devient de plus en plus difficile pour eux de récupérer leurs doses, alors Harry décide de mettre en gage la télévision de sa mère, Sara Goldfarb (Ellen Burstyn), accroc à son programme télévisuel fétiche qu’elle suit avec obsession tous les jours. Sara rêve de passer un jour à la télévision, et pour parvenir à ce rêve, elle se met en tête d’entamer un régime draconien à coups de privations extrêmes et de pilules amaigrissantes, pour pouvoir rentrer de nouveau dans une ancienne robe, le moment venu. Harry, Tyrone, Marianne et Sara entament chacun à leur façon une longue et douloureuse descente aux enfers, dans laquelle la fin justifie les moyens, et où tous les moyens sont bon pour se procurer sa dose - la drogue pour Harry, Marianne et Tyrone, les pilules amaigrissantes et la télévision pour Sara. Toutes les formes de dépendances sont représentées ici, avec pour chacun des quatre personnages, une issue tragique et brutale. Film coup de poing sur les comportements addictifs et les différentes formes de drogue, « Requiem For A Dream » - titre pessimiste en référence aux rêves des personnages et à leur issue tragique - est un long-métrage à part dans le paysage du cinéma américain, une véritable oeuvre d’art qui bouscule, bouleverse et provoque. Bien loin des conventions du cinéma hollywoodien, le film de Darren Aronofsky est avant tout une expérience qui se vit avec les tripes et le coeur, à l’image même du bad trip des quatre protagonistes principaux du film.

Evoquant les différentes formes d’addiction et les comportements obsessifs et autodestructeurs (sujet déjà abordé au cinéma, et notamment dans le film « Trainspotting » du cinéaste britannique Danny Boyle), « Requiem For A Dream » est avant tout un drame humain bouleversant, un film choral à base d’effets de montage inédits et d’une narration à la fois simple et labyrinthique décompensée en trois actes évoquant trois saisons : été, automne et hiver (le printemps étant absent !). Evidemment, le film provoqua de vives réactions à sa sortie en salle en 2000 et fit l’effet d’une bombe : présenté dans de nombreux festivals, « Requiem For A Dream » obtint une multitude de récompenses, récolta des critiques extrêmement dithyrambiques et devient très rapidement un film culte, une sorte d’OVNI cinématographique un peu à part, entièrement dû à la personnalité artistique forte et libre de Darren Aronofsky, nouveau génie du cinéma américain. Le film a autant été salué pour sa mise en scène artistique et sa plastique étonnante que pour ses performances hallucinées et hallucinantes d’Ellen Burstyn (qui nous livre une interprétation absolument exceptionnelle de son personnage) et Jared Leto. Quand à Jennifer Connelly, il s’agit probablement de l’un des meilleurs rôles de toute sa filmographie (même chose pour Marlon Wayans !). Si le film rencontra des difficultés avec la MPAA en raison de ces quelques scènes de sexe qui provoquèrent une interdiction du film aux moins de 17 ans aux Etats-Unis, « Requiem For A Dream » est très rapidement devenu un objet culte et référentiel étudié par les écoles de cinéma, et plus particulièrement dans les facultés de psychologie et de médecine, pour tout ce qui concerne l’étude des comportements toxicomanes. Le film est aussi fréquemment diffusé dans les lycées afin de sensibiliser la jeunesse aux ravages de la drogue. « Requiem For A Dream », un drame pédagogique ? Certainement, bien qu’il serait parfaitement réducteur de ne garder en tête que cet aspect du chef-d’oeuvre de Darren Aronofsky, car au final, « Requiem For A Dream » est avant tout un film entier, bouleversant et extrême, à l’image même du cinéma libre et sans concession d’un cinéaste intègre, à des années lumières des conventions hollywoodiennes : un chef-d’oeuvre incontournable du cinéma des années 2000, à voir absolument !

La très fameuse partition électronico-acoustique du compositeur Clint Mansell - ex-membre du groupe Pop Will Eat Itself - a très largement contribué au succès critique et populaire du film de Darren Aronofsky, une musique aujourd’hui très souvent reprise et remixée par différents DJ ou groupes de rap, et parfois même utilisée dans certaines bandes annonces de film. Le score de Clint Mansell emprunte ici ses accents envoûtants et hypnotisants au répertoire de la musique électro expérimentale, soutenu par l’interprétation sans faille du célèbre Kronos Quartet (un quatuor à cordes fondé à San Francisco en 1973 par le violoniste David Harrington, et qui a déjà participé à des musiques de film d’Elliot Goldenthal ou de Philip Glass). En mélangeant à la fois les traits de cordes staccatos du Kronos Quartet et les expérimentations électroniques parfois très abstraites, la musique apporte au film de Darren Aronofsky une ambiance quasi unique en son genre. Le cinéaste a d’ailleurs déjà déclaré dans plusieurs interviews que la musique de Clint Mansell l’avait beaucoup inspiré lors du montage du film. Ici, musique et images ne font plus qu’un dans une symbiose étonnante et exemplaire, la musique étant une sorte de personnage à part entière dans le film.

Le score doit avant tout son succès au très populaire « Lux Aeterna », célébrissime thème principal qui devient un véritable tube dans le monde pourtant très clos de la musique de film, à tel point que le morceau fit l’objet de nombreuses réadaptations et arrangements divers par la suite, et devint un « hit » incontournable de la musique de film en général, très présent dans les médias en général (télévision, documentaires, bandes annonces, etc.). Le morceau fut même réarrangé et réorchestré pour les besoins de la bande annonce du film « Lord of The Rings : The Two Towers » de Peter Jackson - morceau connu sous le nom « Requiem For A Tower ». Le thème lancinant de « Lux Aeterna » est une pièce dramatique et envoûtante entièrement portée par les cordes mélancoliques du Kronos Quartet et par un accompagnement électronique entêtant. Le caractère répétitif et extrêmement prenant du morceau ainsi que la simplicité de sa ligne mélodique et de ses harmonies tragiques ont sans aucun doute largement contribué à la grande popularité de ce morceau incontournable, symbole de l’auto-destruction de ces quatre personnages qui hantent le long-métrage de Darren Aronofsky. Le thème principal de « Lux Aeterna » annonce clairement la teneur tragique du film (la fin d’un rêve artificiel et l’éveil dans une réalité cauchemardesque) avec une sobriété et une économie de moyens assez exceptionnelle : à l’écran, le résultat est pourtant d’une intensité dramatique incroyable ! Le thème sera surtout présent dans la première partie du film (« Summer Overture », « Hope Overture ») et repris au début des trois actes du film : « Summer Overture » pour l’été, « Cleaning Appartment » pour l’automne et « Winter Overture » pour l’hiver, une sorte de leitmotiv entêtant et dramatique annonciateur de la tragédie à venir.

Mais la partition de « Requiem For A Dream » ne se limite pas à ce thème principal, car le reste du score présente aussi différentes ambiances toutes plus passionnantes et cohérentes les unes que les autres dans le contexte du film. Ainsi, l’acte I présentant l’été reste essentiellement dominé par une musique électro et énergique parfois un peu abstraite et expérimentale : les personnages vivent encore dans leurs illusions et n’ont pas encore pris conscience des dangers qui les guettent. Les scènes de drogue sont ainsi illustrées dans l’électro/techno de « Party » ou « High on Life » (évoquant le montage speed sur les scènes de prise de drogue), tandis que des passages très brefs comme le cristallin et mystérieux « Chocolate Charms » ou « Dr. Pill » évoquent les comportements addictifs de Sara, alors que l’envoûtant « Ghosts of Things to Come » et son motif obsédant de quatre notes des cordes sur fond de synthétiseurs obsédants annonce déjà le drame à venir (cf. « Ghosts »). On appréciera l’ambiance surréaliste qui se dégage des synthétiseurs étranges de « Coney Island Dreaming » pour les scènes de rêve, un morceau qui reviendra plusieurs fois dans l’acte I, et notamment dans « Dreams ». Un autre motif électronique un peu étrange est entendu dans « Tense », qui revient ici à deux reprises dans l’acte I. Un morceau se détache un peu du reste, « Bialy & Lox Conga », une conga aux accents cubains entendu lors de l’émission TV que regarde Sara, et dont la tonalité générale se détériore rapidement, comme si la bande sur laquelle le morceau est enregistré avait été soudainement abîmé : une très bonne idée pour suggérer avec justesse un sentiment de malaise soudain. L’acte II (l’automne) développe alors les motifs simples que Clint Mansell a mis en place pour la première partie du film. On y retrouve ainsi le motif fantomatique de « Ghosts » dans le morceau « Ghost/Falling » auquel s’ajoute le quatuor à cordes, le motif électronique étrange des rêves (« Dreams », qui reviendra deux fois dans l’acte II), sans oublier l’apparition de nouveaux motifs comme « Arnold » et ses sonorités électroniques/new age planantes et discrètes mais néanmoins porteuses d’une certaine noirceur sous-jacente (avec ces sonorités saturées étranges). Le compositeur utilise même quelques rythmes tendance trip-hop/électro dans « Supermarket Sweep » (qui reprend en fait le style de « Crimin’ & Dealin’ » lorsque Harry et Tyrone cherchent à se procurer leurs doses). « Sara Goldfarb Has Left the Building » apporte quand à lui une tension plus oppressante évoquant la descente aux enfers de Sara, idée reprise dans le retour de la Conga dans « Bugs Got a Devilish Grin Conga » qui, comme son nom l’indique, transforme la danse cubaine en une sorte d’anarchie sonore étrange et dérangeante, comme si la musique se mettait subitement à buger de façon maléfique, cette idée de « bug » et de détérioration étant déjà présente dans le final de l’acte I, « Bialy & Lox Conga ».

Soucieux de conserver une structure cohérente, simple et claire, Clint Mansell construit ainsi dans le film comme sur l’album une sorte de suite classique en trois mouvements, autour de ses thèmes simples et efficaces qu’il développe à loisir dans le film suivant les différentes situations. Plus sombre et dérangeant, l’acte III (l’hiver) introduit un nouveau motif confié à un ostinato entêtant de cordes staccatos irritantes dans « Southern Hospitality ». Ce thème de cordes glaciales et mécaniques (totalement dénuée de la moindre chaleur) suggère clairement ici l’idée de la descente aux enfers tout en conservant une économie de moyens et un minimalisme efficace. Le rythme mécanique et inexorable de « Southern Hospitality » va alors influencer une bonne partie des morceaux de l’acte III, avec notamment l’étrange et inquiétant « Fear » qui réutilise le quatuor à cordes filtré et retravaillé cette fois-ci par le biais de l’électronique. Si le quatuor à cordes et l’électronique arrivaient encore à cohabiter sereinement dans l’acte I et l’acte II, la troisième partie nous fait clairement comprendre que l’électronique est en train de prendre progressivement le dessus, transformant la musique en une sorte de magma sonore anarchique et chaotique, symbolisant la chute des quatre malheureux toxicomanes. Cette idée est reprise dans « Full Tense » où le quatuor à cordes, enregistré et retravaillé par le biais de l’électronique (filtres divers, plugs-in pour retoucher les fréquences du son, etc.) devient quasi méconnaissable, réduit à l’état de magma sonore difforme et déshumanisé. A l’image de la descente aux enfers de nos quatre malheureux compères, la musique symbolise parfaitement ici les ravages de la drogue (l’électronique) sur le corps et l’esprit humain (le quatuor à cordes). Cette idée culmine dans le mécanique et métallique « The Beginning of the End » où la musique devient extrêmement dérangeante, aux bords de la folie et de l’anarchie pure. Comme le titre du morceau l’indique, c’est le début de la fin pour Harry, Tyrone, Marianne et Sara. Les staccatos obsédants du quatuor à cordes laissent alors la place ici à un flot de sonorités métalliques porteuses d’un stress oppressant et tragique, comme pour rappeler l’idée que les personnages sont désormais très loin de la réalité et sont enfoncés jusqu’au coup dans l’enfer qu’ils ont eux-mêmes provoqué.

La partie finale de « The Beginning of the End » culmine avec un développement totalement déshumanisé et anarchique du quatuor à cordes, qui tente encore de se raccrocher à la réalité en revenant parfois sous sa forme acoustique, avant de replonger brutalement dans sa version électronique filtrée/déshumanisée, entrecoupé parfois sauvagement de rappels du motif de la tension (« Tense »). Le climat complètement incertain du morceau, où les sonorités évoluent de façon totalement aléatoires et abstraites, crée à l’écran une ambiance dérangeante et assez unique dans son genre : rares sont les compositeurs à avoir su exploiter avec autant d’intelligence et de cohérence le principe même des retouches électroniques d’instruments acoustiques (l’exemple le plus récent au cinéma restant le travail très sous-estimé et méconnu de John Frizzell sur le film « Stay Alive »). Plus émouvant, « Ghosts of a Future Lost » reprend le thème mélancolique de « Ghosts » avec un quatuor à cordes plus intimiste et humain, symbole d’un avenir anéanti, du désespoir et de la souffrance comme seul futur possible. Et si vous avez eu du mal à ressortir des 4 minutes véritablement angoissantes et stressantes de « The Beginning of the End », attendez de subir l’assaut musical des 3 minutes 56 de « Meltdown », évoquant l’issue tragique des quatre personnages (Marianne doit se prostituer pour obtenir sa dose, Tyrone finit en prison, Harry est amputé d’un bras à l’hôpital, Sara est enfermé dans un asile psychiatrique et lobotomisé) : « Meltdown » s’apparente à une sorte de cauchemar musical infernal dans lequel le quatuor à cordes est entièrement filtré du début jusqu’à la fin, transformé ici en une sorte de marche surréaliste angoissante, mécanique et infernale, aux bords de la saturation la plus extrême.

A l’instar du film d’Aronofsky, la partition musicale de Clint Mansell pour « Requiem For A Dream » est un chef-d’oeuvre de bout en bout, un score conceptuel, sobre et minimaliste, construit à partir d’une pléiade de motifs en tout genre et d’un thème principal archi-célèbre et extrêmement médiatisé, même encore aujourd’hui. Le miracle de la musique de « Requiem For A Dream » réside avant tout dans le fait que la musique est aussi passionnante à écouter dans le film que sur l’album, dans lequel le compositeur a structuré sa partition sous forme de 3 actes reflétant les trois grandes parties/saisons du film. L’écoute devient alors parfaitement cohérente, la construction de l’oeuvre en trois mouvements révélant le soin tout particulier avec lequel Clint Mansell a envisagé à la fois sa musique pour le film et en tant qu’oeuvre musicale en soi : rien que pour cela, la partition de « Requiem For A Dream » est une sorte d’exploit artistique, surtout à une époque où la musique de film a tendance à s’appauvrir de plus en plus, souvent malmenée par des exigences artistiques décevantes et les contraintes d’un cinéma hollywoodien de plus en plus dénué de la moindre ambition artistique et musicale, et qui recherche bien trop souvent les effets faciles pour satisfaire le plus grand nombre. Il est évident que les auditeurs ne devront pas rechercher cette même facilité et ces mêmes conventions dans le score de « Requiem For A Dream », car, sans être absolument révolutionnaire dans sa forme, la musique de Clint Mansell est extrêmement audacieuse et pertinente dans son fond, révélant une inventivité certaine et un sens aigu de la conceptualisation. Mieux encore, la musique parvient même à apporter une très grande émotion au film, tout en reflétant avec passion les tourments de ces quatre personnages entamant une longue descente aux enfers. Au final, « Requiem For A Dream » reste une partition assez exceptionnelle dans l’univers musical du cinéma américain en général, une partition-concept difficile d’accès et parfois même assez extrême (certains apprécieront, d’autres détesteront !), un chef-d’oeuvre à ne rater sous aucun prétexte !



---Quentin Billard